Pari tendu. (Haldren)

Eté - An 11 du 11ème cycle - Mois de Karfïas

Le vent s'éleva, s’engouffrant dans les rues de la ville, rafraîchissant l'air et emportant avec lui les odeurs de la vie qui y grouillait. Ses cheveux suivirent la route de la brise, s'accrochant à son visage et à ses boucles d'oreille. Elle redressa sa capuche et continua d'avancer.
Le bruit était constant, mélange de conversations et d'activités urbaines. Nombreux allaient et venaient, semblant pressés de réaliser leur routine habituelle.

Quelques uns sortaient du lot, semblant imposer une quelconque respect au commun des mortels, fendant la foule comme si elle n'existait guère.

L'Elfe longeait les murs et les zones d'ombre, rôdant aux limites des quartiers les plus bas. Son attention s'attardait parfois sur les conversations et agissements de la foule. Sa capuche et ses cheveux sombres cachaient son visage sans difficultés. Habituée à rester discrète elle ne sembla pas attirer l'attention.

Sous ce masque, les yeux bleus de la femme scrutaient, curieux de trouver, peut être, quelque chose d’intéressant. Mais, à part les habituels trafics, sa première partie de journée fut vide d'informations.

Au bout de quelques heures, elle finit enfin par trouver de l'intérêt dans les murmures. Des bouts de conversations dispersées çà et là qui la guidèrent dans son activité productive de la journée. Si elle l'avait bien compris, un tournoi de gladiateurs avait bientôt lieu, offrant par la même occasion, l'opportunité de parier.

Du bout des doigts, elle tâta les quelques pièces au fond de sa bourse. Il ne lui restait presque rien. A peine de quoi se payer à boire.
La raison lui indiquait de tourner les talons et de chercher une activité plus lucrative et moins risquée pour son confort, déjà quasi inexistant. Pourtant, elle continua sa route, se repérant au peu d'informations qu'elle possédait sur le lieu et l'heure.

L'espoir irrésistible de gagner gros, l'envie de jouer, le besoin de risquer quelque chose, la faisait avancer machinalement au gré de ce qu'elle pensait être un véritable besoin.

Enfin, elle sembla y arriver. Au détour d'une rue, après une bourrasque un peu plus forte, quelque chose attira son attention.

Le Scorpion est un pnj apparaissant (entre autres) ici : https://miradelphia.forumpro.fr/t19976-les-gladiateurs-de-l-aile-blanche
Trois-Doigts et Gueule d'Ange sont les lieutenants d'Haldren au sein du gang, ils apparaissaient (entre autres) ici : https://miradelphia.forumpro.fr/t19790-des-miracles-dans-la-cour

Approchez, approchez ! Prenez place ! Aujourd'hui vous allez assister à un combat de gladiateurs comme il s'en produit rarement ! Deux athlètes, deux guerriers... que dis-je ? Deux titans font s'affronter dans un combat à mort ! Oui ! Oui ! Vous avez bien entendu ! Un combat à mort ! Le sable de l'arène rougira du sang du vaincu pour votre plus grand plaisir !

L'aboyeur public se dressait fièrement sur un tonneau devant la petite arène située en périphérie de Thaar. La foule qui bruissait autour de lui comme les vagues océaniques s'écrasant sur un rocher semblait nettement plus importante qu'à l'ordinaire. Rien d'étonnant à cela car un combat à mort entre deux gladiateurs constituait un événement dont toute la ville allait parler pendant plusieurs jours. La plupart des combats de gladiateurs se déroulaient sans mort d'homme, même si les blessures occasionnées pouvaient se révéler létales. Mais les combats où l'arbitre n'interromprait pas le combat jusqu'à ce qu'un des deux combattants soit réduit à l'état de cadavre ne s'organisaient en général qu'à l'occasion des grandes fêtes offertes par les Princes Marchands. Qu'un tel combat se déroule sur une arène secondaire prouvait que les organisateurs du combat souhaitaient faire monter la côte de leurs champions respectifs.

