[Fête d'Ascanio] La cuve d'eau dansante

An XIII du onzième cycle
Seconde ennéade de Karfias - Été
Le premier jour,
En marge de la célébration ascaniesque...

Résumé de l'épisode précédent:

« Prolapsus ! Du vin ! » claironna Ascanio en poussant la porte de ses appartements privés.

Il introduisit Ombeline dans une pièce spacieuse, meublée de fauteuils et de canapés moelleux. Une imposante peinture murale représentait un riche personnage chargé de bijoux et prenant une pose majestueuse ; à en croire la légende inscrite en lettres d'or au bas du portrait, il s'agissait de l'antique Empereur Antipatros, mais il ressemblait étrangement à Ascanio...
Le milieu de la pièce était surtout occupé par une grande cuve vide qui détonnait avec la décoration. On l'avait sans doute amenée ici très récemment.

L'esclave dénommé Prolapsus s'empressa de déposer sur une haute table un pichet de vin épicé et deux coupes dorées, avant de reculer dans un coin de la pièce pour faire comme s'il n'était pas là.

Ascanio s'avança au centre de la pièce. Ses bottes trempées éclaboussaient encore le marbre - flic ! floc ! - et sa tunique multicolore avait perdu de son éclat. Sur son épaule, Chlamydia, encore traumatisé par l'agression dont il avait été victime, profitait de l'humidité de son point d'appui pour rafraîchir ses ailes. « Meeeerde ! » chantait l'oiseau.

« Vous savez, Ombeline, je ne suis pas qu'un commerçant émérite et un talentueux poète ; je compte bien d'autres cordes à mon arc, et je vais vous faire découvrir quelque chose que personne n'a encore jamais vu », déclara Ascanio tout en s'emparant des deux coupes de vin pour tendre l'une d'elles à sa cavalière. Voyant que la belle était toujours revêtue d'un simple drap lui-même trempé - rendant le tissu transparent et fort impudique - le prince esquissa un sourire. « Prolapsus, trouve quelque chose pour habiller mon invitée. »

Prolapsus disparut dans la pièce attenante où devait se trouver la garde-robe. Au même moment, cinq autres esclaves entrèrent dans la pièce en portant de lourds et volumineux bacs remplis d'eau fumante, qu'ils entreprirent de déverser dans la cuve. Lorsque celle-ci fut remplie d'eau chaude, les esclaves se munirent de longs tubes de cuivre au moyen desquels ils soufflèrent dans l'eau, provoquant des remous dans la cuve. « Je vous présente la cuve d'eau dansante », déclara Ascanio d'un ton dégoulinant de fierté, alors que les esclaves semblaient déjà à bout de souffle.

Ascanio but une gorgée de vin, en savoura le goût épicé, puis prit l'une des deux mains d'Ombeline et caressa ses doigts fins. Il la regarda avec intensité, plongé dans la contemplation de sa sublime paire... d'yeux.

« En attendant que Prolapsus ne revienne, que diriez-vous que nous l'essayions... ensemble ? »

Il avait longuement insisté sur ce dernier mot, parce qu'il trouvait que ça apportait une certaine gravité et que, du coup, ça rendait hyper classe.

La pauvre Ombeline peinait à se remettre du rire qu'avait provoqué chez elle la vision du tableau grandiloquent. Quel enfant ! Par Arcam, mais quel enfant ! Et pourtant, ce n'était pas là un regard enfantin, que croisèrent les perles pâles, embusqué dans un cadre de boucles obscures. Était-ce l'eau qui les faisait ainsi boucler... ? Un ronronnement d'amusement encore dans la gorge, l'ancienne courtisane et à présent Madame De Cyr déposa sa coupe à même le sol, offrant à la vue la courbe d'une hanche et d'une épaule auquel collait le drap, pour mieux se redresser avec lenteur. Après quoi, elle se plut à enrouler les boucles autour d'un indexe délicat, caressant dans le mouvement la joue masculine, tandis qu'elle dissimulait presque craintivement ses mires rieuses derrière des cils battants.

"Ah, Sire Ascanio, je ne saurais refuser pareille invitation... ! Après tant de merveilles, il serait si regrettable que d'en manquer la moindre." répondit-elle avec un charmant affecté.

C'est qu'elle n'avait pas à cœur de lui révéler qu'elle avait connu pareil confort avec un autre de ses amants, qui avait mis la main sur de fort agréables sources chaudes. Aux souvenirs que cette pensée raviva, la chair de poule la parcourut, faisant naître sur ses lèvres rouges un souvenir de miel. Ah, il lui semblait presque sentir la chaleur enveloppante de l'eau... Que faisait-elle donc encore avec ce drap gelé ? Une impulsion manqua la faire lâcher prise mais... L'expérience la fit se retenir, dans un instant suspendu où elle contempla le visage d'or et de tromperie. Comme tous les Thaaris... Quelle sera la saveur de celui-ci ?

"L'Epopée d'Anculio le Bel... fit l'Ombeline, susurrante, comme savourant ce nom. Quel oeuvre de maître. Ah ! Je ne m'en lasse pas ! Si vous me permettez... Elle inclina la tête, les paupières mi-closes, le cou offert mais perdu dans une cascade auburn. ...Anculio lui offrit sa main secourable... Sa voix avait la clarté d'une eau douce, alors qu'elle s'emparait sans violence de sa main et l'effleurait de ses lèvres. ...Il protégea la belle de vauriens perfides... Et ses doigts, si fins, relâchèrent leur emprise, pour mieux se glisser entre les pans de tissus colorés que retenaient des boutons. ...Les muscles saillants sous une chaleur torride..."

Alors qu'un rire de gorge s'envola au bec du volatile plus si gracieux, l'ancienne courtisane fit sauter agilement les premiers fortins, se plaisant à savourer du bout de ses doigts froids ce que la tenue, aux plis alourdis d'humidité, dissimulait encore. La présence d'esclaves la laissait de marbre, tant elle en avait vue. Debout, au sol, habillée comme nue... Des outils, des décorations, comme elle, bien des fois. Comme cela pouvait lui arriver, une vieille question jaillit. Pourquoi suis-je là ? Le plus souvent, elle se répondait. Car je veux vivre. Mais cette fois, cela la fit plutôt s'appesantir sur d'autres pans de l’œuvre poétique. Tel un oiseau face à une fenêtre ouverte, la question s'échappa d'entre ses lèvres.

"...Mais qu'advint-il de la belle après cela... ?"

Pour qui parlait Ombeline ? Qui sait ? Car cet instant, elle le fit fuir, relevant gracieusement son visage vers le Vossula avec une moue démentant grandement la mélancolie qu'avait laissé entendre ses derniers mots.

"Auriez-vous froid, Sire Vossula... ?" souffla-t-elle en se pressant lentement contre-lui.

Car, pour ce qu'il pouvait sentir, cela était son cas.

Ce qu'il advint ensuite de la belle ? Hélas, l'histoire ne le dit pas. Une onde de chagrin passa sur le visage d'Ascanio, car il repensait maintenant à la tragédie qui l'avait poussé à écrire ce poème - enfin, à le faire écrire par Ultuant, son esclave lettré. C'était le malheur de sa vie, le séisme qui avait ravagé son cœur, la déveine qui avait meurtri son âme. Caley, ma Caley, pourquoi es-tu partie ?

Ombeline le rappela au moment présent, lui évitant de se laisser entraîner par son chagrin. Elle n'eut pour ce faire qu'à coller contre lui son corps froid, en quête d'un peu de chaleur. Une chaleur qu'Ascanio était fin prêt à lui offrir contre un peu de réconfort. Après tout, le jeune prince plus vraiment jeune avait toujours éprouvé, depuis sa plus tendre enfance, le besoin viscéral d'être aimé. Toutes ses actions ne tendaient-elles pas vers cet objectif ? Il voulait qu'on le regarde et qu'on l'adore. S'il n'avait été un homme, il aurait voulu être un dieu. Mais peut être en était-il déjà un, à son insu. Comment savoir ?

