Et ensuite ? [Aymeric]

4ème jour de la 4ème ennéade de Verimios,
An X du XIème cycle

Depuis la fin du Concile, Renaud tournait en rond comme une bête en cage. Il se posait nombre de questions, et il n'avait pas les réponses. Il ne savait pas ce que lui réservait l'avenir, et il devait avouer que sa patience arrivait au bout. Alors il se doutait bien que l'hommage était ce qui bloquait sans doute tout le reste, mais le temps passait, et il n'aimait pas le perdre, du moins pas quand il y avait tant de choses à faire. Il passait donc son temps à réfléchir désespérément, ou à lire les comptes rendus que ses conseillers lui envoyaient d'Erac. Déjà outre l'armée envoyée à Ydril, les garnisons de Velteroc, et une garde personnelle réduite, il avait renvoyé les armées eraciennes, et les avait démobilisé. Le commerce venant de Serramire et Sainte-Berthilde battait son plein, et il n'y avait donc pas de problème au Duché. La fin de la guerre avec le médian permettait de nouveau de passer pour aller au sud sans devoir prendre la mer. Aussi le commerce battait son plein, et n'avait pas été aussi fleurissant depuis un long moment. Renaud avait insisté auprès du conseil sur les patrouilles, pour protéger les routes, et les villages en raison des semis et récoltes qui étaient d'importances. Tout allait bien, mais cela stagnait aussi, enfin c'était déjà une bonne chose que la situation ne se dégrade pas. Il se demandait aussi si Philippe parvenait à ses fins à Velteroc, et il était bien en peine de lui envoyer un message disant qu'il avait récupéré ses terres, puisque rien n'était fait.

Renaud n'avait pas encore félicité Aymeric pour sa nomination, et il était temps de voir si leur alliance perdurerait, maintenant que le Marquis avait eut ce qu'il désirait. Il aurait normalement toujours besoin d'alliés, même s'il était l'homme fort du moment. Isolé, on avait beaucoup de mal à faire avancer les choses. Le Duc se dit aussi qu'il avait beaucoup à apprendre de cet homme qui s'était hissé au plus haut par ses propres moyens, en partant de pas grande chose, avec un marquisat éclaté. Il avait donc demandé une audience, et on lui avait répondu qu'il pourrait se présenter ce jour pour rencontrer le nouveau Régent. Pour sur qu'il devait être débordé avec tout ce qu'il devait mettre en place, tout étant à reconstruire après la débâcle que la Couronne avait subit suite aux champs pourpres. Renaud se présenta donc à l'heure indiqué, et il attendit sagement qu'Aymeric le rejoigne.

Si la fin de la guerre et les préparatifs préalables à la cérémonie d'hommage plongeaient Renaud dans un immobilisme agacé, ils exaltaient au contraire le nouveau Régent. Comme transporté par les bouleversements imminents, Aymeric chamboulait tout sur son passage. Entre deux entrevues avec son ancien rival, le Chancelier Roderik, l'homme s'était immiscé à l'improviste dans la coterie du futur-nouveau marquis de Sainte-Berthilde. Quand Renaud se présenta devant le Fort de la Vaillance, le marquis revenait alors du palais ; dictant quelques ordres aux clercs l'entourant, il ne s'arrêta même, fonçant vers la chapelle où l'attendait le jeune duc d'Erac.

Quelques jours auparavant, le bachelier s'était illustré par son soutien au marquis dans la course à la Régence. Ce ralliement ne devait pourtant berner personne : c'est que les deux hommes s'étaient promis entente et amitié auparavant. Grand architecte de la libération de l'Avosne, Aymeric y avait raflé là un prix certain : une alliance avec le jeune duc, dont il chérirait en échange la puissance.