Tout du moins de celui qui survivrait.

Venez, venez, reprit l'aboyeur en beuglant comme un goret pour attirer le chaland. Les paris sont ouverts sous l'arche Sud de l'arène ! Deux combattants d'exception ! Le Scorpion, venu de l'école de l'Aile Blanche, affrontera l'Ours des Wandres, de l'école des épées brisées. Qui du venimeux Scorpion ou du puissant Ours terrassera l'autre ? Les paris sont ouverts, faîtes vos jeux ! Dépêchez-vous de placer vos gains puis rejoignez les gradins, des porteurs d'eau fraîche sont à votre disposition !

Haldren Baenfere eut un petit sourire en entendant la tirade de l'aboyeur. Le Scorpion face à l'Ours... décidément la populace de Thaar raffolait des surnoms pour ses gladiateurs préférés qui ne luttaient quasiment jamais sous leur véritable identité. Ces surnoms ajoutaient à l'ambiance d'excitation et le nombre de parieurs qui braillaient leurs mises aux oreilles des fonctionnaires chargés de les enregistrer faisait plaisir à voir. Beaucoup d'argent allait changer de main ce jour-là, car les habitants de Thaar ne pouvaient manquer de jouer leurs économies dans un tel combat où on leur promettait une belle mort bien sanglante. Il y avait de quoi désespérer du genre humain à les voir ainsi se ruer pour un spectacle aussi brutal, mais Haldren en prenait son parti d'autant plus facilement que ce combat l'intéressait au plus haut point.

Dirigeant lui-même une école de gladiateurs, il avait été à l'origine de la proposition de ce combat, bien décidé à faire monter en popularité son meilleur gladiateur. Le Scorpion était un ancien éclaireur elfe capturé par l'archimage avant même la bataille de Fort Eraïson et qui s'était tellement pris au jeu des combats et au frisson orgasmique de la victoire qu'il ne souhaitait plus revenir en Anaëh pour l'instant. Malgré tout, son adversaire serait un colosse wandrais invaincu à ce jour et qui semblait se rire de blessures potentiellement mortelles pour tout autre. Une masse de muscle sur pattes brandissant une hache qu'il maniait avec une célérité démoniaque, un adversaire qui même pour un elfe aussi agile que le Scorpion constituerait un danger redoutable.

Le Scorpion ne doit pas perdre, murmura Haldren à l'oreille de Trois-Doigts. Sa survie est importante à mes yeux.
Vous inquiétez pas chef, Gueule d'Ange est en place avec le miroir si ca se passe mal.

Satisfait, Haldren alla s'installer dans une tribune discrètement installée pour être peu visible des autres gradins. Il ne resterait à Thaar que peu de jours, son absence de Malereg ne pouvant se prolonger sans élever des suspicions, mais il lui paraissait inenvisageable de rater un tel combat où son poulain se trouverait engagé. Une coupe de vin fraîche à la main et confortablement installé sur des coussins moelleux, l'ancien Triumvir de l'Elda s'apprêta à profiter du spectacle.

Elle haussa un sourcil, apercevant enfin la foule, agglutinée devant l'entrée de l'arène. La voix du crieur portait assez loin pour couvrir le bruit des conversations et des exclamations. Les groupes se massant devant la porte était nombreux et semblaient particulièrement excités par la déclaration de l'homme chargé de les appâter.

Il paraissait évident, aux yeux de l'Elfe, que les combats de ce genre n’étaient guère courants en ces lieux. De toutes façons, elle n'avait guère prit le temps, auparavant, de participer à tel évènement.
L'annonce de l'ouverture des paris fit pétiller d'excitation ses yeux azurs. Elle se glissa à travers la foule, jouant des coudes et de son agilité pour avancer entre la masse.

