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 Des ainés et des cadettes

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Aymeric de Brochant
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MessageSujet: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeMar 20 Fév 2018 - 12:27


8ème jour de la 5ème énéade de Favrius, 10ème année du 11ème cycle.

L'ancenois printanier était un pays de cocagne. Peu laissait ici à penser que moins de deux mois plus tôt, on s'était adonné à la pillerie dans la lande, que la maraude avait fleuri en même temps que les primevères. On retrouvait bien ça et là quelque masure en cendres, quelqu'arbre à pendu, mais baste! C'était autant d'ecchymoses d'un passage à tabac qui s'était voulu plus leçon que punition. On avait admonesté à l'Ancenois, cette fille rebelle, quelques torgnoles bien senties que sa puterie appelait ; on s'était surtout employé à la priver de ses atours pour lui ôter les moyens de sa légèreté.

Adonc, si la populace avait été largement épargnée, les greniers, eux, béaient. C'est par conséquent à travers des campagnes affairées que l'Ost du sénéchal progressait jusqu'à la cité mère de la baronnie. La journée, les villages étaient déserts, le moindre chiard envoyé aux champs pour les semailles, tandis que la nuit, pas une gargote ne demeurait ouverte, la roture n'ayant plus une once d'énergie pour la biture. « Voyez, messieurs, ce qu'il rapporte d'être juste dans la victoire. Nous avons pressuré ces drôles sans tyrannie, pour en récolter la docilité, non la révolte », avait déclaré le marquis à ses capitaines. La leçon de cette chevauchée bénéficiait aux deux parties.

Chemin faisant, on gagna bien vite Ancenis, dont la garde avait été remise à Madeleyne, la cadette de Raymond, au départ des troupes royales. La marquise d'Odelian s'était acquittée le mois passé d'un coquet service, quand elle avait obtenu de son père qu'il ouvre les portes de la cité. Elle s'était rendue ici pour mettre au monde sa dernière fille, celle de Gaston, et voila qu'entre deux couches et trois layettes, la dame avait servi au mieux le Roy. Aymeric ne manquait pas d'oublier que derrière la figure élusive de Gaston demeurait une ancenis des plus ambitieuse - il se rappelait comment Madeleyne, avant son second mariage, avait pris les armes contre Arsinoé en même temps que lui marchait contre Jérôme de Clairssac.

C'était à la fois pour s'attirer l'amitié de son intriguant voisin Berdevin, et en souvenir de cette entente passée avec sa deuxième épouse, qu'Aymeric avait alors confié les clef d'Ancenis à Madeleyne. Il n'eut guère à le regretter, quand lui et son armée furent chaleureusement accueillis aux abords de la cité. C'est que le marquis, non content de revenir ici en véritable pacifiste, rapportait dans ses valises de quoi se ménager la sympathie de ses hôtes. Parti le mois passé à la tête d'un véritable train d'otages, il en raccompagnait une bonne moitié au pays.

C'était là un gage de bonne volonté envers l'Ancenois, mais également une sorte de contrat. Que la docilité perdure, et bientôt les familles seraient au complet ; le conseil supposait la menace latente - c'était une précaution de rigueur avec ces gens là. Elle l'était d'autant plus avec la maison d'Ancenis, qui surpassait toutes les autres en roueries. Adonc, s'il amenait dans ses bagages les sœurs de Madeleyne, Adèle et Judith, ainsi que leur tout jeune frère, Gilbéron, le marquis s'était bien gardé de raccompagner dans leurs pénates Bathilde, la jeune baronne, ou encore les filles de Blanche. De même, l'ainé de Gaston (et désormais des Berdevins touts entiers), Philinte, brillait par son absence, là où Aymeric avait pris le soin d'emmener avec lui les fils du vieux Foulques de Prademont, Cléante et Raoul, les beaux-frères de Gaston.

Ces absences ne manqueraient de soulever quelques interrogations lorsqu'il confronterai la marquise, Aymeric n'en doutait pas - et encore moins quand Gaston lui-même arriverait dans la cité. On avait en effet rapporté au marquis que son remuant voisin avait enfin pris les armes, et marchait aux côtés de ses propres renforts en direction de l'Ancenois.

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Gaston Berdevin
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeSam 24 Fév 2018 - 20:44



Les sabots du Berdevin à leur tour vinrent marquer les chemins boueux de l’Ancenois. Bœufs et chevaux et carrioles sillonnaient les mêmes routes d’où survinrent les ostes serramiroises une dizaine d’ennéades auparavant. Les Odélians accusaient du retard comparé aux autres seigneurs du nord. Leurs affaires intérieures avaient imposé un sérieux contretemps à leur départ pour le sud. Le marquis, face à l’hostilité de ses voisins berthildois et olysséens ainsi qu’à la déloyauté de ses vassaux étherniens, avait préféré jouer la carte de la prudence. Une fois les seigneurs félons bannis aux marches des domaines de Serramire, il s’accorda quelques ennéades pour s’assurer que ceux-là ne brisent une nouvelle fois leur parole en redescendant, toute arme dehors, sur le marquisat. Tandis qu’on enterrait la conjuration refroidie de Caerlyn d’un côté, on mordait son cadavre pour s’assurer qu’il était bien mort en observant la réaction de la populace et des vavasseurs par rapport à l’implantation des baillis marquisaux, les nouveaux seigneurs de la terre.

Les nouvelles têtes étaient issues du sérail odélian. La conjuration de Caerlyn ayant emmené contre les Berdevin la majorité des seigneurs étherniens et aucun Odélian, cette politique s’était imposée comme une évidence. On ne pouvait pas faire confiance à un Ethernien, dont acte. Les bailliages d’Ack et de Seram avaient donc été distribués aux fidèles de Gaston, ainsi que la capitainerie de la cité d’Etherna, tandis que la seigneurie de Caerlyn, confisqué au chef de la conspiration par le marquis, était tombée sous le contrôle direct du Berdevin. Romeno, bien entendu, avait vu son seigneur devenir bailli du pays romenois. Les chevaliers et bannerets ayant embrassé avec leurs anciens maîtres la quête rédemptrice imposée par leur marquis avaient laissé place aux clients de ses baillis et de lui-même, les autres avaient accepté la rupture de leur serment ordonné par leurs anciens maîtres et ployé le genou devant leur nouveau. Le peuple quant à lui, harassé par les campagnes de leur ancien seigneur le baron d’Etherna puis les cahots de la conjuration, ne se formalisait guère du renouvellement politique. Le crédo revendiqué par les marquis d’Odélian, paix et pain, trouvait un écho chez les bonnes gens quelque peu lessivés par les aventures et acrobaties des années précédentes. Après les bandits, les elfes noirs, les rois alonnoesgardiens du nord et les valses régentiques du sud, l’argument de la stabilité brillait comme un phare dans la nuit. Les plus excités, enfin, trouvèrent dans les diverses chasses aux sorcières et marginaux un exutoire à leur colère.