« Comment pourrais-je avoir froid, douce amie ? Dit-il en lui caressant la joue du bout des doigts. Comment pourrais-je, alors que votre seule présence réchauffe mon corps et mon âme ! Vous êtes belle, Ombeline, vous êtes une illumination, une étoile, un papillon de lumière... »

Il remarqua qu'une substance grasse s'était collée à ses doigts pendant qu'il lui caressait le visage. La baignade improvisée d'Ombeline avait atténué l'effet de ses épaisses couches de fond de teint, et son fard à paupières coulait. Force était de constater qu'elle n'était pas si belle sans ces artifices ; sans être un laideron, son visage était loin d'être magnifique...
Le drap qui couvrait le corps d'Ombeline choisit ce moment précis pour glisser le long des courbes sensuelles jusqu'à sa taille, révélant la femme dans ce qu'elle avait de plus naturel.
Tout compte fait, elle est magnifique, pensa Ascanio qui en oublia complètement ce visage imparfait, obnubilé par cette incarnation érotique de la grâce faite femme. Il avait déjà vu mieux, mais pas souvent. Il repensa brièvement à un passage de son poème épique : Anculio, voyant combien l'était belle / lui têta vigoureusement les mamelles. Il brûlait désormais d'envie de mettre en scène son œuvre littéraire.

Ascanio claqua des doigts ; deux esclaves lâchèrent momentanément leurs tubes de cuivre pour le rejoindre, et l'un d'eux le débarrassa de sa coupe ainsi que du perroquet, tandis que l'autre entreprit de défaire sa tunique.

« Allons au bain, belle amie ; et je composerai quelques vers pour vous. »

Mais l'Ombeline n'en fit rien, bien au contraire. Repoussant l'esclave venu s'occuper de son maître, l'ancienne courtisane se glissa dans le dos de ce dernier, lui caressant la nuque de son petit rire amusé. Consciente d'avoir touché un point sensible, et tout aussi consciente de la "découverte" qui venait d'être fait, la dame se sentait plus à l'aise, moins distante de ce moment, qui en devenait plus savoureux.

"Il vous faudra m'excuser, bel ami... souffla-t-elle en réponse à son invitation. ... Mais il me semblerait dommage que de se hâter. Après tout, le jour de votre anniversaire... Cette fois se furent ses lèvres qui se firent caressantes. ... pourquoi vous priver, dans la précipitation, de bien des plaisirs ?"

Alors que la belle s'était dérobée aux yeux du sire, un glissement se fit entendre, et le drap forma un tas à leur pied. Délicatement, de longs bras enlacèrent l'homme, trouvèrent à l'aveugle les boutons, par moult tâtonnements et caresses, libérant peu à peu le corps de son enveloppe de tissu. Profitant de cette proximité aussi tentante que douloureuse, l'ancienne courtisane se rapproche et touche de ses charmes le dos encore vêtu de son prisonnier, sans lui permettre de se retourner, telle la belle d'un héro de mythe, condamné à en sentir la présence sans pouvoir poser ses yeux sur elle, au risque de la perdre. C'est bien à ce jeu que l'Ombeline se livre, aidant le Vossula à se dépêtrer du haut tout en échappant à son regard, pour mieux l'étreindre encore, vision fugace, et prendre d'assaut ce qui retient le bas.

Désormais peau contre peau, la Dame vêtue de rien soupire d'aise, ses mains s'égarant un instant au niveau du coeur, puis glissant vers le bas, toujours plus bas. Une fois encore, l'ancienne courtisane s'est permise de renverser les codes : étreignant plutôt qu'étreinte, la femme savoure au touché le corps de son partenaire, alors que celui si ne peut deviner ses formes qu'une fois celles-ci plaquées contre son dos. Frémissante, Ombeline suspendit son exploration, sa bouche tout contre une omoplate nue, qu'elle réchauffa d'un baiser, avant de chuchoter.

"Cet empressé, elle le fit patienter
Car il n'est plus doux plaisir,
Que celui qui s'est fait désirer."

Après un instant, elle eut un petit rire embarassé, presque timide, telle une demoiselle. Elle fut heureuse que d'être ainsi dans son dos, le rose de ses joues hors d'atteinte d'un regard inquisiteur. A amant surprenant, surprenante envie ! Voilà que je m'égare dans ses manières !

"Ah, vraiment, votre oeuvre restera inégalée ! J'espère que vous ne m'en voulez pas trop, de vous faire ainsi languir... ? s'amuse-t-elle.

C'était peut dire qu'elle le faisait languir. Ascanio brûlait de désir pour elle, et s'il laissait libre court à ses pulsions de mâle, l'affaire eut été pliée en deux temps trois mouvements. Il était pourtant incapable de se défaire de l'emprise de la belle, qui avait pris le contrôle et ne semblait pas vouloir le lui rendre. Ombeline manipulait ses sens avec la précision et le tact d'une chef d'orchestre ; la caresse de ses seins, serrés tout contre son dos et qu'il sentait énormes et fermes, était lourde de promesses enflammées, et la manière dont les mains d'Ombeline parcouraient son corps en suscitant le désir sans jamais le satisfaire manqua le faire chavirer. Ascanio avait connu bien des courtisanes ; mais rarement une femme n'avait su contrôler ses sens avec une telle facilité. Sa respiration se fit profonde, et son souffle était chaque fois un peu plus rauque lorsque les mains délicates d'Ombeline passaient à proximité de sa virilité, sans pour autant s'y arrêter. Quelle torture ! Quelle cruauté ! Pourquoi lui infligeait-elle cela ? Pourquoi ne pouvait-elle tout simplement pas s'emparer de son vît et le libérer de son tourment, comme le ferait toute jeune fille bien élevée ?

Une pulsion soudaine le poussa à exprimer son désarroi, et il se laissa aller à improviser quelques vers :

« Si je vous en veux ?
Je suis au supplice, Ombeline
Mais je serais heureux
De vous empaler sur ma pine. »

Il était plutôt fier d'avoir réussi à improviser seul ces rimes sans l'aide d'Ultuant. Il se demanda si son nègre littéraire les trouverait poétiques, puis, après quelques secondes de réflexion, en conclut que oui. Peut-être devrais-je poursuivre seul l'écriture de l'Épopée Fantasque d'Anculio le Magnifique, songea-t-il.

« C'est de moi », crut-il bon de devoir préciser.

Cela, pour une surprise... Les mires pâles avaient papillonné, avant qu'un doux son, suave et amusé, n'échappe aux lèvres carmines. Poète, poète ! Et il se laissait guider. Voilà qui la changeait, des vieux souffreteux, des forts empressés, des jeunes égarés. Alors, elle se laissa rêver, rêver que peut-être oui, il lui serait possible de savourer... Étreignant, presque tendrement, son amant, la belle lui murmura :

"Cela est délicieux... le complimenta-t-elle, alors qu'elle laissait entendre, par des notes plus rauques, la lutte et le délice qui lui emplissait le corps. Malheureusement... Sa gorge se serra fémininement à ces mots. Je ne puis succomber à votre supplique. Cela serait un tort que je ne veux vous infliger. Voyez... Ses mains se rapprochèrent du cœur de la convoitise, mais lentement, si lentement, que c'en était un supplice. ...Il est un cadeau, que je voudrais vous faire. Il demande du temps, c'en est affreux... Car il vous fait mourir à petit feu, avant même que l'assaut ne soit donné. Permettez que je vous l'explique..."

Soufflant ces derniers mots, l'Ombeline soupire dans le creux de son cou, alors que de ses mains, qui ont pris place, elle s'apprête à illustrer son propos. Oui, le jeu d'artiste du Vossula l'inspire, semble-t-il. Ainsi, à l'écoute de son prisonnier, la femme faite tyran débute son récit.

