[Le Cœur de l'Aduram ] Plongeon vers l'enfer

Tu aurais ri de sa tirade si tu y avais le cœur. Seulement, tu avais d’autres choses à penser, et les stratégies guerrières hâtives de Nakor n’en faisaient pas partie. L’archimage avait beau être âgé, il restait énormément de choses sur lesquelles il ne savait rien. La stratégie de survie dans un environnement comme celui d’Aduram était l’une de ces choses. Les stratégies de survie en milieu sauvage en règle générale devaient être l’une de ces choses… et en réalité, parce qu’il restait humain, il ne pourrait jamais les comprendre de la même manière que toi.
On n’affronte pas la nature comme on affronte une armée. On ne se prépare pas à faire face aux Ëalas comme on se prépare à faire face à un adversaire dont on peut anticiper les mouvements. Rien ne sert de s’inventer une formation militaire bancale face à des bêtes féroces, et encore moins face à des plantes traîtresses. Rien ne sert de faire semblant de compter les uns sur les autres lorsque l’on ne se connaît pas. Et rien ne sert d’essayer d’apprendre à se connaître lorsque le temps est aussi court.

- J’ai pris un risque calculé pour que l’on ne reste pas à regarder une meute de félins en chiens de Faïence pendant des heures. Sinon à quoi bon avoir des réflexes hors normes si c’est pour laisser une cible plus vulnérable que moi prendre des risques ?

- Si Dante n’a pas criblé cette pauvre bête de flèches, et si Glenn n’a pas égorgé celle que je tenais, c’est parce qu’ils ont assez confiance en eux-mêmes et en moi pour respecter les règles que je leur ai imposé, à savoir : de ne tuer qu’en cas d’urgence extrême.

- Et je suis désolé de devoir te le rappeler Nakor, mais on n’affronte pas une armée. On affronte une forêt dont le moindre bourgeon est une menace potentielle. Une formation efficace contre ce genre d’adversaire n’existe pas, et de toute façon, pour construire une formation efficace, il faut se connaître et se faire confiance.

Tes yeux se posent lourdement sur chacun des membres de l’expédition. L’un après l’autre. De l’un vers l’autre. Vous ne vous connaissiez pas. Vous ne saviez pas comment les autres fonctionnaient. Pire même, il y avait des tensions palpables au sein du groupe.

- Aucun d’entre nous ici n’est prêt à entièrement confier sa survie aux autres. Bâtir une stratégie sur le contraire, c’est demander la mort. Avancer, se battre, et survivre, c’est tout ce que l’on peut faire. De toute façon, la forêt aura vite fait de nous faire comprendre que pour survivre il faut que l’on maintienne les autres en vie.

Quand le danger sera réel, immédiat et mortel. Quand les véritables monstruosités de la forêt commenceront à surgir, à ce moment-là, l’entraide viendra naturellement, parce qu’à ce moment-là, la vie de Glenn sera celle de Dante, la vie de Nakor celle de Nehril, et la tienne leur joyau à tous.

- Donc on continue d’avancer vers le centre, et je ne ne vous demande pas vos avis.

Tes yeux traînent un peu plus sur le vieux mage avant de regagner le « chemin ».

- N’oublie pas que d’entre nous c’est moi qui possède le privilège d’Aînesse, Nakor.

Forcez la fuite de prédateurs aussi efficaces qu’une meute de Faïra, et nombre sont les créatures moins puissantes qui s’écarteront elles aussi la queue entre les jambes de votre chemin. Vous veniez de passer une première épreuve, une épreuve qui bien qu’elle serait loin d’être la plus difficile de ce parcours, se prouverait déterminante… ou du moins se serait-elle prouvée déterminante si Nakor ne s’en était pas mêlé. Incapable après plus de six siècles de comprendre que les actes parlaient plus que… ou non, que les mots détruisaient ce que construisent les actes.

- Je vais bien, pour l’instant. J’ai l’habitude de la Dissonance, ne t’inquiète pas, dans le pire des cas il suffira d’une pause pour que je reprenne un peu contenance.

Les actes parlent plus que les mots, et certains mots en eux-mêmes sont des actes. Les inquiétudes de Dante, puissent-elles avoir été fausses, n’en restent pas moins soulageants. Un peu de baume pour réduire ton agacement. Au moins lui semblait comprendre comment se tissait une véritable dynamique de groupe, comment on en venait, quitte à ce que ce ne soit au départ que comédie, à resserrer des liens. Parce que lorsque l’on est un petit groupe comme vous confronté à des dangers imprévisibles, il s’agit bien non pas d’établir une stratégie guerrière bancale, mais de créer des conditions d’interdépendance s’il on veut fonctionner ensemble.

- J’ai plus peur pour la santé mentale de nos compagnons s’ils continuent à trop réfléchir que je ne crains pour la mienne.

L’instinct. Tu comptes sur l’instinct plus que sur l’organisation. C’est pour cette raison que tu voulais de combattants rôdés et doués dans leurs styles respectifs. Puisque le temps était trop court pour se préparer, il fallait qu’ils puissent fonctionner à l’instinct. Et cette pseudo séance de préparation ne fait qu’encore plus t’agacer lorsque tu réalises que c’est là la parfaite manière de vous enlever cet avantage.
Mais tu ne dis plus rien. De peur que plus parler ne fasse que semer les graines de la discorde. Vous étiez assez à présent enfoncés dans la forêt pour qu’ils aient besoin de ta guidance après tout. Maintenant, ton autorité n’était plus seulement l’affaire de force, d’aînesse ou de présence. Quand la forêt était connue pour s’amuser à perdre ceux qui la foulent, respecter tes décisions devenait pour eux question de vie ou de mort. Surtout que la pluie avait emporté le soleil dans sa fuite.

- Il y a une petite caverne un peu plus loin. On s’y arrêtera pour passer la nuit. tu te retournes vers l’archimage Et une fois sur place, si tu pouvais m’aider à installer des pièges magiques pour sécuriser le périmètre je t’en serais reconnaissant Nakor.

À moins qu’il ne trouve quelque chose à redire à ton choix d’abri.