[Le mariage Royal] Deux reflets sur le lac

Automne - Favrius de l'an 11:XI
Soirée de mariage d'Artiön et Kaëlis

Il y avait eu de la musique, de la nourriture et du vin.

Certes, il y en avait eu bien moins que ce à quoi aspiraient les Ardamiris pour ce genre de fête, mais étant donné qu'ils étaient aux confins des terres inspirées par la Symphonie, il y avait de quoi saluer l'exploit. Les plantes grimpantes qui ornaient les poteaux des tentes formaient d'improbables arches fleuries sous l'effet de la magie qui leur avait donné la force de s'épanouir. Les éléments d'armement avaient joué les œuvres d'art. Et tous s'étaient laissé emporter par l’ambiance de joie simple et sans faux-semblant qui illuminait les lieux.

Halya n'avait pas été en reste. Elle qui aimait la danse en avait eu son comptant. Et lorsqu'elle n'était pas sur la piste, les musiciens étaient suffisamment doués pour que son pied tressaute innocemment en rythme. Fenris et elle avaient discuté avec plus d'un convive intéressant en plus d'être joyeux, mais ils en avaient aussi profité pour discuter entre eux. Leur mois et demi de séparation s'étaient fait long, pour l'un comme pour l'autre.

Aussi, peu de temps après que les mariés se soient éclipsés et alors que la fête battait encore son plein, deux silhouettes s'esquivèrent pour prendre un peu de distance avec la petite foule de fêtards.

Passer sous une arche, glisser hors de vue en tournant derrière les tentes, et ils suivaient un chemin labouré par les pieds des sentinelles depuis plusieurs jours maintenant. Ils marchaient côte à côte dans la lueur des lunes filtrant à travers la canopée, discutant à voix basse de sujets légers. L'instant n'était pas sans rappeler leur tout premier rendez-vous dans les jardins nocturnes des Racines d'Ardamir. Tant de temps s'était écoulé depuis.

- Si ! Je sais que ce n'est pas la plus traditionnelle des adaptations du Bouclier Rond mais je te jure qu'elle n'était pas si mal. Je l'ai vu avec Sandriel au théâtre d'Alëandir. " riait-elle à propos de la reprise d'une pièce de théâtre classique qui menaçait de passer à la postérité à force d'être critiquée depuis près de vingt-cinq ans.

Son bras passé à celui de Fenris, ils avançaient d'un même pas. La forêt bien moins dense que celle dont ils avaient l'habitude s'éclaircit pour laisser apparaitre la végétation basse qui roulait jusqu'à la berge, vestige de l'empoisonnement du lac quelques années plus tôt.

La soirée était très belle. L'émotion laissa bien vite place à la joie. Et que serait une fête sans son lot de rires et de musique ? L'alcool n'était pas nécessaire pour Fenris qui n'en but que très peu de toute manière. Il était peut-être à la fête mais il était aussi en service. Comme c'était toujours le cas lorsque l'on commandait une mission comme la sienne et que l'on se trouvait sur le terrain. Il se serait peut-être un peu plus laissé aller à goûter quelques vins en amateur qu'il était mais le contexte ne s'y prêtait hélas pas pour lui.
Pour le reste, il ne manqua pas de se faire plaisir. Le jeune Aigle rencontra plusieurs personnes de l'entourage d'Halyalindë ou de sa cousine. En tant normal, les conseillers du Roi étaient bien évidemment conviés officiellement mais l'organisation de dernière minute ne l'avait pas permis. Il n'y avait donc pas Finwë comme il aurait pu s'y attendre. Mais l'avantage de cette situation était que ses parents n'avaient pas pu faire le voyage. Il était regrettable qu'une telle pensée lui traverse l'esprit mais sa mère se rappelait à son bon souvenir chaque fois qu'elle en avait l'occasion. Et Halie et lui pouvaient au moins profiter de leur soirée librement, comme le couple heureux qu'ils formaient.
A plus d'une occasion, le jeune couple se rendit sur la piste de danse. Comme à son habitude, Fenris se montrait sage, ne dévoilant sa fantaisie qu'en privé. Cela, sa compagne ne lui en tenait pas rigueur. Elle ne pourrait tout bouleverser de son éducation rigide. Au moins était-il sincère et spontané lorsqu'ils ne se trouvaient que tous les deux.

Et cette intimité, ils se l'offrirent.
Alors que la soirée étaient plus qu'avancée, ils disparurent, laissant Terond à ses séances de badinage innocent avec les plus belles femmes disponibles de la fête. Seuls, il n'y avait plus ni politique ni militaire pour venir perturber leurs échanges, comme cela avait été le cas à quelques occasions. Chacun avait rapidement coupé cours à ces discussions : l'heure était à la fête. Pas aux tracas du quotidien qui, de toute façon, pouvaient attendre le lendemain. A présent, ils étaient libres de profiter de ce moment pour rattraper les ennéades passées loin l'un de l'autre.

-"Pas si mal" ? S'exclama-t-il paisiblement, amusé par ces quelques mots. Ce doit être la meilleure appréciation qui lui ait jamais donné.

Quelques rires raisonnèrent entre les arbres alentours. Puis Fenris prit la main d'Halie et l'invita à passer devant elle pour lui faire face, à la manière d'un pas de danse. Là, il l'attira à lui et l'embrassa avec tendresse, l'enlaçant dans ses bras pour l'amener à venir se serrer contre lui. Ici, il n'y avait plus personne pour les déranger. Personne pour les voir. Il pouvait enfin laisser libre cours à l'expression de ses sentiments. Et, si par mégarde d'autres avaient eu la même idée qu'eux en venant se promener sur ce sentier, ce n'était qu'un baiser...
Leur étreinte dura plusieurs instants avant qu'ils ne l'interrompent enfin. Sans pour autant s'éloigner d'elle, il lui murmura quelques mots qui n'auraient su être plus sincères.

-Tu m'as manquée, Ly'li...

Il avait toujours cette sincérité sérieuse qui la surprenait au détour des actes les plus simples. Son rire guilleret s'était changé en un sourire tendre au contact de ses lèvres, puis quelques mots avaient suffit à lui gonfler le cœur. Alors qu'elle avait tant de choses à partager sur ses premiers temps au dispensaire, les nouvelles des Mirthil'Di, ses amis d'Eteniril et d'Alëandir, la préparation du mariage royale... Elle se retrouvait là, à le regarder dans les yeux, incapable de savoir que dire.

La main nonchalamment posée sur l'épaule du jeune homme, les doigts flattant sa nuque, elle  prit une longue inspiration avant d'articuler, incapable de trouver phrase plus à propos :

- Tu m'as manqué aussi.

Égal à lui-même, il était resté d'une bienséance admirable tout au long de la soirée. Quelques gestes de galanterie l'avaient fait sourire. Elle avait profité de sa conversation, de sa présence, de ses discrets et décents signes d'attachement. Elle ne le poussait pas à agir autrement, mis à part à l'occasion de quelques taquineries. Elle aimait cette éducation et cette pudeur qui faisaient parti de lui. Elle aurait mentit en disant que la réflexion et le contrôle dont il faisait preuve ne leur avait jamais été bénéfique, à l'un comme à l'autre... Mais elle avait toujours autant de mal à deviner l'instant où le noble militaire troquerait son masque pour une spontanéité à la hauteur de sa sincérité. C'était à se demander comment il faisait pour continuer à la surprendre.

Elle l'embrassa à nouveau. Bien moins aux aguets que sa moitié quant aux éventuels promeneurs, elle profitait du moment sans arrière pensée, se plaisant à oublier tout le reste durant qu'ils faisaient volontiers duré. Puis elle glissa quelques instants son front contre la tempe piquée de cheveux blancs, profitant du rythme de sa respiration sans vouloir sentir les bras qui la serraient se relâcher même un tant soit peu.

- Dis-moi que tu restes quelques jours.

D'ailleurs, elle n'avait aucune idée de ce qui se passerai dans les jours à venir. Elle avait bêtement pensé que si elle venait avec Kaélis, quelqu'un s'occuperait de la ramener... Mais à bien y réfléchir, c'était une pensé idiote... Tout comme le fait d'y penser maintenant. Elle recula le moins possible, de façon à pouvoir de nouveau le regarder.