Sans grande surprise, villes et fiefs répondirent à la semonce de la cour du marquis qui se tiendrait à Caerlyn comme ils le firent quelques ennéades auparavant. Mais ce n’était pas uniquement ces inquiétudes qui gardaient le marquis dans ses domaines. Bien qu’il était parti guerroyer au sud, Gaston soupçonnait une nouvelle foucade du jeune hère de Saint-Aimé et redoutait un guet-apens lors du transbordement du Ner, que les fontes printanières ne rendait guéable nulle part. Enfin, passer le fleuve de concert avec le sénéchal résolvait l’hypothèse d’un refus de la part des bourgs olysséens, mais le contraindrait à participer à la chevauchée de son voisin dans les pays ancenois ou du moins passerait-il, par son laisser-faire, pour le complice du Corbeau, ce qui revenait au même. Or Gaston ne souhaitait incommoder ni le seigneur de Brochant, ni ses alliés d’Ancenis. La prudence, encore, l’avisait de ne rien faire et d’entériner une bonne fois pour toute son pouvoir sur les terres étherniennes avant de répondre à l’appel aux armes des royalistes.

Et maintenant que c’était chose faite, que de nouvelles extraordinaires étaient parvenues jusqu’à la cour du marquis ! L’archiduché était soufflé comme un château de cartes. Sa belle-sœur la baronne d’Hautval avait disparu on ne sait où, tandis que l’Ancenois ouvrait ses portes et courbait l’échine face au sénéchal. Le noyau dur des Nimmiens, Velteroc, avait eu l’élégance de ne pas céder comme les autres tigres de papier qui s’appelaient ses sujets, et  c’est après une série de batailles et de siège que le comté rebelle avait été réduit à la merci des seigneurs du nord. Des nouvelles plus sombres étaient remontées du sud. L’Ydril était envahi par des armées estréventines tandis que Merval avait perdu leur chancelier le comte Roderik et était gangréné par la peste. On était sans nouvelle du baron Cléophas comme de son protégé et patron, Bohémond. Et si l’enfant disparaissait, toute la campagne du Médian plongerait dans la confusion. Enfin, Nimmio avait été tué par son entourage et sa femme Madeleyne avait mis bas sa fille, Ilphiroda. Une branche de sa famille s’écourtait, une autre fleurissait. Drôle d’époque que celle-ci, drôle de clan que le sien, pensa-il tout au long du parcours qui faisait déboucher ses osts dans les vaux ancenois.

Malgré la clémence d’un printemps qui annonçait un été aussi bon que l’hiver fut terrible, les mille guerriers du marquis, cinq cents Etherniens, cinq cents Odélians, et les cohortes de gens qui leur collaient au cul, ne virent guère de vie se dégager des lieux qu’ils croisaient. Les hommes, à cheval et couverts de fourrures sauvages, paraissaient redoutables, et bien que les troupes étaient tenues en laisse, l’habitant ne désirait guère engager la conversation. Parfois des vergers saccagés et des cadavres suspendus donnaient des indices sur les causes de leur timidité. Ainsi, de villages fantômes en forts silencieux, l’armée se fraya-t-elle un chemin jusqu’à la ville d’Ancenis. Où la vie du pays semblait s’être réunie. Au côté de la chouette Ancenis claquaient les bannières de cent maisons aux origines lointaines et nombreuses, et avant que les oriflammes criocéphales des Berdevin ne vinssent se mélanger aux autres, des essaims au galop venaient les accrocher. L’arrivée annoncée des Odélians n’effaçait pas toute la tension qui accompagnait l’apparition d’une forte troupe d’hommes, mais les conversations furent bon enfant et les portes s’ouvrirent vite. Après une visite à sa femme et sa fille Madeleyne et Ilphiroda, puis à ses beaux-frères Cléante et Raoul, qui seront contés ailleurs, Gaston demanda à voir Aymeric. On le reçut avec diligence, ce qui finissait de mettre mal à l’aise le Berdevin. Le corbac savait vous mettre dans les meilleures dispositions, et ces gestes d’amicalité n’étaient pas perdus sur Gaston. Entouré à l’est comme à l’ouest d’ennemis, le grand blond considérait de plus en plus son voisin comme un allié aussi naturel que nécessaire. Se le mettre à dos signifiait être encerclé de toutes parts par des adversaires, aussi les gestes du Brochant pour s’attacher les Berdevin étaient autant de pommade passée avec doigté sur l’Odélian. La restitution de ses beaux-frères Prademont, la régence accordée à sa femme Madeleyne et cette audience éclair, tout servait à adoucir le marquis qui, pourtant, craignait que derrière cette tartinade de baume se cachât une enculade en douceur. Le principal indice de cette peur : l’absence du frère aîné de Gaston, Philinte Berdevin. Ce dernier était bien vivant, d’après ses beaux-frères, qui avaient partagé sa captivité. Il n’était simplement pas ici…

Philinte, ces dernières années, s’était justement caractérisé par son absence. C’était d’ailleurs grâce à sa disparition que son petit frère Gaston avait pu rassembler les Odélians et épouser Madeleyne pour accéder au pouvoir. Les Hautvalois, qui avaient fait prisonniers les Odélians des Champs pourpres avaient gardé ces derniers sous leurs coudes, en belle résidence et sous bonne garde comme une menace contre l’assise du nouveau marquis Gaston. Ils n’avaient pourtant pas osé libérer Philinte, qui devait les haïr plus que n’importe qui. Mais à présent que le nord avait fait taire les velléités sécessionnistes du Médian, le Brochant, en libérant ce grand frère encombrant, disposait d’un levier supplémentaire sur Gaston. Restait à savoir ce que réservait le Serramirois à son nouvel obligé Berdevin. Aussi, après les salutations et félicitations de convenance, le marquis, plus direct qu’à son habitude, demanda à son collègue la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début du tête à tête.
« Et mon frère, comment est-il ? »



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Aymeric de Brochant
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeSam 24 Fév 2018 - 22:01


Gaston était finalement venu. Faisant marche à la tête d'une coterie duale, à l'image de l'Odelian que lui et ses frères avaient façonné, le grand blond devançait les renforts d'Aymeric. Ce dernier le rencontra sous les halls austères de Castel Vielmot, l'antique demeure de la maison d'Ancenis, pour ce qui était en apparence une affable réunion de famille. C'était le lot de la noblesse : on se retrouvait inévitablement entre cousins, quelle que soit l'occasion. Pour son premier mariage, Gaston avait marié une Prademont, et pendant près de vingt années, Cléante et Raoul avaient été ses beaux-frères. Les Berdevins, avant qu'ils ne troquent leur foyer de Dens pour celui d'Odelian, s'étaient toujours tenus proches des autres maisons de la marche : les Prademont, les Rochefort, c'était autant d'alliés indécrottables qu'ils alignaient chez eux.

Une fois les retrouvailles consommées, il ne fut cependant bientôt plus question des bonnes amitiés entre cousins. Le problème était plus gros, c'était le cas de le dire, mais surtout plus proche dans l'arbre généalogique ; il avait un nom et une certaine prérogative de sénéchal à Odelian. Philinte, quoiqu'on ne l'eut nommé, occupait l'esprit du grand blond, qui une fois ses parents congédiés, s'enquit de aussitôt son frère auprès du sénéchal. Gaston battait le fer tant qu'il était chaud ; sans aucun doute devait-il pressentir la menace que représentait son ainé, désormais libéré de ses chaînes dorées. Le marquis, intérieurement, jubilait : lui qui longtemps avait désiré racheter le troisième frère Berdevin, venait finalement de mettre la main dessus, à dessein. C'était son assurance, son joyau mis en gage pour s'assurer de la docilité du remuant Gaston, lequel n'en prenait que trop conscience.

