Causalité: Demonstration par la poisse [Kahveka]

Cité d'Elda, tard un soir d'automne de l'an 13. La ville ne dort jamais vraiment. Nichée au creux d'une ruelle non loin de l'étude noire se trouve une taverne illuminée jour et nuit. Comme tous les soirs, cette taverne était animée, emplie d'un public majoritairement composé d'apprentis de l'académie. Mais ce soir était special, car ils "accueillaient" les petits nouveaux.

Dans une alcove discrète mais dotée d'une bonne vue de l'action, une jeune drow consultait un ouvrage en grignotant la spécialité du lieu. A coté d'elle, sur la table, une pile de documents semblaient attendre leur tour.

Le leader des étudiants, un beau drow baraqué dont la predisposition à la magie était inversement proportionnelle à l'intelligence -laquelle lui manquait clairement- traversa les rangs des petits nouveaux déjà couverts de crasse pour distribuer quelques gifles, sous les rires de ses congénères.

Shyn'tae surveillait tout cela de loin. Ces imbéciles manquaient d'imagination cette année. Même Keh'vin, le leader, ne changeait guère. L'arcaniste referma le livre, puis dégaina son épée et la placa à l'horizontal, devant son visage, en observa le tranchant à la lueur des bougies.


C'est qu'elle prenait du plaisir à ces soirées étudiantes. Evidemment pas le même que celui des imbéciles en bas... quoique.

Bientôt, Keh'vin allait monter sur une table, se dit-elle. Il le fit.

La drow écoutait, mais ne bougeait pas.

Puis il commencerait son discours composé majoritairement de blague à l'encontre du corps professoral, évidemment sous les rires d'un auditoir assez éméché pour être facilement conquis. Il le fit.

L'épée commença un mouvement souple, suivi par celui de son bras libre. Nul besoin de se lever, ce serait facile.

Puis viendrait le tour de la blague de mauvais goût sur CETTE professeur de dynamique. Le volume des rires décrut sensiblement. Ceux-là était plus malins que les autres, dommage qu'elle soit trop occupée pour les identifier. Keh'vin, lui n'apprenait jamais.


L'épée fendit l'air. Il y eut un gros bruit lorsque le mâle alpha trébucha piteusement au meilleur moment de l'histoire, et que sa tête vint violemment heurter la table en chêne.

Ouch, ca fait mal ca, pensa-t-elle, en posant la lame sur la table.

Un silence stupéfié s'était emparé de la salle, et Shyn'tae reprit l'ouvrage là où elle l'avait laissé.

Ils n'apprennent jamais, murmura-t-elle à l'adresse des murs.

Une brise légère venue des cieux secoua l’échine de notre assassin d’un frisson ressentit jusqu’à la pointe de ses doigts. À la surface du Vatna, pour que l’air s’immisce traîteusement au travers tous les étages, il devait très certainement dehors vanter à en faire plier tous les bois. Pour autant que cela le dérangeât, cela ne l’empêcha guère à conquérir les venelles et ruelles débouchant sur une certaine festive taverne, dont la devanture arborait fièrement l’écriteau : « Le fond du baril ». Nippé d’un commun habillement, il usa de la venue de quelques nouveaux clients pour faire son entrée en même temps qu’eux. Ainsi il s’assura de ne soulever aucune vague, même si la chose lui était fort probablement inutile : ici, sa tronche ne devait certainement pas revenir à quiconque. Une fois entré dans l’établissement de débauche, bien que le chahut audible de l’extérieur vendit la mèche à moitié, il constatât que la fougue de la jeunesse avait bien débraillé le bousin. Au travers l’atroce cancan, des ricanements bien gras et des cris de liesses se démarquaient ici et là, démarquant les quelques groupes d’étudiants des autres habitués.

Bien qu’il y avait dans ce grotesque rassemblement matière à s’égosiller, Kah ne s’attarda que brièvement aux pitreries des juvéniles Drow. C’est vers les maints renfoncement de l’établissement qu’il dirigeât plutôt son intérêt. Ses mirettes sanguines sondèrent chacune des chambres à air ouvertes, dans l’espoir de dénicher l’objet de sa convoitise. Dans une, à en voir la quantité de godets asséchés de leur contenu, trois femmes buvaient leur saoul en se moquaient sans une once de gêne des turbulents étudiants. Dans la seconde, eux aussi, semblaient avoir grande soif, mais n’avaient cure du tumulte de la taverne. D’une prime œillade, ces deux hommes lui paressèrent comme de bonnes âmes charitables, prêtes à aider leur prochain : ils se donnaient mutuellement des coups de main –pour ne pas dire de poignet- sous la table. Il faut croire que ce quartier manquait cruellement de maison de passe ou de lupanar pour que leurs envies luxueuses ne puissent s’en voir purgée ailleurs qu’ici. Enfin, dans la troisième alcôve, il vit celle qui justifia sa présence en ces lieux.

Or, il ne se soucia plus de ceux qui croisaient leurs chopines bras dessus bras dessous, s’immisçant au travers la foule pour s’approcher en catimini de la professeure. Tout juste avant de se manifester devant elle, il odit un boucan de tous les diables, se retrouvant dans l’obligation d’obliquer son regard en direction du spectacle humoristique. L’un des chefs de cette bande de taré s’était vraisemblablement emmêlé les petons ensembles, s’en allant embrasser à pleine bouche le chêne d’une tablée adjacente. Il entendit le fracas tonner mais ne s’en fit guère de trop : ce qui l’intéressa réellement à ce moment était à belle proximité. Il fit un pas d’avant et s’introduisit devant Shyn’Tae, juste avant qu’elle n’eut terminé de ranger sa prodigieuse lame.

« C’est une bien jolie lame. À trop la fixer, on pourrait s’y perdre dans son éclat et en toute aisance faire preuve de grande maladresse, n’est-ce pas? » Il attendit qu’il capte totalement son attention, inclina le chef en sa direction en guise de salutation puis continua. « Loin de moi l’idée de vouloir vous voler à la compagnie de ces intéressants vélins, mais … Seriez-vous encline à accepter une, disons ... plus chaleureuse visite? » Entre temps, avant son arrivée inopinée, il s’était débrouillé pour dérober deux coupes intactes d’une tablée surpeuplée de ce même breuvage. Les paltoquets qui les avaient commandés en une déraisonnable quantité seraient fort probablement bien heureux d’avoir ce fait don involontaire, cela, Kah en était bien certain. « Et quoi de mieux que de boire pour faciliter les rencontres nouvelles ? »

Dans la salle, des étudiants hésitaient à porter secours à leur malheureux comparse, peut-être de peur d'être maudits à leur tour. Mais la demoiselle n'en avait cure. Son regard s'était perdu sur le reflet des chandelles et des motifs de magie qu'elle seule percevait, lesquels habitaient la lame aussi bien polie qu'un miroir. Une ombre occulta la lumière.

« C’est une bien jolie lame. À trop la fixer, on pourrait se perdre dans son éclat et en toute aisance faire preuve de grande maladresse, n’est-ce pas? »

La drow leva les yeux vers le noirelfe qui s'était approché, un debut de sourire aux lèvres, la lame parfaitement immobile.

- Elle est fougueuse, mais ne tourmente pas ceux qui savent la séduire… chuchota-t-elle à sa seule adresse. Son regard intense fit le tour de la personne qui s'était présenté à elle pour s'arrêter finalement sur ses yeux, alors que ce dernier poursuivait.  

« Loin de moi l’idée de vouloir vous voler à la compagnie de ces intéressants vélins, mais … Seriez-vous encline à accepter une, disons ... plus chaleureuse visite? »

« Et quoi de mieux que de boire pour faciliter les rencontres nouvelles ? »

Son sourire grandit et devint malicieux. Ce mâle avait des manières, elle aimait ceux qui prenaient plaisir à jouer des mots. D'un geste souple et calculé, la magicienne déposa délicatement la lame sur la table devant elle, à portée, puis indiqua d'un geste courtois la banquette à ses cotés.

- Ce serait un plaisir, bel inconnu. Cette lame vous plait tant, que je propose qu'elle nous accompagne dans cette soirée. Continua-t-elle, tout en rangeant ses manuscrits avec l'agilité que confère l'habitude. Une fois l'espace dégagé, la noirelfe saisit délicatement la coupe que lui tendait Kahveka, le visage penché vers lui. Le mâle n'était pas du mélange habituel de magiciens, apprentis et autres employés de l'étude noire qui fréquentaient habituellement les lieux. Il dégageait de lui une aura d'expérience et d'audace qui la poussaient irrésistiblement à lui rendre la pareille.

