[Surface] Par le sang, la bête alléchée... | Kahveka

Quelque part au sommet du Puy_ Karfias, Hiver de l'an 852:X

Les questions s'en vont, les questions s'égarent, les questions ne souffrent pas l'action ! La douceur du givre m'appelait. Ce maudit Puy, ce Puy adoré ! Deux ennéades que je ai quitté tes entrailles ! Tu me manques déjà mais je suis satisfait : une bête a péri, une autre arrivera. Bien sûr, après tout, qui résisterait au doux appel d'une chair offerte ? Patience. La patience me dictait ma conduite. La patience m'avait fait cherché pendant des jours, avant de tuer ce petit animal ridicule : indigne de ma lame, indigne de Zhak'Bar ! Il n'en servirait pas moins Ses dessins. Ainsi, les boyaux de ce petit carnivore - de plus de deux cents livres, je crois ? - gisait, plusieurs mètres sous moi, sur une large corniche. Pas une prise digne, non, trop vulgaire, mais elle servira à trouver mieux ! Les bourrasques glacées criaient, lacérantes, lacérées par la roche à vif, si avide de chaleur... Porteraient-elles le doux fumet loin ? Oh, mais j'y comptais bien... Pelage carbonisé et lacérations ne laissaient pas l'odorat indifférent, pas celui si fin des créatures vivants en ces lieux... Peu importe le froid, peu importe l'obscurité, peu importe la distance, les bêtes savent trouver leur pitance. Et ainsi, la patience donnait la mesure.

Niché plusieurs mètre au dessus de mon appât, dans un renfoncement rocheux atteint non sans mal - mes gants, mes gants ! Sans eux j'aurais laissé une piste bien sanglante sur les arrêtes rocheuses -, j'étais à l'affut, fondu dans la pierre, deux yeux rouges guettant par delà la protection des fourrures dont j'étais couvert. La berceuse du sommet su Volcan ne m'endormait plus depuis longtemps, oh non ! J'observais la moindre infractuosité, le moindre chemin hasardeux le long de parois abrupte. La patte sûre, l'équilibre certain, il en fallait pour ne pas périr d'une stupide chute ! Cela survenait si vite ! Ainsi périssent les impatients...

Combien d'heures ? Je ne savais, j'avais arrêté de compter après 3000 frémissements musculaires il me semble. Les défis du Prime Dragon m'avaient enseigné bien des choses. Qu'importe la douleur, qu'importe la fatigue, qu'importe la frustration... Le chasseur attend. Ma tête bougea à peine alors que je percevais l'approche de minuscules silhouettes sombres s'empressant le long de l'abîme, aux plaies couvertes de neige battues par les vents, ayant repéré le banquet abandonné. Je devinais mes lèvres se relevant, découvrant mes crocs. Garnissez la table, petites bêtes, rien de mieux qu'un appât frémissant. Les minuscules dents attaquèrent la carcasses, s'en disputant les plus tendres morceaux. Ce que l'occasion devait être belle pour eux ! Amuse-bouche, amuse-gueule... La patience me tenait toujours la bride...

Le rire monta soudain, mais je le retins, l'ayant aperçu - ce qu'il s'était approché, l'élégant ! - : là où les mouches n'étaient que confusion, lui était efficacité. Les charognards, trop ravis sans doute, ne virent rien, enjoués qu'ils étaient à fourailler les chairs. Le félidé bondit, saisit un premier entre ses crocs, fit craquer sa colonne vertébrale avant de le lâchant pour mieux se jeter sur un second, le troisième déguerpissant enfin. En une fraction de seconde, le temps de cligner des paupières, le félin s'était emparé de la carcasses et de deux en-cas. Je ne pus retenir mon excitation, ma main serra le manche de ma lame... Inspiration, expiration... Air chassé, je raisonnais : pas assez. Dans la force de l'âge oui, magnifique, glorieux même !... Mais qui sait quelle autre bête viendrait ? J'étais là depuis si peu de temps... J'humais l'air vivifiant. Inspiration, expiration... Oui.

Perché à plusieurs mètres au dessus du carnassier attaquant la carcasse, le chasseur attend.

Entre sa demeure et l’un de ses entrepôts, peut-être dans la sanguette, là où les crevasses travaillées à grands coups de masse pourraient se donner comme endroit propice à cacher ses prochaines richesses. C’est que, la somme se montra plus que coquette pour la tête de cet homme! Autrement que le prix, ainsi que le nom du condamné, Kah n’avait guère fait demande de plus d’informations. Un règlement de compte, ou un rival gênant qui devait disparaître … Qui sait ? Et la Dothka avait ça pour elle : les informations se troquaient entre les membres comme du bon pain, servant les intérêts de ses membres comme s’ils ne formaient qu’une seule et unique lame, impitoyable et inquisitrice. Ainsi, l’homme à occire était l’un de ces chasseurs émérites … C’était ennuyeux, car le pistage était l’adage de ces giboyeurs, à être à l’affût de toute approche suspecte. À voir un coup d’avance sur leur proie, de sorte qu’iceux n’en viennent à inverser les rôles et faire d’eux les prédateurs … Leurs réflexes mimaient ceux des fauves qu’ils chassaient comme les éphémères le feraient d’innocentes sarcelles … Une attaque franche et directe, entre deux caniveaux, était à éviter. Car s’il fallait que l’heureux élu ait le malheur d’être doué aux armes –ce qui était dans le contexte, fort probable-, c’est dans de beaux draps que Kah se serait glissé consciemment.  Plutôt, il devait attendre à ce que cet homme porte sa pleine attention à autrui, à un gibier de taille, par exemple …