Le Scorpion et l'Ours. Elle retint un ricanement. Ces noms, si ils ne lui étaient pas inconnus, lui semblaient comiques. Elle imaginait malgré elle ce combat, mené non pas par des humains mais par les animaux du même nom. Un instant elle ne songea plus à un duel sanglant, mais à une farce de la nature. La finalité de la scène était logique et tout autant évidente : le scorpion n'aurait aucune chance face à la puissance d'une patte d'ours. Peu de choses avaient leurs chances face à un ours.

Elyon suivait donc la foule pénétrant l'endroit. Les odeurs étaient fortes et lui piquaient le nez, aussi, elle accéléra autant qu'elle put pour se détacher de la masse grouillante des spectateurs. Elle suivit les indications du crieur public et se dirigea vers l'arche Sud afin d'y poser son pari.
Là encore, la foule s'agglutinait de nouveau et elle suivit le mouvement. Ses oreilles guettaient la moindre information sur les deux combattants. Très vite, elle se décida à où miser son argent.

" L'Ours. "

Si elle se fiait aux dires, cet homme était encore invaincu. Il lui fallait vraiment avoir peu de chances pour qu'il perde tout juste le jour où elle misait de l'argent dessus. Elle y avait d'ailleurs mit toute sa fortune, vingt cinq écus tout rond.
L'excitation montait en elle alors qu'elle s'échappait à nouveau du reste des spectateurs pour aller s'installer dans l'ombre, dans un coin surélevé et à l’abri des gens. Elle reposa son dos sur le mur derrière elle et attendit le début du combat. Son index gauche tapotait à un rythme régulier sur sa cuisse, signe d'une légère impatience.

Lorsque les deux combattants entrèrent dans l'arène, les acclamations retentirent dans tous les gradins, chacun hurlant pour encourager son champion et promettre une mort affreuse à l'adversaire honni. Cette cacophonie résonnait en écho sur les murs comme dans la gorge de quelque monstre titanesque ayant décidé d'avaler cette folie meurtrière des hommes. Haldren sirotait tranquillement son vin glacé tout en souriant face à cet engouement et en imaginant déjà la masse financière que représentait les paris engagés. D'après les dernières côtes affichés aux parieurs, le Scorpion n'était pas donné vainqueur ce qui lui assurerait des gains substantiels s'il arrivait à déjouer les pronostics.

Et il existait bien des moyens, légaux ou non, de déjouer les pronostics.

Lorsque le signal du début de l'affrontement fut donné, l'Ours fonça telle une avalanche sur son adversaire, abattant sa hache avec la violence d'un ouragan. Un coup tel qu'aucun bouclier, aucune armure, n'aurait pu y résister, mais le Scorpion avait déjà esquivé en se jetant de côté, plaçant au passage une estafilade sanglante sur le flanc de son adversaire avant de reculer de nouveau lorsque la hache revint vers lui dans une large coup balayant à hauteur des jarrets. Très vite il apparut que ce duel serait celui de styles totalement opposé, la force brute contre l'agilité.

Après quelques minutes de combat l'Ours souffrait de plusieurs plaies alors que l'elfe restait indemne. Pour autant, cela ne semblait ralentir ni la vitesse ni la puissance de ses coups, à croire que le corps du wandrais se riait du sang perdu. Haldren constata que les attaques de son champion portaient souvent au but mais sans jamais pouvoir blesser suffisamment son adversaire en pénétrant profondément les chairs car cela l'aurait obligé à rester trop longtemps à portée de la redoutable hache de bataille dont un seul coup l'enverrait au tapis. Le Scorpion devait compter sur son habilité à chaque passe d'armes, alors qu'il suffirait à l'Ours d'un seul coup réussit pour remporter le match.

