L'union du nord et du sud, du feu et de la glace. | Alanya de Broissieux

Un jour avant le procès

Diantra… à nouveau. Victoria ne pensait pas revenir dans cette cité aussi rapidement. Mais il fallait dire qu'avec la capture d'Altiom sans-terres, la guerre en Ydril s'était rapidement terminée. Les Sybronds furent renvoyés par le Régent à leurs pénates ce qui laissa à Victoria tout le loisir de s'occuper autrement que par la préparation de troupes ou tout autre stratégie militaire: en somme, dorénavant, elle s'ennuyait.

Diantra… à nouveau. Ici, elle avait rencontré bon nombre de gens. Des barons, des comtesses, des futurs marquis, un chancelier des plus malpoli, des gens du peuple, le Roy ou encore un maître mage complètement dérangé du ciboulot. Le retour de Bohémond en sa capitale ainsi que la nomination d'un nouveau régent lui avait permis de nouer de nouveaux liens… pas toujours cordiales mais nouveaux tout de même.

Et c'était justement l'une de ces rencontres que Victoria voulait recroiser à la veille du procès. La Comtesse avait appris que le nouveau marquis, fraichement nommé, plaiderait également durant celui-ci.  Que voulez-vous de plus pour que la curiosité de la belle suderonne en soit tout émoustillée?

C'était donc d'un pas léger, sourire aux lèvres, que Victoria s'en alla trouver le manoir où logeait le Saint-Aimé.

« Croyez-vous qu’il se souvienne encore de la blessure qu’il m’a infligée ?
- Je doute qu’il l’oublie un jour, Ma Dame.
- Forcément. Je ferais en sorte qu’il ne l’oublie jamais.
- Ne lui avez-vous pourtant pas assuré que vous ne tiendrez pas rigueur de ce… malencontreux accident ?
- Gregorio, après tout ce temps… vous ne me connaissez pas encore ?
- Au contraire Ma Dame, je vous connais parfaitement. C’est bien pour cela que j’estime nécessaire de vous rappeler vos propres mots.
- N’ayez crainte, mon cher. Je ne suis pas du genre à faire du mal à un bel homme. Je ne brûle que ceux qui n’ont aucun charme.
- Dois-je en conclure que vous me trouvez bel homme Ma Dame ?
- Vous êtes vieux Gregorio. Je ne brûle pas les vieux.
- Dans ce cas, je ferais bien de ne pas rajeunir. Nous y sommes. »

L’homme s’avança alors auprès des gardes. « Sa Grandeur Victoria di Maldi, Comtesse de Sybrondil, souhaiterait s’entretenir avec son Excellence Louis de Saint-Aimé, Marquis de Sainte-Berthilde. Si toutefois celui est disposé à la recevoir.
- Quels en sont les raisons?
- Discuter avec un vieil ami, est-ce cela suffisant comme raison?
- Je transmets votre demande, Ma Dame. »

Il ne restait plus qu'à attendre d'être accueillis.

« Êtes-vous sûre que c’est bien prudent ? Je pourrais faire mander son Excellence…».

Raffermissant sa prise sur la rambarde, la baronne se retourna vivement, sourcils froncés, vers l’outrecuidante servante. Ses joues étaient un peu creuses et son teint plus terne que d’habitude, pourtant la belle cacha fort bien son mal. Prise de nausées du matin au soir, le voyage vers la capitale avait été d’autant plus pénible qu’elle avait dû se battre avec son futur époux qu’il tienne à distance les charlatans et les médecins ; ces vautours tournaient autour du couple comme autant de mange-chiasse, si bien que leur simple vue lui faisait rendre tout son déjeuner. Mais là, gardant vaillance au cœur et presque forme au corps, Alanya s’était jurée de ne pas ralentir dans l’ordonnance de sa maison, de Sainte-Berthilde et d’Alonna. Portant lourdement le poids de la politique, elle écrivait çà et là ses derniers édits, comptait assidûment les dépenses et s’informait sur la terre qu’elle allait bientôt épouser.

Alors chaque jour, quand le brave Saint-Aimé préparait son argumentaire, elle prenait chaque problème à bras-le-corps, maudissant ses entrailles de se tordre autant et avançant le ventre vide. Des amants plus personne ne doutait l’intimité ; il partageait depuis leur venue pour le procès le même bâtiment et se mêlait au bas les fanions au Faucon et au Cerf. Laissant là la pauvresse, l’Alonnaise entreprit la descente avec prudence : la tête commença à lui tourner et les humeurs à monter bien haut dans sa gorge. Mais elle tint bon, après tout on l’attendait déjà dans l’entrée et elle avait assez traîné comme cela.

