Amenez-moi du saucisson, monsieur le Boucher! [ Thibaud ]

2ème jour de la 4ème énéade de Barkios, 10ème année du 11ème cycle.

Les matines se virent bien prisées cette journée-là, car devant l’autel de fortune dressé pour la gloire de la DameDieu, se massa nombres de bonnes genses prêtes à livrer leurs primes prières. Louis ne s’exclu guère de la menuaille et se joint à eux pour exprimer sa gratitude à la Déesse mère. Icelle ne sachant différencier le bleuté du carmin, c’est sans une once d’hésitation qu’il ploya les genoux à côtés de la piétaille. La chose étant faite et bien faite, tous retournèrent à proximité de leurs bivouac, afin de becqueter un bout de charcuterie devant les impérissables braises de la veille. Or, tous armés d’un menu couteau au tranchant capable, c’est en cercle devant le crépitement de leur âtre, qu’ils picorèrent leur petit déjeuner.

« Quoi d’est-ce qu’y’a au menu pour vous c’jour’dhui, monsieur l’Régent ? » Demanda l’un des habitués, la gueule pleine de gras.
« Dans un premier temps, je compte bien m’enfiler trois quatre bouts de pains pour me faire les dents. Alors, j’aurais de quoi tenir, lorsqu’il me faudra m’entretenir avec mon Sénéchal. » Sa répartie souleva quelques faibles gloussement encore engourdis par le sommeil. C’est que les soleils peinaient à illuminer les cieux à cet heure et les nuages, nombreux et épais, n’aidaient en rien leur tâche quotidienne.
« J’crois qu’il dort m'sieur le Régent, et pis fort avec ça. On l’entend ronfler dans tout l’campement, c’pas peu dire. J’crois qu’il a prit une rombière qui faisait pute pour dormir avec lui, ça explique p’tet … »
« On verra tôt, car j’ai ouïe dire que deux dizaines d’hommes s’apprêtaient à croiser l’acier non loin de ses appartements. Un entrainement d’invasion, m’a-t-on dit. » Louis souriait, les lèvres hautes jusqu’aux oreilles. Car entre deux morceaux de barbaque et de croûte sèche, le régent observa au loin le moment fatidique ou le dangereux boucher subirait un chant de coq personnalisé. Du moment qu’il ne tuera personne, la chose se voulait d’ores et déjà bien rigolote.

Par tans, le bousin du campement prospérait lentement mais sûrement, comme quoi chaque âme qui vive reprenait conscience et par le fait même, leurs tâches quotidiennes.

Pester était la chose qu'il faisait le mieux ces derniers temps. Les échansons et autres écuyers ramassaient bien plus qu'à l'accoutumée. Au point même qu'ils évitaient dès lors de s'approcher de lui. Seul son bâtard, Hector, subsistait en toute circonstance à ses côtés. Pour le bien comme le pour le pire. Sa colère décuplait subitement à chaque fois qu'il voyait la cité de Chrystabel au loin. Elle était pour lui un obstacle, qu'il s'évertuait à détruire mille fois dans ses pensées. Comment la prendre ? Comment passer les murailles ? Un seigneur lambda se serait probablement contenté d'une échelle, d'hommes valeureux et d'un brin de chance pour parvenir à la prendre. Lui n'était pas ce genre d'individus. Une simple idée pouvait mettre à néant toute chance de survie d'une telle ville forte. Encore fallait-il que l'idée soit pérenne. Pour l'heure, son ébauche de plan n'en était réduit qu'à des échecs cuisants.

Il retrouva Louis en pleine ripaille, entouré de quelques hommes. Le connétable débarqua sans convenance en se feignant tout juste d'une salutation de la main. Il donnait l'air de regarder partout et nulle part à la fois. C'est tout juste s'il daigna même jeter un œil au jeune faon, qui lui, semblait jouir pleinement de sa barbaque. Il tira une petite motte d'herbe qu'il tassa entre ses doigts pour la mettre dans la pipe. Cette dernière, conquise à Beltrod, était probablement le bien le plus précieux qu'il avait récupéré durant cette guerre. Grâce à elle, l'extérieur n'avait plus grande importance.