- Vous n'êtes pas un habitué de ce lieu de débauche, si je ne me trompe pas. Avez-vous comme distraction de débusquer les demoiselles esseulées, ou votre apparition est-elle le fruit d'un délicieux hasard ?

 
S’il s’attendait à aussi charmante compagnie … Son sourire s’en vit tout de suite contraint à s’accentuer, forcé à gagner en prospérité lorsqu’il constata le sens de la répartie de sa comparse. Lui qui jusqu’alors pensa que « ennuyeux » et « barbant » furent les principaux prérequis pour accéder à cette fonction, resta bien surpris de voir qu’aux premiers abords icelle n’avait rien son bagage qui saurait gâcher sa soirée. Soulignant leur rencontre nouvelle, le sombre souleva sa coupe pour trinquer et s’abreuver d’une généreuse lampée.

« Alors … Il vous plait d’observer de loin ces animaux ? Parce qu’entre singes et étudiants … » Son trait d’esprit à peine amené sur table, qu’aux devants de leur alcôve se manifesta deux jeunesses qui s’adonnaient à quelques excès de virilité. « Il n’y a qu’un pas. »

Sa remarque suscita l’hilarité de sa voisine, gloussant discrètement puis emprunta un air faussement innocent. Elle s’abreuva d’une gorgée à son tour puis reprit la perche. « J’apporte seulement ma maigre contribution à leur éducation. Apprendre un peu à respecter l’autorité. Et ne pas se fier aux apparences. Parfois, elles sont trompeuses. » Les mires sanguines du spadassin croisèrent celles de sa vis-à-vis, s’y voyant pratiquement comme dans une glace. La thaumaturge laissait planer en son regard des étincelles de malices, promptes à égaler celles du sombre. « Ils grandiront, peut-être. Vous étiez différent, plus jeune ? »

Kah pinça des lèvres. Lui qui l’avait prise par la main dans l’espoir de l’amener dans une conversation qui lui servirait, s’était retrouvé bien agacé qu’elle prenne les rênes. Pour autant qu’il fût dérangé par son audace, l’éclat de son sourire revint bien assez tôt. Pourquoi se presser ? « L’époque n’était pas la même, elle n’était pas aussi … permissive. Icelle ne laissait aucune place aux écarts de conduite, aux gens trop curieux qui cherchaient à parler plus fort que leurs précepteurs et encore moins aux hérétiques. Avec l’arrivée du nouveau triumvir, cela tend à changer. » Il dévia son attention de sur elle au profit des jeunes dégénérés enivrés d’alcool. Il se douta bien que parmi eux devaient très certainement s’amuser quelques âmes talentueuses, mais au fin fond de lui, c’est au fouet qu’il les éduquerait.

« Nous avons beaucoup en commun, il me semble. » Dit-il du tac au tac, sans se soucier qu’elle comprenne qu’il s’était probablement renseigné sur elle avant sa prime arrivée. « Nous sommes tous deux assoiffés de savoir, bien que le savoir sait prendre maintes formes. Vous lisiez … ? » Son regard carmin se déposa contre la pile de bouquins et de manuscrits, quittant momentanément le confort que lui procurait le regard de chat de sa voisine.

« Le temps peut aussi déformer notre mémoire, et la curiosité est autant un défaut qu'une qualité. Sans elles, notre artisanat ne prendrait pas si bien son essor, et les mages ne pourraient s'élever bien haut. Et Isten nous enseigne que l'ordre n'est pas tout, notre passion sert aussi Uriz. Tant qu'elle est canalisée dans la bonne direction. Les dieux nous ont dotés de ce feu, ce serait dommage de ne pas l'utiliser à leur service. » La petiote lui fit montre de bien de débrouillardise, pour ne pas s’empêtrer dans la gadoue. Sa question, si elle ne fût guère posée pour la piéger directement, chercha très certainement à la faire glisser sur cet épineux sujet. La jeune professeure se saisit du livre régnant sur la pile et le rapatria entre eux. « Il faut être idiot pour ne pas rechercher le savoir, ou avoir assez confiance pour confier cette tâche à quelqu'un d'autre... » Kah ne pipa mot à sa logorrhée, la laissant s’expliquer et préféra épier les expressions de son faciès et de sa posture. Il vit ses doigts quitter le confort des reliures du livre pour se poser de manière sensuelle et tendancieuse  contre sa précieuse lame. Joueuse jusqu’au bout des doigts …

« Je m'intéresse surtout aux savoir académiques. La magie, les lois du monde, la théologie, mais j'aime aussi de bonnes histoires. » Empruntant le même air d’allé que tantôt sur sa lame, ses doigts filèrent et glissèrent jusqu’à la main du spadassin, dessinant distraitement contre la surface d’icelle quelques arabesques. « Vous avez l'air d'en avoir vécu beaucoup. À accumuler du savoir? Pas le genre qu'on trouve dans des bibliothèques, j'ai l'impression »

« C’est une manière détournée d’affirmer que je suis vieux ? Car si oui, c’est rondement amené. » Néanmoins, malgré qu’il avait peut-être mit doigt sur la vérité, il n’en dérida pas pour autant. Son sourire était là et se plaisait à illuminer son faciès d’amusement. « C’est l’expérience qui m’a offert tout ce bagage de connaissances. Et au fil du temps, j’ai fait main mise sur maintes historiettes. D’ailleurs … » Il s’enquit de sa coupe de sa fausse patte, de sorte à ne pas déranger le manège que les doigts de Shyn’tae faisaient contre sa jumelle. « Cela me fait penser à l’une d’elles. Une histoire très charmante et très légère, qui saura très certainement égayer d’avantage ce si joli sourire. » Fit-il référence à l’adorable bouille qui lui faisait face.

« Une connaissance à moi fut approché par le Triumvir, une fois, afin de lui tenir quelques basses messes. En vertu de ses talents de bonimenteur, l’homme en question reçut comme mandat de devenir l’un des moult hameçons du Triumvir. C’est que l’Entité réservait aux Puysard ses meilleurs desseins. Parmi eux, un se démarqua par ses méthodes peu orthodoxes et originales : la Purge. L’hérésie étant au cœur de tous les maux de notre société, c’est sans pincettes que le gouvernement décida d’enrayer ce mal une bonne fois pour toute. Les méthodes, la façon de s’y prendre, tout cela n’avait que peu d’importance : du moment qu’il y avait un résultat. » Kah avait désormais ses yeux plantés dans les siens, ne trouvant plus chemin à s’y soustraire.

« Alors, cet homme qui fût approché, hérita d’un mandat propre à ses capacités : il devint le premier appât. Ils mirent à sa disposition une flopée de scribes dévoués et se mirent à rédiger, encore et encore. Jusqu’à ce que leur labeur ne mette au monde un répertoire abracadabrant de connaissances variées. Et par variées, comprenez proscrites … »

L’assassin empoigna une dernière fois sa coupe puis s’abreuva des dernières gouttes, toujours sans dériver son regard du sien. Il avait grande soif, un soif qui ne pouvait être étanchée autrement que des réactions de sa partenaire. Après qu’une menue pause se soit écoulée, il retint un bref rictus. Il mit son histoire en suspension pour commenter la finalité avant de la lui dire réellement. «  Si vous saviez comme de nombreuses âmes s’y sont faites prendre … En moins de deux, il fût dévalisé de ses ouvrages. Si le pauvre s’attendit à pincer aisément quelques hérétiques, jamais il ne put se douter que ce fût aussi populaire. En liquidant ses bouquins profanes, il étiqueta chacun de ses acheteurs comme de potentiels égarés … » Il fit une pause, à nouveau. Il retourna la main sur laquelle elle s’amusa depuis tantôt puis se saisit autant de son index que de son majeur, comme pour s’assurer de capter son attention.

« Shyn’tae, n’est-ce pas ? » Termina-t-il en lui lançant cette rhétorique toute simple.

