À Cœurs Ouverts [Louis]

En campagne militaire, elles se montraient rares les masures voilées qui ne relevaient pas de honteux chenils ou de purot odorants! Celle du Marquis –du Régent, que dis-je!- hérita par son rang de quelques commodités qui agrémentaient son confort. Ainsi, deux tentes étaient annexées une à l’autre, de sorte à tracer une franche séparation avec l’endroit où il dormaillait et où il accueillait ceux qui avaient pour desseins de s’entretenir avec. Là, au centre de la pièce où la verdure qui servait de revêtement commençait à brunir (se lamentant inévitablement sous les piétements répétés), trônait une auguste table sur laquelle décorait maintes cartographies, parfois intactes et parfois gribouillées de quelques inspirations plumées d’encre. Captivantes en tous points, les géoramas tenaient pinces fermées l’attention du jeune cerf et de son obligé. Toutefois, tracer de l’index les reliefs d’un bout de vélin sembla ne point suffir à préserver leur intérêt, lorsque pénétra en trombe le chapelain du Coléreux. D’abord interloqué par le manque de tact du bonhomme, Louis se ravisa en abaissant les yeux brièvement en guise de respect devant la figure dévote.

« Monseigneur Delnardo! Soyez béni, votre arrivée tant attendue m’est d’un éternel réconfort. Venez, entrez, je vous en prie! » Insista le cerf, en balayant du revers de la main la paperasse éparse, afin d’en libérer un tant soit peu leur tablée. Quant au conseillé du cervidé, icelui se tint coite, interdit, exécutant même un pas de recul afin de laisser converser son maître avec l’ecclésiastique.  

Comme il s’y attendit, l’homme de foi y alla de but de blanc, se montrant concis et laconique, sans omettre l’important. Il s’imaginât d’ailleurs qu’icelui devait agir de la sorte en calquant sur ses habitudes de vie. Les guerriers aguerris tels qu’Elias n’entendaient certes pas à barguigner à foison! Alors, Louis calquerait et il irait de la même méthode. Du moins, tenta-t-il.

« Naturellement! Il est bien quelques bleusailles ou certaines nobles épées qui n’ont d’habitudes à cohabiter avec des gens de foi, mais qu’importe, ils s’y feront. Voilà qui sera pour eux punition à leur déficience de foi! Les fils d’Othar foulent désormais le champ de bataille et avec eux à leurs côtés, il n’y est de place aux jérémiades! Aussi dois-je vous remercier, d’avoir agréé à mes demandes, aussi copieuses fusent-elles. Ainsi, s’il venait à vous manquer de quelque chose, soyez assurés que vous trouverez à mon chevet le support nécessaire pour palier à toutes requêtes. Les aciers Otharcites sont désormais nos frères et sont ici chez eux, tout comme vous l’êtes. » Louis jeta une œillade à son échanson, qui était resté tapis dans l’ombre d’un coin. Aussitôt, sans le mot à ajouter, il s’approcha un cruchon plein de picrate à la patte. De sa giberne, il sortit deux godets prêt à recevoir le sang de leur alliance.

« Le Guerrier permet-il à ses zélateurs de trinquer à cette union qu’est la nôtre ? Cette guerre n’est pas mince affaire et possède de surcroît le mérite de souligner la venue de nouvelles lames! »   Patient, le jouvenceau aux bonasses intentions, observait le prêtre, prêt à trouer sa bouillotte afin d’en verser deux rasades.

Sur le coup, voir l’aumônier aussi enthousiaste à lever le coude, le laissa pour l’heure bien perplexe. Se pouvait-il qu’icelui se soit vu octroyé cette position sans en mériter les honneurs ? Qu’il se soit emparé des prérogatives de son statuts par la force ou faisant usage de déloyauté et d’escobarderies envers ses semblables ? Que nenni, Louis ne pouvait le concevoir ; icelui était tel qu’on le lui avait décrit, un homme prompt à l’action. Aussi devait-il lui accorder ceci : aussi étanche qu’un tonneau, l’homme devant lui tenait l’alcool comme peu d’autres! Enchaînant les godets comme l’on passe d’un ennemi à l’autre sur le champ de bastaille, le curaillon semblait préserver sa lucidité avec brio. Du moins était-ce ce que son regard laissait croire, à en voir la détermination ponctuer ses mires brillantes.

« Il est vrai! Allons, allons! Il suffit, parlons du vif du sujet. » Ainsi Louis posa sèchement sa timbale contre la tablée de sorte à y marquer son encrage, qu’il ne soit tenté de s’en saisir derechef à la demande de son occulte invité.

« Je serai franc avec vous, ainsi le Coléreux ne saurait faire usage de son nom de théâtre pour punir mon mensonge ; en sa divine personne je n’en connais que peu. J’implore sa clémence, car voilà pourquoi vous êtes ici présent. J’ai franc désir de voir la soldatesque crier au-delà de leurs patries, le nom du Dieu guerrier lorsque victoire nous sera assurée. Le moral des troupes s’éreinte à chaque journée qui passe, pour nombreux se ressassant les doux souvenirs de leurs temps de paix en Sainte-Berthilde. J’ai ouïe dire d’une cérémonie nommée « La Veillée d’Othar », me tromperais-je ? Cette cérémonie, ce rituel s’il en est un, mérite d’être amené à ce campement afin de faire mousser les troupes et même, si Othar le veut, apporter sur eux sa marque afin qu’ils puissent guerroyer l’esprit libéré de toutes craintes. »

Louis plongeât son regard dans le sien, sondant s’il s’était exprimé correctement. À tous coups, Louis était un homme respectueux, pieux comme il ne s’en faisait plus et, l’importance qu’il accordait aux déités méritait d’être transmise à ses hommes, chose qu’il s’évertuait à faire en sollicitant le temple Othartien.

« L’on aurait beau égorger une demi-douzaine de poularde et une autre d’agnelets, que nous n’aurions guère le lot requis pour couver l’ensemble de nos ouailles du bon œil du Coléreux! Alors il en sera ainsi ; j’enverrai à la brune un coursier en direction de Parmepeyre, une des citées reconquise, qu’elle nous délivre une dizaine de taureaux bien portant et pesants! Nous aurons de quoi rougir à outrance les pâturages environnant au nom du tout puissant Guerrier, et c’est jusqu’à en être francherepu que nous pourrons ripailler une dernière fois avant l’affrontement final. »

À l’idée de donner un coup de pouce au moral de ses troupes, un sourire franc s’accrocha à sa bouille de régent, non insatisfait de son initiative en l’égard des Othartiens.

« Mais assez parlé! C’est du concret que nous voulons et nous le voulons de suite! Il m’est difficile d’envisager la manière de vous remercier à la juste valeur de vos services : les fidèles d’Othar ne l’oublieront guère de sitôt, je vous le dis. » Ils burent derechef ensemble, jusqu’à en essuyer les dernières gouttes de leur abondante bouteille.

Une ennéade plus tard, les animaux arrivèrent et au soir, tous étaient conviés à participer à ce qui augurait être, comme l’un des plus sanglant rituel de la Péninsule.