-Louis, marmonna-t-il. Les hommes trépignent à l'idée de partir à l'assaut des murailles chrystabelloises. Nous leur avons ôté tout plaisir de monter sur ceux de Rochenoire, déjà... Hors, ne vous laissez pas tromper par l'excitation d'une prise rapide et facile.

Ces mots n'étaient là que pour la forme. Il savait parfaitement bien que Louis n'était pas un âne au point de croire qu'il pourrait conquérir Chrystabel en une seule journée.

-Les hommes qui nous attendent derrière ses murs auront à cœur de venger la mort de leur suzerain. Et dans une guerre, il n'y a rien de pire que d'affronter des hommes déterminés qui n'ont plus grand chose à perdre, sauf leur honneur.

Il cracha par terre.

-Si nous restons là, la gueule béante, sans rien faire d'autre que d'attendre les ordres d'assaut du sénéchal, nous serons dans une sacrée mêlasse, je jure. Nous ne devons leur laisser aucun répit. Aucun moyen de se reposer et d'attendre patiemment la riposte. Et pour ce, j'ai peut-être une idée.

Ébaubit, voilà à toute chose près l’air qu’emprunta le cervidé à la vue d’un Thibaud certes harassé, mais point coléreux. Adoncques! Cette théorie à propos de cette dyade qui lui aurait fait chanter le moineau sembla d’autant plus plausible, à le voir gorger sa pipe d’herbes à boucane. Pourtant, nuls aboiements ne firent vibrer les pans de murs de sa tente la dernière nuitée. Il accusa donc la bonne fortune d’avoir été celle qui tempéra son connétable, lui qui en temps normaux aurait vociféré tous les jurons inimaginables envers ceux qui s’adonnaient à leur entraînement matinal et ô combien bruyant.  Les mires vairons du cerf se dressèrent pour ne jamais quitter son homologue, le laissant discourir sans accrocs, jusqu’à ce qu’il en ait achevé. Puis, il se dressa sur ses deux béquilles en faisant signe de la tête de le suivre, tout en lui lançant mollement son restant de barbaque afin qu’il puisse se mettre quelque chose sous la dent. Ce ne fût qu’une fois sous l’intimité de ses propres spacieux appartements, qu’il lui rendit la pareille.

« À ton dernier conseil avisé, je veux bien t’accorder le point. La réunion au sommet se fait attendre et pendant que poireautent les artilleurs ainsi que toute la soldatesque, Chrystabel gonfle le torse et se prépare d’autant plus. Aux dernières nouvelles, nous serons prêt je le crois, à lancer les premiers obus dans les deux jours qui viennent. D’ici là, je t’en prie, exposes-moi ton idée ? » Termina Louis, s’étant depuis approché de la grande tablée, où trônaient en maître les cartographies régionales et de la célèbre puterelle Chrystabel.

Thibaud cracha un épais nuage de fumée. L'échanson du Saint-Aimé se le mangea pleine poire mais ne pipa mot. Trop fier qu'il était de servir homme si prestigieux, il resta statique en proie à l'étouffement. Thibaud s'en amusa en le regardant un instant puis remit son attention à côté, là où on lui parlait. Adonc le jeune faon était prêt à écouter ses recommandations. Le contraire l'en aurait fort étonné et déçu. Il y avait néanmoins un hic. N'ignorant pas un seul instant que Louis et lui-même étaient les parfaits opposés, œuvrant de paire pour la seule circonstance de la guerre, un gouffre les séparait. Quand bien même le faon ne s'était pas opposé à ses chevauchées éclaires dans la lande velterienne, il était fort à parier que celui-là même n'aurait sut apprécier ses menées sans sourciller s'il avait été à ses côtés. Partisan de la petite guerre, sale et peu honorable, Thibaud était à mille lieux des récits chevaleresques emplis de respect, de courage et de loyauté. Pourtant, c'était en se salissant les mains que l'on gagnait les guerres. Les garder propres, c'était prendre le risque d'y perdre la tête dans la mêlée.

– Louis... nous sommes très différents vous et moi pour des raisons que nuls n'ignorent. Notre objectif quant à lui est le même et nous y sommes presque. Dès lors que Chrystabel tombera, nous marcherons sur Diantra et y déposerons le royal fessier de sa majesté Bohémond. C'est inéluctable.

Il posa sa pipe un instant pour se trancher un morceau de lard et l'avaler.