                                               

Quel drow. Il savait fort bien manier le verbe, s'enthousiasmait la magicienne alors que leur discussion prenait tours et détours comme un navire esquivant les récifs. Elle était depuis toujours friande de ce genre de jeu: les réfléchir, les faire naitre, puis leur donner vie. Ce n'était pas si different de la magie. Pour autant, le déroulé de la conversation l'inquiétait un tantinet. Doux euphémisme. A moins que le drow devant elle ait une idée très particulière des techniques de séduction, il n'était probablement pas là pour ses beaux yeux. C'était dommage, pensa l'audacieuse demoiselle, elle aurait préféré avoir le gaillard plutôt que les ennuis.


Subrepticement, ses doigts s'étaient posés sur la lame de l'épée, qu'elle caressa en poursuivant leur joute verbale. La sorcière pesait ses hypothèses et ses options. Aucune chance que le mâle soit un casanova, il lui faisait plutôt l'impression d'un chat qui jouait avec une adorable souris. Elle évalua ce qu'elle voyait de son corps, de sa peau parcourue de cicatrices. Experience, Assurance, Confiance. Il insistait sur le savoir, et vu les idées qu'elle cachait si bien au fond de son adorable petite tête, c. Elle le soupçonnait de manier les armes aussi bien qu'il maniait le verbe, sinon mieux. Dans un tel contexte, quelles étaient les chances qu'une dague soit là, toute prête à lui traverser le flanc si elle prenait la mauvaise décision? Si elle pouvait se fier à son jugement , aucune, car il savait tout comme elle qu'elle n'aurait ni le temps de préparer un sort, ni d'aller loin. En vilaine curieuse, la drow décida donc de les emmener au cœur du sujet.

Les doigts gracieux de sa seconde main entamèrent leur danse sur la main de l'inconnu, et elle enchaina « Vous avez l'air d'en avoir vécu beaucoup. À accumuler du savoir? Pas le genre qu'on trouve dans des bibliothèques, j'ai l'impression »

« C’est une manière détournée d’affirmer que je suis vieux ? Car si oui, c’est rondement amené. »
« Depuis quand l'experience est-elle devenue un défaut? » enchaina-t-elle aussitôt, joueuse. S'il pouvait continuer comme ca, elle n'aurait aucun mal à suivre.

Puis il commença à raconter son histoire. Elle sut en un instant où elle risquait de les mener. Flûte, pensa-t-elle. Hypothèse 3, ma préférée.  Je sais ce que fait ce gars dans la vie, et ce n'est vraiment pas un Casanova. Kahveka sentit ses doigts s'immobiliser un bref instant, son regard joueur devenir perçant.  Puis elle reprit ses caresses comme si de rien n'était. … L’hérésie étant au cœur de tous les maux de notre société...  C'était réducteur, nos maux ont des causes multiples, ne pût-elle s'empêcher de rationaliser intérieurement, avant de bien devoir reconnaitre que c'était exactement le genre d'idée qu'on pouvait lui reprocher.

Shyn'tae ne pouvait détacher ses yeux des siens, sourire en coin. Quelles cartes avait-il en main exactement? « Alors, cet homme qui fût approché, hérita d’un mandat propre à ses capacités : il devint le premier appât. Ils mirent à sa disposition une flopée de scribes dévoués et se mirent à rédiger, encore et encore. Jusqu’à ce que leur labeur ne mette au monde un répertoire abracadabrant de connaissances variées. Et par variées, comprenez proscrites … » Elle manqua s'étrangler, et Kahveka eut l'impression qu'elle hésitait entre éclater de rire et mourir de honte. Ce livre. Ce fichu livre. Probablement le pire achat de son existence, au point qu'elle ait hésité à offrir un accident tragique au vendeur. Elle ne l'avait même pas achevé tellement elle avait trouvé le contenu inepte. Et hérétique aussi. Oui, ca c'était certain admit-elle.  Inconcevable, se faire prendre ELLE, d'une telle manière? Il y avait de quoi devenir fou.

La drow fronça les sourcil, et inclina la tête sur le coté, jetant un regard soudain derriere son tourmenteur. Avait-elle bien vu?  Entre les tables, Les trois membres du Triumvirat, le grand prêtre Urgoll portait la flamme d'Uriz et Viconia. Chacunes dans une main, enlacées dans une danse passionnée le trio était auréolé d'un amour si pur qu'il était chatoyant. Viconia se tourna vers elle et, lui montrant le livre, lui lança un tendre baiser.

La thaumaturge demeura un long moment interdite, abasourdie, incapable d'interpreter l'impensable vision. Lorsque le drow finalement l'appela par son nom. L'apparition avait disparu. Shyn'tae cligna des yeux, cherchant une réponse. Zut, elle avait manqué la fin de l'histoire, ce n'était pas ce genre d'attitude qui allaient lui éviter une ordalie.

-Heu... Je… Hum. C'est moi en effet. Elle finit d'une gorgée son verre pour se donner le temps de chasser l'abominable vision de son esprit. Shyn'tae Vaen're d'ailleurs, mais cela n'a pas grande importance. Excusez-moi, l'histoire était si belle, je suis émue. Entre ses doigts, elle tremblait légèrement, mais la surprise avait déjà disparu de son visage, remplacée par un sourire plein d'innocence. Quelque part, maintenant qu'elle connaissait les enjeux, elle était rassurée. Et quel plaisir y avait-il à vivre sans danger?

Je me souviens de ce livre. Une abomination et un achat fort regretté. J'espère que l'argent des ventes a été utilisé à bon escient et que les scribes se sont bien amusés à les écrire. J'espérais sans trop y croire que nos ennemis  soient aussi bête que ce que votre ouvrage laissait penser. Merci à vous d'être venu m'informer de cette erreur. La drow s'était rapprochée un peu plus de lui, son corps chaud s'appuya contre le sien alors qu'elle faisait basculer ses deux jambes pliées sur la banquette, à l'opposée de son visiteur.

Mais je suppose que vous ne prenez pas le temps de jouer ainsi avec toutes ses proies… Elle chuchotait, leurs visages si proches, sûre d'elle. Pourtant, son cœur battait à tout rompre.

L’idée de cette histoire, au-delà du ravissement qu’il tirait de toute sa mise en scène, était d’analyser les réactions de l’enseignante. Une œillade distraite, un couard regard, un tremblement de la patte, tout était propice à analyse pour l’incriminer et, face à un homme dont la principale source d’amusement était de susciter les réactions de ses interlocuteurs, les détails –aussi minimes puissent-ils être- n’allaient certes pas lui filer entre les doigts.

Il la vit finir son godet, prendre conscience que son regard volubile devait être chassé au profit d’un autre plus posé et enfin, il comprit que Shyn’tae avait en elle cet instinct de survie propre aux Drows dominants. Une aisance à déterminer quelle carte devait-elle jouer, quelle main utiliser : une carte offensive ou défensive ? Prise sur le fait comme elle fût, plutôt que d’arborer le couvre-chef de la victime vulnérable, elle décida de bondir toutes griffes sorties en espérant mettre en déroute les suspicions du spadassin. Il écouta d’une oreille forte attentive chaque parole qui coula entre ses lèvres, mais son regard épia encore plus attentivement les mimiques que son corps faisait. La coquine avait troqué son côté coincé de tantôt, celui qu’elle arbora peut-être involontairement alors qu’elle grattait le papier, pour une fraîche sensualité. De quelques roulements des hanches, elle conquit la faible distance qui séparait leurs deux charpentes, replia sur elles-mêmes ses deux jolies échasses, puis se pencha à demi vers lui de sorte à ce que leurs visages s’approchent. À cette distance, Kah sut même profiter du parfum qu’elle arborait et put clairement y déceler la profondeur de ses sombres iris carmin.

