Mes condoléances | Aurel

Elle avait appris, peu après le bal, le décès du père d’Aurel. Il était, à ce qu’on lui avait dit, mort pendant la nuit. C’était là une horrible chose et elle ne pouvait que ressentir pleinement sa peine. Remontait la sienne, qui était si jeune encore. Elle lui rendait régulièrement visite, à son père. Elle restait là, avec lui, en silence, à peine éclairée par les torches. Elle s’asseyait parfois tant elle restait debout. Elle allait ensuite prier Tyra, lui demandant d’être bonne et d’être douce. Eléonore sentait parfois son père. Veillait-il sur elle ? Sans doute devait-il être plus présent pour Louis mais elle aimait à se dire qu’il la protégeait tout de même à sa manière. Elle disait ensuite quelques mots pour leur aîné et elle repartait le coeur un peu moins lourd. Il n’était plus question de faire un deuil trop long. Il ne s’agissait que de son père, pas de son époux ni d’un de ses enfants. Alors quand elle se retrouva devant sa feuille, plume en main, elle sut qu’elle ne pourrait écrire beaucoup. Il n’avait sans doute pas envie de lire beaucoup non plus. S’étendre sur des broutilles et des futilités n’était pas nécessaire, dans ce cas. Alors elle commença de but en blanc et fut brève. En espérant que cela soit assez et qu’il ne l’accable pas d’intentions qu’elle n’avait pas. Il s’agissait tout simplement de lui dire qu’il n’était pas seul.

 

Marquisat de Sainte-Berthilde
Baronnie d’Olyssea.

Du marquisat de Sainte-Berthilde
Première ennéade de Karfïas
De la dixième année du onzième cycle.

Au général des armées d’Olyssea, Aurel de Lantennes, mes salutations les plus distinguées.

J’ai eu le regret d’apprendre le décès de votre père, dans la nuit qui a suivi notre rencontre. Je suis sincèrement désolée que vous ayez eu à vivre cela. Au regard des circonstances, j’ai su qu’il était plus judicieux de ne pas vous suivre lorsque vous êtes parti avec votre père suite à son accident à Sainte-Berthilde. Vous savez que j’ai moi-même perdu récemment mon père et je sais combien cela est douloureux. Je voulais vous dire que si jamais vous en ressentiez le besoin, il était possible que nous discutions plus avant à ce sujet.

Je sais que vous êtes un homme peu expressif et qu’il n’est pas dans vos habitudes de vous attarder sur moult sujet lors d’une conversation. Alors je vous envoie cette missive, qui je l’espère sera suffisante. Il ne m’était pas possible de vous en toucher mot seulement lorsque nous nous reverrons. J’ose espérer que votre sœur ne s’en portera pas mal trop longtemps. Soyez là pour elle, elle aura besoin de vous.

Puisse Tyra garder votre père et apaiser votre coeur,

Eléonore de Saint-Aimé.

Aurel signa un nouveau document avant de le poser plus loin sur son bureau en direction de Lambert qui se tenait debout près de lui. En tant qu'homme de confiance, c'était à lui qu'il donnait toute sa correspondance. A charge ensuite pour le chevalier de trouver un messager fiable. C'était également par lui que transitaient certains documents qui ne devaient pas être laissés à la vue de tous. Seulement le Général n'aimait guère la paperasse et effectuait une seule et même tâche de manière régulière et par vague. Ainsi, ce cette fois-là, il avait décidé de se mettre à jour dans les réponses que l'on attendait de lui. Pendant ce temps, son ami attendait, le plus sagement du monde. Il était même assez curieux de le trouver aussi sérieux... Il veillait même à ce que l'officier n'oublie pas une seule missive.
Après un long moment, Aurel lui tendit un nouveau papier qu'il venait de signer.

-On en a fini ?

Lambert jeta un coup d'œil à quelques cases disposées devant son ami. Pour les documents à ratifier ou à invalider, c'était fait. Pour les lettres, en revanche...

-Tu ne réponds pas à cette missive ?