– Contrairement aux vôtres, mes mains sont déjà sales et les rendre un peu plus dégueulasse ne me gêne en rien. Je n'ai seulement besoin que de votre accord pour mettre un terme au plus vite à cette guerre.

Il fit signe à l'échanson de lui servir une coupe de bière.

– Avant de vous exposer mon plan, j'ai seulement besoin de savoir si vous êtes prêt à vivre le restant de vos jours avec une ombre dans votre conscience.

Dans les faits, quiconque tirait l’acier de sa gaine se salissait les pattes. Seulement, certaines étaient couvertes de sueurs, de sang et de boue, alors que d’autres l’étaient de merde. Et ceux de Thibaud empestaient à plein nez. Celles de Louis en revanche, étaient détrempées et bien qu’il s’efforça à les nettoyer autant que possible, en tentant vainement de justifier ses actes. Le rétablissement de l’ordre, de la justice et de la grandeur de sa Majesté le Roi, justifiaient le mouvement des troupes sur les terres du Médian. Mais ces ignominies, ces gratis homicides, ces innocents qui payèrent le prix fort pour les fautes de ces félons qui eux, même, s’en virent souventefois dispensés de toute punition autre qu’un simple bannissement, écœuraient le cerf à excès.

À la demande du boucher, le jeune caviste s’exécuta sitôt demandé, comme s’il obéissait au Seigneur de Kelbourg au même titre que le Régent. C’est que le bougre, bien que mal commode, n’en était pas moins Connétable. Sa position lui octroyait certains droits desquels jusqu’à maintenant, il n’avait que rarement eut temps de jouir. D’un coup d’œil au jouvenceau, il s’en fit servir un godet également, mais le posa sur la table, s’imaginant bien que la conversation prendrait tôt une tout autre tournure. Le vent s’annonçait bourrasque et les rafales auront tôt fait se faire ravages dans la grand’tente du Régent.

« Je n’ai certes pas écourté la vie de jeunes bambins ou de femmes bien portantes, ni plus de vieillards ou d’innocentes âmes, mais mes mains sont aussi rouges que les vôtres, Thibaud. Je connais votre propension aux sales besognes, car c’est ainsi que vous procédez, pour vous assurer la victoire. En un sens, si ces méthodes sécurisent la vie de nos effectifs, de ces pères de famille qui marchent dans l’ombre de nos étendards, alors soit! »

Louis prit un moment pour se déshydrater d’un peu d’alcool. Même, deux fois plutôt qu’une, à entendre déglutir sa pesante goulée. Il en aurait besoin, cela, il en était certain.

« Dites-toujours Thibaud et mesurez bien vos mots. Car bien que ce soit la guerre, je n’entends point endosser d’avantage d’atrocités. »

Si Thibaud n’était pas reconnu pour sa verve utile à faire prévaloir clairement ses idées –autrement bien sûr qu’en crachant insultes et autres immondes paroles-, il se devrait de faire montre d’intelligence. Point besoin d’user de paroles ampoulées ou de faire usage de langue de bois, simplement d’apporter la chose de la manière adéquate. Et, compte tenu des inclinaisons du boucher à faire usage de techniques proscrites ou fangeuses, Louis se demanda s’il existait réellement une manière d’aborder la chose…

Ainsi soit-il, le jeune cervidé lui sembla prêt à l’entendre parler. Son idée, si dégueulasse soit-elle, ne pourrait être perpétuée sans son aval. Lui parler en cet instant revenait à s’assurer qu’en cas d’accord, si les choses venaient à mal tourner, il ne serait point le seul à écoper de toutes les accusations. Mais pour ce, encore fallait-il que le petit faon se sorte un doigt du cul afin de commencer à prendre de véritables décisions pouvant mener au cas de conscience. Thibaud cracha un énième nuage de fumée. Comme à son habitude, lorsqu’il s’apprêtait à expliquer une chose, il eut un léger rictus pour le moins déroutant.

-Vous y connaissez-vous en infusion et autres pisse-mémère ? La question était rhétorique, tout le monde avait au moins bu cette merde une fois dans sa vie. Bien, mon idée reprend le même sauf que ce ne sont pas des plantes que j’ai mis dans l’eau, mais un macchabée mort d’une vilaine dysenterie. A force de chier, le pauvre homme s’est vidé jusqu’au sang… bref ! Afin de mener mes études, je l’ai laissé mariner dans un bac rempli d’eau depuis notre arrivée. Dès lors, toutes les bêtes qui ont goûté à la flotte ont finis par crever dans les jours qui ont suivi.