Certain d'avoir l'avantage, Aymeric ne s'en priverait pas d'en jouer. Il s'était certes entretenu avec Philinte, mais si le sénéchal d'Odelian maudissait l'Ancenois et ses fils (ou plutôt, ses filles), il n'en était pour autant devenu un suppôt de Serramire. L'homme était matois, il avait bien vite vu clair à travers la bonhomie du marquis, et au delà de l'affabilité du libérateur, l'ambition d'un homme ayant juré de ramener Odelian sous sa houlette. Mais tout cela, Gaston n'avait besoin de le savoir : « Sain et sauf, cher ami! lança un Aymeric avenant, bien portant, plus gros que jamais! » Des quatre frères Berdevins, on connaissait deux races : les grands dépendeurs d'andouilles, et les bedonnants monstrueux. Si Gaston était à l'image de Grégoire, sans qu'on ne sache s'il en partageait aussi le goût pour les gitons, Philinte, quant à lui, demeurait un fidèle portrait de l'ainé, Gaucelm le Gras. « C'est à se demander si les geôles hautvaloises ne l'ont pas revigoré : j'ai rarement vu un captif tant rodomont. En vérité, c'est pitié que l'homme ne fut libéré si tard. À en juger par sa vindicte envers les Ancenis, je gage qu'il m'eut conquis le mois passé un ou deux châteaux à lui seul! » Eut-il exagéré encore plus, qu'Aymeric eut fait du Berdevin un ogre. « Vous comprenez aisément pourquoi j'ai préféré le laisser sous les murs de Chrystabel », confia-t-il d'un air complice à son voisin.


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Gaston Berdevin
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeSam 24 Fév 2018 - 23:00



Plus gros et plus affamé que jamais, pour sûr. Philinte partageait avec Gaucelm son amour des saucisses et avec Grégoire son amour de la guerre. Il était donc très large et très combattif. Malgré les égards auxquels s’étaient astreints ses hôtes et ennemis, Gaston ne doutait pas que le grand frère avait reniflé l’odeur de la revanche du haut de son donjon. Il devait attendre ce moment depuis deux ans, depuis les Champs pourpres. Libéré par un ennemi de ses geôliers, il ne n’éprouverait pas beaucoup de reconnaissance pour eux. Et comme le marquis de Serramire n’avait pas été assez sot pour faire tuer ou garder Philinte en cage, grand frère ne devait se sentir redevable qu’à ce dernier.
Ce qui mettait le petit frère en porte à faux. Enchevêtré dans un réseau d’alliances graveleux avec des Ancenis rebelles,  il avait pris le parti de temporiser son intervention contre son beau-frère Nimmio afin de s’éviter un affrontement avec ses parents d’Ancenis et d’Hautval. Philinte comprendrait-il ces enjeux ? Gaston en doutait. Ce dernier avait dû assez macérer l’ascension fulgurante de son cadet, se répéter que c’était sa mise à l’ombre qui avait permis à Gaston de se faire sa place sous les feux de la rampe. Les retards de son frère lui paraîtraient sans doute comme autant de preuves de culpabilité. Selon lui, Gaston aurait préservé la famille de sa femme aux dépens de la sienne propre. Et il n’aurait pas si tort…

« C’est heureux. Fort heureux, » lâcha finalement Gaston en se composant une mine joviale. « Mon frère doit avoir une furieuse envie de rattraper le temps perdu, et j’espère pouvoir l’y aider autant que mes hommes et moi le pourrons. » Il se crispa intérieurement. Sa voix, indiciblement, avait prononcé bizarrement ce pronom possessif. Etaient-ils encore ses hommes ? L’aînesse prévalait-elle ou le suffrage des seigneurs odélians avait-il prééminence ? A peine sorti d’une conjuration berthildoise, Odélian subirait-il un conflit successoral ? Gaston retraça sa carrière toute neuve de marquis en essayant de distinguer ses appuis. Sa femme était l’ancienne marquise, mère du marquis légitime. Mais cela comptait pour rien, elle n’avait jamais eu aucun droit propre sur le marquisat. Lui-même ne s’était attaché à Madeleyne par le mariage que par manœuvre, autant pour protéger une Ancenis soupçonnée de trahison que pour donner un air de continuité à son gouvernement. Et ces gestes, bien qu’ils polissaient quelque peu l’accession au rang de marquis de Gaston, n’étaient finalement que cosmétiques. Les vassaux odélians eux-mêmes l’avaient proclamé leur suzerain en l’absence de son frère aîné Philinte, dans la panique post-Champs pourpres et à la condition que Gaston rendît son héritage à son neveu une fois mort. Il n’était finalement qu’un régent et co-marquis à vie, une position plutôt fragile, si quelqu’un se donnait la peine d’attiser l’envie de Philinte. Qui l’emportait donc dans la régence entre le beau-père du marquis et son premier oncle ?

Gaston essaya de dissiper ces pensées et de sourire. Il ne pouvait pas faire plus que cela. Le marquis de Serramire avait l’initiative, et tant que les frères Berdevin ne s’étaient pas revus, toutes ces conjectures ne feraient qu’embrouiller sa cervelle. L’Odélian voulut donc changer de sujet. Le thème n’était pas très éloigné, c’était aussi une affaire de succession :
« Des nouvelles de Merval ? Et savez-vous où sont mes nièces, les filles de Blanche ? »





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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 0:16


Le désarroi avait perlé à travers la faconde du grand blond, pour le plus grand plaisir du marquis qui s'était mué en son tourmenteur. N'était-ce pas là justice ? Gaston avait par le passé tâché d'user de Jérôme contre Aymeric, et si ce dernier avait retourné l'arme contre son maître, il n'en demeurait pas moins avide de revanche. Adonc, l'homme ne boudait pas son plaisir, souriant à pleines dents aux tentatives maladroites de Gaston pour invoquer quelque piété filiale envers son aîné.

Le grand blond, cependant, troqua bien vite une famille pour l'autre, s'enquérant de la maison de Madeleyne. Les prétentions des Berdevins, à travers le mariage de Grégoire, puis de Gaston, aux biens des Ancenis n'étaient pas négligeables. La grandeur et la décadence de la maison à la chouette, d'un vide d'air semblable à celui qui lui avait permis par le passé à s'accaparer la baronnie de Hautval, attirait en effet de nombreuses maisons voisines. Si les Velteroc avaient initialement profité de la mort de l'Ivrey, le trépas de Nimmio et l'exil de Blanche rebattaient cependant toutes les cartes. Le Mervallois l'avait bien compris, lui qui s'était empressé de garantir à la première fille de Raymond son pardon en échange d'un hommage pour le moins fragile ; il n'était toutefois pas le seul. À l'Ouest, l'ambitieux Renaud aiguisait ses dents, désireux de mettre la force du Nord à profit pour retrouver la dominance sur ses vassalités. Gaston, à travers Madeleyne, lorgnerait-il à son tour sur le Médian ?