- Je n'en reviens pas que personne ne m'ait dit que tu étais invité.

Fenris accueillit bien volontiers l’étreinte d’Halyalindë, profitant à sa manière de ce précieux moment. Même s’il restait aux aguets, il prenait le temps de ressentir la présence de sa compagne, la chaleur de son corps contre le sien, l’odeur de ses cheveux, le contact de sa peau… Il aurait voulu la serrer contre lui avec un peu plus d’intensité mais s’y refusa à cause de la proximité des festivités. Quelques notes de musiques parvenaient encore jusqu’à eux, empêchant son cerveau de décrocher de son fonctionnement “en public”. Cependant, l’isolement alentour lui permettait de se relâcher très légèrement. Et il se retrouvait coincé entre les deux… L’aspect privé voulant prendre le pas sur la façade officielle dont il ne parvenait pas à se départir totalement.

Quelques mots remontèrent à son oreille. Le souffle qui effleura sa peau provoqua un agréable frémissement qui suivit la ligne de sa colonne vertébrale. Il eut un sourire à cette sensation, différant sa réponse un bref instant. Halyalindë chercha à nouveau son regard.

-Je n'en reviens pas que personne ne m'ait dit que tu étais invité.
-Je ne l’étais pas. Commença-t-il par répondre. Enfin, je ne l’étais pas il y a deux jours. J’étais dans les environs et je suis rentré au camp juste à temps sans même savoir ce qu’il se préparait.

Une fois sur place, les organisateurs de la fête improvisée avaient jugé bon de convier tous les hauts gradés qui se trouvaient sur place. Naturellement, on leur avait signalé le rôle que l’Aigle jouait dans la mise en place et l’organisation de la sécurité de la zone. Le mot lui avait été rapidement passé à son arrivée mais il n’avait même pas eu le temps de se renseigner sur la présence ou l’absence d’Halie avant de se rendre au mariage… Autant dire qu’il avait été plus qu’heureux de la trouver parmi les convives au début de la cérémonie.
Quoi de plus normal après un mois de séparation.

-Je devrais pouvoir m’arranger pour rester dans les alentours quelques temps. Ajouta-t-il avant de lui sourire.

Il se pencha pour l’embrasser lorsqu’un bruit attira son attention, l’arrêtant net dans son élan et le faisant se redresser. Le bruit persista et il se retourna vers sa source, prêtant l’oreille afin d’identifier ce qu’il se passait. Une voix retentit, comme un juron que l’on se lançait à soi-même. La langue était facile à comprendre… Même trilingue, il n’avait aucun effort de traduction à fournir car l’homme qui avançait péniblement dans les fourrés parlait elfe. Sur ce point, Fenris pouvait se détendre mais l’intrus venait dans leur direction. Il lâcha un soupire avant de libérer Halie de son étreinte pour aller à sa rencontre.

Une silhouette apparut entre les arbres, marchant maladroitement, titubant à moitié. Alors même qu’il se tenait toujours dans l’ombre, il s’arrêta en découvrant le soldat vêtu de bleu qui avançait vers lui, illuminé par les lunes.

-Ooooh. Moi qui me croyais perdu…

L’Aigle aurait pu deviner l’haleine de l’individu rien qu’à sa manière de parler… Si lui n’avait pas abuser de la boisson, d’autres avaient plus que largement pris leur part ! (Et la sienne aussi au passage...)
Fenris s’arrêta à quelques pas de lui. Il resta courtois mais mêla à sa voix un brin d’autorité.

-Il n’est guère prudent de vous aventurer seul dans les bois, Heru. Surtout dans votre état.
-Bah, c’est que je voulais juste… Vous voyez ? J’ai tellement bu… Et puis… Quand j’ai eu fini, impossible de me rappeler d’où je venais !
-N’entendez-vous pas la musique ? Cela aurait pu vous guider.
-Non, non. J’ai pas ce don moi… Je...
-Je parle de l’orchestre du mariage. L'interrompit calmement le militaire.
-Ah… Ah ! Beh oui ! Maintenant que vous me le dites. Faut m’excuser. Je sors pas tellement de ma cité, voyez ? Ah, mais c’est que vous êtes pas tout seul ! Vous aussi, vous êtes perdue, hein ? Venez, on va rentrer ensemble. Je vous offrirai une petite danse. Promis, je tiendrai mes mains sages !

L’homme ricana, se croyant drôle ou bien enjôleur. Mais Fenris doutait que cette phrase puisse convaincre n’importe quelle femme de l’accompagner sur la piste.

-Elle n’est pas perdue.
-Hein ? Dit l’homme en revenant sur le militaire.
-Et je ne fais pas la sécurité. Ajouta-t-il avec son flegme habituel, accompagné d’un haussement de sourcils plutôt évocateur.

S’ensuivirent une série d’interjections orales de la part du convive imbibé. Un premier “Ah…” précéda une courte réflexion. L’illumination fut aussitôt accompagnée d’un “Aaaah !”, comme s’il venait de comprendre pourquoi deux personnes qui n’étaient ni perdues ni en service se trouvait seules en marge de la foule. Enfin, un “Oh…” ponctua le moment où l’idée qu’il dérangeait peut-être venait de percuter son esprit.

-Je devrais peut-être retrouver les autres. Dit-il en reprenant sa marche, semblant vouloir passer à côté de Fenris.

Ce dernier l’arrêta d’un geste amical et lui montra le chemin qui allait dans la direction opposée. L’homme se retourna et découvrit le sentier.

-Vous êtes sûr ?...
-Tendez l’oreille.

Le convive sembla ne pas comprendre et fronça les sourcils avant de se rappeler subitement.

-Ah oui ! La musique. Et il commença à s’en aller, dans la bonne direction cette fois. Merci !
-Ne quittez pas le sentier. Et ne vous éloignez plus, il y a tout ce dont vous avez besoin à proximité des tentes.

Sans se retourner, l’homme leva une main en l’air pour signifier qu’il avait entendu. Fenris resta là quelques instants à le regarder s’éloigner, s’assurant qu’il tournerait bien à droit avec le chemin. Il tenait debout mais son équilibre était plus que précaire. Il se prenait les pieds dans la moindre racine, s’empétrait dans une fine branche, trébuchait dans le moindre creux…
Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de l’Aigle avant de secouer légèrement la tête de gauche à droite à quelques reprises. Il avait connu bien pire lors d’autres fêtes et savait qu’on le pouvait contrôler tout ce qu’il se passait au cours d’un mariage. Il avait fait renforcer la sécurité afin que rien ne vient troubler l’évènement et que personne ne s’égare trop loin du campement. Les frontières n’étaient pas le lieu le plus adéquat pour se retrouver en train d’errer, surtout aussi saoul qu’une barrique.

Halya ferma les yeux pour accueillir le baiser. Ses fines oreilles frémirent. Et... Rien. En rouvrant les yeux, elle trouva le profil de Fenris tourné vers le couvert des arbres en une parodie de suricate aux aguets. Elle suivit naturellement son regard et distingua enfin ce qui avait frappé son compagnon. Décidément, soit Fenris passait beaucoup trop de temps dans ces régions sauvages, soit elle n'en passait plus assez. Un sourire fort peu compatissant se hissait sur ses lèvres tandis que l'Aigle se portait au secours de l'homme aviné.

Un pas en retrait, Halya tentait de garder son sérieux tout en observant la scène qui se jouait. Elle se détourna légèrement, un poing sur les lèvres, lorsque le fêtard posa ses yeux gourds sur elle. Sans doute ce geste ne l'avait pas aider à comprendre qu'elle n'était ni perdu ni en détresse. Peut-être l'aurait-il interprété comme un signe de timidité... Mais elle était véritablement à deux doigts d'éclater de rire. Les "Oh" et les "Ah" du pauvre hère étaient une chose. Le maintien sans faille et le ton imperturbablement sérieux de Fenris en était une autre.

Elle ne se décida à faire face que lorsque l'étranger fit mine de dépasser Fenris, tendant une main secourable pour lui indiquer le sens inverse en même temps que son compagnon. Si celui là ne s'endormait pas sur le premier siège vacant, elle voulait bien y laisser ses bottes.