Pendant une seconde, le doute s’installa en lui. Jouait-elle seulement la comédie, où était-elle ce genre de femme, à tenter de se tirer du pétrin en mettant de l’avant ses alléchants atours ? Loin de s’étioler, l’amusement du coupe-jarret n’en fut que plus complet, étirant ses lèvres d’un sourire tout aussi mutin que le sien. Si elle lui posa une question, il ne répondit pas toute suite et plutôt, préféra donner suite aux avances de son hôte. Une paluche escalada l’un de ses bras de quelques chatouillements du bout des ongles, jusqu’à ce qu’elle se hisse là-haut, près de sa nuque. Ses doigts creusèrent sa chevelure de neige pour mieux venir se terrer contre son cou, où encore, il en caressa la peau du bout des doigts. Quant à son visage illuminé d’amusement, il ne lui permit plus d’admirer l’éclat de ses rubis, car il alla couvrir d’un langoureux baisé la commissure de ses lèvres. Tranquillement, sagement et candidement, il posa son autre main contre la patte de Shyn’tae, qu’il dirigea pour qu’elle se pose contre son poitrail. Là, il y apposa une certaine pression et la soumit à dégringoler avec langueur le relief de sa charpente jusqu’à ce qu’elle ne disparaisse pour de bon sur la table … Sans doutances, l’assassin quémanda silencieusement à son institutrice qu’elle lui enseigne comment retirer du plaisir de quelques coups de poignets bien placés …

« Oui, je joue avec chacune d’elles. » Lui susurra-t-il finalement au creux de l’oreille, juste avant que la mitaine de Shyn’tae se heurte non pas contre sa pine, mais contre la pointe d’une dague à la pointe atrocement piquante. Elle eût sursauté, que c’aurait été inutile : il avait idée de la maintenir en place et d’y prodiguer une pression digne de celles qui mettait les os en souffrances. « Et maintenant, ma belle Shyn’tae, tu vas me dire. Tout. Pourquoi ce livre, qu’elles sont tes motivations et, si tu tiens vraiment à la vie, à qui sont tes allégeances ? » Cette fois, il lui souffla les dents serrées et les lèvres pincées, exhortant son hôte aux aveux en compressant la paume de sa pauvre patte contre la pointe du poignard à son ceinturon.

Au loin, on voyait à peine la bouille de Kah se distorde d’agacement, alors que la main de Shyn’tae semblait perdue sous la table. À tous coups, elle exerçait sous sa ceinture une bien piètre performance!

Il est des circonstances dans lesquelles il ne fait pas bon avoir trop d'imagination. Lorsque le sombre avait répondu à ses avances avec tant d'empressement mais sans pour autant répondre à sa question, la demoiselle fut un instant surprise, mais comprit immédiatement que la situation échappait à tout contrôle. Il n'y avait rien de très surprenant à cela, c'était déjà le cas depuis de longues minutes.

Oh! Qu'elle appréciait une main douce contre sa nuque, qu'elle adoraient les baisers langoureux! Mais c'était là un individu qui avait des plans derriere là tête, et ses gestes semblaient calculés pour accroitre le sentiment de vulnérabilité qu'elle sentait poindre au fond d'elle, sentiment qui a la fois l'aiguillonnait et l'effrayait.

Kahveka la sentit finalement resister lorsqu'il fit glisser sa main jusque sur son torse.
Le visage de la demoiselle se tendit plus, sans qu'elle ne perde le sourire lorsqu'il la força à la descendre plus bas.

Intérieurement, elle pesait ses options.

Devait-elle tenter de le projeter au travers de la pièce? Aucune chance qu'il la laisse incanter, c'était un coup à finir le crâne enfoncé au travers de la table, ou égorgée par sa propre épée. En parlant d'épée, enfoncer Eveil au travers de son orbite? Aucune chance, son allonge était bien trop grande, et elle le soupçonnait d'être bien meilleur qu'elle à ce genre de jeu, vu que techniquement, c'était la première fois qu'elle y était confrontée, alors que lui.. lui avait du en rencontrer, des drows assez stupides pour l'attaquer. Et, selon toute vraisemblance, il était toujours vivant. Ce n'était pas bon signe.

Malgré elle, sa main descendait toujours plus bas, et la drow se sentait impuissante, plus impuissante que jamais.

« Oui, je joue avec chacune d’elles. »

Et, comme elle s'y attendait fort, sa main tomba à la rencontre d'autre chose qu'un sceptre. C'était beaucoup plus dur, et surtout bien plus pointu. Elle serra les dents en faisant de son mieux pour resister à la pression qui transformait la piqure en douleur.

« Et maintenant, ma belle Shyn’tae, tu vas me dire. Tout. Pourquoi ce livre, qu’elles sont tes motivations et, si tu tiens vraiment à la vie, à qui sont tes allégeances ? »

Cet enfoiré venait d'appuyer un peu plus durement, l'arcaniste fut certaine que le sang perlait, mais elle ignora la sensation. Leurs visages étaient si proches l'un de l'autre, tels deux amants. Pour mieux resister, elle s'était appuyée de tout son poids contre lui… Et il valait mieux qu'elle résiste, sinon en quelques instants… Une idée qu'elle n'aimait pas émergea dans son esprit tordu de dynamicienne.

Il vit la colère dans ses yeux, la peur aussi certainement, et c'était un mélange dangereux.

Je suis fidèle au Puy, au Triumvirat, lui chuchota-t-elle, menaçante. Et à nos dieux.

Elle sentit l'adrénaline monter. C'était un sacré plan de foireux, dit la petite voix au fond de sa tête. Le soucis, c'est qu'aucune autre alternative ne lui plaisait. Foutus fanatiques.

Alors elle lâcha soudainement. Le mâle n'aurait jamais eu le temps de cesser de faire pression, si bien que ce qui devait arriver arriva. Et la douleur qui transperça sa main fut bien pire que ce qu'elle avait anticipé. Elle espérait que cet enfoiré en profiterait autant qu'elle lorsque la lame fit de même avec sa propre main. L'adrénaline courant dans ses veines, elle saisit vivement Eveil, et en un instant, la pointe de la lame droite se retrouva contre la poitrine de son camarade de loisirs. La lame vacillait un peu, mais ce n'était pas si mal compte tenu des circonstances, espéra-t-elle.

La drow, tremblante, déglutit, mais ne détourna pas les yeux pour autant, leurs visages toujours à quelques centimètres l'un de l'autre.

… Pas une hérétique. Utile au Puy. On peut trouver un accord. Fermez les yeux là dessus. Que voulez-vous… en échange?

En bas dans la pièce, les étudiants se mirent à rire. Personne ne s'était aperçu de rien.

Sa comédie ne fit pas mouche comme il l’entendit : vraiment, elle n’était pas bête du tout, la coquine. Il ressentit contre sa patte aidante une résistance certaine, subtile, mais bien présente. Shyn’tae se doutait bien que sous toutes ces appétissantes douceurs, il y avait anguille sous roche. Or, le sombre malfaisant tint mordicus son emprise contre la patte de l’institutrice, l’intimant à se plonger aveuglément sous la table et ainsi, se buter contre l’objet de sa convoitise. Maintenant fermement appuyée contre la pointe du poignard, la résistance qu’elle lui démontrait ne mentait plus : elle désirait amèrement s’extirper de cette mauvaise condition. Pourtant, nulle sortie de secours ne lui fût indiquée, sa main contraignait la sienne à embrasser la piquante pointe de la paume. Leurs deux têtes se séparèrent, mais à peine, seulement pour que leurs regards respectifs en viennent à se croiser. Là, ce qu’il vit dans le fond de ses deux billes à elle, lui plut totalement. Effarée, la peur mélangée à une certaine amertume faisait bon ménage et Kah se délectait de ces moments, où à milles à l’heure les idées se tassaient et se bousculaient dans la tête de ses victimes. Devaient-elles tout avouer, vider leurs tripailles là sur un plateau d’argent et espérer s’en sortir indemne ? Où bien résister, faire montre de résilience, d’endurance et au mieux mettre leur détracteur en déroute, au pire gagner leur respect ?

Il adorait ces moments, surtout lorsqu’il se happait à l’inattendu. Soudain, il la sentit abandonner toute résistance à sa mitaine et, sans qu’il n’ait la moindre seconde pour gérer la pression qu’il mettait contre celle-ci, transperça le cœur de sa paume de son poignard. Soucis étant, le bougre s’était lui aussi transpercé la main, la pointe de la lame s’étant enfoncée non seulement dans sa patte, mais se coinça et érafla moult cartilages de ses cartilages. Si la douleur fût vive à lui arracher une grimace aussi immonde que la sienne, de la prison de ses dents il n’en relâcha guère de plainte pour autant. En bon et fidèle adepte de Kiel, il ferma les yeux à peine une seconde pour profiter de la morsure du fer et anticipa la suite à venir. Avant même de constater qu’il était mis en joue par la lame tremblotante de sa partenaire, un sourire mauvais vint arpenter son visage tordu à peine sous l’affliction à sa patte.