Chérir, c'était le mot. Adonc, quand le nouveau Régent du Royaume pénétra dans la pièce, c'est d'une embrassade virile qu'il salua le duc. « Renaud! Ce sont les Cinq qui vous envoient! Par la Malepeste, qu'il me plait de vous voir : le Royaume est une plaie suppurante, que je ne recouds pour mieux la voir se rouvrir. Besogne! lança-t-il, exagérant son labeur, partout, la besogne attend, négligée par un Mervalois plus prompt à se terrer dans ses palais que de veiller à la bonne marche du Royaume! » Il reprit un instant son souffle. « Mais baste, je serais mauvais ami si je vous accablais de mes maux! En vérité il me faut vous remercier : sans vous, je ne serais pas ici à me plaindre. » Il adressa un clin d’œil complice à son commensal. « Sachez cela, Renaud : Velteroc vous est d'ors et déjà acquise, avec la liberté d'en nommer le baron! Quant aux fiefs des Ancenis, tranquillisez vous, j'entends bien dénouer ce problème. Tout ce qui m'importe, ce que nous célébrions au plus vite votre mariage avec Neyrelles, et celui de mon frère avec votre sœur. »

Le marquis arriva, tout joyeux, et embrassa virilement le Duc, qui, il fallait se l'avouer, ne s'y attendait pas. Renaud lui rendit naturellement l'accolade, et l'écouta deviser, et déjà se plaindre de sa nouvelle charge. Il ne doutait pas un seul instant, encore plus vu le jeune âge de sa Majesté Bohémond, que la besogne était ardue, et qu'il y avait moult problèmes qui devaient requérir son attention, et prestement. Il rit aux mots d'Aymeric, sa bonne humeur étant communicante. Le nouveau Régent était en train de remercier le Duc pour son soutien, puis il se lança dans des explications qui devinrent rapidement nébuleuses pour Renaud, qui se demandait s'il comprenait tout ce qu'il était en train d'entendre. Puis vint ensuite l'alliance entre les deux familles, et ce double mariage. Heureusement que Renaud était très doué pour ne pas exprimer ce qu'il ressentait, car il aurait pu se décomposer, mais cela ne se vit absolument pas. C'est qu'il avait eut une idée soudaine lors de son entretien avec Guilhem de Tall, et qu'il s'était mis en tête qu'il serait plus intéressant d'épouser la Duchesse de Langheack, plutôt la soeur du Marquis. Il n'était absolument pas question de remettre en cause leur alliance, ni leur entente, et que cela serait bénéfique pour tous les deux, mais le Marquis verrait il l'avantage qu'il pourrait aussi en retirer, ou alors est ce que cela le frustrerait au point d'avoir quelques rancunes à l'encontre du jeune Suzerain d'Erac. Renaud préféra donc ne pas parler de cela, l'histoire étant de toute façon en suspend. La pauvre Linaëlle, ayant d'abord disparu, avant d'être retrouvé, se serrait soudainement intéressée à la prêtrise. Mais pour l'instant ce n'était que des rumeurs, le secret était bien caché. Renaud ne manquerait donc pas de ne pas parler de cette histoire pour l'instant à Aymeric, ne voulant pas l'agacer pour quelque chose qui ne verrait peut être jamais le jour. Il fut plus attentif, et perturbé, par ce que le Régent lui disait concernent ses terres de juré. Il ne comprenait pas tout, n'ayant pas les tenants et les aboutissants, mais il semblait qu'il y ait un problème. Il espérait avoir mal comprit, et puis l'homme semblant si amical, autant parler à brule pourpoint, mais après quelques mots d'usages, protocolaires, et bien venus

"Je suis ravis de savoir que mon vote vous a permit d'acquérir la charge de Régent, mon bon ami, mais je n'avais qu'une seule voix, je n'ai pas été le seul artisan de votre victoire, même si j'ai été votre premier soutien. Permettez moi d'ailleurs de vous féliciter pour votre nomination, je n'ai pas encore eu le loisir de le faire de vive voix. J'avoue, pendant un instant, que j'ai crains que ce ne soit Roderik qui l'emporte. Je ne m'attendais pas au désaveu de Louis, ce fut une grande surprise, comment expliquez vous cela ?"

Oui, alors il ne savait pas du tout comment le Marquis de Sainte-Berthilde réagirait, suite à l'altercation entre les deux hommes, mais il devait bien avouer qu'il ne s'était pas attendu à ce qu'il prenne cause pour le Comte d'Aretria, et fasse un tel affront à Aymeric. Il venait aussi de profiter du moment pour tenter de marquer des points, étant en effet le premier à avoir soutenu ouvertement Aymeric. Par contre, il oublia de dire qu'il avait eut une entrevue avec un émissaire dudit Comte, et qu'il avait hésité aussi. Le Grand-Chancelier avait été maintenu dans ses fonctions, et Renaud ne connaissait pas le lien entre Aymeric et Roderik, alors autant ne pas se faire un ennemi de ce dernier. L'accusation de Linaëlle, et le fait qu'il fallait bien prendre des décisions, avaient amené Renaud à choisir son camp. Néera avait fait que ce soit le bon, et qu'aujourd'hui, il se retrouvait en bonne entente avec Aymeric

"Si je peux vous aider dans la cicatrisation du Royaume, n'hésitez pas à me le demander. Je serais ravis de servir la couronne, du moins dans la limite de mes possibilités. La justice doit retrouver sa place rapidement, et la couronne doit démontrer qu'elle a retrouver sa puissance d'antan, si ce n'est plus."