L'Aigle ne fit cependant pas mine de l'accompagner, ce qu'elle avait craint durant un égoïste instant. Il se contentait de le couver du regard en secouant la tête d'un air qui oscillait entre l'affliction et l'amusement. Debout. Là. A deux pas. Fier comme un roi, dans une tenue bien trop apprêtée pour un militaire en mission depuis plus d'un mois. Il ne se rendait même pas compte de l'autorité paisible qu'il dégageait. Dire que trois ans plus tôt, il hésitait à donner son avis aux officiers de l'Armée royale. Il avait vraiment ça dans le sang.

Elle se glissa jusqu'à son dos pour l'enlacer traitreusement et poser un baiser dans son cou, alors même que leur importun n'avait pas encore tout à fait disparut derrière l'ultime tronc.

- Vous êtes un modèle de vertu et de bienveillance, Heru. " murmura-t-elle d'un ton pompeux. Pourtant, s'il avait pu voir ses yeux à cet instant, le Guerrier pacifique aurait été surpris par la sincérité qu'elle ne pouvait cacher... Bien qu'elle aurait voulu ajouter qu'il gagnerait à prendre des vacances.

Les bruissements de la nuit les entouraient comme la brise, aussi douce que lors de leur séjour à Malereg à l'automne précédent. Les doigts d'Halya glissèrent jusqu'à ceux de Fenris, l'incitant à se retourner. Après y avoir poser un baiser, elle l'attira doucement à l'écart du sentier sans crainte de cette terre étrangère. Les sentinelles devaient avoir fait leur office et la bénédiction de Kÿria et Arcamenel pouvait bien planer un peu plus loin que sur les deux seuls époux. C'est qu'elle en devenait optimiste.

Sa main s'était déjà affinée et adoucit depuis qu'elle ne maniait plus l'épée et il semblait à l'Ardamirie que celle de son compagnon était plus forte d'autant. Les jeunes arbres épars leur laissaient la place se passer sans mal, même hors de la sente. Leurs pas les éloignaient mine de rien de la fête. Et avec elle, de presque toutes les raisons qui pouvaient garder le militaire sur le qui-vive. La musique ne leur parvenant qu'en de brèves saccades lorsque le vent se mettait de la partie.

- Puisque tu ne fais pas la sécurité, tu pourras peut-être te détendre un peu... "

Des bras vinrent l’enserrer tandis que son regard bicolore ne quittait toujours pas l’homme qui s’éloignait à son rythme. Il fronça brièvement les sourcils devant le ton d’Halie mais ne sembla pas relever. Cela ne ressemblait guère à sa compagne de se comporter de la sorte, elle plaisantait sans nul doute. Et il se connaissait suffisamment pour savoir que, quelque part, ses paroles étaient plutôt proches de la vérité…

-Je te remercie de ne pas avoir éclaté de rire.

La réaction de la rouquine acheva de lui confirmer son intuition. Elle ne prenait pas du tout la situation au sérieux. Il avait perçu ses hoquets amusés tandis que l’homme s’empétrait dans son propre esprit, embrumé par l’alcool. Si elle s’était laissée aller, il n’aurait sans doute pas pu tirer grand chose de lui alors qu’il n’avait qu’une hâte : qu’il retourne à la fête. D’une part pour sa propre sécurité mais aussi, il devait bien l’avouer, parce qu’il voulait profiter de ces quelques heures de liberté que les Dieux voulaient bien lui accorder en compagnie de celle qui occupait toutes ses pensées.
Fenris résista un court instant à l’invitation d’Halie de lui faire à nouveau face. Le bougre était en train de partir à gauche… Cependant, il se ravisa presqu’aussitôt et suivi le chemin qui partait sur la droite. De là où il était à présent, il lui serait bien difficile de manquer le bruit qui entourait les festivités... Les épaules de l’Aigle relâchèrent alors l’imperceptible tension dont elles s’étaient parées lors de l’apparition de l’importun avant qu’il n’accepte de se soumettre au mouvement qu’on voulait bien lui soumettre.

Lorsqu’Halie baisa sa main, Fenris la retint une seconde afin de lui retourner sa tendresse, apposant ses lèvres sur ses doigts plus délicats qu’autrefois. Il se laissa ensuite guider en dehors du chemin pour s’aventurer parmi les arbres. Halyalindë ne voulait visiblement plus être dérangée dans leurs retrouvailles. Cela n’était pas pour lui déplaire même s’il avait du mal à retirer ses galons et oublier un instant où il se trouvait pour réaliser avec qui il se trouvait.
Et il se fit bien vite rappeler à l’ordre…

-Puisque tu ne fais pas la sécurité, tu pourras peut-être te détendre un peu…

Il baissa la tête dans un soupire, réalisant l’attitude dont il avait du mal à se défaire. Le poids des responsabilités lui étaient encore étrangers quelques mois auparavant et il partait en général plusieurs ennéades pour endosser son rôle avant de revenir chez eux pour le poser quelques jours. Il ne savait pas encore jongler entre les deux en un court laps de temps, et encore moins sur le lieu-même de ses activités.

-J’espère que je ne suis pas de trop désagréable compagnie. Si tel est le cas, pardonne-moi.

Il eut alors une idée et l’appliqua aussitôt. Lâchant la main d’Halie, il porta ses doigts sur les boutons de sa veste militaire et les défit les uns après les autres. Dès qu’il eut achevé sa tâche, il retira le vêtement, ne se parant que d’une chemise pour se préserver de la fraîcheur de la soirée. Mais, puisqu’il n’était pas frileux, cela ne l’incommoderait pas vraiment.
Il écarta alors légèrement les bras pour se montrer à sa compagne.

-L’Aigle s’est envolé. Il n’y a plus que moi désormais.

- Ta compagnie n'est jamais désagréable, tu le sais. " lui sourit-elle sincèrement en le voyant aussi dépité de sa propre rigueur.

C'est vrai qu'elle était plus sensible à l'état de tension de ses proches depuis qu'elle n'avait plus à supporter elle-même ce genre de choses, mais ce n'était pas pour ça qu'elle en était gênée. C'était surtout la première fois qu'elle surprenait Fenris sur son terrain d'opération alors qu'elle n'était pas elle-même en service... le terme allait aussi bien pour la Protectrice que pour la militaire qu'elle avait été. Le plus agréable dans tout cela était de se rendre compte à quel point cela ne lui manquait pas le moins du monde. Elle était fière des choix qu'il faisait, surtout en sachant comment la carrière d'Aigle de sa compagne avait tournée, mais elle ne les lui enviaient pas.

Elle s'était à peine tournée pour le dérider qu'il lui échappait d'un pas... Pour défaire scrupuleusement les boutons de sa veste. Un rire dans la voix, elle ne put s'empêcher de demander en croisant les bras.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? " Il acheva tout de même avant d'expliquer. Sa réponse n'aurait pas pu la faire plus sourire. Elle secoua légèrement la tête de gauche à droite tout en approchant pour retourner se blottir contre lui. " Je confirme, ta compagnie n'est jamais désagréable. Mais tu es encore mieux comme ça. "

La tête posée contre son épaule, elle inspira longuement. C'était comme si la soirée et les premiers baisers n'avaient été qu'un avant goût à un rythme cadencé. Une douce précipitation, enivrée par l’ambiance du mariage. Elle expira profondément, son corps se détendant à la chaleur de celui de Fenris. Le rythme lent de sa respiration calmait l’atmosphère. Ce n'était pas elle qui venait d'ôter ses éperons, mais c'était tout comme. Cette fois ils n'étaient plus dans cet entre-deux qui ne leur appartenait pas tout à fait.

- Je suis si heureuse que tu sois là.

Cela ne suffisait pas entièrement, mais c'était un début. Une grappe de luciole filèrent de la rive pour se poser sur un buisson voisin, tournoyant les unes autour des autres. L'esprit de l'Ardamirie était à la fois délicieusement engourdit et parfaitement lucide. Calme comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps.