Ce moment vint bien assez tôt, lorsqu’un beau jour d’hiver, ledit chasseur quitta la faille du Vatna en quête d’un gibier à la mesure de celui qu’il servait : le fils cadet de Natha, le dieu destructeur Zhak’Bar! Ainsi démarra pour les deux sombrelfes une traque de tous les diables : un envers une dangereuse bestiole et l’autre, envers le premier drow. Si tout allait bien, peut-être que son poignard ne verrait pas même le jour hors de son fourreau et que la bête chassée ferait pour lui tout le travail! Dans tous les cas, Kah se devrait de jouer la carte de la prudence : il attendrait, comme la cible de son contrat, le bon moment pour frapper.

Les lieux s’accumulaient depuis qu’ils avaient laissé le Puy dans leur sillage, et déjà, quelques réserves commençaient à poindre. C’est qu’il n’avait guère habitude à accomplir ses missions dans de pareilles situations : un vent impétueux, froid à en mordre les chairs et une neige aussi abondante que dérangeante dans une terre aussi impitoyable que dangereuse. Non, tout était idéal pour la traque !

Des heures … Des heures et des heures que ce con patientait, immuable, sur son rocher. Depuis le temps, Kah aurait eu le temps de le tuer, de le vider et de le remplir de neige à en faire le plus réaliste des bonhommes! Pourtant, rien. Il patienta, lui aussi, couché à même ce tapis gelé et humide que composait sa cache enneigée. Son gibier à lui serait un jour tenté par son propre appât, prêt à bondir et à abaisser toutes ses défenses au profit de sa proie, qui héritait au passage de l’entièreté de son attention.

Patience. On se pèle, mais tantôt, c’est dans une mare de joyaux que Kah saurait se réchauffer.

Chair et muscles déchirées tels de la mauvaise herbe arrachée... Ce que tu es magnifique... Le grand félin se nourrit, maître du butin, tandis que le temps file encore. Les ombres s'allongent et se répandent. Un doute m'assaille : y aura-t-il un meilleur défi ? Ou s'en retournera-t-il le ventre vide en me laissant la lame vierge et blanche ? Froid et doute me mordillent, m'assaillent, me harcèlent... Et puis passent, alors que je m'appaise, certain. Cette occasion ou une autre, ce ne serait pas la première fois que ma chasse se poursuit, insatiable, exigente. Que deviendraient tes servants s'ils dormaient dans des draps de soie ? Je m'enveloppe du froid et de la nuit tombante. Patience est ma maîtresse. Zhak'Bar est son maître.

Soudain, l'animal redresse la tête et un feulement monte vers moi. Je demeure immobile. Pas de frémissement, pas de précipitation. Comment pourrait-il m'avoir vu... ?! C'est alors que je l'entend : ce suintement, une griffure sur la pierre. Oh, ce n'est pas moi. Sans réfléchir je bondis, m'arrachant à mon immobilisme. Mes muscles hurlent, mes os craquent, ma peau se fendille. Mon élan est réduit par mon manteau, agrippé par quelque chose. Dans un déchirement je tombe à l'horizontal vers le félin qui s'enfuit, une petite carcasse dans la gueule. J'atterris lourdement dans la neige tapissant la roche, me redresse aussitôt malgré la douleur et me retourne... Ecarquillant des yeux à sa vue : là, sur la pierre noire, une masse velue et sombre darde une gueule fumante vers moi. Un unique oeil me fixe. Au dessus de là où je me tenais, un long bras musculeux et griffu m'a manqué de peu. Des boyaux de la terre il surgit... Un kerkand.

Mais la bête descend de son perchoir. Du tranchant de ses doigts elle s'agrippe, descend, glisse et saute maladroitement. Je recule, reconsidérant la largeur de la corniche. Une chute arriverait si vite... Gloussant, j'esquive un premier coup, puis un second alors que le monstre s'avance, me domine de sa stature. Je jubile. Grand et fort, voilà ton trésor, Prime Dragon ! Un pas maladroit et le coup suivant porte, que je bloque ridiculement de mes lames. Ridicule que de croire que je peux l'encaisser, mon avant-bras et ses protections de fourrures sont lacérés. Je suis propulsé contre un mur telle le jouet d'un enfant colérique. Mon air est jeté de mes poumons sous le choc, les arrêtes rocheuses agressant mon dos, malgré les couches de protection, tandis que l'animal rugit sa satisfaction. La peau que le feu brûla il y a longtemps décide de s'en rappeller la caresse pernicieuse. Frémissant, j'admire le prédateur. Son poil tigré aux nuances argentés accroche les rayons lunaires. Son souffle puissant doit retentir dans toute la faille. Grandiose... D'une roulade, je le laisse s'écraser à son tour contre la roche, non sans lui lacérer les jambes au passage.