Renaud était sincère dans cette démarche, plus vite le Royaume se stabiliserait, mieux cela serait. Il n'était pas dupe non plus sur les rancunes, et querelles entre Seigneurs, mais que cela ne soit plus des guerres de l'envergure qu'avait connu la Péninsule ces dernières années. Maintenant, il fallait aborder les sujets qui fâchent

"La "Baronnie" de Velteroc, dois je comprendre qu'il va y avoir des sanctions à l'encontre du Comté ?"

Le Duc comprenait bien qu'il fallait faire des exemples, mais même si un titre n'était pas tout, cela donnait toujours l'impression que la puissance intrinsèque était remise en cause, et dévalorisée. Diriger une Baronnie en lieu et place d'un Comté, faisait penser à Renaud que son Duché perdait en valeur.

"Et comment comptez vous procéder, Aymeric ? après avoir balayé le Concile, ou j'avais bon espoir de retrouver mes terres, je me le demande. C'est que j'avais mis beaucoup de cœur à rencontrer les pairs, et m'assurer qu'ils rendent justice, et votent pour la restitution de mes terres sous ma coupe. Allez vous procéder par édit royal ? ou réunir un nouveau Concile ultérieurement ?"

Velteroc était devenu soudainement une broutille, l'allusion aux Ancenis s'étant plantées dans les entrailles du Duc, la crainte nourrissant quelques angoissent

"De quels problèmes parlez vous pour les Ancenis ? j'avoue ne pas comprendre. Hautval s'étant soumis au Roy, ne suffit il pas de me transférer le vasselage ? et pour Ancenis, il me semble que la situation est la même que Velteroc. Qu'entendez vous donc par problèmes, éclairez moi je vous prie ?"

Aymeric avait promit au jeune Duc de l'aider à retrouver ses terres de jurés, et les deux Baronnies qu'il avait aujourd'hui entre ses mains, il ne semblait pas enclin à les lui rendre. Renaud aurait pu attendre pour la suite, mais il perdit un peu le fil, et il balança une autre question qui le taraudait

"Et qu'en est il des filles de la Dame du Val, je sais que vous les avez en votre possession, allez vous me les remettre ? que je puisse travailler à la réunification de mon Duché dans les meilleures dispositions ?"

Renaud avait patienté, beaucoup, et il avait eu pas mal de problème d'insomnie, à ressasser encore et encore la suite des évènements. Et alors qu'il pensait que tout allait enfin arriver, et qu'il allait pouvoir triompher à nouveau, il avait soudainement l'impression que tout se transformait en sable, et lui glissait entre les doigts.

En une avalanche de questions, Renaud éluda la seule auquel le marquis attendait vraiment une réponse. Le duc avait l'impatience des jeunes ambitieux ; alors qu'Aymeric venait lui assurer avoir les choses bien en main, voila que l'homme l'assaillait de ses doutes et de ses attentes. L'avidité transparaissait ; les années, assurément, apprendraient à Renaud comment la dissimuler. Il rappelait au nouveau régent sa propre personne, quand il y a près de dix ans de cela, Aymeric s'était empressé de fustiger l'arrivisme de Bastylle, exposant par là même au monde le sien. La leçon avait été bien apprise : embastillé, le seigneur de Brochant comprit que la patience était la clef - la suite des évènements, du reste, lui avait donné raison.