Leurs deux caboches ne dérogeant pas de cette intime proximité, il chercha à lui murmurer quelques paroles légèrement étranglée par la douleur. « Un accord … » Laissait-il entendre comme si la chose ne pouvait paraître plus idiote. N’était-il pas le servile employé du Triumvira, incorruptible et indomptable ? « Il se peut que ton âme ne soit pas si noire qu’elle le laisse voir … » Sans lui dire qu’un accord était possible, lui partager qu’elle n’était peut-être pas coupable, même après qu’elle se soit un peu mouillée de culpabilité, laissait deviner que le bougre entendrait peut-être raison. « Mais d’abord … »

Il redressa le buste à peine, de sorte à briser la confidence entre eux deux, puis retira la large épine qu’il avait dans la main. Toujours menacé d’une lame, bien que gauchement tenue, il ne bougeât qu’à peine, donnant à Shyn’tae l’impression qu’elle dominait un peu la situation. Ses yeux dérivèrent vers sa patte meurtrie à elle et grimaça faussement, voyant que la belle était dans de beaux draps. « C’est une blessure pas très élégante … Si nous voulons posément discuter, il te faudra enlever ta main de là. Comme une grande. » Il lui fit un petit clin d’œil, préservant son sourire toujours bien grand présent, puis nicha sa patte valide dans l’une des poches de son mantel. Quelques tintement de verre plus tard, il ressortit une fiole toute petite, de forme cylindrique, puis la déposa à ses côtés. « Ça calmera la douleur, je t’assure. »

Oh, par Kiel que cela faisait mal. La douleur qui irradiait de sa main blessée enflammait tout son bras, et elle sentait clairement son cœur battre fort dans ses veines. La drow avait beau des connaissances limitées en anatomie -ou peut-être parce qu'elle n'en avait que peu justement-, elle imaginait bien trop les dégâts que ce genre d'évènement pouvait infliger à une pauvre patte bien innocente surtout entrainée à porter la plume. Note pour moi-même, pensa-t-elle. Si possible, ne pas recommencer. Rétrospectivement, c'était une décision stupide.

Pendant ce temps, Kahveka lui offrait son meilleur sourire maléfique, malgré la pointe fermement appuyée contre sa poitrine qui menaçait de faire perler le sang. Qu'est ce qu'elle avait envie d'appuyer de toutes ses forces, à cet instant précis… Mais cela aurait été une bien mauvaise idée, et il le savait.

« Un accord … »  Il semblait se moquer d'elle. La noirelfe se retint d'ajouter des mots qui risqueraient d'empirer encore sa situation. La brulure intense qui enflammait son membre n'était pas propice à la reflexion posée qu'exigeait la situation. Elle serra les dents. « Il se peut que ton âme ne soit pas si noire qu’elle le laisse voir … » Shyn'tae retint un grognement de mépris, de crainte qu'il ne ressemble plus à un gargouillis pitoyable.

Ce fut lui, qui, le premier jeta un œil à sa patte blessée pour donner un délicieux avis teinté d'euphémisme. Elle qui aimait les bons mots, elle dut bien reconnaitre qu'il était fameux. Mais en l'état, sa répartie fut coupée par le gémissement de surprise lorsque le drow libera le couteau de l'emprise de ses jambes serrées, laissant tout son poids reposer sur la main de sa victime.

Clin d'oeil malicieux, remarque presqu'enjouée! Qu'il était sympathique! Avec luxe de precaution, la drow remonta sa main de sous la table pour contempler le désastre d'un air navré, inclinant la tête tantôt à gauche, tantôt à droite pour observer sa main ensanglantée, ses doigts agités de petits spasmes et l'arme qui y était logée. Oui, c'était assez logique que ce soit douloureux. L'homme posa un petit flacon sur la table, toujours souriant. Malgré la douleur, malgré la colère, malgré les moqueries, Shyn'tae n'était pas stupide: Le drow était clairement plus dangereux qu'elle, mais il ne l'avait pas tuée. En échange, elle-même avait montré qu'elle n'était pas un agneau inoffensif, et qu'elle aurait pu profiter du trop plein de confiance qu'il avait en lui pour démontrer qu'elle avait assez d'audace pour faire de même. Peut-être était-il temps de passer aux choses sérieuses, de préférence avant qu'elle ne risque de tourner de l'oeil. Elle nota pour elle-même qu'il devenait impératif qu'elle apprenne à l'être plus, dangereuse. Car Shyn'tae n'aimait pas être deuxième.


La professeur regarda donc le drow dans les yeux, et peu à peu, il vit sa colère s'évanouir, pour être remplacé par son sourire joueur habituel, juste en version trop crispé. Juste un tout petit peu, pensa-t-elle… il avait l'air d'aimer ca, ca ne pouvait pas faire de mal… La drow appuya plus fort la lame contre sa poitrine, jusqu'à faire perler le sang, puis la retira promptement, pour la poser à nouveau sur la table de bois usé, bien à portée.

Sans un mot, elle saisit le manche du couteau, commença à tirer dessus, s'interrompit, hésita, souffla un bon coup, le regarder d'un regard noir qui le mit au défi d'en rajouter, lâcha le manche pour finalement accepter son cadeau -s'il avait voulu l'empoisonner, il en aurait largement eu le temps avant-, le boire d'un coup, et aussitôt, sans attendre qu'il fasse effet parce qu'elle était décidé, retira le couteau en étouffant un cri entre ses dents serrées avant de s'en servir pour déchirer un pan de robe pour en faire un bandage improvisé. C'était pourri, mais au moins elle n'en mettrait pas partout, bien qu'à regarder la table, c'était peut-être déjà un échec. En tout cas, c'était une bonne chose de faite! Dans la vie, il fallait parfois se réjouir des plus petits riens!

Quelques instants plus tard, le couteau était planté sur la table devant Kah, un étudiant qui avait surpris le manège s'était enfui sous son regard et le produit commençait à faire effet: Elle avait l'impression de planer. Super, il ne manquait plus que ca, ce truc donnait envie de parler...

- Bien. Maintenant que nous nous sommes bien amusés, allons à l'essentiel. Je sais que vous pouvez me faire subir les souffrances les plus abjectes jusqu'à ce que j'avoue ce que vous voulez. Sauf que je n'avouerai rien.

Son regard décidé pour l'heure fixé sur Kahveka se voulait en être la preuve légère, mais suffisante.

- Le fait que quiconque prétende avoir des preuves contre moi n'est qu'une excuse, mais dans la circonstances actuelles, cette excuse est suffisante pour détruire ma vie.

La noirelfe donna du poing sur la table et tressaillit. Flûte, c'était le mauvais.

- Pas la peine de cacher vos cartes, je suis coincée. Mais vous n'avez pas l'air de vouloir m'achever, ce qui me pousse à penser que vous voulez quelque chose de moi. De plus, pour des raisons que manifestement vous ignorez, ma fidélité au Triumvirat est totale. Ce qui signifie qu'on peut s'entendre, et aussi que je vous suggère, si vous avez la même allégeance, de ne pas me saigner pour ensuite me jeter dans un trou.


Ce fut au tour de la noirelfe de lui faire un clin d'oeil. Elle se sentait d'humeur joyeuse, libérée et audacieuse. Un grand sourire et un regard petillant illuminait son beau visage.

- Je vous propose donc un échange. Apprenez-moi à mieux me sortir de ce genre de situations. En contrepartie, je devrais tout autant me soumettre, mais vous me trouveriez de bien meilleure volonté.

D’entres tous les jeux qui le divertissaient, celui-ci était probablement son favori. Il se plaisait à s’imaginer la psyché meurtrie de sa victime, prise en tenaille entre deux décisions : celle qui allait de toute raison, soit de ne pas prendre cette décoction au douteux contenu, soit d’acquiescer à l’offre et espérer, espérer que ladite potion sache apaiser ses maux. Plus cocasse encore était le fait qu’au dehors, le temps n’accourait pas : ils étaient tous deux êtres à l’immortalisé immuable, mais sa main, elle, pissait à gros jus du sang qui tôt lui rendra la vie bien moins agréable. Or, prise entre l’enclume et le marteau, elle prit sa décision : elle but cul sec son présent et s’ôta d’un trait unique la lame fichée dans sa paume de main. Médusé par l’hardiesse de femme de savoir, Kah ne sut endiguer les yeux arrondis qui témoignèrent de sa surprise, tant son geste lui parut improbable. Ses lèvres s’entrouvrent à peine, comme s’il chercha à retenir un petit un commentaire quelconque qu’il préféra plutôt ravaler au fond de ses entrailles. Elle avait bien mérité un répit, pour le coup.