"Voyez, cette tour esseulée... Dans le froid et la tourmente, elle vous attend, porte entrouverte. Ne vous pressez-point, nombreux sont les étages. A tout le moins, chacun mérite quelques hommages. Susurrante, l'Ombeline mordille délicatement la peau nue d'une épaule.A sa base, faites-vous aventurier. Sa voix s'est faite plus claire, son souffle, plus étranglé. Plus haut, vos pas sont néanmoins prudents et légers... Délicate, elle l'est, tandis que ses mots se font silence et que des hanches, elle le flatte. Soudain le tonnerre, vous oppresse... Et vous hâte... Il peut sembler, qu'elle tente de se fondre en lui, tout contre lui, frémissante de désir. Alors que la terre craque, que l'orage éclate. Baisers, morsures sont ses attaques, entre ses omoplates. Mais, d'une fenêtre, la caresse de l'aube se fait sentir... Ses paroles sont des gestes, accompagnés à nouveau de ses soupirs. Et l'on murmure à votre oreille... La fin de votre martyr."

Ce murmure de la belle annonce l'envolée, de la main, odieuse geôlière, jusqu'au visage ravagé. Faisant usage d'un peu de force, se mettant sur la pointe des pieds, l'Ombeline frémissante le tourne et l'attire à lui, taisant son gémissement dans un baiser volé. Chaleur et douceur, impatience et violence, la belle s'abandonne à ce feu partagé. Le rouge aux joues, le cœur palpitant, elle recule...

"Quel homme êtes-vous, Ascanio ? Arrachez-vous la rose à peine éclose ? Ou jouissez-vous de sa flagrance jusqu'à l'ivresse ?" parvient-elle à chuchoter, les paupières prudemment abaissées sur un regard enfiévré.

La belle avait donc décidé de prolonger son supplice. Elle n'épargnerait rien au malheureux Ascanio, entretenant les braises de son désir dans une interminable attente. Elle lui faisait face à présent, exposant sans pudeur aucune sa nudité frontale. Ascanio la regarda longuement avec l'œil du conquérant sur le point de s'emparer d'une cité longuement convoitée. Et quelle cité ! Elle était dominée au nord par deux larges collines baignées de lumière pâle, deux monts aux sommets pointus, qui, arrogants et fiers, témoignaient au voyageur du faste et de la générosité du pays en contrebas. Ici, point de vallonnements et autres reliefs accidentés ; rien d'autre que de vastes plaines sableuses sous un soleil blanc harmonieux, qui se séparaient finalement en deux bandes de terre jumelles aux confins du monde, avec, au beau milieu, un triangle parfaitement lisse, terre promise où le conquérant érigerait les fondations d'un royaume fertile.

La question d'Ombeline demeura un moment sans réponse, le prince étant trop absorbé par sa contemplation pour y répondre. La poésie d'Ombeline l'avait entraîné dans un monde onirique de corps nus et de jouissances infinies. Lorsqu'il émergea de sa méditation érotico-métaphorique, clignant des yeux d'un regard bovin, Ascanio sembla se rendre compte qu'il était entièrement nu, lui aussi. Comment, et depuis quand ? Il avant sans doute dû achever de se dé-saper lui-même, afin de libérer l'expression de son désir, lequel, ne cessant de grandir, avait besoin d'espace - ainsi qu'il en est de tout conquérant qui, à force d'accumuler des richesses, en désire toujours davantage. Son vît était droit et dur, comme la hampe d'une lance dont le polissage demandait le concours de mains expertes.

Ascanio adressa un éloquent sourire à la nymphe nue, un sourire plein de fierté, flanqué d'un regard brûlant de désir. Ses yeux semblaient chargés de braises, et l'on pouvait pratiquement distinguer dans ses pupilles le reflet des deux majestueux seins de la belle. D'un geste impérieux, sa main droite vint cueillir l'un de ces fruits pulpeux. Il en apprécia la rondeur, imprimant du bout des doigts de petits cercles autour de son téton. Ce faisant, Ascanio s'impatientait ; si près du but, pouvait-il attendre davantage ? Il craignait que son trop plein d'enthousiasme ne vienne à exploser, et ce avant même d'avoir pu visiter les merveilles promises par Ombeline.

« Belle amie, voyez et admirez
La rudesse et la beauté de mon bélier
Dois-je pilonner les remparts de votre intimité
Ou m'ouvrirez-vous les portes de votre cité ? »

Il la voulait. Le monde aurait pu s'écrouler autour d'eux qu'il n'en aurait même pas cillé, il la voulait. L'univers semblait réduit à ce corps ferme et voluptueux, dont les seins et la féminité étaient les dieux. Si sa poésie n'était pas suffisamment éloquente quant à l'imminence de son désir, Ascanio ajouta : « offrez-moi votre fleur, Ombeline ; nul n'est plus digne que moi de l'arroser. »

D'une manière surprenante, ce fut au tour de l'ancienne courtisane d'être soumise au supplice. L'attente ne fut pas si longue, juste quelques instants où elle put apprécier à son tour, par la grâce de ses yeux, le physique et le vibrant hommage du Vossula. Pourtant, ce n'était pas celui de son vis qui retenait le plus son attention, mais bien celui de ses mots. Alors même qu'elle les torturait délicieusement par cette attente, ces jeux verbaux, ces promesses inassouvies, il s'était laissé faire. Même maintenant que son esprit semblait s'égarer à sa vue, il se contenait... Attendant son approbation, faisant toujours preuve d'esprit sans tomber dans la banalité d'une fougue rapidement épanchée et oubliée.

Cependant, l'acte n'était pas encore consommé et ses belles manières voleraient peut-être en éclat sitôt le pas franchi. Il ne serait pas le premier... Quoiqu'en médisent ses tristes souvenirs, la belle se surprenait à espérer. Par sa retenue, si ce n'est en verve, du moins en actes, il l'avait charmée. Peut-être était-il temps de passer la main, de lui permettre de donner pleinement corps à leur désir. Aux prises avec ses réflexions, à son tour, l'Ombeline n'offrit pour réponse qu'un silence et un regard troublés par des forces contraires : la crainte de voir leur surprenante poésie gâchée par une étreinte effrénée et fade, attaquée par la chaleur qui s'était répandue dans son bas-ventre, mettant ses chairs au supplice... Que ravivait chaque mouvement sur son sein, dont l'attaque lui avait volé un coupable hoquet de surprise étranglé. Il me semble... Qu'il le mérite bien, plus que tout autre... Pour avoir demandé, plutôt qu'exigé...

Frémissante, la belle se risque à faire un pas, flattant d'une main la lance brandit, tandis que de l'autre elle caresse encore le visage masculin. Honni en d'autres temps, point en cette instant, l'Ombeline s'amuse à lui reconnaître la grandeur d'un empereur qui a su conquérir par la pointe de son esprit. Une part de l'ancienne courtisane se rit d'elle-même, de la voir ainsi céder et s'offrir, tandis qu'une autre lui murmure de se taire s'abime dans le regard du Vossula. La gorge cruellement serrée, elle noue ses bras, lentement, autour de sa nuque, ses lèvres effleurant les siennes. Elle se sentait dépérir, de se refuser à les embrasser, malgré leur proximité. Pourtant, cela lui était une nécessité, car elle voulait murmurer :

"Quelles portes, mon beau Sire ?
Sous vos élans, elles se sont faites rosée
Plus rien à présent, ne retient votre avancée."

Sa chair ardente rencontra la sienne, et l'Ombeline se sentit mourir devant ses yeux, alors qu'elle ne se dérobait plus. Une dernière halte, une dernière hésitation ? Que nenni. La belle rendit les armes. Qu'Arcam se gausse, il lui semblait s'être perdue.

"Faites comme il vous plaira..." souffla, d'une voix aux milles nuances de délice, la Dame mise au Supplice.