Aurel suivit son regard pour découvrir de quoi il parlait. Lambert en avait sans nul doute reconnu le sceau mais il se trompait sur son origine. N'y accordant pas plus d'importance que cela, il attrapa un dossier contenant les derniers rapports des différents vassaux d'Olyssea dans le but de prendre connaissance de l'état de leurs forces en prévision de la guerre prochaine.

-C'est Eléonore qui me transmet ses condoléances.
-C'est gentil de sa part. Dit le chevalier en faisant le tour du bureau pour s'approcher de ladite lettre et s'en saisir afin d'observer l'écriture de la jeune femme. Et tu n'as pas l'intention de lui répondre ?

Bien sûr, Aurel lui avait confié quelles seraient leurs prochaines relations. Avec Lesceline, il était un des rares à savoir la vérité sur leurs fiançailles prochaines. En revanche, personne n'était pas au courant de la façon dont Richard était parvenu à le convaincre. Il ne faisait nul doute qu'il lui avait forcé la main mais, comment, c'était un grand mystère.

-Pour lui dire quoi ? Elle a perdu son père. Elle croit que je vis la même chose qu'elle...
-Elle se trompe légèrement sur le personnage... Fit-il dans une moue. Mais ça n'en reste pas moins attentionné de sa part. Lança-t-il en remettant la missive à sa place avant de se diriger vers la sortie.

La porte se ferma, laissant Aurel seul tandis qu'il se plongeait dans sa lecture. Toutefois, il eut du mal à se concentrer. A plusieurs reprises, son regard fut attiré par la lettre mal reposée dans sa case. Finalement, après de multiples tentatives infructueuses pour passer à autre chose, il soupira et attrapa le parchemin soigneusement plié. Adossé à sa chaise de bureau, il la rouvrit et la parcourut pour se la remettre en mémoire. Oui bon, même s'il ne comprenait pas qu'elle s'embarrasse de ses états d'âme alors qu'elle ne l'appréciait pas et que rien ne l'y forçait encore officiellement, elle faisait effectivement preuve de gentillesse en prenant la peine de lui écrire et en lui proposant son oreille. Elle méritait bien une réponse. Il écarta donc son dossier pour se faire de la place avant de s'armer de sa plume et d'une feuille vierge. Il dut s'y reprendre plus d'une fois pour parvenir à formuler une lettre qui ne la froisse pas, ou le moins possible.
Enfin satisfait, il finit par recopier le tout au propre avant de cacheter la lettre, de la mettre dans la pile des sujets traités et de jeter les brouillons au feu. Plus tard, Lambert repassa par le bureau désormais vide. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver une missive de la main d'Aurel à l'intention d'Eléonore. Un léger sourire s'esquissa sur ses lèvres. Il en aurait presque oublier que le cachet l'empêchait de lire le contenu du pli, se satisfaisant du simple fait de savoir qu'il existait. Aussi se contenta-t-il de le prendre pour partir en quête du prochain messager devant se rendre à Sainte Berthilde, enthousiaste.

Enfin, en espérant qu'Aurel n'est pas commis une de ces maladresses dont il avait le secret...

Lambert chassa bien vite cette pensée, se secouant la tête, avant de reprendre sa quête d'un pas décidé.

D'Olyssea
à Sainte-Berthilde

8ème jour de la quatrième ennéade de Karfiäs
An Dix du XIème cycle

Mademoiselle de Saint-Aimé,

Pardonnez le retard avec lequel vient cette réponse. Votre lettre a eu du mal à me trouver entre mes différents déplacements.

Votre attention m'a plutôt surpris étant donné notre dernière entrevue. Je vous en remercie d'autant plus.
Nous avions de nombreux sujets de discorde mais Richard n'en restait pas moins mon père. Sa mort ne m'a pas surpris et est dans l'ordre naturelle des choses. Son départ ne m'est donc pas impossible à surmonter. Cela est moins vrai pour Sybille qui n'avait encore jamais perdu de proche. Elle serait touchée de savoir que vous vous préoccupez de son état. Etant donné que j'ai achevé mon inspection des forces olysséennes, elle est en route pour me rejoindre à la Capitale. Notre mère la suivra bientôt.

Que Néera veille sur vous.

Aurel Fribourg de Lantenes