Sa rage se fait entendre avec la même grandeur que d'autres rugissements mêlés que j'entend alors. Reculant encore précipitamment, je me risque à regarder par dessus mon épaule un bref instant. Là, plus loin, le félin est aux prises avec quelque chose d'instistinct, dans la tourmente blanche. Un autre râgeur... ? Un énième s'est bel et bien fait connaître, sans que je l'aperçoive encore. Des pas lourds me rappellent le mien et je recule de plus belle, appréciant les couteaux bestiaux qui passent si près de m'écharper. Vivant comme mort, ta fougue Lui plaira !

Il remua des orteils, encore et encore. Et ce ne fût que pour s’assurer qu’ils ne s’étaient pas égrainés dans ses bottes. L’étape du froid, du picotement, de la douleur, c’était maintenant du passé. Ce cap, il l’avait passé depuis des heures déjà. Son corps tremblait, il grelottait comme un petit animal resté trop longtemps sous le porche d’une maison. Ses dents, pour ce qu’il en resta à force de les grincer les unes contre les autres, se marièrent ensembles sous la pression de sa mâchoire crispée. Et la fatigue, que dire de la fatigue, qui commençait à poignarder sa conscience sans le moindre scrupule ? Ses paupières étaient aussi lourdes que pesantes et il sentait la fatigue l’emporter sur sa volonté.

Un dernier coup de vent, une ultime rafale glaciale, et ce fût les ténèbres.

Il ouvrit ses paupières avec difficulté, sentant le givre collées contre ses paupières lui grafigner la peau. Ses lèvres, fissurées par le froid, lui arrachèrent un feulement plaintif. Mais ce ne fût pas le plus dérangeant. Ce qui l’agaça le plus, c’était cette pluie humide qui lui coula dans le cou et sur les joues … Cette pluie humide … Pluie … Humide … Étendu de tout son long sur le ventre, il ne sut comment, mais congelé il trouva le moyen de rouler sur lui-même et ainsi, tomber face à face avec celui qui le dévorait des yeux depuis peu.

Un kerkand.

Ses yeux s’écarquillèrent comme des billes et ses mains craquèrent sous la pression qu’elles firent contre les manches des poignards à sa ceinture. Alors, le hurlement tonitruant de la bête retentit dans toute la vallée, faisant même vibrer les quelques montants de neige qui habillaient les rochers. Kah s’en vit le cœur lever, tant l’haleine fétide de l’animal vint se buter contre son visage raidit par le froid et l’effroi. Sans faire ni une ni deux, il fit valser ses deux lames contre les pattes arrières de la créature, qui dut regretter ne pas avoir croqué son repas plus tôt. Le cri de l’animal, plus féroce encore que le dernier, intima presque le palpitant du drow à s’extirper de sa cage, tant il se sentit menacé par ce dernier. Dans un mouvement laborieux, dû à sa position par trop longtemps prolongée contre le sol, Kah hérita d’une prime taloche de l’animal en guise de politesse, s’en faisant chasser à deux pieds plus loin. Un gémissement plaintif plus tard, il se redressa dare-dare sachant que les secondes à se lamenter contre le tapis immaculé de neige pouvaient lui coûter le prix de sa vie. L’animal creusa le sol de ses pattes arrière, puis bondit comme un fauve, soulevant sa masse de gras et de muscle d’une aisance telle, qu’il s’éloigna du sol d’un bon mètre. Cette fois, ce fût à son tour, de se projeter lui-même plus loin afin d’esquiver l’impact de l’animal ; et il avait échappé belle, peu s’en fallut pour qu’il n’en finisse écrabouillé comme une crêpe. La neige, derechef, vint tapisser la tenue du drow qui désormais ne montrait plus guère de signes de somnolence et avait repris pleine possession de son corps engourdi.

Du saut de la bête, le neige termina de retomber en fine pluie, alors que l’animal venait enfin de réaliser qu’il n’avait pas sous ses pieds l’homme qui devait constituer sa pitance de ce jour-là. Courroucé, par ses arrières-pattes lacérées, mais aussi embêté de le voir s’esquiver à ses attaques, le Kerkand chargea vers le Drow sans plus se soucier de l’état dans lequel aurait sa viande une fois qu’il en aurait terminé … Un regard à sa dextre, puis sa senestre : aucune issue. Il empoigna le manche de son poignard de toutes ses forces, affronta du regard la bête qui le chargea puis lança le coutelas en espérant le voir freiner sa course. Ah, oui, l’arme se ficha bel et bien dans l’épaule du bestiau, mais rien n’y fit : il continua tout de même son assaut au travers l’épaisse neige. Maître des ombres, Kah l’était toujours, mais maître de ses déplacements, un peu moins. Un coup de tête lui octroya le titre de voltigeur du dimanche, s’envolant quelques bons pieds plus loin et le dévala la colline sur laquelle il observa depuis tant d’heures la cible de son assassinat. N’eut été du matelas de neige dans lequel il s’enfonça complètement, probable que ce coup qu’il reçut aurait été le dernier de sa longue vie …

Bien que vivant, mourir était toujours envisageable, car nos deux compatriotes Drow étaient désormais prit en tenaille par ces deux redoutables bestiaux …

Aux griffes animales je réplique par le tranchant d'une lame. Cinglant mes oreilles, l'animal rugit, alors que je me détourne. Prendre de la distance, gagner du temps, préparer... Oh ? Le voilà donc ce deuxième ? Me tournant le dos ? M'esclaffant, j'agrandis tant que je peux mes enjambées, poursuivis par le craquement dans la neige de lourds pas. Profitant de la pente, je bondis ! Et grimpe sur le large dos de la bête, le rire aux lèvres. Vivifiant, ahurissant et mortels, tels sont Ses défis ! Un infime instant où la bête lutte pour garder l'équilibre, puis se contorsionne pour me lacérer les chevilles. Mais déjà elles ont quitté ses épaules dans une pirouette, et je me réceptionne plus bas, roulant, bouffant de la neige à tout va, avant de me remettre debout dans une torsion. Me plantant dans la couche de neige, je range ma lame et me prépare...