La belle, incapable de résister plus longtemps, appelait à elle sa vigueur de mâle. Un sentiment grisant de puissance envahit Ascanio, qu'illustrait fort bien sa queue roide de désir, tendue dans toute sa superbe entre les doigts d'Ombeline. Ses lèvres assaillirent celles de la Dame de Cyr, et, d'un baiser, il s'appropria pleinement sa bouche, y insinuant sa langue pour un prélude humide à la fusion de leurs corps. « Ombeline... » susurra-t-il entre deux étreintes buccales, avant d'enchaîner sur un nouvel échange de salive, « vous êtes tellement... tellement... » - « gouuuurgandiiine ! » cria Chlamydia sur son perchoir - « tellement femme... »
Ses deux mains aggrippèrent fermement le plantureux fessier, qu'il pressa avec une force qui trahissait la violence de son désir. Il la hissa tout contre lui, comprimant contre son torse les généreux seins, ces mêmes seins qui, d'une certaine manière, lui avaient volé la vedette à sa propre soirée d'anniversaire...
Ascanio ne semblait pas rancunier.

Il entreprit de la porter jusqu'à la chambre, oubliant les cinq esclaves qui, depuis tout à l'heure, s'essoufflaient à faire des bulles dans la cuve d'eau chaude pour rien - et qui, accessoirement, profitaient du spectacle sans avoir l'air d'y toucher. Tant pis pour son invention ; Ombeline était de toute évidence bien plus attirée par la vigueur de son chibre que par la perspective d'un bain chaud. Ce que femme veut, femme l'obtient, jugea Ascanio avec sagesse. Tout en portant Ombeline, le prince enfouit la tête entre les divins coussinets, frottant son visage contre cette gorge tendre, léchant et mordillant ces tétons durcis par l'appel du plaisir. Et il lui vint à l'esprit que si le monde se résumait à ces collines, la vie serait dépourvue de toute laideur, et qu'il pourrait vivre éternellement heureux.
Il lui tardait d'y planter son étendard.

C'est sans doute parce qu'il ne regardait pas où il allait qu'il manqua la porte de la chambre et que le dos d'Ombeline heurta de plein fouet le tableau impérial qui ornait le mur. «  Oh, m... »
Le choc le fit lâcher Ombeline ; celle-ci retomba sur ses pieds, pour se retrouver acculée au mur, cernée entre un Ascanio libidineux et le portrait raté d'un antique Empereur.

Ainsi s'achevèrent les subtiles échanges poétiques, aussitôt remplacés par la clameur des chairs affamées, qui s'étreignent et se déchirent de leurs souffles oppressés. Toute entière, l'Ombeline s'offrait, se cambrait et gémissait, ses hésitations englouties par un feu bien vif, que chaque contact, chaque pression, chaque respiration sur sa peau attisaient de plus belle. Les mots n'avaient plus cours, l'ancienne courtisane en fit son deuil, pour mieux se consacrer toute entière à la folie des corps enfièvrés.

L'esprit ainsi égaré dans une tourmente si familière, elle fut incapable d'aider son cavalier à se diriger, et en fit les tristes frais. Un choc la surprit... Bien moins que celui que d'être relachée et de se retrouver, seule et vacillante, sur ses pieds. Un peu échevelée, elle observa Ascanio, sans comprendre ce qui l'avait fait s'arrêter. Jetant un coup d'oeil par dessus son épaule, l'Ombeline fut stupéfaite : d'un homme on ne peut plus apprêté, elle tomba à nouveau sur la vision de l'empereur, aussi glorieux que son amant semblant déconfi par le choc. Le choc fut intenable : Ombeline éclata de rire.

C'est qu'elle essaya de se retenir, la vaillante ! Il n'y avait pas matière s'esclaffer, ils étaient bien partis, enfin... ! Une main sur ses lèvres fines n'y fit rien, moult oiseaux rieurs s'envolèrent entre ses doigts, alors qu'elle se ventilait de l'autre main, étourdie d'un désir inassouvi désormais enfui et d'une stupeur hilare. Tâchant de reprendre contenance, la belle nymphe dut se détourner des deux visions contraires. Le coche était-il manqué ? Difficile à dire, mais le regard suivant qu'elle porta sur Ascanio n'était plus trouble d'impatience mais bien vif d'un amusement taquin.

"Mes excuses, beau Sire, je ne savais point... S'il vous sied tant de vous admirer, je n'oserais vous retenir et attendrais votre bon plaisir... susurra-t-elle à son attention, gourgandine, avant de jeter un regard à la ronde. Oh, n'était-ce pas un bain que vous proposiez tantôt ?"

Sans davantage s'appesantir, la belle s'en retourna, sa chevelure carmine lui flattant la croupe au nez de son amant. Un enfant ! Un enfant empressé et maladroit ! Et pourtant, elle eut cette pensée non sans une pointe de tendresse, alors que chaque pas de sa démarche chaloupée la faisait frémir. C'est que c'était une nouvelle forme de doux supplice qui l'assaillait car la pensée de la vigueur érigée du Vossula ne s'accompagnait plus que de la vision coquace de son air surpris, sous le regard bien trop sérieux de son portrait. Par la grâce de son dieu à trois verges, il me faudra bien un bain pour m'en remettre. Essuyant une larme au coin du nez, elle découvrit son doigts maculé des restes de son maquillage. Par Arcam ! A mi-chemin de la cuve, Ombeline eut la mauvaise idée de jeter un coup d'oeil par dessus son épaule... Et de découvrir, bel et bien, la figure d'Ascanio barbouillé de fond de teint.

Elle rit.

Loin de s'en sentir offensé, Ascanio l'interpréta comme un signe de bonne humeur. Et qu'est-ce qu'elle riait, la coquine ! Qu'est-ce qu'elle riait ! C'était sans doute là l'effet d'une pulsion hormonale, l'expression d'un défoulement rendu nécessaire par le déchaînement des passions qui secouaient les sens de la belle. Son hilarité étant contagieuse, Ascanio s'y mit aussi, un large sourire étirant ses lèvres en dévoilant ses dents blanches, entre lesquelles coulait un rire gras. Il ne savait pas pourquoi il riait, mais c'était agréable.

La voir lui fausser compagnie le laissa un peu décontenancé. Pas pour longtemps ; la vue de la croupe ferme et indécente d'Ombeline lui fouetta les sens, ranimant d'un coup son érection ; la voir aller ainsi, nue, de cette démarche féline et chaloupée, le rendait toute chose. Tel un épagneul agitant la queue, il s'élança à sa suite. Rattrapant la belle, il la prit par la main puis enjamba en premier l'extrémité de la cuve. Les esclaves se remirent à souffler dans leurs tubes de cuivre tandis que le prince glissait un pied dans l'eau chaude ; dire qu'ils avaient failli échapper à cette corvée !

Prenant ses aises dans le bain à remous en attendant qu'Ombeline ne s'installe, Ascanio se détendit. Son visage restait au sec, et il n'avait guère conscience qu'une épaisse couche de fond de teint lui maculait la tronche, le rendant passablement ridicule - si tant est qu'il eut pu l'être davantage. Ses pensées étaient ailleurs ; l'eau chaude et les bulles offraient un confort des plus agréables, mais il était une chose qu'elles ne pouvaient apaiser. Tout son être appelait les délices d'Ombeline - enfin, une partie de son être, qui présentement pointait en direction de la concernée. Se faisant l'écho de cet appel, Ascanio renoua avec le romantisme qui lui était cher :

«  Très chère, vous me faites languir
Je vous en prie, venez ;
Et que naisse le plaisir
Entre nos corps entrelacés.
Laissez donc vos mains gravir
Le sommet de mon pilier ;
Faites-le enfin jaillir
Le divin nectar princier. »

La mort du doux rire de la belle vit renaître son désir, au son de parole si savamment agencées. C'est qu'il lui paraissait un peu fou, cet homme-la. Au vue de son agitation, elle ne doutait guère de son effet, et pourtant il parvenait encore à aligner correctement ses mots. C'en était amusant et fou, surprenant et charmant. Combien aurait déjà cédé, et se serait empressé, sans gloire ni subtilité ? Bien d'autres lui auraient rendu son jeu avec savoir faire, mais ils n'étaient pas les plus nombreux. Oui, celui-ci lui était bien agréable. L'ancienne courtisane enjamba à son tour le bord de la cuve, posant sur son hôte un regard des plus langoureux alors que l'onde chaude se refermait sur sa cheville.