- Tu sais... je crois que tu n'es pas le seul à devoir arrêter de courir pour la soirée. J'ai essayé de faire au mieux pour Kaëlis et Artiön... Et comme d'habitude, je n'ai pas arrêté et j'en ai trop fait... " Elle laissa passer une respiration avant de continuer. " Je ne sais pas dans quel état j'aurais été si tu n'avais pas été là. C'est la première fois qu'un mariage me fait un tel effet. " La cérémonie repassait tranquillement dans sa mémoire, et avec elle l'effet d'entendre son nom de famille dans la bouche de la prêtresse d'Arcamenel. Pourquoi Melian s'obstinait-elle à refuser de la recevoir ? Et pourquoi cette femme s'invitait-elle en pensée dans un moment comme celui-ci ?

Elle serra Fenris un peu plus fort.

Fenris ne tint pas compte des propos d'Halyalindë, se débarrassant du poids de sa veste sans un mot. S'il avait toujours eu l'habitude d'être tiré à quatre épingles à tout moment, il appréciait désormais de se défaire d'une couche ou deux afin de libérer l'amplitude de ses mouvements. Le côté sauvageonne que sa mère lui reprochait tant, lui l'adorait... C'était vrai qu'elle le lui transmettait, mais si peu. Juste assez pour alléger sa vie déjà si riche et si pleine pour son âge.
A présent, il n'y avait guère plus que ses bottes pour signifier son appartenance à l'armée. Encore fallait-il aller regarder jusque là. Lorsque sa compagne vint se loger dans ses bras, il put enfin sentir la fraîcheur de son corps à travers le tissu. Il déposa un baiser sur ses cheveux et l'étreignit avec tendresse. A sa déclaration, il lui adressa quelques mots, presque à voix basse.

-J'ai rêvé de cet instant le nuit dernière. J'espérais tant que Kaëlistrae t'aie emmenée avec elle...

Lorsqu'Halie posa sa tête sur son épaule, sa main libre vint se loger sur sa nuque comme pour l'inviter à y demeurer aussi longtemps qu'elle le souhaiterait. Le silence plana quelques instants avant qu'un petit groupe de luciole ne se mette à virevolter au son des maigres notes de musique qui leur parvenait encore par moment. Il les observa, plus concentré sur la respiration de son amante qu'à son sujet d'observation. Puis elle rompit le silence pour exprimer sa fatigue après tout ce qu'elle avait fait pour le mariage de sa cousine.

-Il est vrai que je ne t'avais jamais vue aussi enthousiaste... et sensible à la fois.

Bien sûr, il n'était pas en train de dire qu'elle n'avait pas de sentiments en temps normal. Ce qualificatif lui scierait bien davantage qu'à elle étant donné le contrôle permanent dont il faisait preuve en publique. Mais, si elle avait connu son lot de tragédie depuis leur rencontre, elle n'avait encore jamais été si émue devant une scène de bonheur. Elle en avait pleuré de joie... Il en avait été touché. Ces années de politiques et de guerre semblaient si loin derrière elle... Elle avait changé de voie et n'en paraissait que plus épanouie à chacune de leurs retrouvailles. Le jour où l'armée ne lui conviendrait plus, il ferait sans aucun doute la même chose mais sa carrière à lui ne faisait que commencer. Après vingt-cinq ans sur le terrain, il était Aigle en charge d'une mission d'envergure... C'était à se demander où il serait vingt-cinq ans plus tard.
D'une caresse, il l'invita à croiser son regard.

-Tu sembles si heureuse désormais... Un sourire paisible illuminait son visage, de ses lèvres jusqu'à ses yeux. Je n'en suis que plus heureux moi-même.

Sensible oui... A fleur de peau aurait été plus exact.

Il y avait un tel gouffre entre sa vie actuelle, cette fête, ces visages heureux, et ce qu'elle s'était imposé pendant des décennies, qu'elle n'était même pas certaine de vouloir le mesurer. Les dernières décisions - qu'ils avaient pris à deux cette fois - n'avaient fait que renforcer leur complicité. Le changement entrainait le changement, avait l'habitude de dire son père. Plus légère, plus libre, elle s'était forcément laissée aller plus que d'ordinaire sachant qu'elle ne représentait plus que sa seule personne. Les raisons s'additionnant à ce trouble n'en étaient que renforcées.

Fenris la poussa à relever les yeux vers lui, la délogeant d'un mouvement tendre pour profiter de son regard. Elle le lui offrit volontiers. Son sourire dévoila un instant ses dents blanches avant de s'apaiser en une expression qui faisait luire ses iris asymétriques. Lorsqu'il la regardait ainsi, elle n'avait plus la moindre question ni le moindre doute. Elle finissait par ne plus savoir si c'étaient son changement de vie ou cette certitude simple de le voir heureux qui la transportait le plus et ça n'avait aucune importance. Leur cœurs battaient à l'unisson.

Elle glissa sa main sur la joue de son compagnon. Comme toujours, elle semblaient bien froide part rapport à l'impression de chaleur qu'il dégageait. Elle avait cessé de s'en faire pour ce que les gens pouvaient penser ou comprendre des différences qui - soit-disant - les opposaient. Eux avaient choisi de les partager. Bien loin de ses premières craintes, elle ne se sentait ni redevable, ni dépendante, ni inférieure. Seulement amoureuse.

- Je t'aime.

Arcamenel... Qu'il lui paraissait loin le temps où elle s'était jeté à l'eau dans le messe du quartier général des Aigles, et pourtant elle ressentait toujours la même joie lorsque cette lueur répondait à sa déclaration dans les prunelles de son amant.

- Je voulais... " Elle se retint à temps. Non. Elle s'était juré de tenter une dernière fois avant de passer à l'acte. Si elle commençait sur cette pente savonneuse, elle ne savait pas où elle s'arrêterait. Elle souffla, tentant de faire redescendre son cœur dans les tours avant de continuer. " Je suis vraiment bien maintenant que je suis sûre que tes missions dans la région se passent sans problème. Je sais que tu n'as pas le droit de me raconter. " ajouta-t-elle en l'empêchant de répondre véritablement. " La façon dont tu m'as salué était suffisante. " Elle se souvenait du bouleversement de ses premières missions et de la difficulté qu'il avait alors à s'ouvrir sur le sujet. Son air d'aujourd'hui n'avait rien à voir. Quelques secondes lui avaient suffit à se faire un avis. Bien sûr, elle aura voulu en savoir plus, partager les détails, les hauts et les bas, mais elle se contentait aisément de la situation actuelle." C'était criminel d'arriver juste au début, d'ailleurs. Si ça n'avait pas été pour ma cousine... " Elle laissa la phrase en suspens, son souffle caressant les lèvres de son amant. Elle se serait jeté à son coup pour ne plus jamais le relâcher, sans doute. Elle ne s'était pas retournée de peur de jouer les troubles fêtes de la cérémonie. .

A sa déclaration d’amour, Fenris ne ressentit pas le besoin de répondre. Les mots d’Halie étaient l’expression naturelle de ses sentiments et n’appelaient pas réellement de réponse. Néanmoins, le regard de l’elfe blanc souriait toujours de bonheur et de tendresse mêlés. Une main vint répondre à la caresse de la rouquine et glissa doucement sur la joue de la belle avant de venir se loger dans sa nuque.
Il aurait pu l’embrasser, il en avait envie… Mais quelque chose l’en empêcha. Deux mots isolés. Un début de phrase inachevée. Une hésitation dans le ton et les yeux de sa compagne. Il retint un bref froncement de sourcils devant ce comportement plutôt étrange en une telle occasion. Ici, seuls, il n’y avait plus que leurs coeurs pour les guider. Et il ne doutait pas de ses sentiments de sa compagne. L’ex-Protectrice reprit finalement en partant sur un sujet qui ne collait pas vraiment avec les deux mots qu’elle avait prononcé plus tôt. Elle poursuivit avec des propos un peu énigmatiques, des liens un peu alambiqués entre les différentes phrases, et encore une idée qui était tut en cours de route…
Fenris se laissa enivrer par ce contact manqué, de ce souffle sur ses lèvres qui laissait entendre la suite de ses paroles. Alors il combla la distance qui le séparait et revint à son idée première. Il l’embrassa mais avec plus de langueur qu’il ne l’aurait pensé de prime abord, envoûté qu’il était par l’attitude de la rouquine, la nuit qui les enveloppait et la fête si lointaine.
Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il ne détache ses lèvres de celles d’Halie sans pour autant mettre de la distance entre eux. Il ne laissa échapper de sa bouche qu’un murmure.