« Tranquillisez vous, bon ami : les princesses sont en sûreté, à Chrystabel », répondit aussitôt le marquis à son commensal. Il se figurait son moulin devenu bastide, non loin des murs. On y logeait en ce moment même une foule d'otages au origines plus ou moins hautes, donnant à l'endroit des airs de garderie. « Ce n'est certes pas un traitement digne de leur naissance, mais baste! Elles sont encore jeunes et ne s'en formalisent guère. » Il se moquait du reste de leur confort. « Je préfère cela à quelque cour suderone, ou quelque prison eraçone! Tant qu'ils seront jeunes, ces moutards seront destinés à vivre sous l'influence de quelque prince ; je gage d'avoir fait là preuve d'un peu de mansuétude en leur ôtant quelque temps des chaines dorées - tant pis pour l'odeur! » Lui même ancien bagnard, Aymeric revendiquait faussement quelque idylle envers la liberté, pour mieux justifier sa mainmise sur de précieux otages. C'était de bonne guerre.

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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 1:13


Se tranquilliser, se tranquilliser… plus facile à dire qu’à faire. Aymeric ‘Mansuétude’ de Brochant n’aidait d’ailleurs pas forcément au processus de lénification du grand Gaston. D’abord, en passant complètement outre la situation mervaloise. Cette opacité quant au sort du petit roi Bohémond n’en finissait pas de troubler le marquis. Dans le noir, éclairé par des rapports vagues et des rumeurs faisant passer l’œil bleu pour un feu d’artifice de seconde zone, Gaston en était réduit à supputer sans aucun fondement solide sur la vie ou la mort du gamin sur la tête duquel on avait enfoncé la couronne. Soit Bohémond était encore en vie, et toute cette campagne avait encore lieu d’être, soit il était mort, alors s’initierait une nouvelle tarentelle où chaque faction irait soutenir tel bâtard royal en fonction de ses intérêts personnels ou du choix du voisin. Or la Péninsule avait déjà assez dansé comme ça.

De nouveau, les paroles, toutes sibyllines quand pas tout simplement élusives, du marquis de Serramire contraignirent Gaston à déduire, se faire l’exégète de chaque mot que lui délivrait son interlocuteur comme s’il s’agissait de la mystique d’un prophète. Il parlait de ses nièces comme des princesses, mettait sur un pied d’égalité captivité éraçonne et cour mervaloise, causait de l’influence du prince qui tenait dans ses paluches le marmot symbolisant le pouvoir royal. Si le coquin ne savait pas si Bohémond était mort ou pas, il ne voulait pas prendre le risque de laisser cette hypothèse impréparée. Seigneur la Mansuétude avait après tout les demi-sœurs du roi dans l’escarcelle, il aurait été imbécile de se priver de ses atouts. Aussi les appelait-il « les princesses » pour bien rappeler qui, selon lui, suivait Bohémond sur la liste de succession de la maison royale. C’était les filles de Blanche, celles qu’il marierait certainement à un de ses gosses une fois leur âge venu et leur donjon subséquemment déverrouillé.

Restait à savoir s’il considérait ces enfants comme de simples montures de rechange ou s’il avait pour projet d’équarrir leur frère afin de posséder aux écuries des reines. L’idée avait bien dû lui effleurer l’esprit. Débarrassé du dernier mâle légitime Phyram, il ferait passer tout le royaume dans l’héritage de sa famille. Belle affaire à long terme. Et très mauvaise affaire pour Gaston sur un temps plus court. Car si Bohémond décidait de rejoindre ses aïeux avant d’avoir sailli une descendance, tout Sainte-Berthilde reviendrait au jeune Saint-Aimé. Fort d’une autorité enfin entière, qui l’empêchera de repasser à l’offensive contre Odélian ?
A nouveau, ses jeux d’esprit stériles agacèrent Gaston, qui revint à la charge :
« Mais notre enfant-roi, sous l’influence de quel prince est-il maintenant ? Est-il seulement vivant ? »


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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 1:58


Aymeric se rembrunit à l'évocation de son suzerain. Si le marquis avait su habilement coaliser les troupes nordiennes pour mener sa Reconquista personnelle, se faisant bombarder sénéchal dans le processus, il n'en avait pas moins été tributaire des sirènes mervaloises. C'était elles qui avaient achevé de pousser le jeune faon sur le chemin de la guerre, en quête de son marquisat ; de même, la curée était ce qui avait motivé la vindicte du duc d'Erac. Le marquis soupira : Bohémond était son échec, qu'il n'avait su soutirer aux griffes de Merval - pas encore, du moins.

« Sa Majesté est bien portante... de ce qu'on en dit, croassa amèrement Aymeric. Le brouillard d'incertitude faisait de lui un fol : l'homme menant une croisade au nom d'un marmot dont il ignorait seulement l'existence. Je gage que quelque part, dans une tour Mervalloise, Cléophas détient notre Sire. » Le ton était donné : le baron ne protégeait pas, il détenait ; il ne couvait pas, il séquestrait. C'était devenu son pantin et son sceptre de commandement ; depuis la fuite de Soltariel, le sceau royal, jusque là tiraillé entre les intriguant, demeurait dans une seule paire de main - dont on disait qu'elles étaient lépreuses. « L'homme en jouit et en use, entama le marquis, fort de la jeunesse de notre Sire, pour son bon plaisir et pour notre malheur. Ne vous a-t-il pas lui-même asséné un silence coupable, lorsque les rebelles bafouaient les édits du Roy en Etherna ? De la même manière, Cléophas s'est joué de moi : tandis que je marchais pour châtier votre félonne de belle-sœur, il graciait la traîtresse et lui accordait le sauf passage jusqu'en Estrévent. »

Faute de grive, on avait mangé des merles, et le marquis avait su s’accommoder de ce revirement. Il avait troqué la capture d'une rebelle notoire contre une victoire facile dans le Val ; c'était commode. Toutefois, l'attachement du Mervalois à saper ses entreprises l'enrageait, et plus il avait avancé au Sud, plus Aymeric s'était enhardi à mettre fin à sa régence inique. « Le croquant, non content de soustraire à la justice du Roy une de ses plus grandes ennemies, a entre autre obtenu d'elle qu'elle lui remettre l'hommage du Val. Ce gandin bafoue nos traditions, se gaussant de serments millénaires, jetant le discrédit sur la noblesse. Je gage qu'un prud'homme tel que vous partage ma résolution à faire cesser cela. »

Quant au poids des traditions millénaires aux yeux de Gaston, Aymeric ne se berçait guère d'illusions. La fratrie de l'homme, non contente de spolier le fief de leurs voisins étherniens, s'étaient émancipés de la férule serramiroise. En invoquant les sacro-saints hommages antédiluviens, le marquis apposait le sceau des siècles à son raisonnement ; la manœuvre, toutefois, manquait de subtilité. « Moi qui ait eu à subir l'outrage d'un prévôt royal dans mon pays, je conchie céans cette perfidie! Et vous, mon bon ami ? »

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Gaston Berdevin
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 17:44



La petite pointe sur les serments millénaires n’avait pas manqué d’asticoter le cul déjà peu aise du Gaston. Dans la bouche de Brochant, il fallait entendre par ce concept :  « Odélian est à moi ». Ce sujet de l’irréductible terre irrédente de la mouvance historique serramiroise, de l’Odélian vassal de Serramire, ça n’en imposait cependant que guère au Berdevin. Dans cet écheveau de n’importe quoi qu’était l’échiquier péninsulaire, il y avait bien une chose sur laquelle tous les Berdevin, voire tous les Odélians, ne reviendraient jamais : plutôt crever que de tenir leurs terres d’un autre que le roi. Et si le retour de Philinte augurait quelques sueurs froides pour Gaston, celui-ci savait pertinemment que celui-là ne transigerait jamais à ce sujet.