Allait-elle s'exécuter ? Ce fut son idée première, mais voilà, quand l'imprévu se présentait à elle, la belle ne le dédaignait pas. Les pieds dans la cuve mais debout, surplombant son amant dans l'attente, ignorant parfaitement les cinq escaves qui s'évertuaient à souffler, l'Ombeline se fit songeuse, car baisser la tête lui avait procuré une vue des plus fameuses.

Par delà ses collines, vallons et vallées, qu'encadraient des cascades sanguines, la belle contemplait le visage légèrement rougi du Vossula... Et la pensée de ce dont ses yeux devaient se régaler la rendit toute chose. Avec un soupir rauque, elle s'en mordit les lipes, et l'une se ses mains aux longs doigts, cruelle et provocatrice, se porta aux portes citées pour en caresser délicatement la chair rosée... Cela littéralement au nez du Vossula.

"Aidez-moi, beau sire,
Car à votre vue,
Mes jambes ne me répondent plus." souffla-t-elle, la gorge nouée.

Le regard émerveillé d'Ascanio s'abîma dans la contemplation de l'origine du monde. La vision d'Ombeline, de ses doigts fins sillonnant les contours de sa féminité, de ses jambes nues écartées de manière si provocante, de ses seins insolents gorgés d'un désir non feint, n'était-ce pas là le meilleur cadeau qu'on puisse lui faire ? Témoin du plaisir de la belle, il fut tenté de la laisser se satisfaire elle-même, tandis qu'il aurait pris littéralement en mains sa propre jouissance ; le plaisir des yeux l'y aurait guidé sans trop de peine. Mais Ascanio ne s'en contenterait pas ; ce soir il était joueur, et n'entendait pas entamer sa nouvelle décennie en simple spectateur.

Il la rejoignit d'une brasse, les remous de l'eau éclaboussant les esclaves, et posa une main sur un genou d'Ombeline, l'autre derrière sa cuisse. Plus que jamais aux premières loges, il ne s'arracha à la contemplation de la scène que pour mieux y goûter. Ses lèvres épousèrent le divin écrin de la belle, son nez en huma les senteurs cachées, sa langue glissa le long de la fente intime et humide d'Ombeline. Instinctivement, ses mains se resserrèrent étroitement sur les cuisses de son amante alors que sa bouche se faisait plus audacieuse. Il aimait la saveur et l'arôme délicat de cette partie du corps féminin, surtout depuis qu'une prostituée zurthane lui avait confié, un jour, que cette essence intime avait le pouvoir de rajeunir le corps et de procurer longue vie.

A ce contact au creux de son être, la Dame de Cyr vacilla, son souffle se faisant plus rapide, plus précipité. Rendue sensible par tant d'attente, la belle frémissait à chaque caresse, dont l'onde se répandait en vague de plaisir qui la faisait trembler.Désœuvrées, ses mains trouvèrent une occupation à maltraiter d'autres parcelles de sa chair, autour de sommets érigés... Se cabrant sous les attaques, ses paupières ayant tiré leur rideau sur les miroirs de son désir, la belle laissait fuir une longue plainte, basse, de plaisir contenu. Il lui semblait lutter contre la mer, luttant pour chaque goulée d'air, après chaque nouvelle vague... Alors qu'en réalité elle ne souhaitait plus que s'y plonger toute entière. Et ces mains sur sa peau, puissantes, qui la tenaient... Et cette arme dont le Vossula démontrait les maints usages, qui lui lacérait la chair de la plus délicieuse des façons... Non... Pas comme cela... Pas tout de suite...

Résister. Encore un peu. Tenir bon, malgré ce supplice qu'elle avait initié, malgré son souffle qui lui échappait, malgré son bas-ventre la lançait dans sa tourmente... Désirer... Désirer encore... Qu'en reste-il... De ce désir... Une fois assouvi...? Les réponses étaient aussi nombreuses que les hommes, et la belle se surprenait à vouloir faire durer le leur, encore. Le Vossula l'avait surprise, le faire languir n'en était que plus exquis. Baissant la tête tout en rouvrant ses yeux troubles de plaisir, l'ancienne courtisane contempla son amant à l’œuvre, avec une belle volonté. Le feras-tu attendre... Celui-ci... Jusqu'au prochain Voile ? Un nouveau spasme la fit trembler, et sa décision fut prise. Car, alors qu'une envie lancinante la tiraillait, y résister encore n'était-il plus l’œuvre que de sa fierté ?

Alors, la Dame vêtue de désir céda à cet appel si primaire et fit un pas en arrière pour se libérer des assauts du Vossula.

"Ah... Beau Sire... Attendez..." souffla-t-elle précipitamment.

Ah ! Destin ! Sa précédente plaidoirie lui joua tout à coup un vilain tour : non contentes de ne plus lui obéir, ses jambes préférèrent céder sous elle. S'effondrant en arrière, la Dame de Cyr provoqua un raz-de-marée dans la cuve, dont les vagues firent se répandre sa chevelure sanguine en de longues auréoles déliées. Pourtant, la belle se releva des eaux, plus nymphe qu'humaine, de nombreuses courbes rouges chaotiques soulignant ses moindres charmes, ses pommettes rosies, sa gorge frémissante sous l'effet d'une respiration profonde. Lentement, elle se rapprocha du Vossula, pour mieux se glisser dans son étreinte. Avant de s'emparer à son tour de ses lèvres, la belle susurra :

"Ascanio..."

De nouveau, leurs lipes se joignirent, l'ancienne courtisane lui rendit ces baisers dont il l'avait suppliciée, tandis que d'une main experte, elle guidait son bélier au seuil de la cité promise... Et enfin, après tant de promesses, d'attente et de détours, la lame trouva son fourreau, et la belle s'y empala sans un regret, au son de son plaisir englouti par leurs souffles mêlés.

Après s'être si longuement refusée à lui, elle se donnait enfin. Ascanio poussa un grognement rauque, fixant la belle d'un regard enfiévré, alors que sa verge turgescente s'insinuait langoureusement dans la chair tendre et humide. Sous ses yeux hagards, Ombeline ondulait de son corps délicieux, tel un serpent dansant au bout d'un bâton. Lentement, doucement, l'âme du prince s'égara dans les méandres du plaisir. Il était bercé par les vagues de l'amour, ces vagues violentes qui se soulevaient chaque fois qu'Ombeline faisait basculer son bassin d'avant en arrière, et qui agitaient ses généreux seins comme la mer au gré des flots. L'esprit du prince divaguait dans un monde féerique peuplé de ses fantasmes, où toutes les femmes étaient belles et follement éprises de sa personne. Une main fermement agrippée à la croupe de son amante, il accompagnait chaque mouvement, ponctuant chaque nouvelle étreinte d'un grognement animal. Tous deux s'abandonnaient totalement à l'appel des sens, dans une chevauchée fantastique au pays de la luxure.

Pour fantastique qu'elle fut, la chevauchée fut de bien courte durée ; passablement échauffé par l'attente qu'elle lui avait fait subir, Ascanio ne put - et ne voulut - réprimer l'inexorable ascension de son plaisir. Sa virilité bouillonnait à la manière d'un volcan au bord de l'éruption, et lorsqu'il explosa enfin, déversant ses torrents de lave dans l'écrin délicat d'Ombeline, l'intensité de sa jouissance le laissa vidé et pantelant, le souffle court et ébahi par la félicité de ces quatre dernières minutes de pur bonheur.