Mais mon regard accroche quelque chose. Une masse, là, dans le creux. Le félin, que j'ai perdu de vue ? Un mouvement de sa part et je me fige un bref instant... Avant de m'esclaffer de plus belle. Par le Destructeur ! Un autre daedhel sur mon terrain de chasse ! Le temps n'est cependant pas à l'hésitation, alors que les deux géants arrivent, impatients de se remplir la panse de notre chair. Qu'ils attendent !

"Bienvenue dans la chasse, frère !" je jette avec bonne humeur à l'inconnu.

Les secondes sont comptées, la menace charge, gueules béantes et griffes saillantes. Le corps pulsant, mes bras et jambes prennent vie, prestes, puissants, exécutent une chorégraphie connue de moi seul alors que j'attire autant de magie que possible. Beaucoup sans me brûler, rapidement sans me précipiter ! Un précieux équilibre dont j'ai goûté l'échec il y a bien des siècles. Mon dos ne saurait me laisser l'oublier ! Ceux des massifs kerkand se contractent, leur musculature prédatrice préparant le coup pour abattre leur pitance drow.

Et soudain, j'embrase le tout. Un cône de feu rugit, prenant naissance devant mes paumes tendues, faisant fondre, bouillir et s'évaporer en un claquement de doigt la neige au sol, alors que je dirige les flammes vers un prédateur, puis l'autre. Ces derniers râlent de plus belle, mes yeux croyant discerner leurs poils roussissant... Malheureusement pour moi, l'environnement est humide. La vapeur gêne bientôt ma vue... Et sans que je comprenne comment, je perds pied... Ah ! La bouillasse ! Mon feu disparaît alors que ma concentration m'échappe et que je m'écrase dans de la neige en partie fondue.

"Ô Dragon, ton souffle n'est pas toujours la réponse la plus appropriée !" je glousse en me relevant.

Ah, que la bestialité des kerkands m'est plaisante à voir... Ils ne cessent jamais bien longtemps de chercher à vous écharper. Pas même quand une partie de leur fourrure a cramé.

Noyé dans près d’un mètre de neige humide, combattant à la fois le froid mordant de cette merde blanche et l’incendie qui torturait ses entrailles suite à l’impact du Kerkand, il souhaita ne jamais avoir acquiescé à ce contrat. Tout ça, c’était bien plus que tout ce que le jeune drow pouvait endurer pour venir à bout d’une cible aussi opiniâtre que l’était Urgoll. Enfin, s’il ne désirait pas qu’on retrouve sa dépouille congelée au printemps venu, il lui fallait passer outre les affres de sa conscience meurtrie. Il naga à peu près dans cette bute enneigée pour se sortir la tête et constata à contrecœur qu’Urgoll se débrouillait d’une maître main contre les bestiaux et que, son plan de le voir périr contre ces créatures qu’il chassait était maintenant plus qu’incertain, voir même improbable.

Peste soit cet odora exacerbée! À peine remit de ses émotions, au moment exacte où Kah refit surface, il revit son Kerkand à lui se retourner vers lui, chargeant tel un taureau qui voyait rouge. Et … notre assassin dut s’avouer bien désemparé d’un tel empressement. Ses couteaux étaient désormais histoire ancienne, délaissés dans les tréfonds de cette neige flottante et le temps lui manqua pour toute autre solution. Son regard se heurta contre celui du prédateur, y voyant dans ses iris le reflet de sa propre mort et celui de son salut, prêt à rejoindre l’Elghinnirir. Ses paupières se refermèrent pour couvrir sa vue et, appréhendant ce moment où il serait emporté d’une croquée, il sentit à la place une bouffée de chaleur telle qu’il en avait déjà ressenti aux forges de lave. Un dragon seul n’aurait su égaler l’amplitude d’une telle flamme … Même éloigné de plusieurs bons mètres, il dut se couvrir de son bras, de peur que sa peau détrempée par la neige ne brûle sur place face à une telle conflagration. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il ne vit plus rien : la chaleur générée par ce souffle avait généré un nuage si dense et large de vapeur, que tout leur terrain de « jeu » en fût recouvert. Lorsque se dissipa la fumerolle, Kah en resta bien pantois … Un couloir rocailleux et dénudé de tout son tapis immaculé sépara le cracheur de feu du spadassin et, entre eux, gisait raide mort, l’un des deux Kerkand. Kah avait la vie sauve, mais pouvait-il en dire autant du sorcier, qui n’avait accroché de son feu qu’en superficie l’animal ?