« Tranquillisez vous, mon bon ami, entama-t-il d'un ton paterne. Je comprends votre hâte à retrouver vos vassalité, car les Cinq savent si je l'ai moi même éprouvée. Oncques mais! Autant que vous brûlez de dominer à nouveau, d'aucuns redoutent d'être à nouveau dominés. Voyez ces Ancenis, que trois ans de tumulte ont habitué à être exempt de tout suzerain! Ne sont-ils pas si semblable à mes propres Berdevins, dont dix ans au service du Roy ne font que les rasséréner dans leurs fadaises indépendantistes ? » Le marquis, doucement, avait assumé ce ton docte qu'il réservait à ses logorrhées. « Je puis, reprit-il, fort de la puissance que me confère le Roy, rompre aujourd'hui les décrets de Trystan et soumettre à moi les Berdevins, comme mes ancêtres l'ont toujours fait, certes. Cependant, ce serait là m'aliéner un puissant voisin, le même qui à votre instar, m'a soutenu à la plus haute des cathèdres. De la même manière, je puis vous livrer les baronnies d'Ancenis et de Hautval, pour vous découvrir en butte à des vassaux batailleurs et insoumis. Le désisteriez vous ? »

Sans attendre de réponse, le marquis reprit aussitôt, balayant l'air de la main : « Nenni. Oncques mais! Puisque nous sommes tout deux en proie aux même maux, je dis ceci : allions nous au plus vite. C'était mon désir le plus expresse, lorsque vous acceptiez la main et ma sœur, et que j'acceptais, au nom de mon frère, celle de la vôtre ; or, ça l'est encore. N'est-ce pas la chose la plus naturelle ? Ancenis et Berdevins se sont unis, eux aussi ; désirions nous purger ces chancres, qu'il nous faut être alliés. De la sorte, je vous soutiendrais pour récupérer vos vassalités avosniennes, et vous me soutiendrez au moment d'obtenir la marche odéliane. Prendre épouse au plus haut jour de l'été est gage d'heur - je ne suis point superstitieux, mais par la Malepeste, n'est-ce pas là l'occasion rêvée ? »

Aymeric parlait de la voix du mentor, semblant vouloir faire comprendre certaines choses à un élève perturbant, et perturbé. Il débuta par lui demander de se calmer, avant de lui faire le leçon, et quelle leçon. Il avait même loisir de prendre sa propre histoire, étrangement commune sur certains points, pour enseigner au jeune loup ce que l'expérience lui avait apprise. Renaud ne pouvait revenir sur la réalité des dires, bien qu'il ne manquerait pas, dès que son tour viendrait de parler, de continuer à défendre sa cause, ne serait ce que pour voir les nouveaux arguments que lui sortirait le Marquis. Il était plus fâcheux de voir l'empressement soudain d'Aymeric à vouloir conclure le mariage du Duc avec sa sœur. Renaud ne pourrait plus se défiler, il devait prendre une décision, à savoir s'il arrêtait de rêver pour conclure cette alliance avec Aymeric, ou pas, et l'expliquer à son homologue. Il trouvait dérangeant de ressentir un certain malaise au fond de lui, dans le discours du Marquis, une menace voilée sur le fait qu'il détenait les terres d'Erac, et que sans cette union, leur retour pourrait se retrouver compromise. Perdu un peu dans cet exercice politique dont il n'était, au final, pas des plus à l'aise, il garda le ton le plus neutre qu'il pouvait

"Je comprends votre raisonnement, mais permettez moi de vous demander de lever quelques questionnements qui me tracassent.  Si le concile avait continué, la suzeraineté d'Erac sur Velteroc, Hautval, et Ancenis, aurait été immédiate? Cela aurait été justice, et n'est ce pas la charge du Roy que de faire justice à ses féaux ?

J'entends bien vos craintes concernant la révulsion de certains à revenir sous la coupe d'Erac, mais je comptais justement sur le jeune âge des deux baronnes pour tisser des liens nouveaux, et différents de ceux ayant existés depuis ces trois dernières années. Je redoute que plus le temps passe, et plus il soit difficile justement, d'avoir des liens amicaux entre Erac et ses terres de jurés. N'ai je pas raison ?"