Le champion de l'Aile Blanche commit-il une erreur ? Ou bien son adversaire eut-il un peu de chance ? Au sortir d'une roulade acrobatique durant laquelle il avait tailladé le bras du colosse, le Scorpion se prit en plein menton le manche de la hache qui remontait à toute allure. Envoyé en l'air par la violence du coup, l'elfe tomba lourdement au sol et pendant quelques secondes il perdit toute notion du lieu où il se trouvait. Quelques secondes de trop ? Levant son arme, le wandrais s'apprêta à l'abattre pour un coup fatal lorsqu'il cligna des yeux et fit un pas de côté, laissant le temps au Scorpion de se mettre hors de portée.

En plein soleil seuls des yeux extrêmement affûtés auraient pu voir l'éclat lumineux qui pendant une seconde jaillit d'un soupirail au niveau du sol de l'arène pour venir frapper le colosse en plein visage. Seul quelqu'un de particulièrement attentif et sachant garder à l’œil des éléments à la limite du champ de vision aurait pu voir les mouvements au niveau de ce soupirail et comprendre que quelqu'un y avait utilisé un miroir pour réfléchir les rayons lumineux et aveugler l'Ours pendant une fraction de seconde, lui faisant perdre son avantage. Or cet avantage ne devait pas se reproduire.

Troublé ou agacé, le wandrais commit alors une erreur, cherchant à reprendre le dessus et peut-être frustré car lui avait du comprendre ce qui venait de se passer. Poussant un cri de rage qui surmonta les encouragement de la foule, il brandit sa hache et fonça comme un taureau furieux sur le fluet elfe qui fit de même en brandissant ses longues dagues. Le choc paraissait inévitable mais à la dernière fraction de seconde le Scorpion fit un pas de côté alors que la hache s'abattait en le frôlant d'un cheveu. La hache s'enfonça profondément dans le sol mais ne se releva pas comme les fois précédentes, échappant des mains soudain trop faibles de son porteur. Lentement l'Ours se redressa et tous virent alors la poignée d'une des dagues du Scorpion qui dépassait de sa poitrine. Se tournant vers le vainqueur, le colosse tenta de faire un pas dans sa direction mais ses genoux fléchirent et tel un arbre abattu il chut au sol, soulevant un nuage de poussière.

Oui !

Haldren se leva et brandit le poing de satisfaction alors que l'arène exposait en acclamations que l'on du entendre jusqu'aux quais de Thaar. Face au colosse abattu le Scorpion salua la foule, savourant sa victoire tandis que ceux qui avaient parié sur lui en pleuraient de joie et scandaient son nom à tue-tête. D'autres au contraire regardaient d'un air effondré le corps inerte du vaincu en songeant sans doute à leurs économies qui venaient de s'envoler dans la poche des parieurs plus chanceux qu'eux. Nul doute que ce serait un combat dont on parlerait encore longtemps en ville !

Les exclamations du public étaient de plus en plus fortes quant, enfin, les combattants rejoignirent le centre de l'arène. Là où elle était placée, Elyon sentait le mur sous son dos et le sol sous ses pieds, vibrer au rythme des voix de la foule. Un brouhaha bien inutile selon elle. Ce ne serait pas ces noms hurlés à s'en s arracher la gorge qui changerait l'issue du combat.

L'Elfe restait donc silencieuse, attentive à ce qui l'entourait et au combat qui venait de débuter. Les deux adversaires étaient semblables à l'idée qu'elle s'en était fait. Le Scorpion, aussi agile que ce qu'en disait les bruits de la population, esquivait et tailladait les chairs de l'Ours avec une facilité déconcertante. Il était plus vif et rapide que son adversaire. Cependant, la brute qui se dressait face à lui, l'Ours, ne tiqua pas. Il se contentait d'encaisser les coups et d'abattre son arme avec une violence telle qu'un seul coup aurait suffit.
Le combat semblait tendu, les deux hommes semblant exceller dans leurs domaines respectifs.