Bien remonté, le dernier kerkand abaissa le museau et fonça tête première vers Urgoll, qui dut in extremis esquiver l’assaut pour ne pas s’en voir oblitéré. Sur le coup, Kah sentit ses joues se rehausser, prêt à éclater d’un ricanement euphorique : il avait échappé à la mort et voilà que son sauveur, l’homme qu’il se devait d’occire, allait peut-être y passer! Tout était parfait, vraiment … Excepté qu’il se sentit acquérir un semblant de sentiment de remord … Un dette, ça se payait, surtout lorsqu’elle concernait la vie d’un homme … Kah observa Urgoll patiner à peu près sur ses petons pour ne pas y passer et il constata que son crachat enflammé l’avait franchement éreinté …

Il ravala son orgueil, farfouilla dans une de ses poches de mantel, puis en dénicha une étroite boîte rectangulaire, dans laquelle contenait 3 flacons retenus par de petits anneaux de bois. Précipité, bien qu’en s’appliquant tout de même, Kah délivra l’une de ses fioles de ses entraves, se secoua les pattes, puis conquis à grandes foulées la distance qui le séparait d’Urgoll et de la bête. Son bras prit son élan et d’un lancer qui ne fit guère défaut à la précision, le flacon explosa directement à l’arrière du crâne du Kerkand, faisant par la même occasion s’envoler quelques gouttes superficielles sur les vêtements du maître chasseur.

L’acide, car s’en était tout un, décima tout ce qu’il toucha dans les secondes s’en suivant son atterrissage sur la matière. De rechef, on vit s’élever un menu stratus sur le champ de bataille, celui-ci par contre porteur d’un douteux mixte d’odeur de vinaigre et … de quelque chose d’indescriptible. Un fumet qui vous attaque même les poils de nez, tant en humer le contenu se montrait toxique. Et même après avoir rongé les poils, de même que les chairs et les os, le liquide chercha à trouer de bord en bord le chef de l’animal. Quant aux vêtements d’Urgoll, même eux, seulement soumis à quelques inoffensives gouttelettes, s’en virent rongés en surface par le produit corrosif.


Il n’était pas certain qu’Urgoll ait eu besoin de cette aide offerte ; mais Kah avait remboursé sa dette et, c’est tout ce qu’il comptait.

« Une chasse bien ambitieuse, que vous vous adonniez … »

Une expression de grand déplaisir fripa soudainement le faciès jovial d'Urgoll'Ven, tandis que d'une part, la tête du dernier prédateur fumait d'une étrange manière, tandis que de l'autre des gouttelettes, dont son odorat s’offusquait, atterrirent et grésillèrent gaiment sur une des fourrures dont il s'était couvert. Ses mires sanguines se découvrirent davantage de surprise contrairement à sa main on ne peut plus sûre, qui sut chercher son long couteau afin de sectionner prestement les parties atteintes. Leur courte chute prit fin dans un amas humide et blanc, où se noya le grésillement de la morsure acide.

"Ô Dragon, est-ce là l'atout de ton lointain parent ? Ou quelque autre jouet d'un alchimiste ? questionna-t-il en relevant les yeux vers son surprenant interlocuteur. ... Rares sont les daedhels qui viennent ici se dégourdir les jambes ...! S'amusa-t-il avant d'ajouter, son sourire carnassier revenu étirer ses lipes. ...Alchimiste, c'est pourtant cela qui me fait apprécier les dons du Prime Dragon. Il ouvrit grand les bras, englobant les deux carcasses fumantes. Dominer ou périr, telle est sa leçon. Une fosse, c'est une bonne mise en bouche, mais Ses défis sont ailleurs."

Et l'image que lui offrit son "invité", semble-t-il fort refroidi et la mine guère réjouie, fit naître chez le Haut-Prêtre de Zahk'Bar un rire puissant et retentissant de joie. Joie que d'être vivant, joie que d'avoir affronté, joie que d'avoir été surpris, joie, joie que d'être rejoint par d'autres ! Pour quelle raison, c'était autre chose que de se questionner, alors que son cœur frappait de contentement.

Mais son éclat fut perturbé par un autre. Plus rageur, plus bestial, plus affamé. Alors que le noirelfe suspendait ses réjouissances, de nouveaux rugissements se firent entendre, enveloppant les deux humanoïdes d'une nappe de promesses sanglantes. Ses crocs retrouvèrent doucement leur place derrière ses lèvres, alors qu'il portait un regard doucereux sur son compagnon de circonstances.

"...Plus d'un kerkand signifie rarement qu'il n'y en a que deux." souffla-t-il, une ombre de son rire dans son ton, tout en s'avançant vers l'une des masses inanimée.

Un sifflement surpris lui échappa, à la vue des ravages que connaissait la grande gueule cyclopéenne du prédateur. L'arrière de sa caboche n'était plus, ayant fondue en un amas informe et rosâtre. La chose dévorante s'était en partie enfoncée dans la petite montagne de poils et de muscles auxquels s'apparentaient les épaules du kerkand, ainsi que dans la tête qui s'en détachait à présent. Les narines agressées bien plus violemment que précédemment, Urgoll'Ven se détourna de la mâchoire dont le dernier tendon céda.

Le second monstre se révéla non fondu mais bien noirci. Avec un gazouillis grave de ravissement, le noirelfe fourra sa pogne entre les mâchoires autrefois avides, les écartant davantage pour en révéler les trésors, qu'il fit sauter gaillardement au son des chocs mous du manche de son arme contre les gencives. Bientôt, il se retourna vers son semblable pour lui fourrer dans les mains une ribambelle de dents acérées.