« Par les trois verges du Dieu à Trois Verges », souffla-t-il tandis que sa tête reposait entre les seins d'Ombeline, « je savais que j'étais bon, mais quelle performance... »

L'étreinte... Ces vagues de plaisir qui la laissaient frémissante, vibrante, après tant d'attente. Le corps perdu dans ces ondulations naturelles, obligées, libératrices, l'Ombeline n'était plus que chair sensuelle, mires enivré et souffle étranglé. De ses mains elle s'appuyait sur les épaules de son amant, son bassin bougeant de son propre fait, tandis qu'elle se cambrait de plus belle sous l'effet de la jouissance. Puis il vint, le corps de l'Ombeline frémit, se resserrant sur cette chair d'homme à la caresse rude et pourtant si jouissive. Après un long soupir, la belle enlaça son amant, déjà exténué. L'ancienne courtisane, elle, se mordait les lèvres d'une envie encore inassouvie, qui la laissait prédatrice. Si vite... ? Une déclaration de fierté, et cela vous suffit ? Pauvre sire... Lui offrant le confort de ses charmes, elle accepta cependant de le laisser souffler. Un peu... Avant d'exercer une légère pression, tentatrice, sur ce bout de chair qui était encore en elle, tandis qu'elle enfouissait son visage dans la crinière humide du Vossula.

Enivrée de désir jusqu'à la lie, la Dame vêtue de son amant tarda à réagir alors qu'une porte s'ouvrait, qu'un souffle s'étranglait de frayeur, et que le *POC* d'une canne se faisait entendre. Suivit d'une cavalcade. Lascive, Ombeline releva lentement le nez de l'odeur du mâle... Et se raidit, non pas de plaisir cette fois-ci.

"Salutations, Sire Vossula. Mes hommages pour cette fête d'anniversaire des plus vivifiantes ! Permettez que je me présente : Laurin De Cyr, marchant de tissus. Non pas que mon commerce rivalise avec le vôtre, loin de là ! Mes affaires sont bien plus modestes, et me suffisent amplement. Bien, à présent que cela est dit, voudriez-vous vous retirez de ma femme, je vous pris ?" dit une voix claire d'homme et usée par l'âge.

A l'entrée des appartements, droit dans des atours d'excellentes factures, les mains jointes sur une canne à la poignée rehaussée de pointe d'or, un vieil homme jaugeait les deux corps enlacés, un sourire de bonhomie sur son faciès anguleux, qu'agrémentaient une courte barbe, une chevelure mi-longue, gris, ainsi qu'un chapeau bleuté.

"Oh, et je crois que votre serviteur a pris ses jambes à son cou. Sensible, ces jeunes-la." ironisa le nouveau venu.

Ciel, mon mari ! Cela eut pu être la réaction d'une pimpêche échevelée, mais en rien celle de l'Ombeline. Voilà que ce vieux fou sort de sa retraite... Loin de fuir le contact du Vossula, face au regard bleuté de son époux, la belle pencha lascivement la tête, une mèche humide glissant dans le creux de sa nuque pâle. Ses mires grises observaient avec amusement le fou qui s'était entiché d'elle, quelques années plus tôt, au point de racheter son contrat, de la libérer et de l'épouser dans la foulée. Une infinie source de richesse et d'amusement, offerte, pour l'ancienne courtisane. Bougeant lentement de la croupe, elle offrit à Laurin son sourire le plus chafouin, tandit qu'elle ronronnait tranquillement ces mots doux :

"Mon cher époux... Vous, ici ? Auriez-vous retrouver le plaisir de la compagnie d'autrui ?"

L'effronterie d'Ombeline amusa Ascanio. Quelle délicieuse garce, pensa-t-il avec le sourire aux lèvres, cette dénomination n'étant aucunement péjorative dans son esprit ; il en fallait de l'audace, pour demander des comptes à son époux alors qu'elle avait encore la queue de son amant entre les cuisses. Il adorait ça.

Les esclaves souffleurs avaient cessé leur œuvre, tant parce qu'ils étaient au bord de l'asphyxie que par incertitude quant à la conduite à adopter ; restés en retrait, inquiets et prudents, il n'y avait guère de secours à attendre de leur part. Ascanio ne s'en inquiétait guère ; il n'était pas plus gêné qu'Ombeline par cette soudaine intrusion.

A vrai dire, il cultivait une certaine habitude à se faire surprendre par des bourgeois dans le lit de leur rombière ; et celui était un vieux, probablement gâteux et impotent, à l'article de la mort. En plus de ça, il ne semblait pas aussi fâché qu'on pourrait le croire. Certains marchands, après tout, faisaient preuve d'une étonnante ouverture d'esprit à Thaar. Faisant preuve de bonne volonté, car le bonhomme lui était sympathique, Ascanio se retira d'Ombeline, mais ne se défit d'elle que pour mieux la contourner et, une fois derrière elle, encercler ses voluptueux seins de ses mains robustes, offrant au vieil homme une vision des plus charmantes.

« Allons, mon ami, ne soyez pas si modeste. Je suis certain que vos affaires sont florissantes ; le joyau que voici en est la preuve », fit-il en pressant le sein gauche de la belle. « Mais rassurez-vous ; je sais fort bien que prêter est prêter, que ne pas rendre est voler. »

Grisé par cette situation aussi rocambolesque qu'étrangement excitante, Ascanio sentit sa virilité regagner en vigueur, s'ériger sous l'eau, son expansion se heurtant à la chute de reins d'Ombeline...

« Mais je vous en prie, Messire Laupine, faites comme chez vous. La cuve est grande ; rejoignez-nous. »

Un soupir de surprise et de plaisir mêlés échappa à l'Ombeline, délicieusement oppressée par les attentions du Vossula. Vous voilà de retour... Cédant bien volontiers à la tentation, la belle se laissa aller tout contre son amant, dans l'étreinte de ses bras possesseurs. Là était le coeur de son plaisir, aussi cruel put-il être, s'offrant à qui lui plaisait, quoiqu'en dise son vieil époux. Dans les mires de ce dernier, qui se renfrognait, elle se régala de son déplaisir, se faisant plus lascive, plus sensuelle, s'étirant comme un chat, caressant de son derrière des plus fermes la lance venue s'y frotter. Le vieil homme, qui avait commencé à s'avancer, en pâlit d'autant, faisant halte pour lancer à l'ancienne courtisane un regard navré.

"Laurin De Cyr, cher confrère. le reprit-il avec une admirable maîtrise de soi. Je crains que vous n'ayez pas saisi le coeur de ma demande. Mes affaires se portent bien, en effet. C'est vers mon épouse que se portent mes inquiétudes. Je vous saurais gré de ne point l'encourager dans son égarement."

Et l'intéressée de rire délicatement à ces attentions, le couvant d'un regard hautain, enfiévré par le désir que faisait naître dans son bas-ventre les caresses d'un autre. D'une main elle vint effleurer la joue de l'homme tout contre elle, dont le souffle sur son épaule nue et humide la faisait frémir. Ses mouvements de bassin se poursuivaient, lents et doux, sources de remous sur la surface aqueuse, son autre main venant agripper la cuisse masculine qui l'enserrait.

"Ah ! Mon cher, vous vous trompez d'homme. Vous vous adressez à un vieux Péninsulaire, bien attaché à des valeurs familiales de pureté. Une tristesse... souffla-t-elle au Vossula, tout en souriant à Laruin. Mais n'ayez crainte, tendre époux, rentrez en votre logis, je viendrai y réchauffer votre couche bien assez tôt...
- Là n'est pas ma préoccupation. Rien ne vous oblige-plus à vous donner à tout va, ma mie... dit le vieillard au chapeau bleuté, le visage froissé, faisant fi de ses piques, comme bien souvent. Regardant par delà le corps frémissant dans l'onde de son épouse, il s'adressa au Vossula. Il me semble avoir ouï que vous étiez marié. Comment considèreriez-vous l'objet de votre amour, si elle n'avait de cesse de se perdre dans d'autres bras ?"

Et la belle de se gausser avec délice, enivrée de désir, devant tant de mièvrerie.