Car oui, Grégoire, et maintenant Gaston, n'avaient pas l'âge d'Alcyne et de Bathile, et il était naturel qu'il soit moins aisé pour Serramire de récupérer Odélian. Renaud allait maintenant éprouver leur alliance naissante, et voir si ce n'était que du vent sans les mariages promis. Il allait maintenant marcher sur des œufs, et il espérait qu'il réussirait l'exercice

"Je trouve navrant, et rassurant, que nos maux soient identiques. Vu votre talent, et le résultat qui vous a mené jusqu'à la régence, j'espère que votre expérience me servira. C'est que vous êtes un modèle pour moi, Aymeric, je vous l'assure. Il m'avait d'ailleurs semblé que nous étions déjà allié, même avant d'avoir uni nos deux maisons, du moins c'est ainsi que je le voyais de mon côté, et que ces mariages ne feraient que renforcer cet état de fait"

Si le Marquis ne voyait d'alliance possible que dans le mariage, ce serait alors navrant, et Renaud voyait déjà s'envoler ses rêves, et ambitions. Lui faire des compliments, même si ceux-ci étaient réels, pouvait permettre au Duc de marquer des points. Car il ne doutait pas que ce qu'il allait dire maintenant allait passablement agacer Aymeric.

"Unir nos deux maisons sera une bonne choses, et montrera à tous que le lien entre nous est puissant. Toutefois, j'ai un problème qu'il me faut vous exposer. J'espère qu'il ne mettra aucune ombre sur mon indéfectible soutien à votre cause. La main de ma sœur pour votre frère est acquise, et j'espère que cela prouvera ma bonne foi, et mon ardant désir de rapprochement. Sachez que je tiens à mes sœurs comme à la prunelle de mes yeux, et que c'est en toute confiance que je la cède à votre frère"

Vu la rapidité avec laquelle Renaud avait accédé à la requête d'Aymeric suite au décès du mari de celle-ci, nul doute qu'il aurait quelques réserves sur l'affection de Renaud envers sa fratrie. C'était surtout que Renaud voyait les choses différemment, et avec un détachement total. Au fond de lui, il aimait les jumelles, même sans le montrer, après tout elles étaient ses sœurs, et les seules à ne lui avoir jamais fait de misère. Mais pour Renaud, le mariage était une institution permettant aux nobles de tisser des alliances, et c'était justement ce qu'il était en train de faire. Nul loisir de s'amouracher pour trouver épouse, ou mari, et seul le devoir envers la famille prévalait. C'était ainsi qu'il voyait le mariage, et la raison pour laquelle il n'avait pas hésité l'ombre d'une seconde avant de "vendre" sa sœur pour le bien familial

"Pour l'union de votre sœur avec moi même, j'ai un problème. C'est que lors de mon entretien avec le conseil de régence de Langehack, une opportunité s'est présentée. De la, une union entre la Duchesse et moi même a été envisagé. Je pense que vous comprendrez l'ampleur que cela aura pour notre alliance, si nous la renforcions de ce Duché réfractaire ? de juguler ses hérésies, et de l'allier à notre cause commune."

Renaud y allait fort, mais il savait que le Marquis n'avait pas apprécié tant que ça les actions du Langehack dans toute cette affaire. Tantôt allié de l'ogre de Velteroc, puis faisant cavalier seul, pour finir par aider le culte de Néera à faire main basse sur une terre royale. Le Duché était rentré dans le droit chemin lorsqu'il avait vu le vent tourner, mais le doute pouvait perdurer. Renaud faisant donc miroiter à Aymeric que l'union de Langehack avec Erac permettrait à ce dernier d'avoir un œil dessus, et de le mater. Bien évidemment, personne ne serait dupe sur le fait que si cela se faisait, Renaud serait le vainqueur, ressortant grandit de ce double titre, et faisant un gros bloc du médian. Ce dernier voyait aussi la un moyen d'unir ce médian, grand perdant de la guerre, et permettant de tenir tête au nord comme au sud, quand ceux-ci pourraient vouloir se goinfrer de terres affaiblies. Il faudrait alors réfléchir avant de vouloir s'attaquer à eux. Les terres conservées par le Marquis étaient aussi une inquiétude, et les mots de ceux qui avaient prévenus Renaud à l'encontre d'Aymeric, et de son ambition de vouloir tout écraser, ne pouvait que revenir en mémoire. Le Duc ne savait pas ce qu'il devait penser du Marquis, et tout se bousculait dans sa tête. Etait ce un mentor, et tiendrait il sa promesse de rendre à Renaud ses terres de jurés, le guidant dans ce monde impitoyable de la Haute Noblesse, ou n'était il qu'un comploteur narquois, prompt à la trahison, et voulant faire main basse sur tout ce qu'il pouvait s'accaparer ? L'avenir le dirait