Si Louis ignorait encore que l’homme qu’il avait nommé connétable de son armée était fêlé, voilà qu’il serait dorénavant fixé.

-Je tiens cette idée de mon séjour en sgardie lorsque nous partîmes bouter le puysard. Alors qu’Amblère venait d’être acquise, j’avais demandé à mes hommes de poursuivre la traque jusqu’à la frontière pour éradiquer les dernières vermines. Certains m’ont rapporté qu’un mal invisible avait emporté trois quart d’un village. Cela avait tellement attisé ma curiosité qu’en me rendant là-bas, je découvris que les survivants n’avaient point été rendus malade pour la simple et bonne raison qu’ils étaient les seuls à ne pas s’être abreuvés au puit.

Il sourit de plus bel car Il y avait une chose qu’il n’avait pas dit. Comment était mort le dernier quart.

-Vous devez maintenant savoir ce qu’il y avait dans ce puit j’imagine ?

Sa folie n’avait probablement pas d’égale.

-Vous voulez mettre un terme à cette guerre, Louis ? Glissez au corbac l’idée de pourparlers lorsque nos premiers assauts auront échoués à prendre la ville. Demandez à rencontrer les capitaines, et par chance, les derniers Velteroc. Ensuite, donnez-leur à boire. Dans les deux jours, la cité sera à vous.

La salvation est à portée d’atteinte de n’importe quelle âme, aussi ténébreuse fusse-elle. De la miséricorde, voilà ce dont ont besoin ces égarés pour retrouver le droit sentier des vertus de la Néera! Voilà à peu près les paroles que Louis s’attendrait de recevoir de quelques clercs Pentiens, s’il dût un jour se confesser de la bêtise de son vassal. Et à ces paroles posées, mesurées et empreintes d’une infinie sagesse, le régent s’imaginât hurler sans une once de scrupules : « Torchez-vous le fondement avec vos conseils, cette âme est pourrie jusqu’à la moelle! Elle est vérolée d’un bout à l’autre et gangrenée par le vice et la démence! »

À tous les égards, Louis s’était montré avec le Kelbourgeois fort bien concilient. Il faut bien l’avouer, depuis leurs premiers arrangements, ils avaient d’un côté comme de l’autre à peu près tiré avantage de leur alliance. Et bien que certains des agissements de son Connétable lui causa des maux de conscience, écorcha ses valeurs les plus fondamentales et même, l’empêcha maintes fois de trouver un sommeil réparateur et sans tourments, ce jourd’hui était la goutte qui fit déborder le vase. Non seulement livrait-il à son Suzerain ces infâmes ignominies, mais il le fit de la manière la plus naturelle, comme si la chose ne put le choquer. Depuis le temps, il avait imaginé l’étendue de sa démence, mais jamais il ne crut que la chose pouvait être poussée à ce point.

« Vos études … ? » Le cerf ne sembla pas certain avoir totalement saisit, comme s’il n’avait jamais ouïe de si odieux aveux. Aussi étonnament que cela parrut, malgré la tronche qu’il tira –de dégoût-, il trouva moyen d’écouter d’un bout à l’autre ses explications avant de s’insurger.

« Êtes-vous devenu complétements fol dingo ?! Sangdieux, vous cherchez à cultiver la mort, Thibaud! » Louis jura, l’heure était grave. Du coup, ses mires s’ouvrèrent toutes grandes, emportés par une émotion bouillante qui ne cherchait qu’à exploser.

« Personne ne désire plus que moi que cette guerre se s’abrège. Et mes mains sont prêtes à être salies, déjà qu’elles le sont bien de sang! Mais je n’endosserai point, ni jamais, une once de votre démence! Ce que vous faites est non seulement immoral, mais d’autant plus dangereux pour l’entièreté de nos hommes! Personne ne peut contrôler ces volées épidémiques, si ce n’est des Dieux et encore! » Le ton du cerf tonna, faisant taire ceux qui babillaient aux alentours, tant sa voix était portante. Limite, serait capable d’actes violents, si d’infortune monsieur le Boucher désirait défendre bec et ongles son savant projet.