Depuis dix ans, l’émancipation de son ancien suzerain félon par la couronne ainsi que le gain du fief éthernien, arraché à un Sainte-Berthilde non moins félon, c’était l’odyssée des Odélians. C’était la chanson des fidèles du roi qui s’élevaient contre la trahison du duc de Serramire et qui, comme les chevaliers de jadis, se voyaient récompenser par le souverain en terres confisquées aux méchants. Dix ans de révoltes étherniennes matées et de chansons sur le sujet avait fini de graver ce mythe fondateur dans la caboche de n’importe quel paysan d’Odélian.  

Et puis Brochant lui-même n’osait pas toucher aux édits qu’avait imposé le roi Trystan au sortir de la guerre civile, sinon tous lui donneraient du « monsieur le duc de Serramire» et pas du « marquis ». Enfin, d’un point de vue purement pratique, monsieur le marquis avait appris comme les autres qu’un mauvais vassal ne vaudrait jamais un bon allié. Le type avait même à l’écurie la baronne d’Alonna, un cas d’école dans le genre. Passé ce point de dissension, Gaston se trouvait à opiner du chef sur le reste de la démonstration. Il avait après tout été l’une des dernières victimes (et bénéficiaires) des manœuvres des régents successifs. Et maintenant qu’il faisait le rapprochement entre la captation d’Etherna par Arsinoé et l’hommage direct rendu à Merval par Blanche, il s’apercevait que Cléophas avait été dans les deux cas aux rênes.

Cette politique, en plus de laisser un bon goût de merde dans la bouche du duc ou du marquis fidèle qu’elle lésait publiquement, n’avait même pas l’élégance de la cohérence. D’un côté, on prenait aux féaux, de l’autre on distribuait les domaines royaux aux rebelles. Méthodiquement, les régents avaient scellé le cercueil de la couronne, clou après clou. Les suderons s’étaient entretués pour la garde de l’enfant roi, lui avaient mis chacun dans la bouche les mots les plus ubuesques, si bien qu’on s’était retrouvé avec un royaume du Soltaar comme une principauté de Merval. Et quand le nord affrontait les invasions extérieures, le sud faisait sécession, se soumettait aux usurpateurs et faisait main basse sur les terres sans défense. Les dernières preuves de l’incompétence, sinon de l’impiété, des mous du sud était la disparition suspecte du nouveau chancelier, Roderik de Wenden, la prise de l’Ydril par une expédition estréventine ou encore, signe divin, l’épidémie qui s’était abattu sur Merval.

« Je la conchie mêmement. » Gaston regretta l’absence d’alcool, il aurait bien trinqué à cela. Du plus loin qu’il se souvenait, le dieu Cléophas de Merval n’avait jamais levé une seule troupe de ses domaines pour défendre la cause du royaume. Il avait planté la discorde qui fit germer les Champs pourpres, et maintenant que les seigneurs du nord s’échinaient à arracher l’ivraie qu’il avait fait pousser, pas une seule bannière mervaloise n’était venue offrir son ombre aux défricheurs. Ses offices à Arcam ne s’arrêtaient pourtant jamais, et les dernières graines qu’il avait distribuées menaçaient maintenant d’une guerre contre Erac des parents de Gaston. Car si Velteroc était évidemment perdu pour ses alliés Ancenis, Hautval jouissait de perspectives, sinon meilleures, plus ambiguës. Après tout, comme la coutume empêchait que l’on châtiât – au moins en théorie – le chevalier qui avait répondu à l’appel de son suzerain félon, il semblait difficile de condamner l’épouse pour avoir obéi au mari. La descendance de Blanche pouvait peut-être trouver un rempart dans le fait que leur mère n’était qu’une femme et ainsi préserver son héritage. Mais si l’édit de Cléophas se maintenait, Erac, qui servait dans la campagne pour le roi, pourrait clamer son suzerain félon et étêter les enfançons de sa belle-sœur Blanche pour faire le champ libre à un des siens.  

« Si les dieux voulaient nous donner un signe de leur faveur, ils noieraient des Cléophas plutôt que des Roderik. »


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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 18:32


Le marquis s'inclina à son tour devant les formules de son commensal. Quoiqu'ils nourrissent des intérêts opposés, les deux hommes se comprenaient, en apparence. Le leur nature plus que leur intellect les amenait ainsi vers la concorde. Ainsi, malgré leurs griefs respectifs, tout deux ne pouvaient que tomber d'accord lorsqu'il convenait de honnir les agissements du Mervallois à la race abâtardie. C'était un confort, une assurance qu'au moment de partager le gâteau péninsulaire, à l'issue de cette guerre, Gaston ne prendrait cause pour Cléophas contre lui.

Mais était-ce seulement vrai ? Pour un homme tel que Gaston, que ses ambitions plaçait en acontre des vieilles traditions du Royaume, un allié tel que le Mervalois, prompt à bafouer tout serment, demeurait précieux. Quoiqu'il s'en fut dédit à l'instant, le grand blond tenait ses intérêts du côté de Merval, le seul endroit où le Sénéchal, une fois victorieux des derniers rebelles, n'aurait de pouvoir. Face à celui qui ne s'était jamais caché de vouloir ramener la marche d'Odelian dans l'escarcelle serramiroise, quel meilleur allié que le détenteur de sa Majesté, de son sceau et de ses édits ? Cléophas gardait sous la main le pouvoir de biffer, toujours au nom du Roy, les décrets des précédents monarques, de même qu'il pouvait les conserver.

Adonc, le marquis, ne sachant que trop penser de la profession de foi de son voisin, se résolut à une approche moins directe. Si Gaston, en dépit de ses rodomontades, saurait trouver quelque bénéfice dans son amitié avec le Mervallois, il s'en trouvait d'autre pour partager cela. Or, parmi les débiteurs de Cléophas, l'entente n'avait pas toujours régné. « Voilà qui est parler, cher ami! lança gaillardement le marquis, avant de reprendre avec innocence : je gage qu'une fois Diantra rendue à notre Sire, et nous autres pairs du Royaume présidant à sa bonne tenue, les Cinq obligeront enfin et feront cesser les menées tumultueuses du Mervalois. »

C'était lancé en l'air comme un vœux pieux, mais derrière l'idyllique concorde des princes du Royaume invoquée par Aymeric se tenait une réalité que le grand blond n'ignorait pas. À l'inconstance de l'autocrate mervalois pouvait bien se succéder celle des grands féodaux du Royaume ; une fois Bohémond tiré des griffes de son défenseur, il pouvait bien se trouver impuissant à faire respecter sa propre paix. Aymeric l'avait d'ors et déjà constaté lors de la rébellion éthernienne - alors Gaston! -, quand les intérêts de son voisin occidental avaient supplanté le mot du Roy. Se rembrunissant, il reprit alors la parole, affectant la confidence : « Je redoute toutefois qu'à des troubles n'en succèdent d'autres. On parle d'une attaque sur les terres du Roy, en Ydril, et le souvenir de l'hiver dernier m'échaude encore... » Sa dernière entrevue avec le jeune faon, lui faisant pendre au nez une rébellion au nom de l'amour, ajoutait une pierre à l'édifice : mais cela, Gaston n'avait besoin de le savoir.