Aymeric ne comprenait que trop bien ce que les menées du jeune duc d'Erac signifiaient pour leur alliance ; ses désirs d'union avec le Langecin, vis à vis de leur prétendue cause commune. À l'instar de Louis avant lui, Renaud, désormais sorti de son infortune par l'action du marquis, cherchait aussitôt à se soustraire à l'influence de son bienfaiteur. Il pouvait bien le flatter, le remercier, le nommer mentor, ami, même papa, le résultat était le même : l'ingrat s’échapperait du patronage serramirois à la première occasion. Or, celle-ci s'était présentée sous la forme du minois juvénile de Linaëlle de Lancrais, la même qu'on avait refusé au marquis un mois plus tôt, sous prétexte d'un amour soudain entre elle et le frère de la comtesse de Missède. C'était riche en enseignement : Aymeric en déduisit que Cécilie, contrairement à ce qu'il avait cru, ne dominait pas tant que ça le conseil de régence à Langehack ; mais également que ce dernier se savait en position de faiblesse. Le mois passé, on lui avait refusé la main de la jeune duchesse en redoutant justement qu'à travers sa bru, Aymeric ne préside trop aux destinées du Langecin. Renaud, avec son duché exsangue et son inexpérience, ne semblait pas susciter les mêmes craintes.

Que les hommes de Langehack désirent une alliance entre laissés pour compte de la Péninsule, face aux grandes huiles de celle-ci, n'était, au final, que naturel. Le Concile avait révélé leur esseulement, et leur incapacité à s'accorder avec les soltariis. En revanche, il déplaisait grandement au marquis de voir le jeune duc d'Erac s'engouffrer dans la brèche. Quoiqu'il eut professé son désir d'alliance - surtout si celle-ci lui rendait ses vassalités historiques - Renaud crachait sans le savoir à la figure du marquis, ne mesurant peut-être pas la hauteur de l'injure. En bouffant à tous les râteliers, c'était la table d'Aymeric qu'il dédaignait après tout.

« Vous êtes un homme jeune, ami Renaud, répondit le marquis calmement, et pour beaucoup de votre âge, c'est la sagesse d'un père qui présiderait au choix d'une épouse. Oncques mais! Votre père je ne suis, et il ne m'appartient pas de vous dire qui épouser ou non. Libre à vous de chercher vos amitiés plus au Sud ; mon offre, elle, tient toujours. » Il se tut un instant, happé par la réflexion, avant de reprendre : « J'enverrais quérir sous peu mes propres sœurs ; jouissez donc de ce délai pour chercher le conseil de votre père, qui est un homme sage et vénérable. Je tâcherais, dans l'intervalle, d'obtenir en outre du marquis d'Odelian et des Ancenis qu'ils n'entravent nos projets. »

Sa position s'étant subitement affaiblie, le marquis avait préféré battre en retraite. « Que les Cinq vous gardent, mon bon ami », lança-t-il avant de prendre congé.

Aymeric tança le Duc, à sa manière, et il maintint son offre d'union. Renaud se doutait bien qu'il l'avait mal prit, et qu'il verrait cette défection comme un affront personnel. mais après tout, n'était ce pas justement cela ? bien évidemment que ça l'était. La chance de Renaud, c'était qu'il avait soutenu le Marquis lors du Concile, la ou Louis l'avait lâché, et désavoué. Peut être que cela serait un signe de bienveillance de la part de Renaud. Il ne répondit pas, un brin honteux en son fort intérieur, il devait se l'avouer. L'avenir dirait qui épouserait Renaud, et dans le cas ou ce n'était pas le soeur d'Aymeric, si les deux hommes parviendraient à passer au dessus de ce différend pour bâtir une alliance solide.

Avant que le Marquis ne prenne congés, Renaud reprit

"Pardonnez moi, il y a autre chose dont j'aurais voulu vous parler."

Depuis le retour de Léandre, une joie pour le fils qui avait idolâtré son paternel, il y avait des questionnements sur la légitimité de Renaud. Dès qu'il avait récupéré son père, Renaud l'avait très rapidement renvoyé à Erac. L'homme était très diminué, aveugle, et affaiblit par sa captivité, surtout suite à la torture que Nimmio lui avait fait subir, et dont il n'avait pas récupéré malgré le temps qui était passé

"Je sais que certains disent que le véritable Duc est Léandre, et que je ne devrais pas porter le titre. Tout le monde sait maintenant que c'est sous l'effet de la torture, que l'ogre à obtenu l'abdication de mon père. Aussi, pour mettre fin à tout cela, j'ai ici une lettre" Renaud sortit un parchemin de sa poche, dans lequel Léandre écrivait abdiquer "dans lequel mon père abdique de nouveau, en ma faveur. Cette fois, il n'a pas été contraint, mais il préfère profiter de sa liberté pour aider ses enfants restants"

Il fallait dire que le pauvre avait perdu ses deux fils ainés, ce qui n'était pas facile pour un père

"Pensez vous qu'il serait possible, lors de l'hommage, de recevoir le serment de Renaud en tant que Duc, et d'acter l'abdication de Léandre de manière officielle ?"