-Que devrais-je dire de toi et de ta robe...

Du bout des doigts, il effleura la peau que la tenue d’Halie ne couvrait pas. Et il avait l’embarras du choix… Il était obligé de l’avouer, ce vêtement produisait sur lui un certain effet. La couleur et l’accord avec les tons d’Halyalindë, la façon dont elle soulignait ses formes, cette nudité pourtant minime mais élégante et envoûtante à la fois… Comment un habit pouvait-il ainsi donner envie d’être retirer ? C’était un comble.
Pour l’heure, Fenris restait sage. Même s’ils ne s’étaient pas vu depuis bien trop d’ennéades, il pouvait parfaitement attendre. D’autant qu’ils n’étaient dans le cadre le plus intime qui soit.

Elle frissonna des pieds à la tête, partageant son souffle avec celui qui faisait battre son cœur un peu plus fort. L'implicite qui planait dans une seule phrase avait le dont de ramener avec lui toutes les versions fantaisistes qui auraient pu être prononcées. Elle l'avait poussé à assumer ses désirs et il avait bien intégré le concept. Elle n'avait plus qu'à assumer à présent... Et ce n'était pas pour lui déplaire.

Joignant le geste à la parole, il effleura sa peau. La respiration de l'ardamirie se fit un peu plus profonde. Le mélange d'envie et de manque intensifié par la longueur de leur séparation ne l'aidait pas à garder la tête froide. Pour l'heure, cela lui permettait de reléguer bien vite au second plan l'hésitation qu'elle avait eu. Elle ne doutait cependant ni du contrôle, ni de la patience de Fenris. Il aurait suffit d'un pas en arrière pour qu'il se reprenne... Mais le corps du guerrier pacifique parlait un tout autre langage. Un langage qu'il était difficile d'ignorer. Le timbre de sa voix lorsqu'il murmurait au coin des lèvres de sa compagne. La langueur de plus en plus manifeste de ses baisers. La tendresse d'une caresse qui frôlait à peine la peau découverte avec une pudeur effrontément fausse.

- Je t'écoute. Que devrais-tu dire ? " répondit-elle tout bas.

Les yeux toujours clos, elle n'attendit pourtant pas de réponse pour poser ses lèvres souriante sur l'arrête de la mâchoire du militaire, avant de d'effleurer son cou. Les doigts de l'ardamirie flattèrent le col bien ajusté de sa chemise. Par inadvertance, ils remontèrent légèrement et griffèrent la fine tresse blanche qui pendait derrière l'oreille pointue. Plutôt que de redescendre, l'indexe revint la suivre sur toute sa longueur, l'entortillant délicatement... Il l'avait refaite. Elle n'aurait pas pensé qu'un geste à la foi si anodin et curieux puisse lui faire si plaisir.

Il sentit le changement dans la respiration d'Halie, aussi sûrement que si elle avait exprimer ses sensations à haute voix. En silence, elle répondait à son propre désir qui n'attendrait guère longtemps avant de devenir plus passionné maintenant qu'il le savait réciproque.
Leur relation était fort peu commune parmi les elfes. Lorsqu'ils étaient ensemble, ils supportaient mal de se retrouver physiquement séparés, même pour une nuit. Leur logement, prévu pour deux, comptait une chambre de trop à leurs yeux car jamais ils ne faisaient lits à part. Les rapports charnels y avaient également une place importante. Parce qu'Halie y avait été habituée, c'était vrai, mais, si cela avait été la seule raison, Fenris ne serait pas aussi souvent qu'elle l'initiateur de leurs ébats. La véritable raison était toute simple : leur amour était si fort et si intense qu'ils n'avaient pas de meilleurs moyens pour l'exprimer. Ça et l'envie de profiter de l'autre autant que faire se peut durant les quelques ennéades de l'année qu'ils pouvaient passer ensemble.

- Je t'écoute. Que devrais-tu dire ? Répondit-il sur le même ton que lui avant de baiser le bas de sa joue puis son cou.

Cette fois, il n'y avait plus de possible... Il laissa une profonde expiration lui échapper à ce contact. Cela faisait trop longtemps... Sa mission était plus qu'un honneur, c'était une reconnaissance de ses compétences, mais, par les Dieux, qu'elle pouvait être longue...
Lentement, il laissa les doigts de sa main libre profiter d'un des nombreux interstices à sa portée pour s'immiscer sous le tissu en une caresse langoureuse. Puis il porta ses lèvres à l'oreille d'Halie et lui parla d'une voix si baisse que même les arbres alentours n'auraient pas pu l'entendre.

-Je n'ai jamais connu vêtement qui donnait à ce point envie d'être retiré...

Bien fous avaient été les organisateurs en prévoyant que l'un dormirait sous le même toit que trois de ses hommes et l'autre avec trois invités de la jeune mariée. L'idée de dormir loin l'un de l'autre était peut-être la goutte d'eau. Le murmure de Fenris n'en fut que l'expression la plus sincère.

- Mon loup blanc... " susurra-t-elle seulement en réponse.

En lisière du lac d'Uraal, leurs souffles et leurs baisers firent place aux caresse. Une veste d'un bleu piqué d'argent fut la première à heurter le sol. Baignés par les deux lunes et les danses des lucioles, les boutons d'une chemise blanche cédèrent doucement, laissant une main curieuse retrouver les contours d'une musculature dessinée. Un pantalon noir qui glisse dans un frôlement de tissus. Une robe au rouge soutenu tanguant, attache après attache; dévoilant sans se presser chaque pan de la peau délicate d'un dos, d'une poitrine, d'un ventre.

Il était tout à elle, à nouveau. Elle fourrageait dans sa crinière blanche et respirant à pleins poumons l'odeur de sa peau. L'herbe sauvage et la terre meuble du sous-bois, partiellement couverte de leurs vêtements épars leur tendait les bras. A genoux. Yeux dans les yeux. Ventre à ventre. Les oreilles de la rouquine frémissaient aux rares mots qui passaient ses lèvres. Le voile rauque dans sa douce voix masculine qui cédait à l'envie. Ses manières à la fois brûlantes et patiente, curieusement respectueuses avant de parvenir à lâcher prise, même un court instant.  Puis la légère pesanteur du jeune homme sur elle. La sensation de sa peau brulante tout le long de son corps. Le plaisir de se perdre dans les yeux asymétriques qui la dévoraient. De percevoir l'amour toujours aussi profond derrière le désir complice. De se répondre à un niveau qui ne nécessitait plus le moindre mot. Ils pouvaient passer des heures à parler, à jouer, ou simplement à partager le même espace en faisant ce qu'ils voulaient chacun de leur côté. Ils avaient été amis avant d'être amants et bien loin de leur retirer quoi que ce soit, ces moments d'abandon n'avaient fait que renforcer toutes les facettes de leur attachement.

Leurs mouvements langoureux se faisaient passionnés. Pour ne pas donner l'alarme, elle retenait comme elle pouvait ses gémissements et ses cris, les étouffant sur la peau et les lèvres de son amant. Mais ses soupirs restaient libres. Il n'y avait qu'eux dans cette éternité hors du temps. Il n'y avait que lui. A jamais...

Le souffle court, ils partagèrent un ultime baiser. Leurs corps se tendirent de concert une dernière fois avant qu'une lourdeur ne s'en empare. Fenris roula sur le dos, Halya suivant le mouvement pour se pelotonner contre lui, le couvrant à moitié. Elle ne pouvait se résoudre à s'éloigner, même de quelques centimètres. La tête au creux de son épaule, elle entendait le cœur sous son oreille marteler à un rythme aussi soutenu que le sien. Glissant sa main libre sur le torse de son amant, elle alla mêler leurs doigts, caressant sa main du bout du pouce en attendant de revenir pleinement à elle.