Mais l'issue du combat était évidente : la force brute finirait par avoir le dessus. Un seul coup suffisait à mettre à terre le Scorpion. Alors que les nombreux coups de ce dernier ne semblaient guère avoir d'effet. L'Ours restait inattentif aux blessures qu'il avait subit, continuant inlassablement de faire retomber son arme sur son adversaire.
La technique finie par payer et l'Elfe se retrouva projeté et étourdit par la violence du coup qu'il venait de recevoir.
Elyon se redressa légèrement, absorbée par le combat. Il ne manquait que le coup fatal et l'Ours remportait la victoire avec une considérable aisance.

Mais il n'en fut rien. Les yeux de l'Elfe se plissèrent et elle aperçu l'aveuglante lumière qui éblouie son champion. Elle tourna la tête vers la source de ce flash, comprenant alors la situation.
Quant son attention se reporta sur les deux combattants, se fut pour voir l'Ours s'effondrer, l'arme de son adversaire enfoncée dans son torse.

D'un bond, elle tomba de son perchoir et profita de l’allégresse des uns et du désespoir des autres pour se diriger vers la source lumineuse. Elle le comprenait maintenant, le duel était truqué. La mort de l'Ours était prévue et elle ne comptait pas perdre son argent là dessus.
Elle songea un instant à aller secouer l'homme chargé de prendre les paris, mais la masse s'agglutinait à nouveau autour de lui. Voulant rester un minimum discrète, elle se dirigea plutôt vers le fameux soupirail.

A grandes enjambées déterminées elle atteint l'endroit rapidement et rabattit sa capuche, laissant maintenant apparents ses yeux bleus. Ils brûlaient d'irritation et elle parla d'une voix forte, arrêtant le premier individu qu'elle trouva.

" Un miroir ! Vous l'avez déstabilisé ! Il aurait dû gagner ! "

Elle fronça les sourcils.

" Ce duel était truqué ! Vous n'allez pas vous en sortir de cette façon ! "

Dans les tunnels qui longeaient l'arène sur toute sa circonférence, Gueule d'Ange rangeait tranquillement ses affaires et en particulier le miroir ayant servi à déstabiliser l'Ours durant le combat lorsqu'une voix féminine éclata violemment en accusations acerbes juste derrière lui. Se retournant d'un bond, le voleur se trouva nez-à-nez avec une elfe inconnue dont les yeux bleus étincelaient de colère. La surprise était totale, personne n'entrant habituellement dans ces tunnels qui servaient avant tout à récupérer les déchets lors du nettoyage de l'arène.

Quoi ? De quoi parlez-vous ? Et qui êtes-vous ? Vous n'avez rien à faire ici.

La poisse ! Cette donzelle devait avoir compris ce qu'il se passait, sans doute en captant l'éclair lumineux du miroir. Gueule d'Ange maudit le coup du sort qui lui mettait dans les pattes cette furie un peu trop intelligente à son goût. Dans d'autres situations il aurait probablement tenté de jouer de son bagout naturel et de ses charmes pour apaiser les choses, mais il soupçonnait que l'elfe venait de perdre gros dans les paris et que sa crise de colère résultait de cette perte. Inutile dans de telles conditions de prendre une attitude conciliante qui apparaîtrait comme un aveu de culpabilité.

Vous feriez mieux de partir et de cesser de proférer des accusations idiotes, mam'zelle.

Comme pour insistez sur ses dernières paroles, le voleur dégaina ostensiblement sa dague. Si la donzelle tentait de faire du grabuge en mettant en péril les résultats du combat, il allait falloir veiller à ce qu'elle tienne sa langue... d'une façon ou d'une autre.

L'individu nettoyait les traces de son passage. Le miroir en sa possession confirmait les dires de la demoiselle, faisant grandir en elle sa frustration. Ses traits s'étirèrent encore sous les pulsations de la colère.