« Depuis que nous nous connaissons je me suis montré très accommodant quant à votre propension à la violence, mais s’en est trop, Thibaud. Je vous ordonne céans d’embraser cet endroit où vous vous êtes plu à jouer le diafoirus. Cinq gardes iront afin de s’assurer que vous vous exécuterez sans plus vous approcher de ces misérables macchabées. » Louis en avait pratiquement le souffle court, tant la colère l’avait emporté.

Après le conseil

Ce n'est qu'à contre-coeur qu'il dut abandonner ses expériences. Le jeune cervidé s'en était même assuré en lui envoyant ses propres gardes. Les cadavres avaient ainsi terminés dans un brasier non loin des remparts de la cité. De là, les assiégés durent probablement s'interroger d'une telle cérémonie. Le boucher, contrarié, avait assisté à la scène en se murant dans le plus profond silence. Dans les jours qui suivirent, sa mauvaise humeur ne tarda pas à le faire passer pour le plus désagréable des hommes, quand bien même ce titre lui était déjà dédié depuis longtemps. A cela s'était ajouté une nouvelle qui l'avait fait bouillir. De l'argonnois était arrivé un messager annonçant la capture de sa cadette par des bandits de grands chemins. Elle restait encore introuvable. Son frère avait lui-même mené l'enquête en son absence. Peine perdue. Alors il s'était mis à rager, non pas d'avoir perdu la trace de sa plus jeune fille, mais bien parce que des hommes avaient eu l'audace de s'attaquer à lui en sachant qu'il ne pourrait riposter de suite. L'envie lui était passée de quitter la guerre pour mener la pire répression jamais connue dans tout l'argonnois. Dans sa tête fourmillait déjà moult pensées malsaines quant aux méthodes qui seraient employées. Pour sûr, le banditisme s'estomperait à tout jamais sur ses terres après de telles menées.

Mais son cul était encore à Chrystabel, et pour un petit moment encore qui plus est. Le conseil avait à peine mentionné les moyens entrepris pour la prise de la cité. Lui avait formulé une proposition qui aurait sans doute permis d'écourter considérablement la guerre. Mais le faon, à l'image de ses pairs du royaume, était une morte-couille qui manquait d'audace. Comprendrait-il un jour qu'en employant sa solution, il se serait économisé les vies de ses propres gens. Au lieu de ça, il préférait les envoyer à l'assaut de remparts défendus par des hommes qui n'avaient plus rien à perdre. Grand mal lui fasse ! Il n'était et ne serait probablement jamais d'humeur à consoler le saint-aimé dans ses bras. Pardonner n'était pas dans ses cordes. Tuer, oui.

A l'occasion d'une promenade dans le campement berthildois, Thibaud croisa la route de quelques jeunes nobliaux s’entraînant à l'épée. La plupart n'avait même pas atteint la vingtaine, comme le régent. Son arrivée coupa net la bonne ambiance qui animait les lieux. Le silence les gagna et les jeunes chevaliers mirent genoux à terre pour le saluer en se gardant bien de ne pas croiser son regard. Craignaient-ils vraiment qu'il en tue un pour son seul bon plaisir ? L'un d'eux sembla néanmoins éprouver nulle crainte. Il ne l'avait pas vu au premier regard. Sa tête était haute ; ses yeux braqués sur lui avec un petit sourire cynique au coin des lèvres. C'eut été assez pour lui donner l'envie de venir en face. Aussitôt, le jeune freluquet cessa de le regarder et comprit sans-doute bien trop tard la mauvaise faute qu'il venait de faire.

– Je vous fais rire, ser ?

Après un petit instant à chercher ses mots, le blanbec leva des yeux bien moins joyeux.

– Je suis Ser...

– Pensez-vous qu'il me soit intéressant de connaître votre nom ?

– Je... je ne sais pas, messire connétable.

– Lorsque vous monterez le premier sur les remparts, vous saurez, je vous en donne ma parole.

Lui foutre un coup en plein ventre l'avait démangé. Lui péter les dents, encore plus. Mais on le taxerait d'être trop brut avec les hommes. Haa qu'il regrettait les chevauchées avec l'avant-garde durant la campagne de Velteroc. Ce jour d'huis, il devait se coltiner les petits cons en mal d'héroïsme. Grand mal leur fasse aussi à ces demi-merdes. Qu'ils meurent pour prouver leur utilité, alors il se raviserait.