C’est qu’elle n’a rien d’une moindre femme, cette Shyn’tae, dût-il s’avouer intérieurement. À son tour il mima le geste de sa voisine immédiate en nouant un garrot autour de sa patte meurtrie à l’aide d’une guenille déchirée du bas de sa chemise. Une fois la petite besogne accomplie, il redressa à peine et se replaça adéquatement sur son banc, de sorte à mieux de tenir en face d’elle. Et, allez savoir pourquoi, peut-être était-ce le fait que son cœur pompait à tire-d’aile, qu’il se mouvait dans des battements de tous les diables face à la crise qu’il se devait de gérer, mais la drogue –car oui-da, c’en était une!-, fit prestement son office. Un sablier de quelques minutes à peine s’était égrainé, qu’elle sut profiter de tous les bienfaits de sa boisson. Sa belle bouille se détendit et sa souffrance, bien qu’elle resta suffisamment présent pour qu’elle en ressente l’élancement, n’irait plus la harasser au point de lui donner le goût de chouiner.

Kah lui réserva désormais sa pleine attention, n’ayant cette fois plus à l’idée l’accomplissement de son guet-apens. Ses billes incandescentes cherchèrent les siennes pour ne plus en déroger, se satisfaisant de l’air qui commençait à conquérir son faciès, des airs qui lui semblèrent bien familier. La voyant montrer désormais ses crocs, le spadassin en remerciât les Dieux de lui avoir doté d’un instinct pareil : dire qu’avant sa venue dans ce crade établissement, on lui avait conseillé de sertir son coutelas directement entre ses deux omoplates, sans autres ambages! Quel gâchis c’aurait été!

« Bien. Maintenant que nous nous sommes bien amusés, allons à l'essentiel. Je sais que vous pouvez me faire subir les souffrances les plus abjectes jusqu'à ce que j'avoue ce que vous voulez. Sauf que je n'avouerai rien. »

Si seulement elle avait idée de toute la patiente et l’imagination que les adeptes de Kiel avaient en leur havresac pour faire chanter leurs victimes … Shyn’tae était décidément bien trop jeune et elle avait, à tous coups, reçu bien trop peu de coups pour comprendre la profondeur de son mensonge.

« Le fait que quiconque prétende avoir des preuves contre moi n'est qu'une excuse, mais dans la circonstances actuelles, cette excuse est suffisante pour détruire ma vie. »

« Que tu prétendes l’inverse m’aurait amèrement désappointé, Shyn’tae. » Témoigna-t-il en simple guise de réponse, secouant très légèrement du chef. Depuis le début de leur entrevue, il l’avait étiquetée comme maligne, intelligente, dotée d’un sens de l’adaptation, de survie aussi. Se méprendre à son sujet l’aurait comme il lui indiqua, bien fait chier.

La jolie professeure atteignit ensuite un autre niveau : de sérieux à joyeuse, elle avait fait le pas. Et donc, pour l’encourager à ne pas déroger de cet agréable sentier, il lui tint ces quelques mots.

« Que ferais-je alors du trou creusé derrière la taverne, que je te réservai chaudement ? » Son sourire revint, cette fois plus diverti qu’empreint de malice. Le vieux larron se plaisait décidemment un peu trop en sa compagnie. Vint ensuite ce moment où Shyn’tae dévoila toute sa main, mettant cartes sur table dans l’espoir que sa stratégie aboutisse en bon termes. Pinçant alors des lèvres, l’assassin fut fortement tenté d’acquiescer à sa requête. Encore là, elle avait mérité tout son respect et il eût été naturel qu’il le lui accorde. Problème étant : cela n’était pas en son genre que de se passer lui-même la laisse au cou. Or il se raclât la gorge, puis se pencha à peine vers elle, dans un faux mouvement de confidence.

« Je ne te ferai pas cette faveur, Shyn’tae. Demain à l’aube, si l’envie me prend, je pourrais te faire pendre et te laisser moisir à la potence jusqu’à ce que les mouches se lassent de grappiller ta misérable dépouille. » Aussi bien vous dire que son regard, de même que son visage, n’entendaient plus à rire et au contraire, étaient tenus au sérieux. « Alors voici l’accord. Moi, de mon côté, en bienveillante et charitable personne, j’entends à omettre cette information gênante à ton propos, en échange de quoi il te faudra te mettre en quête d’information pour moi. » Il secoua les épaules et se redressa enfin, maintenant qu’il lui avait fait comprendre que cet accord, s’il devait à être passé, ne l’enrichirait en rien autre que quelques années de sursit avant que l’on apprenne sa déviance pour la proscrite théologie.

« Sommes-nous d’accord ? » Évidemment, cela n’avait rien d’une véritable question. Mais encore là, il jouait à ce même jeu que tantôt, lorsqu’elle dût prendre de force la potion. Et il adorait ça.

S'il y avait une chose qui faisait vivre l'esprit vif et parfois un peu tordu de la demoiselle installée face à Kahveka, c'était de trouver des solutions aux problèmes qui se présentaient à elle. A cet égard, cette soirée représentait un défi d'intellect, de volonté et d'art oratoire qui auraient été du plus grand intérêt en temps normal. Les enjeux, la peur, la douleur, tout cela s'additionnait pour former un mélange que la drow aurait pu qualifier d'excitant.

C'était comme un jeu, un jeu dont sa vie était possiblement l'enjeu principal. Le fait que cette vie revête de l'importance pour une triumvir ne faisait qu'amplifier cet enjeu. Mourir bêtement était une chose, mais Shyn'tae ne pouvait s'empêcher de trouver la chose bien plus honteuse avec quelqu'un comptant sur elle.

Lorsque le temps était venu de choisir entre prendre la potion ou pas, elle ne s'était donc pas vraiment sentie dans une situation insoluble: Comme une joueuse de carte, elle n'avait qu'à évaluer aussi calmement que possible(1) les différentes options, estimer l'opportunité et les risques associés, prendre une decision, et l'appliquer. En l'occurence il lui avait paru peu probable qu'il mente sur ce point, à moins d'être particulièrement tordu, auquel cas elle était certaine qu'il trouve bien d'autres occasions de la forcer à boire le produit.

Une fois la decision appliquée, que pouvait-on faire à part s'en accommoder et corriger par la suite: Si Shyn'tae regrettait quelque chose, ce n'était jamais pour ressasser, mais pour faire mieux la fois suivante.

- « Je ne te ferai pas cette faveur, Shyn’tae. Demain à l’aube, si l’envie me prend, je pourrais te faire pendre et te laisser moisir à la potence jusqu’à ce que les mouches se lassent de grappiller ta misérable dépouille. Le mystérieux provocateur ne riait plus. Malgré la voix de la raison qui tentait de se faire entendre en jouant du tambour au fond de sa conscience, les mots se bousculèrent dans sa bouche.

- Une pendaison, c'est plus rapide qu'une Ordalie. Un mauvais moment à passer, et les morts ne remarquent pas les mouches de toute façon. Mais je vous l'accorde, je préfèrerais qu'on n'en arrive pas là, ce serait un beau gâchis. Peut-être le dosage était-il un peu élevé pour sa carrure, mais elle se sentait à la fois lucide et rêveuse. Bavarde aussi peut-être.

- Alors voici l’accord. Moi, de mon côté, en bienveillante et charitable personne, j’entends à omettre cette information gênante à ton propos, en échange de quoi il te faudra te mettre en quête d’information pour moi.

- Sommes-nous d’accord ? »

Le drow s'était redressé, après avoir étalé ses cartes. Shyn'tae dut bien reconnaitre que son propre jeu n'était pas particulièrement exceptionnel, et son coup de bluff était pour ainsi dire complétement tombé à plat. Il n'empêchait que le mâle avait finalement lâché l'information capitale. Il voulait quelque chose de précis, qu'elle était à priori à même de lui fournir. Des informations sur l'étude noire peut-être? Bossait-il pour le triumvir X'Ianxin ? Non cela n'aurait aucun sens. Il se passait là quelque chose d'assez étrange, hasarda-t-elle. A moins que ce ne soit un cafouillage ou que tout cela n'ait finalement aucun rapport. Les hypothèses se bousculèrent dans son esprit, mais elle se retint de les exprimer à haute voix.