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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 21:14



D’une phrase, Brochant entrouvrit une porte sur ses projets d’après-guerre. Le mot ‘pairs’ apparut en catimini, entre une interjection et une nouvelle crasse contre le régent Cléophas. A peine son museau pointa que le mot se carapata aussi sec. Dommage, en savoir un peu plus ce qui se tramait dans le métier à tisser qu’était la cervelle du corbeau titillait la curiosité du marquis d’Odélian, qui avait tendu l’oreille pour l’occasion. Hélas, en guise de futur, Aymeric se laissa aller à augurer de nouveaux incendies, de nouveaux déchirements. Et ces pronostics sinistres atteignirent Gaston plus qu’il ne le pensait.

Non pas qu’il imaginait l’advenue d’un monde de miel et de fleurs et d’enfants qui jouent au cerceau deux ennéades après la fin de la reconquête de Diantra. Il envisageait cependant la suite avec un optimisme mesuré. Bien que le retour de son frère éveillait chez lui une gamme de sentiments mitigés et quoiqu’il ne minimisait pas l’ampleur du travail que serait la réunification effective du royaume, il croyait que l’écrasement du royaume de Nimmio porterait un sérieux coup au tourbillon de violence anarchique qui remuait la Péninsule depuis des années. Il croyait en l’ordre comme condition sine qua non à la vie des hommes. Et, au vu de l’accélération des invasions elfiques et étrangères, c’était même une question de pure survie.

Et voilà que Brochant, l’affable Brochant, sur un ton de messe basse, lui confessait sa crainte : et si tout cela était vain ? Couper sa tête à l’hydre et trois autres apparaissaient. Et ben putain. Si l’hypothèse du marquis était pour le moins circonspecte, Gaston n’en crut pourtant pas ses esgourdes. Il fallait resituer un peu l’aimable seigneur au corbac pour comprendre le choc du grand blond : Aymeric était parti de la case prison pour recouvrer la majorité de la puissance du Serramire d’antan. Des querelles intérieures aux sécessions de ses marches en passant par des invasions de hordes nécromantiques, le Brochant avait avalé tous les seaux de merde que saint Meythat, protecteur des coïncidences rigolotes et des incidents cosmiques plus tragiques, avait mis dans sa bauge, ce cochon de corbeau les avait avalés avec goinfrerie et semblait en redemander encore. Aussi l’entendre dire, même du bout des lèvres, qu’il avait la panse qui commençait à saturer plongea dans une grande stupéfaction notre Gaston.

Ce dernier garda le silence de longues secondes, véritablement estomaqué, rassemblant ses pensées. Il mâchonna l’intérieur de sa joue en fronçant un instant ses sourcils, visiblement en réflexion.
« L’invasion d’Ydril est peut-être une bonne nouvelle, somme toute… » osa-t-il enfin, «  Lorsque mon ambassadeur envisageait auprès de la duchesse de Soltariel une invasion d’Estréventins par la mer, Son Altesse balayait l’hypothèse d'un revers de la main. Ces attaques pourraient permettre aux suderons d’extirper la sensation illusoire qu'ils ont que les affaires de ce monde ne les affectent pas. S’ils comprenaient ceci, alors… » Sa phrase ne trouva pas de conclusion. Gaston lui-même, en prononçant ses paroles, s’apercevait qu’il ne croyait aucunement à ce discours. Il tenta  une autre approche.
« Lorsque les armées de Sainte-Berthilde et d’Olysséa envahirent mes contrées pour renforcer les ostes de la conjuration de Caerlyn, mon interrogation fut la suivante : serais-je le maillon faible de ma maison ? Et ma réponse ne put être que la suivante : plutôt crever que déchoir. Quand bien même les circonstances nous sont défavorables, que cette besogne nous est impossible, quel autre choix aurions-nous ? Nous ne pouvons pas déchoir, je crois. Si nous échouons, pis : si nous renonçons, les chroniques feront de nous les hommes qui faillirent à leur devoir et à leur race… » Et puis il fallait garder espoir. Néera ne pouvait pas être une pute pour toute l’éternité, si ? Après cette remarque un peu désespérante, et après avoir regretté une nouvelle fois l’absence d’alcool, Gaston synthétisa sur une touche plus légère.

« Pour la faire brève, il va falloir que nous nous épargnons assez de forces pour briser le crâne du prochain Nimmio qui montre sa face avant qu'il mette la moitié du royaume à feu et à sang. »  




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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeDim 25 Fév 2018 - 22:01


Comment expliquer au grand blond que pour contrevenir au tourbillon funeste qui s'était emparé du Royaume, Aymeric ne voyait d'autre solution que la force ? Qu'au malversations de ses contempteurs suderons, l'homme opposait de sinistres desseins ? Celui qui s'était de tout temps soucié des seuls intérêts de ses propre terres en était pourtant arrivé à cette funeste conclusion : pour garantir la sûreté de Serramire, il demeurait nécessaire d'écraser ses voisins. Dix années d’opprobre ne laissaient guère d'alternative.

Avec ses belles paroles et ses bonnes résolutions, Gaston plongeait le marquis dans l'embarras. Il eut rallié derechef ce discours, si ce dernier n'avait pas été prononcé par sa propre némésis. Que faire de l'amitié interprudhommiale, quand celle-ci vous poussait à fraterniser avec l'homme même dont chacun de vos rêves humide exigeait la génuflexion ? Le postulat de Gaston, celui d'une union des hommes de bien face au délitement du Royaume, se heurtait aux ambitions du marquis, qui ne concevait d'autre entente qu'avec ceux qu'il soumettait. Aymeric avait inlassablement avancé les menaces pesant sur son voisin méridional dans le but de pousser ce dernier dans ses bras ; à chaque fois Gaston répondait par une entente cordiale entre voisins, face à l'adversité. D'égal à égal : c'était là la pierre d’achoppement entre celui qui succédait aux suzerains et celui qui succédait aux vassaux.

« J'envie votre optimisme, cher ami, lui répondit le marquis, poursuivant son jeu de dupe, autant que votre résilience. Tout ceci vous honore, tout ceci est bel et bon. Je gage que le Roy ne peut que se féliciter d'avoir pareil prud'homme pour défendre ses marches. » Omettant le lot d'embuches auquel il avait lui-même fait face, le marquis, sous couvert de flatterie, grossissait la valeur de son commensal, proportionnelle à ses épreuves futures, pour mieux l'exhorter à un fatalisme qui l'eut ramené vers son giron. « En vérité, il me ravit l'entendement de vous savoir si gaillard tandis qu'à l'Ouest, les Berthildois lorgnent sur vos fiefs, qu'à l'Est Missède vous dénie vos terres légitimes, lança-t-il, obséquieux, avant d'enfoncer le clou : et qu'aux affres de la rébellion se succèdent celui d'une querelle entre frères. Les Cinq m'en soit témoins, Gaston : au rang des braves, vous me surpassez aisément. »

C'était assurément le genre de louange dont on se serait passé ; Aymeric, cependant, enfonça le clou, ajoutant à cette liste de calamités la question fatidique : « Comment ? Comment, quand tant de maux vous accablent, entendez vous assurer en plus la concorde du Royaume ? » Eut-il été cruel, que le marquis aurait rappelé à son rival les chroniques impérieuses et la postérité au regard desquels ce dernier justifiait l'impossibilité de son échec. Eut il été honnête, Aymeric aurait adjoint aux dix plaies d'Odelian les prétentions de son encombrant voisin nordique. C'eut été théâtral, mais c'eut été redondant.