Elle aurait aimé pouvoir se blottir sous une couverture, mais les elfes ne craignaient pas le froid tant qu'il n'était pas extrême. Et même parmi les elfes, ni l'un ni l'autre n'était particulièrement frileux. Maintenant qu'elle n'entendait plus la Symphonie, la respiration de Fenris était seule à troubler les grésillements furtifs des bêtes nocturnes. Elle adorait s'endormir ainsi dans ses bras, tout en sachant qu'elle n'en avait pas le droit cette fois-ci. Si ce n'était pour faire la tradition et le devoir, elle aurait déjà revendiqué comme siennes les nuits du militaire. Entièrement détendue, ses yeux restaient ouverts, cillant paisiblement face au contraste de leurs peaux blanches sur l'environnement en dégradé de noir.

Eux, seuls, contre l'entièreté d'un monde aveugle. Elle serra les doigts de son amant un peu plus fort. Il était le seul bonheur qui manquait à son quotidien. La seule personne qui était réellement irremplaçable dans sa vie. Les jugements n'avaient pas manqués de pleuvoir sur une idylle aussi disparate et ils continueraient sans doute longtemps, mais l'idée n'était pas nouvelle. Elle revenait depuis plus d'un an à présent. Elle était plus forte à chaque fois qu'ils se retrouvaient après une longue absence. L'impression d'avoir manqué de courage l'assaillait à chaque fois qu'ils se séparaient pour des raisons plus importantes les unes que les autres. Le reste du temps, c'était supportable.

Prenant appui sur un coude, elle se redressa pour regarder ce visage aux traits réguliers. Ses yeux caressèrent un moment la cicatrice du carreau d'arbalète de leur première mission commune avant de chercher ses iris vertes et bleues. Elle inspira... puis expira en souriant, amenant leurs doigts entremêlés à ses lèvres.

Presque instantanément, les deux elfes cédèrent l'envie qui avait subitement envahi leurs ventres. Ils n'avaient eu besoin que de quelques mots plein de sous-entendus parsemés de gestes tendres et langoureux pour se laisser déborder. S'ils n'avaient pas déjà été loin du chemin, ils s'en seraient rapidement éloignés. Cependant, si les yeux ne pouvaient les voir, les oreilles pouvaient toujours se rendre compte de leur présence. Hors de question de laisser gâcher ce moment qui n'appartenait qu'à eux... Alors, sans même se consulter, ils firent silence pour un temps.

D'ordinaire, le couple prenait son temps. Tant et si bien que leurs ébats duraient parfois quelques heures. Mais, à la lisère du lac, près des frontières et à portée de voix d'une grande célébration, ils s'octroyèrent juste ce qu'il leur fallait pour exprimer leur amour dans la douceur de l'automne grandissant.
D'habitude, Fenris découvrait lentement le corps de sa compagne. D'abord des yeux, en retirant ses vêtements centimètres par centimètres, laissant le tissu peiner ses ses formes avant de les aider à se volatiliser. Il ne la touchait qu'à peine, décuplant son désir de le voir aller plus loin dans son approche. Il parcourait ensuite sa peau de ses mains en de multiples caresses, tantôt délicates, tantôt plus appuyées. Enfin, ses lèvres suivaient le même chemin, goûtant chaque parcelle de peau qui lui était accessible, sa langue se mêlant imprévisiblement à son exploration. Il n'était pas rare qu'Halie jouisse sous de langoureux baisers qu'il appliquait sur son intimité avant de l'accompagner dans ses propres soupirs et de goûter à nouveau au plaisir de l'extase. Avec son enseignement, il était devenu un excellent amant...
Mais cette fois, ils ne pouvaient pas se permettre tous ces détours, ces jeux complices pour accroître lentement leur désir avant de céder à l'envie d'un corps à corps fougueux. Ce fut pourtant tout en tendresse et passion qu'ils se dévêtirent l'un l'autre avant de rejoindre lentement le sol. Pas un instant ils ne se détachèrent l'un de l'autre, leurs baisers se faisant toujours plus langoureux. Leurs peaux se retrouvèrent avec délice, Fenris soulevant une jambe de sa bien aimée pour la sentir davantage contre lui. Et, bien vite, ils s'accompagnèrent vers le sol qui leur tendait les bras. Halie sur lui, il était à hauteur de sa poitrine et prit enfin le temps de la saluer, dardant les pointes pour attiser le plaisir de la belle rousse. Ses soupirs provoquèrent des frissons qui électrisèrent toute sa colonne vertébrale. Puis ils se laissèrent aller à leur envie, entamant cette danse lascive qui leur procurait mutuellement tant de plaisir.
Ce qu'il pouvait l'aimer. Ce qu'elle avait pu lui manquer... L'Aigle le lui témoigna à plus d'une reprise, que ce soit par les mots ou par les actes. Son surnom intime lui échappa quelques fois alors que ses sensations se faisaient plus intenses. Ses soupirs se mêlèrent à ceux de sa compagne tandis que leur jouissance approchait, d'abord lentement puis à grands pas. A défaut de gémissements, il attendit un signe... Un geste d'Halie, un soupir plus profond, un râle étouffé... En l'occurrence : un baiser volé pour s'empêcher de crier. Et il se laissa aller à son tour à l'extase. Il continua ses allées et venues plusieurs secondes encore, déroulant leur plaisir aussi loin qu'il lui était possible. Et puis, tout s'apaisa à mesure que leur jouissance s'éloignait. Il décéléra ses vas et viens. Leurs lèvres se firent moins gourmandes. Leurs respirations s'essoufflèrent alors que leurs cœurs battaient toujours la chamade.

Épuisé par l'intensité de l'acte, Fenris se laissa tomber sur le sol pour pouvoir s'écrouler de tout son poids. Alors qu'il regrettait déjà de devoir se séparer d'elle, il accueillit Halie avec la plus grande joie lorsqu'elle vint se blottir contre lui, la serrant dans ses bras avec une force tendre. Lorsqu'elle trouva sa main, il étreignit ses doigts de la même manière. Chacun de leur geste était encore plus emprunt d'amour maintenant alors qu'ils venaient pourtant d'en exprimer toute la puissance... C'était un paradoxe qui l'avait toujours fasciné et qu'il adorait à la fois. Il appréciait presque plus ces quelques minutes qui suivaient l'acte que l'acte en lui-même. Si la chose était comparable...
Halyalindë se redressa pour venir le surplomber. Il l'enveloppa d'un regard débordant de bonheur et de douceur tandis qu'elle caressait une cicatrice, témoin de leur histoire commune. Les yeux verts de la belle ne trouvèrent les siens qu'après un petit moment et, au delà du reflet de ses propres sentiments, il y perçut quelque chose d'inhabituel.

C'était la seconde fois qu'elle lui semblait un soupçon étrange. Comme si elle se retenait de lui parler de quelque chose.

Cette fois, il ne retint pas son froncement de sourcils, sans pour autant se départir de son sourire. Comme si rien ne pouvait gâcher ce moment...

-Vas-tu me dire ce qu'il y a ? Demanda-t-il doucement.

Soudain, il se redressa tout en roulant sur le côté, forçant la rousse à échanger leurs positions : elle allongée et lui au-dessus d'elle.

-Ou dois-je te l'arracher de force ? Lâcha-t-il dans un soupire.

Nulle réelle menace dans le ton de l'Aigle. Il pensait simplement lui extorquer une maigre confession sans se douter un instant de la question qui la préoccupait. Aussi prenait-il la chose avec légèreté, sa bouche restant sérieuse alors que ses yeux étincelaient de rire.

Une inspiration et elle se retrouva dos au sol à retenir un gloussement bref. Sa main libre était agrippée à l'épaules de l'Aigle, l'autre clouée près de sa tête sans s'être libérée de son étreinte. Il murmurait doucement, la guettant de ses yeux rieurs. Son air faussement sérieux était rendu totalement inefficace par la fine tresse qu'elle voyait glissé derrière son oreille.

Elle se cabra pour happer ses lèvres sans le déloger. Longuement. Langoureusement.