"Bienvenue dans la chasse..." gronda-t-il avec un plaisir anticipé.

Puis il se campa sur ses jambes et attendit, observant le daehdhel, avec des airs de félin observant les agissements d'une proie... Enfin, pas très longtemps cette fois.

"Qu'attends-tu ? N'étais-tu pas venu ici pour me tuer ? fit-il soudainement, tout sourire, avant d'ajouter avec un clin d'oeil. Ceux qui se risquent à me suivre en de tels lieux le font rarement de manière désintéressée."

Les siècles du Gobelin avait vu passer et trépasser nombre d'assassins. C'était cependant la première fois qu'il en voyait un qui lui portait assistance avant de tenter quoique ce soit.

Il accueilli dans la paume de sa patte quelques quenottes de l’animal qu’il avait occis tantôt, constatant qu’icelles n’avait guère eut temps de tiédir tant il est vrai qu’Urgoll s’était précipité sur l’animal pour les lui arracher. S’il réalisa la bête erreur qu’il avait fait en lui portant main forte, il dût se rendre à l’évidence : la bête –pas le Kerkand, mais bien le Drow- avait piqué sa curiosité depuis qu’il l’avait toisé d’un prime regard. L’épaisse brute s’était lui-même plongé dans les pires conditions possibles et il était en chasse non pas d’une proie, mais d’un prédateur capable de l’occire. Cela n’avait rien d’anodin et expliquait à la fois pourquoi on l’avait approché pour mettre fin à ses jours plutôt que son client le fasse lui-même … En tout cas, il ne sut expliquer la raison réelle de ce blocage, ce poids qui avait tenu cloué au sol l’assassin pendant toutes ces heures d’attentes, mais une chose était certaine, c’est qu’il désirait à tout prix en connaître d’avantage ce grand gaillard. Et c’eut été inutile en temps normal, car ce travail de recherche à mieux connaître sa cible était un incontournable … Mais comme il avait à faire à un bourrin de chasseur, un coup simple de poignard dans la nuque aurait suffi et donc, il n’avait pas outre mesure poussé l’exercice. Tout de même, il se sentit choyé d’être couvert d’une bonne fortune aussi abondante : le coupe-jarret avait sur un plateau doré l’occasion de connaître l’hobegobelin en profondeur et même, si l’occasion se manifestait, de lui creuser un deuxième fion au niveau du bide. Car la chose était certaine, le grand sombrelfe n’aurait appétit à se contenter de si peu …

« Force est de constater que gel et neige ne peuvent venir à bout de la légendaire perspicacité des dévots du prime dragon. » Souffla Kah d’une voix un chouia agacé par cette vérité lancée. C’est qu’il n’avait pas tort, le gros troll. Quelles étaient les chances qui pouvaient réunir deux hommes, dans un endroit aussi reclu qu’icelui et dans un moment aussi opportun que l’attaque de Kerkands ? « Toi mieux que quiconque sait qu’il est imprudent de tirer la queue d’un dragon. Et bien que la fraîcheur commence à m’harasser, je n’entends pas finir rôti de sitôt. Or je suis bien tenté de faire montre de patience et d’apprécier le moment présent. » Il secoua ses épaules et subtilement, frictionna ses épaules de ses deux paluches, comme s’il désira y constater la présence de certains objets dissimulés … Il se dirigea ensuite vers l’animal au crâne encore crépitant d’acide, couvert par les relents de la vapeur qui peinait à cesser.

« Et l’appétit d’un prêtre n’est-elle jamais satisfaite de sa prise ? De quoi est faite l’ambition d’Urgoll’Ven le destructeur, mhm? » C’était aussi l’apanage des assassins, de connaître suffisamment sa cible pour l’inciter à parler. Ainsi désarmé, ses intentions mises à nues, il ne lui restait désormais plus que ça : être en mesure de jongler sur ce qui saurait capter l’attention du gros débile cracheur de feu. Et pour la cause, il savait que l’animal aliéné se gausserait de cette fantaisie, de chasser plus gros encore ou plus nombreux encore qu’un duo de kerkand … Qu’ils devisent, pour ensuite se battre et choisir, à la fin, le dénouement de cette histoire.

Tandis que le drow inconnu parle, Urgoll'Ven sent subtilement son attention s'en détourner, ses yeux sanguins fouillant les ombres des roches sombres et des masses enneigées, à la recherche des prédateurs qui sans doute ne sauraient tarder, ses oreilles demeurant attentives pendant le monologue. L'individu a le verbe beau, mais le servant du Prime Dragon n'est pas un serpent que l'on charme, davantage un chien qui se gratte l'oreille pour en dégager la puce. Ce qu'il fait en un sens, s'ébrouant et baillant en grand, tel l'être à sang chaud qu'il est, après des heures d'une hibernation forcée. Éléments d'armures et lames tintent sourdement dans le cocon de ses fourrures.

"Faim ? Lâche-t-il en refermant sa gueule, alors qu'un propos, finalement, l'interpelle. Pas de fin, l'Alchimiste, si ce n'est dans ma mort. Tant que ma flamme brûle, je la soumets à Son jugement. C'est ainsi." souffle-t-il simplement en faisant rouler ses épaules.