Pour l'heure, il devait encore s'entretenir avec le faon pour préparer le premier assaut. Le boucher quitta dès lors le petit groupe de couillons et s'en alla revoir son jouvenceau de seigneur comme s'il ne s'était rien passé durant leur dernière entrevue. Après les salutations d'usage, il prit place sur la même chaise de campagne qu'il avait utilisé et soupira un grand coup avant de se vider la narine sur le bas-côté.

-Quel est votre plan, Louis ? balança-t-il avec son entrain habituel.  

L’action de respirer était simple et naturelle, mais plus aisé encore était de dénombrer les défauts du Boucher de Kelbourg. Depuis son entrée en politique –du moins, depuis qu’icelui s’était insurgé contre l’impitoyable cerf- beaucoup apprirent à le connaître. Ô combien les pedzouilles aimaient égayer leurs chiatiques journées en moussant les qu’en-dira-t-on du Kelbourgeois! Car oui-da, si quelques babelairs caressaient la vérité de leurs racontars mielleux, d’autres allaient de mal en pis, en osant même soutenir le fait qu’icelui était capable du pire sadisme tout en entretenant des accointances avec des pratiques proscrites, telles que le cannibalisme et même la nécrophilie. À voir constamment les macchabées graviter autour de lui, la chose moussait d’autant plus aisément ce lot de médisances à son égard.

Qu’à cela ne tienne, au travers les maux que lui procurait le pétrousquin, Louis trouvait encore moyen de lui dénicher nombres de qualités. Son professionnalisme par exemple, personne ne pourrait le lui enlever, car même s’il le savait bouillir de rage depuis le démantèlement de son funeste projet, il se présenta à lui de la même manière qu’il le fit toujours.

« Je suis jouasse que l’idée de molester nos hommes pour vous calmer les nerfs vous ait passée! Là dehors, je vous ai entendu et j’appréhendais d’ores et déjà le tumulte d’une prochaine rixe entre vous et ces jeunes freluquets. Enfin, qu’importe, il est vrai qu’ils sont du genre à en mener large alors qu’ils n’ont rien accomplit encore. Humble et modesties ne sont guère mots à accorder à leur mérite, je veux bien le reconnaître. »

Louis s’assied à son tour sur l’assise aux devants de son Connétable. « J’ai réfléchi aux manières d’optimiser le temps d’attente avant que pointe le bout de leur nez les renforts. Les trébuchets sont nombreux et nos artilleurs auront besoin de main d’œuvre. Faisons les manœuvrer les machines afin que la pluie ne cesse et que même pendant la nuitée, le ciel tombe sur la tête des Chrystabellois. Formons de la piétaille à manœuvrer les trébuchets et empruntons les bras de ceux qui se la coulent douce pour faire rouler les projectiles sans qu’il n’y ait de pauses entre les lancés. Les projectiles de poix quant à eux, se devraient d’être lancés la nuit, que les feux soient contrôlés plus difficilement. Mettons nos énergies à ce que nos ennemis n’en aient plus, qu’ils ne puissent plus fermer l’œil. Nous avons le temps, après tout, les renforts ne sont pas prêt de poindre à l’horizon … »

Loin de révolutionner l'art de la poliocértique, Louis avait au moins eu le mérite de se creuser la caboche pour sortir quelque chose d'intelligent et de logique. Adonc le jeune cervidé s'essayait à la guerre psychologique en voulant cribler les velteriens de projectiles sans leur laisser le temps d'un répit. Est-ce donc que ses enseignements avaient enfin portés leurs fruits où anticipait-il tout simplement qu'une idée bien pire encore s'échappe de ses pensées torturées ? Force fut au moins de reconnaître que le Saint-Aimé avait changé depuis son départ du Berthildois et que le balais commençait à sortir de son fessier. A cela donc, Thibaud sourit ; d'un sourire courtois comme il en adressait si peu ces derniers temps. Pour cause, Thibaud avait eu un entretien avec le seigneur de Laraus peu de temps avant leur départ. Il avait eu l'envie folle de lui envoyer un coup dans la gueule, mais les deux avaient finit par trouver un accord : Pour les sièges à venir, l'on ne devait pas prendre les cités, mais simplement les raser. Car ce n'était non pas des vulgaires points stratégiques à s'emparer, mais bien des foyers entiers gangrenés jusqu'à l'os qu'il fallait éradiquer. Bien sûr, cela poserait des problèmes éthiques. Heureusement pour lui, l'éthique n'était pas une préoccupation.