Encore une fois il lisait en elle avec facilité, percevant la question qu'elle retenait. Et au lieu de s'en faire, de se taire ou de dramatiser, il avait suffisamment confiance pour simplement lui poser la question. Elle ne prêtait pas toujours attention à ces petites preuves quotidiennes, mais lorsqu'elles lui sautaient aux yeux, elle s'en émerveillait deux fois plus. Elle était même étonnée d'avoir réussit à garder son projet pour elle pendant de si longs mois... Et encore plus étonnée que ni sa mère ni ses frères aînés ne lui aient dis quoi que ce soit sur l'acharnement qu'elle avait mis à obtenir une entrevue avec la matriarche de la famille.

Pendant qu'elle se reposait sur un coude, ses doigts caressèrent tendrement la joue de sa moitié. Elle prit une inspiration, faillit poser la question de but en blanc, mais se reprit à temps.

- Mon loup blanc... tu es la plus belle chose qui me soit arrivée " murmura-t-elle en admirant son visage si près du sien. " Tu connais tout de moi et malgré mon passé, tu ne m'as jamais jugé. La louve, la Protectrice, la femme. Tu m'as acceptée entièrement, telle que j'étais. Et encore aujourd'hui tu acceptes que j'évolue, que je change et tu m'accompagnes dans mes choix, bons ou mauvais, en me laissant faire mes propres expériences. "

L'émotion perçait peu à peu dans sa voix. Voyant son amant prendre une inspiration un peu plus profonde - peut-être pour parler - elle avait doucement glissé ses doigts sur ses lèvres. S'il l'interrompait, elle n'arriverait jamais à retrouver le fil. Trouver les mots n'était pas facile pour elle. Elle avait passé du temps à préparer ce qu'elle dirait pour exprimer ce qu'elle ressentait avec autant de syllabes et de mots intelligibles que possible. Elle avait écrit, imaginé et rêvé cet instant... Et aucun ne collait même vaguement avec la réalité.

A l'origine, c'était presque un discours qu'elle avait finit par écrire et réécrire, mais elle n'en retrouvait que quelques bribes ce soir. Peut importait pourtant. Chaque mot qu'elle prononçait l'était avec fluidité et sincérité. C'était comme si les idées s'organisaient d'elles-même.

- Grâce à toi j'ai arrêté de fuir, et je peux me tenir droite sans aide. Je n'ai plus peur. Ni de ce que j'ai été, ni de ce que je pourrais devenir. Pourtant, je ne me sens jamais aussi forte que quand tu es à mes côtés. Tu m'as appris ce que c'est d'aimer et d'être aimé sans condition. De se livrer totalement. "

Sous le regard asymétrique de Fenris, elle n'avait pas peur. S'en était étrange. Après Kaelan, elle ne pensait plus jamais pouvoir envisager une relation sur le long terme, mais la seule tension qu'elle sentait à cet instant était due aux battements de son cœur. La seule peur qui restait était celle ne de pas entendre la réponse qu'elle voulait... Et en même temps, ce n'était même pas réellement une option.

- Je n'ai jamais rencontré un Souffle aussi noble et bienveillant que le tien. Peu importe ton âge. Peu importe ton rang ou tes hauts faits. Tu es un homme exceptionnel. " souffla-t-elle en échos de cette fois où il lui avait avoué en avoir assez de voir toutes ses actions et ses réflexions jugées à l'aulne de son jeune âge." Je ne peux plus imaginer ma vie sans toi, Fenris.

Elle y pensait depuis longtemps. La main de l'ardamirie glissa de ses lèvres à son pectoral gauche, juste au niveau de son cœur. Sur le ton de la confidence, les yeux vrillés dans ceux de son amant, elle avait sentait son cœur battre jusque dans ses tempes. Mais elle ne pensa pas un instant à s'interrompre. En un court frisson, elle susurra le refrain qui avait pavé leur vie à deux comme une ultime confession.

- Une oreille pour t'écouter. Une épaule pour pleurer. Des bras pour t'étreindre. Des mots pour te faire rire.  Pour aujourd'hui, pour demain, et à jamais... si tu veux bien me prendre pour femme ? "

Pendue aux lèvres de Fenris, elle avait le sentiment à la fois terrifiant et grisant d'avoir sauté d'une falaise.

Fenris accueillit son baiser, y répondant avec la même intensité. La passion toute récente qui les avait animé quelques minutes plus tôt l’habitait encore. Cependant, il n’oubliait pas qu’elle lui devait une réponse et ne manqua pas de le lui rappeler d’un regard lorsque leurs yeux se retrouvèrent. S’il savait lire dans l’attitude et les regards de ses interlocuteurs, Halie était un livre ouvert pour lui car ils partagèrent le même coeur.
Enfin… Le croyait-il jusque là.

A la façon qu’elle eut de l’appeler, Fenris sentit immédiatement le trouble dans sa voix. Et son impression ne fit que se confirmer à mesure qu’elle parlait. Il allait lui demander ce qu’elle avait lorsqu’elle l’empêcha de prendre la parole de quelques doigts posés sur ses lèvres. Il ne sut alors s’il devait s’inquiéter ou s’enorgueillir des compliments qu’elle continuait de lui attribuer.

-Je ne peux plus imaginer ma vie sans toi, Fenris.

L’Aigle fronça brièvement les sourcils. Pas d’inquiétude à avoir alors. Et donc, quoi ? Pourquoi tout ce discours ? Lui, d’ordinaire si clairvoyant, ne semblait pas comprendre où elle voulait en venir. A moins que son esprit lui-même ne fasse barrage à la principale possibilité à laquelle on pouvait songer dans une telle situation.

Et la question sonna enfin.
Les yeux jusque là rieurs et interrogateurs tout à la fois cédèrent subitement place à la stupéfaction. Son sang cessa de circuler, le temps de s’écouler, la Symphonie de lui parler… Durant un court laps de temps qui parut durer une éternité à l’un comme à l’autre, Fenris resta comme pétrifié au-dessus de sa bien aimée.
Il s’était attendu à tout… mais pas à cela.

Être son époux…
Attacher sa vie à la sienne.
S’unir aux yeux de leurs pairs, de leurs parents, des Dieux eux-mêmes…
Pour l’éternité.

Mais quelle idée !

Fenris se pencha subitement pour voler un baiser à Halie, prenant soin de ne pas blesser le poignet qui se trouvait près de son coeur. Il l’embrassa avec une passion nouvelle et différente à la fois.

Mais quelle idée ! Que n’y avait-il pas pensé lui même ?

Leurs lèvres se séparèrent et il posa son front sur celui de sa compagne. Sa voix se fit à peine murmure…

-Oui…

Puis il se releva, sans s’éloigner d’elle. Juste assez pour plonger son regard débordant de bonheur dans le sien. Sa voix se fit un peu plus sonore.

-De tout mon être et de tout mon Souffle, oui.

Un baiser. Elle ne pouvait faire autrement que de lui rendre, malgré la tension qui l'habitait. C'était un non temps. Un flottement dans ce qui ne manquerait pas d'arriver. Ses entrailles étaient à ce point serrées qu'elles ne devaient plus occuper qu'une part infime de son corps. Qu'il réponde. Tout mais qu'il réponde. Par pitié.

Elle avait sa supplique que le bout de la langue, mais le souffle lui manquait. Lorsque leurs lèvres se séparèrent, ses poumons n'eurent pas le droit à la moindre once d'oxygène. Leurs front appuyés l'un contre l'autre, ainsi face à face, ils auraient pourtant du partager le même air

Et un murmure

Elle recommença à respirer, exhalant avec soulagement. Son corps entier battait d'un même rythme. Un sourire lumineux se fraya un chemin jusqu'à ses lèvres au fur et à mesure que l'évidence s'imposait à son esprit.

Un mot si court pouvait rendre à ce point heureux ?!

Elle plongeait de nouveau dans ce regard qui la surplombait, aussi rayonnant que le sien pouvait l'être. Il se répéta. Il acceptait.

Il acceptait !

Ça n'avait rien d'étonnant. Il avait toujours su. Où il s'était toujours montré ainsi. Et pourtant elle se sentait libéré.

Le sourire se changea en un rire qu'elle laissa tinter dans la nuit qui les cachait du reste du monde. Libérant le coude sur lequel elle était appuyé, elle passa ses deux bras autour du cou du militaire pour venir l'embrasser et l'étreindre à nouveau, défiant la gravité qui le lui rendit bien en les rattrapant tous deux. Tout était pareil et pourtant, elle aurait juré que quelque chose d'infime avait changé. La sensation de deux cœur battant un peu plus près l'un de l'autre ? D'un bonheur si étroitement entremêlé qu'on ne pouvait distinguer à qui il appartenait ?