Au bas elle distingua deux formes. La première était de bonne stature, un homme à la moustache bien peignée et dont les atours ne trahissaient en rien la bonne mine, avenante quoi que réservée propre aux gentilhomme. Derrière lui se tenait une femme dont elle ne sut quitter des yeux. Elle était splendide ; jamais – ou presque – il ne lui avait été donné de voir une beauté pareille, et si la jalousie aurait pu lui prendre au cœur, il n’en fût rien cette fois-ci. Elle resta à l’admirer jusqu’à se porter à leur encontre, bien curieuse à présent de savoir ce que pouvait vouloir une dame d’aussi charmante allure à son fiancé.
« Votre Grandeur, l’on ne m’avait pas mentit sur votre ravissement. J’espère néanmoins que ma seule présence vous contentera ce jourd'hui car, hélas, son Excellence prépare le procès. Mais là rassurez-moi ! Vous ne l'aviez quand même pas prévenu de votre visite ? ». Sans d’autres ambages elle s’était exprimée en s’inclinant respectueusement, un sourire en coin. L'Araignée était à la fois taquine et pleine d'emphase, et elle espéra qu'en pénétrant dans sa toile, la resplendissante suderonne savait à qui elle avait à faire - au moins de réputation.

Une silhouette s’approcha, sa voix se faisait douce mais forte à la fois. Victoria ne put s’empêcher de la regarder, sans pour autant se montrer insistante, non, juste l’admirer et lui offrir, par réflexe, un léger sourire en échange.

« Non, votre honneur. Je n’ai point annoncé ma venue et je me rends dorénavant compte que c’est assez mal venu de ma part, veuillez m’en excuser.  Il est dommage que Sieur de Saint-Aimé soit absent, j’aurais bien aimé pouvoir m’entretenir avec lui concernant le procès, justement. Peut-être puis-je revenir plus tard ? Je ne souhaiterais point vous importuner. »

Alanya garda sa mine bienveillante. « Allons ! Ne soyez point gênée ! Après avoir fait le déplacement, je ne vous laisserais pas partir sans au moins prendre le thé - tout du moins si ma compagnie ne vous importune. Peut-être vous serais-je d'une quelconque aide ; ce maudit procès commence à m'ennuyer davantage encore que vous autres ». Elle éclata d'un petit rire, un rire apprécié par la Comtesse qui ne put s’empêcher de l’accompagner. Elle se reprit, calmement, avant d’enchaîner : « Je vous remercie de l’invitation et je suis bien tentée de l’accepter si tant est que le thé soit froid. Cette chaleur commence à devenir insupportable, vous ne trouvez pas ? » Invitée à l’intérieur, la jeune Comtesse lança un bref regard à son conseiller qui la suivait de près. Victoria avait entendu parler de cette baronne, loin, là, quelque part au Nord et si elle n’avait point vu récemment un portrait de tout ceux susceptible de participer au procès, jamais n’aurait elle eu l’opportunité de la reconnaître. C’était donc à cela que servait ce petit regard, accompagné d’un sourire : un simple merci pour l’avoir ainsi préparé à la rencontre de notables qu’elle n’avait encore jamais rencontré auparavant.

Elle hocha la tête et conduit la modeste délégation vers un salon coquet mais rudimentaire : la maisonnée était une résidence de passage qu'ils n'avaient encore eut le loisir d'habiter sereinement, préférant à cela les entrées victorieuses dans la Grande Ville ou les tristes procès - quoique mérités. Il ne fallut pas long pour que se pointe une petite servante qu'elle envoya dare-dare en cuisine chercher quelques pâtisseries pour patienter en attendant la réconfortante et fraîche boisson. « Êtes-vous angoissée par ce qui vous attend demain ? J'ai bien cru entendre que Soltarii ne démordait point encore avant d'arriver ici. Voilà une bien drôle d'histoire, après tout ».