Et voila qu'après avoir mit le Marquis en porte à faux, il lui redemandait une faveur.

D'une main paterne, Aymeric entraina son voisin vers la sortie, marchant à ses côtés. Quand le jeune duc lui avait tendu le vélin à la tour et au faucon de la maison d'Erac, le régent s'était rétracté poliment, refusant le papier. « Il est des choses, cher ami, entreprit-il de répondre, que même la parole du Roy ne peut changer. Vous êtes le fils de Léandre, et Léandre votre père, c'est là une chose immuable. Les aléas de la guerre ont fait pourtant que vous ayez supplanté votre géniteur avant que Tari n'en réclame l'âme. Est-ce là une mauvaise chose ? J'ai moi même vu longuement votre père, et peux dire que le repos lui sera plus bénéfique que l'exercice du pouvoir. Oncques mais, il s'en trouvera toujours pour penser qu'aux modes nouvelles, ils préfèrent les anciennes, ou que le fils n'est pas à la hauteur du père. »

S'arrêtant un instant, Aymeric tenta de se figurer quelle était la véritable valeur de Léandre. L'homme avait toujours vécu dans l'ombre de son frère, le vénérable Charles, jusqu'à ce que ce dernier ne décède pour mieux abandonner son titre à une fille volage et un bâtard aveugle. Que penser d'un pareil seigneur, capable d'attendre des années durant que son rival ne soit plus un homme fait et puissant mais un enfançon sous tutelle, pour agir selon son droit et réclamer son bien, sinon qu'il est un lâche ? De même, que penser d'un homme se rendant sous la tente de son ennemi en plein temps de guerre pour y finir séquestré, sinon qu'il est un sot ? En vérité, être à la hauteur de Léandre ne serait pas bien dur.

« Rassurez vous cependant, conclut le marquis. Le Roy et moi-même savons bien qui a échoué à défendre son seigneur, et qui a réussi. Soyez serein : il faut que jeunesse se fasse - ce n'est pas sa Majesté Bohémond qui me contredira. »

L'aisance avec laquelle Aymeric parlait était enivrante. Renaud ne fut toutefois pas dupe, même s'il ne comprenait qu'à moitié ce qu'il se passait. Le Régent était en train de l'évincer en le raccompagnant vers la porte, et chemin faisant, il remit en question la façon de gouverner de Léandre, tout en complimentant Renaud sur les décisions que lui même avait prise depuis qu'il avait supplanté son paternel. le Duc d'Erac ne savait pas sur quel pied danser avec cet homme, et encore moins s'il cherchait à l'utiliser, ou s'il était sérieux dans son engagement.

Renaud était cruellement conscient aussi, que bien qu'ayant conservé leur alliance, en gardant le mariage entre sa soeur, et le frère du Marquis de Serramire, il avait déçu son homologue, et perdu de son crédit. Opportuniste qu'il était, il jouait un jeu dangereux, jeu ou il pouvait gagner énormément s'il gagnait, mais ou il pouvait également perdre très gros. Il devrait travailler pour essayer de forger la confiance qui devait être celle entre deux alliés, s'il voulait conserver cette entente durablement. Il se demandait si Aymeric se sentait isolé, et si cela ne faisait que lui traverser l'esprit, ou s'il avait déjà mis en place des stratagèmes encore secret. Cet homme était un mystère pour Renaud, qui ne le comprenait pas, mais qui désirait la recette de sa réussite

"Je vous remercie pour votre temps, et j'espère que nous nous reverrons bientôt. Gardez cet image de moi, en tant que bienfaiteur du Roy."

Et Voila que Renaud se retrouvait en dehors de la pièce, murissant ce qu'il s'était passé, et se demandant ce que l'avenir lui réservait.