Le visage de l'homme respirait l'escroquerie. Cependant, l'apparition de l'Elfe le surprit suffisamment. Un instant il sembla déstabilisé par la présence de l'inconnue. Elle planta son regard dans le sien.

" Je parles du fait que vous ayez aidé le Scorpion. "

Son ton c'était fait plus stable d'un seul coup. Cependant, la tension qui la travaillait paraissait à travers ses tics. Elle serrait légèrement les dents, les traits froncés et ses doigts, crispés au niveau de sa taille.

Son interlocuteur l'invita à partir avant de dégainer une dague. Elle arqua un sourcil mais resta stoïque face à la menace.
Elle ne recula pas, mais redressa son dos sans quitter des yeux le Tricheur. Sa main droite se referma sur le pommeau de sa propre arme.

" Idiotes ? Puisque vous ne semblez pas comprendre ... Laissez moi expliquer : Vous avez utilisé un miroir afin d'aveugler l'Ours. C'était l'action qui suffisait à le faire perdre. Sans votre intervention mal placée il aurait sûrement remporté la victoire. "

Elle tira sa dague et la saisit avec assurance. Sa voix sifflait de mépris et de colère.

" A mon avis, je ne suis pas la seule a avoir parié gros sur ce champion. Et tout autant à mon avis, vous devriez vous montrer bien plus coopératif. "

Elyon était sur ses gardes, les sens aux aguets, prête à analyser tout mouvement de l'individu en face d'elle.

" D'ordinaire, je suis bonne perdante. Je règle mes dettes, je joue le jeu ... Tant que l'adversaire respecte lui aussi les règles. Malheureusement, lorsque l'on essaie de m'entourlouper, ça me hérisse le poil. "

Elle fit un pas en avant, sûre d'elle.

Gueule d'Ange fit un pas en arrière, pas sur de lui.

Le voleur n'était pas un combattant dans l'âme et préférait la subtilité à la force brute, la magouille à la violence, les belles paroles aux menaces. Manque de pot pour lui, il se trouvait face à la pire espèce de pigeon dans le monde de l'arnaque : les "pigeons ayant compris qu'on les a pigeonné et ayant sorti leur arme" (PACOLPASA en abrégé). Face à ce genre de problème la meilleure solution constituait généralement en une fuite prudente vers des positions prévues à l'avance, à savoir la première porte qu'on trouvait.

Assez !

L'interjection éclata sèchement dans le souterrain. Les deux protagonistes se tournèrent vers le couloir sombre d'où sorti une silhouette élancée, qui s’avéra être un elfe aux yeux d'émeraudes où brillait présentement des éclairs de colère. Si Elyon avait de la mémoire, elle put alors se rappeler avoir vu cet inconnu dans l'une des tribunes d'honneur durant le combat. La richesse et la distinction de sa vêture tranchait avec le pourpoint un peu rapiécé du voleur, signe qu'il s'agissait d'un elfe ne manquant pas de biens.

Répandre votre tripaille au sol ne résoudra rien. Gueule d'Ange, tu as été bien inconséquent de trainer après le combat, tu aurais du filer immédiatement.

Penaud, le voleur hocha la tête sans oser répondre.

Quand à vous mam'zelle, vous êtes bien imprudente de venir lancer de telles accusations, fussent-elles justifiées. Qui vous dit qu'un de mes hommes ne vous tient pas en joue à cet instant avec son arbalète ? Êtes vous prête à mourir pour... vous avez perdu combien d'argent dans les paris, à propos ?

Le pas qu'elle avait décidé de faire fit reculer l'homme. Elle retint un léger sourire, satisfaite de sa réaction.

" Assez ! "

Elle sursauta légèrement et tourna les yeux vers l'origine de la voix, sans pour autant baisser sa garde. Après tout, une dague trônait toujours dans les mains de l'inconnu.