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Gaston Berdevin
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeMar 27 Fév 2018 - 0:02



L’optimisme de Gaston ressemblait plus à un acte de foi qu’à un constat factuel ; si on ne s’oblige pas à espérer, on invite l’apathie et ne quitte plus son lit. Néanmoins ce discours paraissait trop angélique au marquis de Serramire, qui s’attacha à rappeler à son voisin à plus de bon sens : quand on doit pisser contre vent, sourire en même temps ne faisait que vous jaunir les dents. De nouveau Brochant mit une couche de gadoue sur les bonnes intentions du grand blond jusqu’à les recouvrir complètement. La situation du royaume était difficile ? Alors la posture d’Odélian était désespérée, disait Serramire. Missède, Sainte-Berthilde, Philinte et les Etherniens, cela faisait beaucoup de seaux pour un seul ventre. Gaston cependant ne partageait pas le point de vue d’Aymeric, qu’il soupçonnait de noircir à dessein. Odélian était certes isolé, mais il avait nettoyé sa maison : Etherna avait été décapité. Il ne croyait pas à un retour en force de leurs anciens seigneurs, qui avaient reconnu leur félonie, dernier discrédit pour un homme du nord. Quant à ses voisins, il tenait d’abord Missède pour rien. Si ces suderons avaient pu abuser de la complicité ou de l’absence d’un Jérôme occupé à ses campagnes du nord pour mettre un pied au nord du golfe olien, dans l’Ethernien et à Isgaard, ils ne pouvaient désormais plus bénéficier de ces faiblesses. Leurs marchands avaient été remis à la mer et interdits de séjour sur les terres des Berdevin tandis qu’Isgaard, étranglé par l’Etau et sa chaîne, était désormais privé de l’arrière-pays nordique qui avait fait sa prospérité. La baronnie elle-même s’était affaissée, et après être parvenue à s’élire un nouveau baron, celui-ci avait disparu derechef, si bien que le pays était aux mains d’une rosière qu’on disait aveugle. Leur dernier allié était une fille mineure, l’enfant d’une duchesse ayant usurpé Langehack avant d’embrasser les guerres d’un mari qui les avait fâchés avec le Berthildois. Le sud n’avait jamais beaucoup brillé pour ses capacités militaires, et Gaston, à l’aune de cette assemblée de demoiselles, ne s’inquiétait guère d’une offensive missédoise.

Quant à Sainte-Berthilde, si la menace était plus grande, l’Odélian voulait croire que son étrange intervention contre lui et son retrait pareillement bizarre disait quelque chose de l’inexpérience de leur nouveau chef. Passé la fragilité de sa position – le jouvenceau avait des vassaux remuants, Kelbourg en tête –, Gaston s’interrogeait sur les volontés de ce Louis. On avait dit que son grand-père avait eu son oreille et y avait chanté les vertus de son usurpateur de père comme de l’invasion d’Etherna. Celui-là mort, d’autres options apparaissaient, et la rumeur du refus de Louis d’épouser une Brochant laissait entrevoir la possibilité d’une alliance pour tempérer les ardeurs serramiroises. Le retour de Philinte, enfin, terminait de restreindre les options de Gaston comme d’Aymeric. Si celui-ci pressait pour mettre dans sa mouvance Odélian, Philinte ne l’accepterait jamais et deviendrait le point de ralliement des anti. La dissension interne du marquisat l’affaiblirait d’autant. Mais peut-être était-ce le projet du Corbeau : au lieu d’un allié fort peut-être préférait-il un vassal faible et neutralisé par ses discordes.

C’aurait été un plan hasardeux et qui priverait le redressement du royaume des guerriers de la marche odéliane, mais Serramire ambitionnait-il vraiment de réunir le royaume ? Il l’avait dit lui-même : il y aura toujours un connard pour se proclamer roi et tenter une énième sécession. Réaliste ou résigné, le marquis avait-il pour projet de consolider ses domaines du nord et dire merde au reste du royaume ? Gaston se demanda si cette option était viable. Imposer l’ordre et faire prospérer son tiers de pays en laissant le reste s’entretuer semblait être une stratégie de défense fiable, mais cynique et dangereuse. Il s’agissait de sacrifier la majorité du royaume pour le confort du nord, majorité qui risquait d’être particulièrement vulnérable aux agressions extérieures si elle persistait dans la division. Et dangereuse parce que si on laissait faire un nouveau Nimmio, qui dit que dans dix ans, le nord isolé ne finirait pas dévasté par un tyran ayant fait main basse sur le Langecin, le Soltaar et les domaines royaux ?
Gaston se garda bien d’étaler ses soupçons quant aux vues serramiroises comme les siennes propres à propos des rapports de pouvoir qui existait entre les trois marquis du nord. Il tenta de suggérer une solution plus générale pour le royaume tout entier.
« Avec la paix du roi, beau sire. Celle-ci est la cause et la solution de tous les maux du royaume. Les domaines de la couronne sont un immense réservoir d’hommes et de richesses ; si nous affûtons à nouveau ce glaive, on étêterait meilleurement le col des traîtres et les forbans. Et pour que cette épée ne devienne pas l’arme de la tyrannie, il faut que des hommes intègres la manient, en respectant la justice et la coutume. » Des hommes comme vous et moi, somme toute. « Si nous n’arrivons pas à vider nos disputes comme des hommes civilisés, les pirates estréventins et les hordes d’Elda saigneront sud comme nord. Dois-je vous dire que Thaar est maintenant tenu par des elfes noirs ? Qu’Anaëh a brisé son alliance avec nous et que les nains chassent nos semblables derrière un mur immense ? Nous sommes seuls contre tous, et si nous ne trouvons pas un moyen de nous accorder, nous continuerons à attirer les charognards. Tandis que… » Tandis que si nous parvenons à pacifier le royaume, rien ni personne ne pourra nous arrêter. Tous ces peuples qui nous méprisent et nous attaquent goûteront au fer de nos épées et aux vîts de nos soldats. « Tandis que nous sommes forts, nous pourrons répondre honorablement aux injures qui nous sont faites par les barbares. »

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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeMar 6 Mar 2018 - 11:45


Cela faisait maintenant près d'une demi-heure que le marquis roulait les mécaniques. Singeant la bienveillance envers son voisin, il travaillait celui-ci au corps, exposant à travers sa pitié les faiblesses de Gaston. Ce dernier, pour autant, n'en démordait pas, faisant profession d'un optimisme à toute épreuve. Probablement érigeait-il celui-ci comme une façade face à la "bienveillance" du marquis, tant il est vrai que ce dernier, criant au loup, espérait toujours un peu plus faire accepter l'idée de son patronage.