L'évocation de sa propre épouse jeta un voile d'amertume sur le visage enjoué d'Ascanio. Penser à Caley lui était toujours douloureux ; elle était le reflet de son âme, et était absente depuis si longtemps déjà... attristé, Ascanio se colla un peu plus à Ombeline, l'extrémité de son membre sillonnant l'arrondi du parfait fessier.

« Hélas, Messire ; les dieux et les hommes se sont ligués pour me défaire de mon épouse. Son absence assombrit chaque jour un peu plus mon cœur, mais où voulez-vous en venir ? Vous aimez votre femme, je le vois, mon cher Lauripile. En ce cas, pourquoi la priver de son plaisir ? »
Accompagnant ces mots, sa main vint se perdre entre les cuisses d'Ombeline, dont il flatta du bout des doigts la fleur intime.
« J'ai eu du plaisir en compagnie de bien des femmes ; et Caley, ma douce et tendre Caley, ma licorne féconde, ma sauterelle au miel, a aussi connu d'autres bras que les miens. »
Il omettait de préciser que Caley avait connu ces autres hommes avant de l'épouser, tandis que lui-même n'avait jamais cessé d'aller butiner d'autres fleurs ; à vrai dire, il ne voyait pas tellement la différence.
« Je n'ai jamais interdit à ma femme d'aller trouver son plaisir là où elle le souhaitait. Et si, au moment où nous parlons, elle roucoule dans les bras d'un grand mâle fortement membré, pourquoi devrais-je en être attristé ? Je l'aime. Qu'elle vive, qu'elle soit heureuse, c'est tout ce que je souhaite. »

Les protagonistes de cette scène offraient un tableau saisissant : gémissante, Ombeline se cambrait de plus belle, l'une de ses mains venant guider et appuyer les carresses du Vossula; celui-ci, attristé, l'enlaçait tout en conversant avec le mari cocu; ce dernier, de plus en plus blême, ne parvenait guère à ignorer les contorsions de son épouse; et pour finir, témoins muets, les esclaves tendus par l'incertitude attendaient, en retrait. Les mains crispées sur sa canne, Laurin eut une expression peinée.

"...Vous me voyez navré d'apprendre, pour votre épouse. Cependant, vos propos me font réaliser votre incompréhension. Ainsi, si je me joins à vos voeux concernant son bonheur, je lui souhaiterais tout particulièrement d'être dans la même disposition que vous, sinon je gage qu'elle serait la mieux placée pour comprendre une part de mon... Tourment." dit-il d'une voix à peine vacillante, le dernier mot s'accompagnant d'une grimace.

Ce même mot qui, d'une manière surprenante, parvint à accrocher l'attention d'Ombeline, que le plaisir étourdissait au rythme du doigté du Vossula, et de la pression prometteuse tout contre son siège. Redressant la tête, qu'elle appuyé contre l'épaule de son amant, elle rit au visage de Laurin, d'un rire léger et méprisant.

"Si vous vous entendiez, cher époux ! A croire que c'est vous la pucelle qui se réserve pour votre amour !
-... Car oui, je vous aime. Le vieil homme avait frémit, et sa voix était aussi blanche que son teint. Pucelle, je ne suis point. Mais je me désole de vous voir rechercher attention et plaisir chez tout homme qui croise votre route, comme s'il y avait là un besoin vital à satisfaire. Après la vie dont je vous ai libérée, n'aspirez-vous point à la paix ? A la tranquilité ? Au respect de vos pairs ? Je ne suis point sourd, j'entend de nombreux se gausser... De vous comme de moi. Sa voix se fit soudain fibrante, écho d'une profonde blessure. Quel vide vous faut-il donc combler !?"

Pendant la tirade du marchand de tissus, la belle ne l'avait pas quitter des yeux, son esprit luttant pour rester lucide alors même que le plaisir l'emplissait, la faisant frémir, gémir, se tordre, flattant la virilité du Vosula de ses mouvements de bassin enfièvrés, s'agrippant à la main dont les doigts dansaient sur la peau sensible de son intimité, enlaçant le visage du triste sire qui reposait sur son épaule. Peu lui importait les discours de son imbécile d'époux, son ignorance et ses naïves intentions, alors que son corps tremblait, au bord de l'extase.

"Pauvre sot... murmura-t-elle seulement en réponse, les yeux mi-clos avant de l'oublier et de murmurer à Ascanio, d'une voix tremblante et douce. Peut-être cela pourra-t-il vous distraître de votre peine..."

Ombeline ne vit pas l'expression désemparée de Laurin, qui entendait-là plus d'attention que ce à quoi il avait droit. Prisonnière d'une chair qui ne demandait qu'à imploser, l'ancienne courtisane abandonna la main caressante du Vossula pour mieux rechercher la clé de sa délivrance. Elle la trouva, gorgée du désir de la servir, s'en empara avec fébrilité et la guida à nouveau vers ses profondeurs. Cette masse qui se fraya un chemin dans sa chair, rendue étroite par la proximité de la jouissance, la fit gémir telle une bête aux abois. Fi des paroles ! Il n'y avait plus que ce torrent qui menaçait de l'emporter et sous les assauts duquel, bientôt, elle devrait céder.

« Ne le prenez pas mal, Lipide », lança Ascanio au vieux marchand tout en baisant sa femme. « Je... ah, oui, par la flûte d'Arcam... vous savez, je crois que... Hum... je crois que vous êtes un peu... égoïste... »

Le pauvre diable lui était sympathique, et Ascanio ne se réjouissait pas de son désarroi. Cela ne l'empêchait pas de pilonner Ombeline avec vigueur contre le rebord de la cuve, mettant la belle dans tous ses états sous le regard ému du mari jaloux. Mais ce type n'était pas un mauvais bougre, et Ascanio espérait pouvoir l'aider - en lui ouvrant les yeux.

«  La jalousie », dit Ascanio entre deux coups de reins, « la jalousie ne mène à rien. C'est votre... Humpf, désir de posséder qui vous guide, alors que certaines richesses devraient... être à disposition de tous... »

Il ralentit un peu la cadence afin de faciliter la conversation. Il n'en oubliait pas pour autant son amante, allant et venant en elle avec une emprise lente mais profonde, qui semblait accompagner le souffle d'une Ombeline au bord de l'extase.

« Ne reprochez pas à Ombeline de chercher des hommes plus beaux et plus virils que vous », poursuivit Ascanio, sa voix résonnant entre les doux clapotis de l'eau. « Un jour, elle sera vieille et laide... et vous trouverez votre plaisir entre les cuisses de petites jeunes... enfin, je dis ça, mais vous serez mort bien avant, c'est vrai, pardon. Mais que vous importe ? Il n'y a pas que le sexe dans la vie, n'est-ce pas ? Vous n'avez qu'à jouer aux cartes pendant qu'elle s'amuse, et chacun aura son jouet ; c'est un équilibre primordial dans un couple... »

Cela venait, cela venait... Au rythme des coup de boutoirs du Vossula, l'ancienne courtisane gémissait doucement, les mains crispées sur le rebord de la cuve, en prise avec la jouissance qui s'emparait de son corps, lui assourdissait l'esprit, la conquérait toute entière. Dans ce chaos des sens, alors que tout son être ne percevait guère plus que ce va-et-vient en elle, que le brasier qui la ravageait, que cette chose qui se retirait pour mieux la pilonner, Ombeline perçut néanmoins la différence. Ascanio discutait. Alors même que la belle se livrait, son amant faisait la leçon à son époux tout en la besognant. Non... Un rugissement, bien familier, se profilait à ses oreilles, alors qu'une autre époque se superposait à celle-ci. D'autres lieux. D'autres hommes. Ces mêmes sentiments. Il dispose de moi... La solitude. Le dégout. Et tant d'autres... Les paupières d'Ombeline se refermèrent sur son tumulte, ainsi que sur le visage horrifié de Laurin, alors qu'un énième coup portait son plaisir charnel à son paroxysme.