Un Elfe se dressait maintenant entre les deux interlocuteurs. Elyon le détailla du regard. Un petit frisson la parcouru et son instinct lui dicta de remettre son arme à sa ceinture. Elle fit rouler la dague entre ses doigts et la rangea. La présence de cet Elfe la mettait, sans trop qu'elle en comprenne la raison, mal à l'aise. Une aura étrange se dégageait de lui et le regard qu'il posait sur eux, vert et brûlant, était clair.

Quelques secondes plus tard elle se souvint l'avoir aperçu. Ranger sa dague était sûrement la bonne réaction à avoir : étant donné la place qu'il occupait dans les gradins un peu plus tôt, il devait s'agir de quelqu'un d'important.

Gueule d'Ange était donc le nom de l'homme au miroir. Encore une fois, elle retint un sourire. Cette fois, elle était amusée de voir à quel point ce nom lui allait.
Ni l'un ni l'autre ne sortait de son champ de vision, mais elle s'abstenait de regarder l'Elfe dans les yeux. De peur de le provoquer, sûrement.

Elle répondit à sa question d'une voix assurée.

" Pour vous, peu sûrement. Pour moi, suffisamment. "

Puis, d'un coup, son corps se tendit. Elle réalisait être en bien mauvaise position, seule face à ces deux personnages. Ils se connaissaient et à la façon dont l'Elfe parlait à l'autre, il devait s'agir de son supérieur.
L'attention d'Elyon se redirigeait peu à peu uniquement vers le nouveau protagoniste. Un pas en arrière plus tard, elle se sentait moins mal à l'aise. Plus proche d'une sortie. Un soupir s'échappa de ses lèvres et elle reprit :

" Je ne compte pas mourir pour une histoire de pari, non. Si l'un de vos hommes me tient en joue, grand bien lui fasse. Je suis ici pour m'assurer de récupérer mon argent. "

La jeune Elfe osa un regard à son interlocuteur, le fixant quelques secondes droit dans les yeux avant de détourner le regard une nouvelle fois. Définitivement, elle n'avait guère envie d'entamer un quelconque débat musclé avec lui ou un homme à sa suite. L'endroit ne s'y prêtait pas.

" Je ne tiens pas à faire éclater un quelconque scandale, les paris des autres ne m'intéressent pas. Si ils n'ont rien vu, tant pis pour eux. "

Elle haussa les épaules.

" J'apprécie suffisamment de parier pour refuser de me laisser embobiner si facilement. "

L'apparition impromptue de son chef de gang semblait avoir fortement remotivé le voleur qui fixait Elyon désormais sans la moindre trace de peur au fond de son regard. Comme souvent lorsque la peur disparaît, la colère la remplace et l'envie de se venger apparaît. Réflexe médiocre mais naturel que de vouloir faire payer celui ou celle qui vous a flanqué une telle frousse que votre vessie a failli prendre son autonomie de vidage. Avec un sourire mauvais, Gueule d'Ange s'adressa à l'elfe aux yeux d'émeraudes tout en jouant avec sa dague sur la lame de laquelle il faisait glisser son pouce calleux.

Chef, on se débarrasse d'elle ?
Gueule d'Ange... ferme-là... juste ferme-là. Ramasse ton miroir et fous le camp, tu m'agaces.

Le regard penaud de l'humain fit penser à celui d'un chien à qui on aurait arraché un os. Sans demander son reste il obéit, rangeant son couteau et ramassant son bardât avant de détaler dans le tunnel, sa silhouette se perdant rapidement dans l'obscurité. Le regardant disparaître d'un œil nonchalant, l'elfe marmonna autant pour lui-même qu'à destination d'Elyon :

Pourquoi les humains pensent-ils que tuer leurs opposants constitue la seule issue à un problème ? Sans doute leur vie courte les amène-t-elle à penser trop facilement à cette solution.

Haussant les épaules comme si cette question dépassait ses capacités de compréhension, l'elfe décrocha une bourse qui pendait à sa ceinture et la jeta entre les mains de sa congénère.