La frimousse de la demoiselle exprima sa confusion, et elle s'empressa de répondre ce qui lui passait par la tête avant de ne lâcher rien qu'elle regretterait plus tard.  

- Vous pourriez faire ce que vous voulez de moi, mais c'est de l'information que vous voulez? Soit… J'imagine aussi que vous voulez que ca reste discret. Que puis-je vous apprendre exactement?

Kahveka avait suffisamment brouillé les pistes pour qu'elle ne sache s'il lui consacrait autant de temps seulement par plaisir, ou parce que ce qu'il désirait d'elle était réellement important. Ceci dit, plus il parlait, plus elle penchait pour la seconde hypothèse. Il était là pour une raison précise.

La drow s'était penchée en avant, sa confusion remplacée progressivement par de la curiosité. Grace à la potion, elle ne sentait plus qu'un élancement persistant a la main, ce qui était à la fois rassurant et profondément dérangeant.

Lui-même n'avait rien pris, que c'était agaçant. Le drow honorait bien mieux Kiel, remarqua-t-elle.  
Voilà qu'elle s'en voulait d'être moins résistante à la douleur que lui. Une étincelle d'inspiration s'alluma au sein de sa flamme brillante. C'était l'expression de son visage lorsque le couteau avait traversé leurs paumes, que la douleur si brutale avait comme gravé dans l'esprit de l'arcaniste. Shyn'tae doutait qu'elle parvienne à l'oublier de sitôt. Encore une fois, désinhibée, elle ne put resister à exprimer tout haut ce qu'elle aurait du se demander tout bas.

- Et.. votre visage, lorsque je vous ai fait mal. Était-ce de la douleur ou.. du plaisir?


(1): Plus facile à dire qu'à faire en ayant un couteau au travers de la main.

« Fais usage d’autant de subtilité qu’il te plairait que j’en utilise pour ton petit secret. » La perfidie illuminait son regard à mesure qu’il s’imaginait l’évolution de l’état d’esprit de sa voisine de banquette. Cette drogue, il la connaissait bien et constatant d’ores et déjà que sa langue s’était démunie des quelques nœuds qui l’empêchaient de s’exprimer librement, il roula des épaules d’aise pour mieux apprécier le moment. En quelque part au fond de lui, peut-être souhaita-t-il qu’elle fut blanche comme neige, lavée des fautes qui pesaient sur ses menues épaules et qu’ainsi, il puisse mieux la fréquenter. Du moins, sous une ambiance plus reluisante que celle d’un maître chanteur face à sa victime. Pour l’heure, il se satisferait de leur accointances tordues et continuerait à la tourmenter à sa façon. De toute manière, elle n’était sur ce point guère différente des autres : Kah s’arrangeait plus souvent qu’autrement à maintenir ses contacts de la sorte, d’avoir sur eux toujours un coup d’avance pour ne jamais être de redevable de rien ni personne.

« Quant à mon besoin … » Il plaça sa patte meurtrie sur la table, repliant sur elle-même sa paume de manière machinale, comme s’il désira réveiller l’angoisse de sa mutilation. Tailladé à cette profondeur, le mouvement suffisait amplement pour lui arracher quelques subtiles grimaces d’élancement : son œil se plissait légèrement, sa lippe tremblotait à peine, mais son sourire, lui, persistait. Encore et toujours. « J’ai vécu une situation à laquelle je préférais désormais me prémunir. Je te ferai parvenir dans le détail le cœur de tes recherches prochaines. Pour le moment tu … »

Dévêtue de ses inhibitions, elle lui coupa le sifflet en changeant du tout au tout la direction de la conversation. Passant du coq à l’âne, elle fit montre d’une certaine curiosité par rapport à l’inclinaison de l’assassin face au culte de la douleur. Tant il est vrai qu’il n’avait jamais caché l’amour qu’il vouait à la Sainte Tourmenteuse, pour autant il n’avait jamais couvert son chef de la calotte de prêcheur. Même à ses recrues, lorsque venait temps de leur inculquer les différentes méthodes de mise en géhenne, de l’art des souffrances et du calvaire, il n’exigeait pas d’eux qu’ils se vouent aux dogmes de Kiel. À eux de développer ou non cet amusement qu’était de faire chanter ceux qui désiraient taire la vérité.

« Les deux. Les deux sont intimement liés et se rejoignent inéluctablement … Ce sont là les bases de ce que prône la toute cruelle Maîtresse des Souffrances. » Il l’observa, silencieusement, puis se plut à voir cette étincelle incertaine flotter sur son regard. « Apprécier la douleur comme je l’entends est à la fois une forme curieuse de … luxure et … de prudence. » Il s’était légèrement penché vers elle, s’acoquinant la présence de la petite patte de Shyn’tae entre ses cinq doigts, si elle le lui permettait. Allez savoir comment, mais Kah était l’un de ces personnages capable de revêtir en un claquement de multiples masques, s’appropriant le ton, de même que les airs propices à la conversation. Elle se voulait curieuse? Alors il l’encouragerait en ce sens. Son pouce parcourait en surface le grossier garrot contre sa main, ne l’effleurant qu’à peine.

« La douleur vous faire vivre, elle vous fait comprendre pourquoi vous existez, elle vous rend plus fort … » Il aborda une menue pression, qu’il devina gênante vu l’état avancé de sa drogue, mais sans plus. « L’homme qui ne souffre pas, qui s’amuse et se complais dans la douleur est un homme qui ne peut être vaincu, parce que mourir sera toujours pour lui le plus délectable des sorts. » Les yeux rougeâtre du daedhel abaissèrent contre la blessure de la professeure et y planta graduellement l’ongle de son pouce. Ses dents se serrèrent et son sourire s’accentua de plaisir. Il préférait recevoir, mais donner … Ça avait aussi son lot de plaisir. « Fuyez et abandonnez tout espoir, pauvres âmes meurtries, car se dresse devant vous l’être le plus résilient de ce monde. » Et il arrêta toute pression. Kah s’était bien assez joué d’elle pour l’instant. Il se recula, à peine, puis retourna admirer son regard ombragé par la substance.

« De tous les Dieux qui nous gouvernent, duquel te sens-tu la plus près? »

Sans surprise, le daedhel souhaitait le silence sur tous les aspects de cette affaire. Qui était-elle pour le lui refuser? Son esprit fonctionnait encore assez bien pour qu'elle vit ca comme une opportunité intéressante, et vu comme il était grippé, c'était que l'idée était vraiment évidente. Une magnifique opportunité rigoureusement inutilisable, car le faire conduirait immanquablement à une mort lente et douloureuse. Comme c'était dommage! Au moins pourrait-elle peut-être l'ennuyer un peu si le pire venait à arriver. Car lorsqu'on est mort, il n'y a pas de petite mesquinerie. C'était un bon mot amusant. Peut-être venait-elle même de l'inventer.

« J’ai vécu une situation à laquelle je préférais désormais me prémunir. Je te ferai parvenir dans le détail le cœur de tes recherches prochaines. Pour le moment tu… » Le dangereux individu venait de commencer son explication. Peut-être la magicienne devait-elle se concentre un peu plus sur ce qu'il disait. Enfin… Il fallait relativiser. La demoiselle supposa qu'il allait lui demander d'attendre les secrètes instructions, et posa donc aussitôt la question qui lui trottait en tête depuis quelque temps, et le regretta aussitôt après, car ce qu'il se produisit fut alors bien prévisible.

« Les deux. Les deux sont intimement liés et se rejoignent inéluctablement … Ce sont là les bases de ce que prône la toute cruelle Maîtresse des Souffrances. » Le mâle, qui aimait les effets spectaculaires, s'interrompit un instant. Shyn'tae, qui pensait avoir plutôt bien compris l'enseignement de Kiel, se dit qu'elle ne se souvenait pas de cette base là. Son oreille droite se tendit légèrement sous l'effet de la curiosité.

« Apprécier la douleur comme je l’entends est à la fois une forme curieuse de … luxure et … de prudence. » Il s'était penché vers elle progressivement, et la drow avait cédé un peu de terrain, ses grands yeux aux pupilles dilatées plongés dans ceux du daedhel. Il saisit alors sa main blessée. La magicienne laissa faire, le brouillard de la drogue donna de curieux reliefs à ses sensations assourdies. Le drow avait à nouveau changé du tout au tout. De la menace, il s'était à nouveau converti à la douceur. Malgré les désagrément évident que cela pouvait occasionner, elle était séduite par ce comportement apparemment imprévisible mais qu'elle soupçonnait pouvoir anticiper.