Pendant d'interminables secondes, l'Ombeline demeura cambrée, tremblante, le visage transfiguré, empalée comme un insecte par l'aiguille d'un collectionneur. Son souffle était rapide et court alors que, pulsion par pulsion, son esprit était étourdi de plaisir, libéré un bref instant des tourments de ses souvenirs. Cela lui fit du bien. Cela la laissa retomber comme un pantin coupé de ses fils contre le bord de la cuve, sans chercher à se raccrocher au Vossula, qui glissa hors d'elle. Pantelante et en sueur, Ombeline reprit son souffle dans l'étreinte plus douce de l'onde, alors que sa chair tremblait encore sous l'effet du sommet atteint... Un goût ferreux se répandit dans sa bouche. Je me suis mordue... Constata-t-elle, un peu bêtement. Et ce silence... Mon triste époux... Serait-il à court de belles paroles ? Elle osa lever le nez de ses mèches trempées, qui la cachaient tel un rideau. Le regard de Laurin... Les yeux gris de la belle ne parvinrent pas à les quitter, son âme assaillit par moult attaquants. Ombeline repoussa avec violence une brusque envie de verser une larme, lui préférant l'étreinte chaude et dévorante de la colère. Imbécile. Si tu n'étais pas venu, tu n'aurais rien vu. Si tu n'étais pas vevu, tu ne l'aurais pas...! Sa présence avait brisé l'illusion. Et cet idiot de romantique s'était brûlé les yeux à la vue de sa réalité.

Reprenant peu à peu le contrôle de sa respiration, Ombeline se redressa, lentement, estimant les capacités de son corps à tenir debout. A vrai dire, elle se sentait encore faible et étourdie, mais elle n'en avait cure. Elle ne voulait plus rester là. Elle voulait partir. Alors, enjambant le rebord de la cuve, ruisselante, sa chevelure plaquée dans son dos, ses charmes rougis des attentions de son amant, elle prit congé de ses caresses sans un mot ni regard, chaque pas renforçant sa détermination, s'ancrant davantage dans la fureur sourde qui l'habitait. Pour sortir, il lui fallut passer à côté de son époux... Celui-ci lui saisit le bras. Sans lui laisser dire un mot, elle le gifla de l'autre. Sa main n'était que celle d'une femme... Elle n'en fit pas moins mouche, semant davantage le trouble dans le regard blessé du vieil homme.

"Je ne vous ai pas donné l'autorisation de me toucher." souffla-t-elle, froide, d'une voix à la douceur mensongère.

La discussion avec le mari cocu avait tourné court ; ce dernier avait sombré dans un profond mutisme en voyant sa femme emportée par les vagues de l'orgasme. Ascanio, grisé par les cris de la belle, s'était tu lui aussi pour mieux se concentrer sur son propre plaisir, qu'il ne tarda pas à trouver ; dans un profond râle de satisfaction, il vint pour la seconde fois en elle.

Reprenant peu à peu sa respiration, le prince semblait quelque peu troublé. Il n'était, on s'en doute, guère au fait des tourments qui agitaient la conscience d'Ombeline. Pourtant, lorsqu'elle se dégagea brusquement de lui et quitta la baignoire sans un merci ni un au revoir, son esprit libéré de sa libido commença à s'interroger. Elle a eu ce qu'elle voulait, et maintenant, elle s'en va ; ne suis-je donc qu'un objet de luxe dédié au plaisir des femmes ? La question n'était pas nouvelle, mais pour la première fois, la réponse le laissait quelque peu chagrin, car il se remémorait son épouse Caley. Celle-ci avait toujours eu de petites attentions pour lui, avant comme après l'amour ; et elle restait à ses côtés après chaque étreinte. Non sans une certaine nostalgie, Ascanio se rappela le jour où il avait compris qu'il l'aimait : c'était précisément dans l'un de ces instants où il savourait sa compagnie alors qu'il ne couchait pas avec elle et qu'il n'essayait pas de le faire.
Mais Caley était partie, et depuis, les étreintes d'Ascanio avec d'autres femmes s'achevaient toujours par cette pensée amère. Son plaisir n'était jamais qu'éphémère, fait de petites attentions superficielles, de promesses illusoires et sans lendemain.

Seul dans la baignoire, il regarda distraitement Ombeline sermonner son vieux mari décati, puis ses yeux s'attardèrent sur la chute de reins ruisselante d'eau et rougie. Son désarroi s'atténua légèrement, et il cessa de divaguer ; à quoi bon déprimer ? J'ai toutes les filles du monde à mes pieds ! Que Kiel emporte l'amour. Il secoua la tête, ses cheveux humides projetant des gouttelettes sur les esclaves souffleurs d'eau, puis retrouva son sourire. Avisant le couple, il lança :

« Prolapsus vous montrera la sortie. Ah, et il a aussi votre robe, Ombeline », ajouta-t-il en désignant l'esclave qui se tenait en retrait, une pièce de tissu entre les bras. « Bien que la nudité vous habille mieux que ne le ferait n'importe quelle robe. J'ai été ravi, Messire Ciprin. Au plaisir. »

Là-dessus, il agita la main pour congédier les deux visiteurs, tout en se prélassant dans son bain. Pendant ce temps, la fête se poursuivait, et peut-être l'attendait-on. Je devrais peut-être y retourner, pensa-t-il. Peut-être.

"Je me souviens du chemin et me sens parfaitement à mon aise ainsi." répliqua Ombeline, son ton aussi doux que ses paroles étaient cinglantes.

Soumise à l'empire de son dégoût, la belle ne ressentait plus en l'instant que mépris pour l'homme qu'elle avait étreint qui et avait su, finalement, la faire venir. Cela lui était d'une banalité sans nom, et le charme des poèmes s'était dissipé avec l'horreur qui l'avait saisi en entendant le Vossula philosopher, alors même qu'il était en elle. Elle ne souhaitait pas mettre de mots sur la profonde sensation de mal-être qui l'habitait, préférant simplement honnir son mari d'avoir gâché ce moment par sa présence, et son amant de s'être laissé distraire. Poupée pour l'un, jouet pour le second. Qu'il s'étrangle avec leur virilité immonde. Mais l'Ombeline était bien trop élégante pour s'épancher en de pareils propos. Aussi, elle asséna-t-elle seulement un regard froid à Laurin avant de faire volt-face et de quitter les lieux de sa démarche chaloupée, seulement vêtue de sa chevelure flamboyante.

Ayant amorcé un geste pour la retenir, le marchand de tissu se figea sous le regard lancé. Quand ses yeux ne purent plus voir sa femme, il se tourna vers le Vossula, une expression de profond chagrin sur le visage. Il n'avait pas pu empêcher ce désastre.

"Vous ne comprenez pas... Un objet peut-être partagé. Une personne ? Non. A moins que le concept de respect ne vous échappe. Avant que je ne l'épouse, sa vie dépendait de sa capacité à nous plaire, à nous donner envie de disposer d'elle. Il frissonna. Ce que vous venez de faire. Comment le plaisir charnel pourrait outrepasser l'importance de se considérer autrement que comme une babiole, passant de main en main ? Elle n'en a plus l'obligation. Pourtant, elle continue... Et je l'entend pleurer, quand elle croit que je dors... L'un des avantages d'être un vieillard, je suppose. Ses mires se fermèrent un bref instant sous le coup d'une douleur, avant qu'il n'observe à nouveau le Vossula avec lassitude. Il est des sages qui parlent de cela bien mieux que moi. Pour ma part, je m'arrêterais au fait que, là où vous voyez de la jouissance, je ne perçois qu'une fêlure qui se creuse toujours plus... Bonne soirée à vous, Sire Vossula."

Puis il se tourna à son tour pour sortir, avant de presser le pas, comme réalisant que le temps qu'il avait employé à palabrer, Ombeline s'en servirait pour s'éloigner, toujours plus loin. Alors, dans un tapotement de canne pressée, l'esprit préoccupé et las, Laurin De Cyr prit congé de leur hôte et quitta ses appartements.