S’installant suite à l’invitation, Victoria attendit patiemment que la servante vienne la servir. Son regard se posa une nouvelle fois sur la Baronne qu’elle trouvait fort agréable au regard. « Angoissée ? Non. Pas vraiment. Certes, ce sera ma première participation à un procès d’une aussi grande envergure mais nous nous y sommes préparés au mieux. Sieur de Saint-Aimé semble s’y préparer fortement aussi. » C’est là, enfin, qu’elle se posa la question : que faisait donc la Baronne ici ? Là où était sensé loger le régent du Berthildois. Sa curiosité piquée au vif, Victoria commença à s’imaginer moults scénarios.

A pas feutrés, la délicate jeune femme s'approcha proposer ses gâteries. Empêchée par ses récurrentes nausées, la Broissieux refusa poliment, cachant chichement son dégoût face aux mets pourtant appétissants. Son estomac se souleva un peu, avant qu'elle ne reprenne un contrôle modéré sur cette foutue santé. S'installant plus confortablement, elle glissa un regard vers l'homme qui n'avait pas encore ouvert la bouche. Voilà un bien drôle de compagnon ! « Son coeur est juste, et par les Cinq, jamais il ne laissera terres et titres à des malhonnestes. Sachez que nous vous soutenons tous deux. » . La comtesse était presque hypnotisante. « Et si nous pouvons faire quoique ce soit... ».

Gregorio décida de rester debout, fidèle à lui-même, près de Victoria. Son visage était neutre et n’exprimait rien d’autre que le strict respect nécessaire à leur hôte, du moins, jusqu’à ce qu’elle en vienne à parler du procès. « Nous vous remercions pour votre soutien, votre Honneur. Nous ne pouvons qu’apprécier d’être ainsi soutenu et espérant que la Chancellerie, ainsi que notre Seigneur Sa Majesté le Roy sauront se montrer à l’écoute de nos problèmes actuelles. Nous avons appris que tardivement que le Berthildois participera également au procès mais nous ne connaissons point les raisons. Pouvez-vous, éventuellement, si cela vous est permis, de nous éclairer? »

Surprise de lui avoir trouvé une langue - bien plus habile qu'elle n'avait pu l'imaginer -, elle se tourna doucement arborant le même sourire apaisé. Nul doute qu'il couva la belle dame, car son ton quoique parfaitement adapté, laissait entrevoir pour les yeux acérés de la baronne une affection sincère pour sa maîtresse. Voilà qu'elle put s'estimer chanceuse : les gens serviables étaient bien trop rares par les temps qui courraient. « L'invitation nous ai parvenu tardivement, sans compter qu'au retour de notre campagne sur les félons nous avions chacun fort à faire avant de repartir. ». Evitant soigneusement de mentionner son indisposition, elle renchérit calmement. « Vous avez là un valet dévoué Madame. Puissiez-vous le garder auprès de vous, il serait un sage gardien ».

Gregorio ravala un subtil commentaire. Un simple valet ? LUI ? Son visage se crispa en une légère moue contrariée mais ne fit aucune remarque. Victoria elle, ne peut s’empêcher de rire en le regardant. « Voyez Gregorio, je vous ai déjà dit de vous accoutrer autrement. L’on vous prend toujours pour mon valet ! » Celui-ci ne préféra pas réagir, laissant un petit instant de silence le temps de laisser la Sybronde continuer son rire. « A l’avenir, je tâcherais de me vêtir autrement, votre Grandeur. » Puis il s’avança jusqu’à la dame des lieux, l’invita à lui donner sa main pour qu’il y dépose un baise-main sans que ses lèvres n’en viennent à effleurer sa peau. « J’en ai oublié les convenances votre Honneur, je me présente : Gregorio d’Iree, seigneur d’Iree en Sybrondil, fidèle conseiller de sa Grandeur, ici présente. »

Levant un sourcil, l'hôte n'en déperdit pas le sourire ; quelle curieuse contrée que le sud ! Si elle en avait vécu un bref échantillon, la plupart de leurs mœurs particulières lui échappaient encore. Pour peu que la comtesse ne s'en offusqua, c'était bien là le principal. L'égo du conseiller pourrait dormir encore un peu. Lui adressant un regard ravi, elle s'empressa néanmoins de se confondre en excuses : « Cela m'apprendra à juger un gentilhomme à sa bure. Puissiez-vous, messire, trouver en votre cœur de quoi m'accorder votre pardon ». La baronne n'usa pas plus la patience de son invitée prestigieuse, lui offrant dare-dare sa pleine attention alors qu'arrivait à point nommé le thé glacé. « L'on m'a dit votre Grandeur, que vous connaissiez Louis ? »