Malheureusement, ralentie comme elle l'était, cela paraissait difficilement possible, alors c'est la curiosité qui parlait. C'est la curiosité… et l'attrait du danger qui la poussait à accepter qu'il effleure son bandage de fortune, provoquant une légère douleur qui contrastait avec la douceur de ses doigts. Shyn'tae frémit devant Kahveka, mais ne bougea pas.

« La douleur vous faire vivre, elle vous fait comprendre pourquoi vous existez, elle vous rend plus fort … » La pression s'intensifia sur sa main, laissant sourdre des sensations étouffées. C'était une mauvaise idée, souffla la voix de la raison, mais elle ne bougea pas, inclinant juste légèrement la tête. « L’homme qui ne souffre pas, qui s’amuse et se complais dans la douleur est un homme qui ne peut être vaincu, parce que mourir sera toujours pour lui le plus délectable des sorts. »
Son regard se tourna alors vers la main de la jeune sombre, qui frémit et serra les dents. Les sensations sourdes devinrent plus vives, son cœur battit plus fort dans sa poitrine, elle ferma les yeux sans chercher à se libérer pour autant.

«Fuyez et abandonnez tout espoir, pauvres âmes meurtries, car se dresse devant vous l’être le plus résilient de ce monde.» La douleur s'évanouit brusquement, car, sans lâcher sa main, il avait cessé d'appuyer dessus. L'elfe cligna de ses yeux grands ouverts, incertaine. Que venait-il donc de dire? Était-ce vraiment ce qu'elle croyait. Le temps qu'elle analyse ses paroles, il venait de poursuivre.

« De tous les Dieux qui nous gouvernent, duquel te sens-tu la plus près? » Sa langue lui sembla s'animer d'elle-même.

- C'est une bonne question...Ca dépend du moment. C'était une réponse étrange et bien maladroite, qui, espera-t-elle, ne lui vaudrait pas un autre coup de couteau. Elle s'interrompit pour héler un esclave qui portait un pichet de vin, et les fit servir. L'esclave jeta un bref regard sur les mains, le couteau et la table ensanglantée. Bien formé,il s'abstint de tout commentaire. Ce que vous venez de dire…  Vous avez bien des talents. Faire parler les dames, jouer du couteau.. la poésie aussi! Bien que ce soit un peu grandiloquent…  Très impressionnant, stylistiquement par contre… Mais qu'était-elle donc en train de dire, réalisa-t-elle avec horreur, elle tenta de freiner, mais, au ralentit, son cerveau eut du mal à rattraper sa langue. … Un peu arrogant peut-être… N'est-ce pas une faiblesse? Car si votre volonté n'a pas de limite, votre corps, lui y reste soumis. La drow s'arrêta, à la fois gênée et brumeuse. il la vit baisser les yeux, découvrir la coupe de vin pleine d'une main maladroite, et la vider.

Excusez-moi, je devrais répondre à votre question plutôt que vous donnez envie de me tuer! Elle rit. Ce n'était pas particulièrement drôle pourtant. Était-ce la potion, l'alcool, la perte de sang, un mélange des trois? Isten certainement… J'aime tant l'honorer par l'audace et le plaisir... Du plaisir… c'est ce qui me faudrait en ce moment.. Même si… La drow s'interrompit au milieu de sa phrase. Se mentait-elle? La situation était détestable et pourtant… Elle avait quelque chose de délicieusement séduisant, de liberateur. Comme chevaucher une bête mortelle, osciller entre la douleur physique, la douleur mentale causée par l'humiliation, la honte et la peur… C'était bien plus excitant que cela n'aurait dut. Et ce n'était pas une excitation qu'elle parvenait à cacher malheureusement. Elle continua d'une voix plus faible. Kiel est celle qui nous dit de ne jamais renoncer devant l'adversité, je… Je crois pas que j'aurai pu en arriver là où j'en suis sans la garder auprès de moi dans mon cœur. Vous n'avez pas tort… Isten et Kiel sont plus proches qu'il n'y parait. Il n'y a pas ambition sans perseverance… Elle s'abstint de continuer l'analogie, elle ne s'y sentait pas tout à fait prête. C'est pourquoi elle s'empressa de conclure sur une note légère, espérant sans y croire un instant que le sadique ne se soit pas aperçu de son dilemme.

Et peut-être faudra-il mieux que j'aille querir la bénédiction de Kiran avant que votre potion ne cesse ses drôles d'effets. Rassurez-vous, je ne souhaite pas partir. Enfin si, mais non. Avez-vous remarqué que je disais des choses inhabituelles? C'est votre potion probablement, c'est assez étrange.

C'était assez étrange en effet. Elle ne savait pas trop si elle avait envie de danser au milieu de la taverne en chantant ou de s'enterrer dans le trou à l'arrière du bâtiment. Tout ce dont elle était sûre, c'est que si lendemain il y avait, il s'annonçait particulièrement plein d'embarras. Un peu dépassée par son propre torrent de paroles, elle secoua la tête et se prit la tête dans la main. Au fond, se dit-elle, ses réponses n'auraient pas été si mauvaises si elle n'avait pas eu l'impression de passer pour une courge. Mais quelque part, mieux valait être prise pour une courge qu'être découverte hérétique. L'un n'était douloureux que pour l'amour propre.

Il avait lancé la question sans vraiment s’attendre à ce que déferle sur lui une cascade d’affirmations de cette envergure. Autant il est vrai que ses drogues avaient leur lot d’effets secondaires, jamais il ne pouvait prévoir l’intensité d’iceux. Maints facteurs déterminaient de leur teneur et de leur amplitude, mais jamais il ne se serait douté que Shyn’tae fût prompte à d’aussi intenses changements. Il la laissa discourir et apprécia chacune de ses allégations tous autant qu’elles furent. Mais mieux encore, il se délecta du regard changeant qui habitait ses orbites. Incertaine, effrayée, passionnée, sûre d’elle, incapable d’assumer un état d’esprit prompt à ses convictions. Et par le passé on lui avait affûblé à quelques reprises que Kah était porteur d’une aura d’angoisse, capable de rendre à mal ceux qui l’entouraient par sa simple présence. Si la drogue avait son rôle à jouer dans cette étrange situation, le spadassin ne s’était quant à lui point retenu pour encourager la chose d’avantage encore en ne faisant que l’observer se rouler elle-même dans la gadoue. Elle s’empêtrait à chaque précision, se noyait un peu plus à chaque affirmation.

Et quoi que ce qu’il odit ne pouvait être tout tiré de la vérité, il enregistra tout de même l’essentiel : Shyn’tae était une fidèle du panthéon sombre, il n’y avait à ce sujet aucun doute. Et quoi que le fait soit admit, cela n’allait guère l’empêcher de faire miroiter l’hérésie au dessus de sa tête pour autant.

« Si j’ai remarqué ? À peine, je t’assure. » Répondit Kah à la fin de sa plaidoirie. Son sourire persistait, immuable sur sa bouille illuminée de malices, tandis que son attention déviat à peine, pour se poser sur son propre godet. Il l’empoigna de sa dextre puis en dévida le contenu dans le verre de sa voisine immédiate. Il en laissa tomber les dernières gouttes, puis retourna vers Shyn’tae qu’il contempla un moment.

« Finis ton verre tranquillement, puis va faire soigner ta patte. Tu me seras bien plus utile avec tes dix doigts qu’amputée d’une main. » Puis l’assassin se redressa en passant le revers de sa patte valide contre ses braies afin d’en chasser les poussières, comme dans un réflexe bien innutile, compte tenu que ses vêtements avaient bu son propre sang et s’en étaient retrouvés détrempés.

« Sois sage Shyn’tae, nous avons un œil sur toi. » Assura Kah, en arc-boutant légèrement le dos pour venir cueillir la vilaine patte de la simili-hérétique, qu’il couvra ensuite d’une bise, puis du passage de la pointe de sa langue contre le sang qui y perlait au travers le pansement de fortune. Il esseula ensuite la professeur, puis disparu pour ne plus jamais réapparaître devant elle.