– Bien, bien, toussota Thibaud. Nous nous rejoignons sur les mêmes idées, Louis. L'impact psychologique  pourra nous être fortement utile. Cela n'a même plus besoin d'être prouvé. Chrystabel incarne le symbole de l'échec royal et de son autorité. Nous sommes aujourd'hui en train de redorer son blason, et pour ce, je préconiserai seulement la destruction pure et dure de la cité. J'imagine pourtant bien qu'un jour où l'autre le Brochant nous mandera de partir à l'assaut des murs. Ce pourquoi, je propose de mener en personne nos hommes pour y mettre les bannières du berthildois...

Mais baste de cette cité, il y a un autre sujet dont je voudrais vous parler.  

Il eut un regard bien plus dur et s'alluma une nouvelle fois sa pipe avant d'exposer le fond de ses pensées. La suite promettait d'être virulente, car ce n'était non plus de simple stratégie militaire qu'il souhaitait parler, mais d'un tout autre sujet qui devait être abordé sans plus attendre.

– Je ne pense pas que les suderons  viendront en renfort. Sans aborder leur fierté maladive qui les pousserait à ne pas se soumettre au Sénéchal de Brochant, il serait stratégiquement très mal-avisé - si l'on se place de leur point de vue – de nous envoyer le peu d'hommes dont ils disposent. Je ne dis pas qu'ils ne le feront pas. Certains enverront probablement quelques centaines de piteux soldats, mais regardons bien les choses en face. Le sud possède les meilleurs rafiots du royaume et nous n'en avons vu aucuns remonter le Melian pour venir nous aider à prendre Beltrod. Alors peut-être que les ponts n'auraient pas été sabordés, et peut-être que la bataille de Valdrant n'aurait jamais eu lieu. Vous voyez où je veux en venir ? Hélas, il n'y a pas que ça, Louis. Le sud ne nous a pas non plus fourni d'approvisionnement où même d'argent pour participer à la purge.

Que faut-il en déduire ? Que le sud n'est pas assez militarisé au point de venir se battre à nos côtés ? Non. Que le sud n'est pas suffisamment riche pour soutenir l'effort de guerre ? Non plus.

Il se redressa lentement sur son siège de campagne.

– Peut-on dire que le sud nous craint ? Oui, sans conteste. Qu'il nous méprise ? Assurément.

Devrons-nous envisager de les mater ? C'est la question que vous devriez commencer à vous poser. Et si vous me l'ordonnez, c'est avec grande joie que je me rendrai pour y imposer l'autorité royale. Sinon quoi, j'ai d'ores et déjà d'autres affaires et chats à fouetter qui m'attendent. Donnez moi simplement votre avis sur la question.

Aussi surprenant que l’humidité en jour de bruine, son connétable prêchait la sage idée d’une destruction pure et dure du fort Chrystabelois. Par la pulvérisation de ces augustes remparts, Louis s’imaginât qu’il chérissait la délicate idée d’occire toute âme vaille à l’intérieur des clôtures rocheuses. Déjà que le régent peinait à fermer l’œil paisiblement à la brune passée, accepter, voir même encourager un massacre tout gratis ne lui sembla pour le coup guère très alléchant. Ah, point que la citée félonne ne méritait sa monumentale fessée, mais la chansonnette se répétait encore et encore ; ces innocentes petites genses qui vivaient sous le joug d’aussi malveillants rentiers, ne méritaient en rien un sort aussi morbide.

« Il n’est d’homme plus à même de nous mener à la victoire que vous l’êtes, Thibaud. Et quiconque prétendra le contraire, avait la tête dans le cul lors de la sournoise incursion de Valdrant. J’apporte toutefois mon veto, quant à un détail qui me tient largement à cœur : vous vous assumerez avant la montée finale, que quiconque se soumettra à notre volonté, sera sur l’heure épargné. Tout comme nous le sommes, ce sont d’abord et avant tous des fils de la bienveillante DameDieu et de fait, nous nous efforceront à limiter les embarcations vers le Royaume de Tari. Point de salut pour ceux qui oseront se dresser devant nous ; ceux-là seront tout sauf tendrement traité, pour ceci vous aurez carte blanche. » Et pour la cause, il savait qu’en rappelant que Thibaud pourrait se faire les dents sur les vrais fautifs, il achèterait sans doute la paix.