Étrange situation que de parler à une ombre, sans qu'une lame ne se soit encore loger entre ses omoplates... Une partie de lui y prend garde, tandis que l'autre observe les environs, les carcasses, les renfoncements qu'il devine à peine et qui peuvent très bien habiter d'autres gueules dont surgiront les prédateurs attirés. Brusquement, le voilà qui se met à chantonner bas un air sombre, pourtant fort guilleret, tout en s'approchant du kerkand édenté. Ni une ni deux, le voilà qui le saisit à bras le corps, et tire. S'arc boutant, il le traîne sur la courte distance qui le sépare de son semblable acidifié. Reprenant sa respiration, d'un geste du poignet et d'une inspiration, il retire l'eau des fourrures argentées. Lorsqu'il relève les yeux vers son "visiteur", un sourire joueur s'étale sur son faciès farineux, tandis qu'il recule de quelques mètres.

Nouveaux mouvements de poignets, et le poil s'enflamme, en une désagréable flamme dont le lumière surprend, au milieu du bleu-blanc neigeux. L'odeur est atroce.

"Que penses-tu de ceci ?" S'amuse le Gobelin nez froncé, tout en continuant de s'éloigner.

Curieuse vision que cette flamme vacillante, aux teintes rougeoyantes noyées dans un monde pâle. Elle se tord et vacille, goutant les corps massifs, morts et velus, malgré le vent des sommets qui la soumet à rude épreuve. En appelant de nouveau à la magie - après des heures d'attente corporelle, le Haut-Prêtre se prête à l'exercice non sans plaisir -, l'élémentaliste l'attise et la rend plus vorace et éclatante. A plusieurs mètres des corps, Urgoll'Ven s'incline et, dans une énième voltige d'incantation, se plaque au sol, avant qu'une couche de neige ne le recouvre. Sa voix se fait entendre, tel un esprit des neiges farceurs.

"Leurs compères se repèrent à l'odorat." commente-il aimablement.

« C’est une flammèche bien fluette, après l’incendie de tantôt. » Dit-il à son interlocuteur, alors que Kah balaya encore quelques traînées de suie qui s’étaient déposées sur ses fringues par le souffle du dragon. L’odeur abjecte lui provoqua bien le froissement de ses narines, mais sans plus. Nageant quotidiennement dans le fumet cadavérique des galeries des lamentations de la Dotkha, ce n’était certes pas la boucane malodorante d’un charognard émérite qui allait le harasser. Un pas de retrait, question de lui laisser pleine espace de leur camp de fortune, et il l’observa s’y prendre sans plus le déranger. Le sorcier s’évertua à mener à bien un certain rituel qui lui était propre et pour l’heure, si d’autres créatures devaient rôder dans les environs, ils ne seraient trop de deux pour assurer leur survie. Désormais enfoncé de trop dans les steppes enneigées, même en accomplissant sa mission primaire, rien n’était moins certain que l’assassin sache retrouver ses pas. Depuis, la neige avait recouverte de quelques bons centimètres chacun de leurs pas, rendant l’horizon bien difficile à discerner.

Enfin, Urgoll gonfla et enfla cette maigrelette flammèche, lui faisant rendant une vigueur telle, qu’eux d’eux s’en retrouvèrent aussitôt couvert de chaleur. Au milieu de ce désert blanc, cette première caresse chaleureuse trouva très certainement hommes à les apprécier. Une fois l’âtre de fortune devenu bien prospère grâce aux bienfaisantes attentions de l’hobegobelin et de son art, le coquin dévot du Dragon lui lança une pique qui s’avéra d’avantage être plus conseil que fait établi. D’un mouvement qui ne laissait que peu de doute sur son professionnalisme, Urgoll usa de son environnement pour se terrer et faire disparaître sa vilaine gueule. Ah, tout à coup, l’odeur fétide du feu lui sembla toute suite moins désagréable …

Alors il était temps de prendre décision. Se cacher, voilà probablement ce qu’il y avait de plus prudent, de plus intelligent. Mais que penserait-il alors de lui ? Déjà que le prêtre lui sembla de prime abord bien difficile d’approche, l’écouter sans rouspéter le ferait passer pour plus vulnérable qu’il ne l’était en vérité. Et bien que ce puisse être dans certain cas bien profitable pour lui, la chose l’agaça vachement. Une idée nouvelle lui vint à l’esprit. Ces bêtes se repéraient à l’odorat, alors ? Kah se rapprocha des brûlantes langues malodorantes puis commença prestement la creuse d’une petite fosse. Le trou, étroit et bien gauchement entreprit, suffisait tout de même pour contenir un homme recroquevillé sur lui-même. Une fois la besogne accomplie, il prit silencieusement ses aises aux abords du feu. Il resta bien en vue d’Urgoll et se saisit de ses deux lames, profitant de la très agréable source de chaleur qui grillait encore la viande, les chairs et les poils des carnivores.

Un appât, frais et goûteux, quoi qu’assez dangereux. Voilà le rôle qu’arbora l’assassin, dans le bel espoir qu’Urgoll lui vienne en aide au moment opportun. Si le prêtre désira voir le membre de la Dotkha périr, la chose lui serait dès lors forte aisée, mais s’il advenait que Kah se débarasse du Kerkand seul … Alors la réputation de chasseur émérite d’Urgoll en prendrait tout un coup. C’était un pari à prendre, mais qu’il respecta tout de même.