À l'encombrante présence d'un grand frère vous prélevant votre goûter, le grand blond préféra une autre assurance. Pour un seigneur esseulé, l'appui d'un Prince demeurait une nécessité ; or, qui de mieux que le premier d'entre eux comme garant ? À l'homme désireux de s'émanciper du pouvoir des ducs et des marquis, le Roy offrait un accueil certain, car il affaiblissait par là même ses grands vassaux, et s'assurait la légitimité de l'un d'entre eux. Ç'avait été la politique des Berdevins depuis dix ans : Gaucelm s'était attiré les faveurs de Sa Cécité pour conserver Etherna, Grégoire celle d'Aetius, y gagnant son titre de marquis. Gaston, lui, recourrait aux pétitions royales pour sauver sa peau.

Jusqu'à quand cette position resterait tenable, toutefois ? Le grand blond n'ignorait pas la faiblesse royale, lui qui avait du se contenter de la neutralité mervaloise dans son conflit face aux étherniens. Il invoquait le très haut patronage de sa Majesté comme garantie de l'unité du Royaume, mais n'était-ce pas là jeter une pièce dans un puits ? Face à des régences inconstantes et plus soucieuses de leurs propres intérêts, Odelian ne jouissait pas d'un appui solidement enraciné.

Cette faille n'avait pas échappé au marquis, qui concéda cette esquive à son commensal. Plutôt que de pressurer celui-ci comme il l'avait fait auparavant, Aymeric sauta sur l'occasion : faute de prendre quelque fou, il mangerait un pion. « Puisse les Cinq vous entendre, bon ami! lança-t-il, Je ne désire pas mieux que cela : rendre leur gloire aux domaines royaux. Affuter ce glaive, comme vous le dites si bien! il prit une inspiration. M'y aiderez vous, seigneur ? Me soutiendrez vous à la régence du Royaume, pour que je puisse accomplir ce souhait commun ? »

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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeSam 31 Mar 2018 - 20:54



Un ange, si tant est que la notion puisse porter quelque sens dans cette religion pentéiste, passa. Un long ange, ma foi. Le silence parut durer un mois, et même si dans l’absolu le passage à vide du marquis n’avait dû comptabiliser qu’une bonne centaine de secondes, il n’avait cessé de s’épaissir. Bien involontairement, ce décrochage de Gaston devant une question si lourde inversait pour une fois la charge d’angoisse que cet échange entre marquis produisait. Parce qu’il avait été reçu par cette belle, jeune, puissante femme qu’il n’avait pas vu depuis des mois et qui était son épouse, ou par la faute de cette discussion pesante, le grand blond mirait son fond de vin qu’il secouait distraitement en rêvant ardemment à une bonne pipe. Rien que d’y penser, il salivait à l’idée de s’installer dans un confortable fauteuil et de bourrer le foyer de la bouffarde de son pesant d’herbes de tabacs.

Enfin, il remonta son regard et agença ses pensées. Lui ? Marquis, sénéchal et régent ? Cela rappelait le temps d’Aetius, et si on ne pourrait pas reprocher au Corbin de vouloir concentrer les pouvoirs après ces années de chienlit, on l’accuserait plus aisément de n’avoir aucun lien de sang avec le roitelet qui leur servait actuellement d’incarnation transcendante et suprême à la souveraineté des Hommes. Plus personne ne pouvait de toute manière revendiquer une parenté bien forte sur Bohémond Ier, Nimmio avait bien quelque chose, de par sa femme, mais ç’avait été faible et il avait préféré tenter le table rase. Les Ancenis, enfin, pouvaient prétendre un peu plus, quoique de loin, à un cousinage, mais ils s’étaient tellement compromis avec la fronde de Velteroc qu’ils ne risquaient pas de l’ouvrir à ce sujet. Et puis, le gamin avait été mis à toutes les sauces : chez une Estréventine, auprès d’un adorateur de vers, maintenant au beau milieu d’une ville pestiférée. Il y avait même eu une contrefaçon à la cour d’un de ses ennemis, le seigneur de Saint-Aimé, c’est dire si les liens familiaux passaient au second plan.

Mais jusqu’à présent, ce n’avait été après tout qu’une Estréventine, un adorateur de vers, un prétendant et une ville pestiférée. La concentration de pouvoirs que convoitait le marquis de Serramire était toute autre.

« Beau sire… Gaston débuta en replongeant son regard dans le jus de raisin ; ce qui devait suivre ne l’engageait guère à attraper le regard de son généreux voisin, mais il s’y résolut finalement. Beau sire, vous avez multiplié les preuves de bienveillance à l’égard de ma famille en ces durs mois. Et si aucun ne doute de la vertu et l’assiduité que vous mettriez à gouverner notre royaume, je suis encore bien éprouvé par les derniers revirements des agents royaux. D’abord, un maréchal du roi nous donna à tous deux bien des efforts, puis ce fut un gouverneur royal qui décida de porter la guerre en mes contrées, enfin, mes vassaux mêmes se tournèrent vers la couronne pour qu’elle bénît leur rébellion. Depuis la trahison de tant d’amis et la voracité de tant de voisins, je dois confesser qu’excepté Bohémond, je n'ai plus confiance que dans les liens sacrés de la famille. »


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Aymeric de Brochant
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MessageSujet: Re: Des ainés et des cadettes   Des ainés et des cadettes I_icon_minitimeSam 26 Mai 2018 - 14:37


Une fois de plus, Gaston bottait en touche, évitant de répondre au marquis en lui rétorquant des généralités. Qui pouvait l'en blâmer ? Avec ses louvoiements, Aymeric n'avait eu de cesse d'extorquer toujours plus d'assurances chez un homme dont la famille n'avait eu de cesse, durant dix ans, de s'émanciper de sa férule. Et puis quoi ? Notre héros allait-il vanter les mérites de l'hommage vassalique face aux liens familiaux, quand la rébellion avait agité le pays toute une décennie ? L'argument n'aurait fait mouche - du reste, Aymeric n'y croyait pas lui-même, au vu de ses turbulents vassaux.

Sa réponse n'en fut que plus acerbe ; faute de pouvoir proposer mieux à son voisin, le marquis tacla vertement les sermons de ce dernier « Et dans laquelle avez vous foi ? Votre fratrie, dont l'autre représentant vous honnit ? Ou celle de votre épouse, que la plupart du Royaume associe au traître Nimmio ? La belle affaire! » La saillie s'ensuivit d'un certain silence - Aymeric lui même s'apercevant que son impatience pouvait bien lui risquer, à défaut de son amitié, l'entente cordiale qu'il entretenait avec le grand blond. « Las, pardonnez mes mots, seigneur. Vous avez raison : ce sont là des liens précieux, et je m'aperçois que je vous prive céans d'une épouse que la guerre a tenu loin de vous. Adonc, je vais prendre congé. »

C'était, de son avis, le mieux qu'eût pu faire le marquis. Il avait tenté, tour à tour en le séduisant, puis en le menaçant, de s'attacher au mieux son voisin, mais l'homme n'avait cessé d'opposer des refus, certes polis, mais néanmoins secs. S'obstiner n'y changerait rien, du moins aujourd'hui ; c'était donc partie remise. Tournant les talons, Aymeric ne s'interrompit qu'in extremis, avant de sortir de la pièce, que pour lancer quelques derniers mots à son commensal : « Les familles ne sont point choses figées, cher ami ; elles peuvent également s’agrandir », lui dit-il en s'inclinant poliment.

Elles pouvaient aussi, le cas échéant, disparaître.

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