Le plus étonnant de cette tartine, c’était qu’il n’était pas dénudé de sens et même, qu’il avait bon fond. Tout ce qu’il avait rapporté de près ou de loin s’était vu confirmé par les faits soulevés. Devaient-ils pour autant jeter un coup d’œil au sud, avant même que cette guerre qu’ils menaient ne se soit achevée ? Chrystabel, haute de ses colonnades vastes et robustes, n’avait guère dit son dernier mot et il se montrerait fort peu judicieux de concentrer leurs efforts vers une cible encore floue, dont l’avenir houleux restait incertain.

« Je possède la même aversion pour ces peaux hâlés que vous, Thibaud. S’il nous faut poursuivre notre aventure, notre croisade même, aux devants de ceux qui jouissent de toutes richesses dans jamais être à même de lever le petit doigt pour leur Roi, alors je fais la promesse de vous y envoyer pour déceler de ces vipères leurs vrais visages. Pour l’heure, vous avez d’autres mandats : ceux de faire s’effondrer ce bouclier rocheux qui préserve d’un décès certain les derniers parjures du médian. »

Louis et son foutu sens de l'honneur... Il lui aurait renvoyer en plein dans la gueule s'il avait pu. A être trop conciliant, on finissait par montrer ses faiblesses et assurer aux ennemis qu'en fin de compte, on ne risquait pas grand chose à lever la main contre le Roy. Thibaud fut profondément navré d'entendre jacter tant de clémence. Comment ferait-il la différence entre un lâche qui se rend et un brave voulant mourir les armes à la main ? Une fois sur les remparts, la nuance serait à peine perceptible. Louis devait l'ignorer encore assurément. Ou bien, le faon souhaitait se donner bonne conscience en prévenant son limier à l'avance. Il commençait à le connaître pourtant. Peut-être pas assez.

Quand il entendit Louis aborder la Damedieu, il crut vomir sur les souliers de son régent. Que venait-elle foutre là cette sacrée garce au juste ? Protéger les innocents ? Mon cul. Sauver les misérables cafards courbant l'échine ? Qu'ils agonisent noyés dans leurs propres déjections ! Les velteriens étaient gangrenés jusqu'à la moelle. Les épargner revenait à repousser la date de l'amputation. Cela avait déjà nécessité un grand travail sur lui-même pour ne pas forcer Louis à plonger Rochenoire dans le sang...

« Si des chiens nous attaquent, pourrons-nous les tuer où seront-ils épargnés comme leurs maîtres-lâches ? » eut-il envie de demander. Mais cela aurait frôlé l'insubordination. Pas assez con pour jouer de la sorte avec le régent, Thibaud se retint de tout commentaire, préférant attendre la suite. Plus merveilleux encore, il n'avait même pas grincé des dents.

La suite fut décevante... Sans rentrer dans le vif du sujet sur lequel il avait souhaité le lancer, Louis resta ô combien trop évasif. Il ne fit que le reléguer à sa place de commandant militaire pour le ramener sous les putains de remparts de Chrystabel.

– Sinon, au lieu d'arroser la ville sans vraiment savoir si vous réussirez à tuer un où deux gus, concentrez tous vos tirs sur un seul et unique point des remparts. Ceux qui auront subis les plus lourds dommages de préférence. Dans deux jours, vous commencerez à créer une petite brèche qui s'étirera petit à petit. Dans une ennéade, vous aurez votre point de passage. Les ingénieurs de Laraus l'ont déjà essayé sur les murs d'Amblère, et... vous connaissez la suite bien sûr. A défaut de vous donner la victoire dans le sang, la suite allait le faire souffrir, vous obtiendrez peut-être assez d'arguments pour... négocier. Sinon quoi, j'irai leur faire part de mes propres conditions.

Gagner un siège n'était pas chose impossible. Encore fallait-il se sortir les doigts du cul.