Les bêtes ne se firent pas prier. Tel des cafards s'extrayant d'un cadavres noirci, de nouveaux kerkands sortirent des creux du sommet du Puy et s'aventurèrent sur la neige, attirés par l'odeur de chair consumées. Trois, quatre, cinq kerkands... Les rugissements de leurs semblables en avaient visiblement réveillés. Si puissants... Dissimulé, le Gobelin le ne put s'empêcher de frissonner - quoique la couche de neige qui le recouvrait presque intégralement devait y être pour quelque chose - à la vue des mastodontes sombres, crocs et griffes prêts à déchirer la chair du fou. Que faire de lui, Ô Dragon ? Les mires sanguines le virent se préparer face à la mort qui s'avançait. Le pourrais-tu ? S'amusa Urgoll'Ven. Cependant, le doute n'était guère permis : seul face à tant d'ennemis, les chances du sombre étaient minces. A moins qu'il n'ait une autre surprise en réserve ? Suffit.

Les bêtes étaient entre lui et l'Alchmiste. Se redressant, le suivant de Zhak'Bar attira de la magie à lui par sa danse martiale. Son rictus se fit grand quand il vit deux bêtes vers volt face, l'ayant entendu, et le chargèrent. Bientôt. Son cœur pulsait, ses muscles se contractaient avec naturel... Les grands battoirs velus se levèrent... Et le Gobelin relâcha la pression. Dans un grondement rocailleux, le sol se souleva précipitamment sous la forme de piliers qui soulevèrent les créatures comme s'ils ne pesaient rien. En sueur sous l'effort, mais jubilant, Urgoll'Ven vit les plus proches ainsi s'élever et être projeter par delà le rebord vertigineux. Avec un temps de retard, il tourna sont attention vers les bêtes qui s'étaient jetées sur l'autre sombre, qui connurent un même sort. Exultant, le drow se régala de leur rugissement qui s'étiolaient... Avant d'être pris de vertiges et de tomber à genoux.

Et il rit. Il rit de bon coeur face à cette dernière attaque. Il rit de joie à l'idée des cadavres pulvérisés en contrebas.

Sa vision brouillée par des lucioles, Urgoll'Ven prit un temps pour se remettre, reprendre sa respiration, vérifier si ses jambes le soutenaient. Relevant la tête, il chercha du regard le sombre, se demandant s'il avait tenu le temps nécessaire face aux trois créatures.

Voilà. Elles arrivaient. Sans savoir leur nombre, les secousses provoquées par leur pesanteur laissaient envisager qu’elles ne venaient certes pas seules. Bientôt elles seraient là, prêtes à sauter sur lui toutes griffes et crocs à vif afin d’assouvir leur famine hivernale. Serait-il seulement capable de toutes les arrêter ? Les devinant écumantes de rage et de faim, leur hardiesse n’aurait rien à voir avec celles déjà vaincues : cela il en était certain. Or, comment assurer sa propre survie ? C’était là un gambit ambitieux que de remettre tous ses espoirs sur un homme dont il n’avait aucune certitude que l’envie lui prenne de l’aider.

Lorsque le moment fatidique arriva, cet instant où la mort se manifestait et ne vous menaçait seulement que d’un doigt, prête à vous prendre sans vous demander votre avis, Kah ressentit une secousse se préparer. Le tapis immaculé de neige empêchait d’y voir les tremblotements de la terre, mais il savait, très clairement cette fois, qu’Urgoll s’apprêtait à frapper. Et fortement. Ses mires quittèrent ces bestioles qui foncèrent vers lui en écumant comme s’ils furent happés de la rage et s’abaissèrent au niveau du sol. Reprenant équilibre sur ses petons, il localisa d’où venaient les secousses et bondit de justesse au moment même où les pieux jaillirent du sol. Une pirouette plus tard et un atterrissage un peu boiteux à quelques pieds des bêtes empalées, l’assassin constat tous les dégâts que le sorcier venait d’effectuer. Il dût donner mérite à ce bougre de chasseur, la toile qu’il avait peinte méritait mention d’honneur. Là, calcinés, les carcasses de leurs tourmenteurs premiers et là, leurs semblables fichés en pâle de bout en bout tout autour de leur « campement de fortune ».

Une brève œillade suffit pour s’apercevoir que danger, il n’y avait plus, mais qu’Urgoll semblait avoir atteint sa limite. Sa lucidité n’était plus celle de tantôt, de même que la rigidité de sa posture. Probable qu’un coup de poignard entre ses deux yeux aurait atteint sa cible sans trop de résistance. Le colosse s’était vidé de ses énergies et ce pour la gloire du Dieu qu’il servait, mais après pareille preuve de force, méritait-il seulement que sa vie s’en voit écourtée de la sorte ?

Kah ne pouvait ni ne pourrait jamais façonner le destin d’autrui. Toujours était que ce jour là, il préféra s’abstenir de lui creuser un troisième œil de son coutelas, car il vit en lui un homme qui avait beaucoup à offrir. Pour son peuple et pour sa patrie.

« Je ne sais rien en ce qui attrait des offrandes typiques des dévots envers le Saint-Dragon, mais s’il est une chose que je puis affirmer sans me tromper : c’est que celle-ci en est toute une. » Kah réitéra l’un de ses sourires entendu, s’approchant de lui pour s’assurer que tout allait entre ses deux esgourdes.

« Rentrons. »