Tenez. Cela devrait compenser largement vos pertes.

Lorsqu'Elyon ouvrit la bourse, elle put constater qu'elle était en effet bien remplie de pièces sonnantes et trébuchantes qui brillaient agréablement à la lueur des torches éclairant le tunnel. Surprenante générosité de la part de l'elfe inconnu, bien que ses gains à l'occasion du combat truqué aient probablement représentés cent ou mille fois cette bourse. Une telle action désintéressée pouvait intriguer car la philanthropie ne faisait généralement pas partie des vertus attendues dans le monde du crime d'Ithri'Vaan.

Encore une fois, le ton de l'Elfe avait été clair. Elyon observa, d'un oeil attentif, Gueule d'Ange s'éloigner et disparaître dans le tunnel à l'opposé. Une fois qu'il fut sortit de son champ de vision, elle retourna une nouvelle fois son attention sur le chef de l'énergumène.

Elle s'étonna du point qu'il soulevait et arqua un instant un sourcil, perplèxe. Il lui fallut quelques secondes de réflexion avant de répondre, laconique :

" Sûrement. "

La jeune Elfe n'était ni en accord, ni en désaccord avec la réflexion. A vrai dire, elle ne s'était guère posé la question et ne comptait pas s'y attarder pour le moment. Ses préoccupations étaient toutes autres.
La facilité avec laquelle il lui jeta sa bourse lui sembla étrange. Il n'avait guère de réelles raisons de lui rendre l'argent qu'elle avait investit dans ce pari.

Lorsqu'elle ouvrit la bourse, une nouvelle fois, l'un de ses sourcils se redressa. Il y avait là, bien plus que ce qu'elle avait mit en jeu. Même si l'Elfe avait largement les moyens de s'offrir le luxe de laisser tomber une telle somme, Elyon ne comprenait pas ce qui le poussait à le faire.

Elle referma la bourse et la rangea sur elle d'un geste tranquille et sans un mot. Puis, elle leva une nouvelle fois les yeux sur lui. Ses yeux brillaient légèrement de curiosité et elle finit par ouvrir la bouche.

" Qui êtes vous au juste ? "

Aucune générosité n'est totalement gratuite, affirment les philosophes et sans doute ont-ils raison. A minima en retire-t-on bonne conscience, mais Elyon devait se douter que le mystérieux elfe ne devait guère avoir de problèmes de ce côté là. Lorsqu'on gravite dans le monde du crime, mieux vaut posséder un sens moral assez souple même pour ceux qui ne donnent pas dans les activités les plus sanglantes. La question d'Elyon demeurait toutefois pleine et entière : qui était donc ce mystérieux mais généreux inconnu qui semblait se trouver à la manœuvre dans les paris truqués pour les jeux de gladiateurs ?

Considérez-moi simplement comme un ami, répondit Haldren en biaisant volontairement.

Déjà du temps où il combinait ses magouilles en Ithri'Vaan avec sa position de Triumvir du Puy d'Elda, l'archimage demeurait assez discret sur son identité. Sa rencontre "douloureuse" avec Uriz et son exil du Puy l'incitait à conserver un profil bas, à ne pas laisser trop de monde savoir qu'il conservait une part active à Thaar. En particulier pas une inconnue qui n'était surement pas une simple commerçante au vu de la fluidité de son geste lorsqu'elle avait sortie sa dague un peu plus tôt. Nulle doute que cette lame constituait une partie de son gagne-pain... voleuse ? Espionne ? Assassin ? Mercenaire ? Difficile à dire avec précision mais cela incitait à la prudence.

Nous nous reverrons peut-être.

Saluant poliment Elyon, l'elfe recula dans l'ombre et disparut rapidement au sein des nombreux tunnels qui couraient sous l'arène. La journée avait été fort profitable et il lui tardait de retourner à Malereg avant que son absence là-bas ne soit trop remarquée.

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