La preuve anecdotique d'un lien profond qui se trouvait être partagé.

Leurs corps nus se pressaient l'un contre l'autre tandis qu'elle venait nicher son visage dans le cou robuste de son fiancé... Fiancé...

- Je t'aime. " souffla-t-elle à son oreille d'une voix enrouée par l'émotion.

A la première inspiration d'Halie après qu'il ait brisé le silence, il réalisa seulement ce qu'elle venait de vivre. Elle était restée suspendue à ses lèvres, attendant sans doute la peur au ventre qu'il lui réponde. Il avait été lui-même si surpris et ému par la question qu'il ne s'était pas rendu compte de l'état dans lequel se trouvait sa compagne. Alors, lorsqu'elle le serra contre elle, il l'étreignit un peu plus fort pour se faire pardonner et la rassurer. Il répondit à sa déclaration par un baiser dans le cou et l'enserra encore. Il resta ainsi un moment et ne chercha à se redresser que lorsqu'il sentit le cœur de la belle s'apaiser doucement.

Son visage au-dessus de celui de la rousse, il la détailla un instant, les yeux débordant encore de ce trop plein d'amour qui l'avait envahit si soudainement après avoir intégré la demande d'Halie et avant même de l'accepter. D'un doigt, il dégagea son visage d'une mèche rebelle pour l'observer dans son entier. Elle avait eu peur, il le voyait à présent malgré son sourire.

-Comment as-tu pu douter de ma réponse ? La sermonna-t-il, un rictus amusé trahissant son air faussement sérieux.

Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, toutes les épreuves, toutes les douleurs, toutes les forces qui avaient tenté de les séparer sans succès... Leur amour avait non seulement tenu bon mais s'était consolidé chaque fois un peu plus. Certes, ils étaient aussi différents que la lune et le soleil mais c'était ce qu'ils préféraient chez l'autre : leurs différences.

-Et, à présent que tu me l'as demandé, je m'interroge sur le fait de ne pas y avoir pensé moi-même. Il eut un sourire désolé avant de poursuivre. J'étais préoccupé sans doute.

Il y avait de quoi l'être.
A cause de ses parents (et en particulier de sa mère) ? Non, leur avis sur leur relation n'avait rien changé. Depuis qu'ils avaient officiellement rendue leur liaison publique, il avait veillé sur le père de sa compagne comme s'il avait été le sien, il avait demandé son transfert à Ardamir, ils avaient emménagé ensemble... Non, cela ne l'influençait en aucune manière.
En revanche, ses nouvelles fonctions lui prenaient du temps et de l'énergie. Il avait beaucoup à faire, beaucoup à réfléchir, et les responsabilités allaient de paire avec sa charge. Même en congé, il passait toujours quelques heures par jour à travailler pour prendre quelques notes dans son carnet, répondre à une lettre ou deux, faire son rapport à ses supérieurs... Rares étaient les occasions où il libérait véritablement son esprit et il le faisait toujours en compagnie d'Halie pour profiter pleinement de sa présence.
Il aurait pu y penser lui-même... S'il en avait eu le temps.

-Moi, en revanche, j'aurais pu avoir très peur de ta réponse.

Il n'y avait aucun reproche ni aucun jugement dans la voix ou le regard de Fenris. Il savait l'expérience qui avait été celle d'Halyalindë. Il savait pour son précédent époux et ne lui en avait jamais tenu rigueur. Ce qu'elle avait été et ce qu'elle avait fait avant de le connaître ne le concernait en rien et il n'avait pas à émettre d'avis à ce sujet. Par contre, il savait que Kaelan s'y était pris à de nombreuses reprises et que cela lui avait pris plusieurs années avant d'obtenir un "oui". Sans compter qu'elle avait été très affectée par la perte de son mari et de son fils... S'il avait eu à faire sa demande, il aurait légitimement pu craindre qu'elle ne se refuse à lui indéfiniment.
Il eut un sourire sincère et se pencha pour lui parler un peu plus bas.

-Je suis d'autant plus touché par ta demande. Tu ne saurais faire de moi un homme plus heureux.

- Ne me regarde pas comme ça... comme si tu étais désolé. C'est bien comme ça. " mumura-t-elle en suivant ses lèvres du bout des doigts avant qu'il ne reprenne, plaidant la préoccupation pour s'excuser de ne pas avoir lui-même fait sa demande.

C'est vrai qu'à présent - et malgré son apprentissage au dispensaire - elle était celle des deux qui avait le plus de temps pour elle. Mais la raison qui rendait réellement important le fait que ce soit elle qui pose cette question fatidique, Fenris la comprenait sans mal.

Oui, il aurait pu avoir peur de sa réponse. Se connaissant, elle ne savait pas quelle aurait été sa propre réponse si le jeune homme avait fait sa demande. Ce n'était pas qu'elle doutait, mais la situation était trop connotée dans sa mémoire pour qu'elle jure de sa réaction. Et cette connotation surannée, elle ne voulait plus en rester prisonnière.

Le murmure de Fenris la toucha au cœur.

- Je suis sûre qu'en quelques siècles je saurai te rendre encore plus heureux... " Elle l'embrassa à nouveau... Avant que la raison qui l'avait si longtemps fait hésité revienne à la charge... " J'y pense depuis des mois, tu sais... Et ce n'est pas parce que je doutais que je n'ai rien dit. Ça fait plusieurs mois que j'essaie d'avoir une entrevue avec ta mère pour tenter une dernière fois de lui expliquer. Je me suis dis que ça serait peut-être important pour toi, et je voulais faire les choses correctement... Essayer de lui faire comprendre que je ne mentais pas quand je lui ai dit que tu étais l'homme de ma vie. " Elle espérait qu'il ne lui en voudrait pas, sans trop savoir si c'était le fait d'avoir essayé de traiter avec sa famille sans lui dire ou d'avoir échouer qu'elle devait se faire pardonner.

Fenris accueillit le baiser d'Halyalindë avec une sourire non dissimulé. Sans un mot, il pria Kÿria qu'elle leur accorde ce bonheur-là. Ce serait pour eux l'accomplissement ultime, l'aboutissement d'une longue série de tumultes, l’apothéose d'une relation déjà si intense et fusionnelle. Le plus beau cadeau que l'on puisse faire à un pratiquant aussi sincère que lui : la participation à la création de la vie d'un être.

Vinrent ensuite les explications d'Halie sur le fait de ne pas lui avoir demandé plus tôt. Il n'avait rien demandé pourtant... Rien dans ses paroles ne suggérait qu'il aurait pu espérer qu'ils se fiancent plus tôt. Cependant, en l'écoutant, il comprit qu'il ne s'agissait pas pour elle de se justifier mais plutôt de s'épancher sur cette relation toujours conflictuelle avec sa mère. En apprenant que cette dernière lui fermait complètement sa porte, Fenris eut un soupire désolé. Désolé pour elle, pour eux... Pour Melian.

-Je ne suis pas sûr que les mots suffiront à présent. Je vois son visage se fermer chaque fois que je fais mine de vouloir aborder le sujet. J'ai fini par me contenter de simplement lui montrer que je suis heureux mais elle est si persuadée que je vis dans le mensonge que cela n'a aucun effet. Je crois hélas que seul le temps aura raison de ses doutes.

Bien sûr qu'il ne lui en voulait pas. Comment le pourrait-il ? Elle avait tenté de faire un dernier pas vers celle qui la rejetait et n'avait essuyé que des refus. Elle avait voulu suivre la tradition, en parler aux parents du plus jeune du couple avant de faire sa demande et n'avait pu s'y conformer. Rien de tout ceci n'était de sa faute. Et ils n'étaient pas à quelques mois près... Ils avaient l'éternité devant eux à présent.
A cette pensée, il sourit à nouveau et se pencha pour la glisser à l'oreille d'Halie dans un murmure avant de déposer un baiser dans son cou, suivi d'un autre... et d'un autre... profitant du doux contact de sa peau sur ses lèvres.