Il ne porte rien lui-même, laissant cette tâche ingrate à des esclaves et même s’il ne prend souvent pas grand-chose il arrive que ce soit une longue procession d’êtres serviles qui le suive avec tout ce dont il peut avoir besoin. Des cartes, de l’encre, des plumes, du parchemin, des compas, des maillets, tout une collection de ciseaux à bois et de tailleur pierre, des peintures, des toiles, tout un assortiment de pinceaux etc… il ne porte évidemment aucune arme, laissant ça à son escorte, et ne il n’est pas rare que les mages de vie à ses côtés fassent porter leur matériel par ses esclaves.
C’est un drow grand, osseux et nerveux que Myr’Hennis, ses longs cheveux fins et blancs sont en général tirés sur un côté, souvent le droit ; ce qui n’empêche en rien certaines mèches rebelles de prendre leur indépendance, c’est d’ailleurs son plus grand regret, lui qui ordonne la pierre n’arrive pas à mettre de l’ordre dans sa chevelure. Cette coiffure lui laisse souvent qu’une seule oreille visible et pour cause elle est très bien dégagée ce qui permet d’observer une oreille particulièrement régulière, à tel point qu’on la croirait coupée au couteau, ce qui est d’ailleurs assez probable. Son visage est composé de joues assez creuses, d’un menton peu prononcé, de lèvres aussi fines que son nez, de deux braises rougeoyantes à la place des yeux et un front large qui n’est jamais assombri ; pas même par des mèches de cheveux, les rebelles se tiennent éloignées. Fait intéressant à remarquer, la plupart du temps ses mains sont plus blanches que le reste de son corps qui tire sur le gris cendreux, la faute à son travail régulier et souvent long du marbre.
Si l’escorte considérable liée à sa fonction n’était pas assez parlante pour deviner qu’il s’agit de quelqu’un d’important il suffit de le regarder pour s’en rendre compte. Il a un port de tête altier, une démarche plus qu’assurée et lorsqu’il donne un ordre son ton laisse supposer que le refus de lui obéir n’est même pas une option. De plus il s’habille assez richement, portant souvent des vêtements d’un blanc immaculés brocardé et avec des motifs cousus au fil d’or.
Le Clor d’Dormagyn de Myr’Hennis fut une partie de sa vie qu’il préfère oublier. Notamment car il fut pris dans un combat qu’il n’avait pas envie de livrer et encore moins la chance de gagner. De cette expérience aussi douloureuse qu’humiliante est née une aversion pour les soldats. Dans sa trentième année le soldat était pour lui le niveau zéro du drow, la lie eldéenne : bête et violent, ces créatures-là protègent leurs petites têtes sous de gros casques se disait-il avec tout le mépris qu’on peut mobiliser à cet âge. Et ça n’est pas allé en s’améliorant lors des classes communes. C’est pour ça que Myr’Hennis est resté dans un environnement militaire le moins longtemps possible, subissant en silence ses classes plus qu’il ne les faisait. Une fois le calvaire terminé il s’orienta vers une formation d’artisan, n’ayant aucun amour pour le combat car ça fait bien trop mal il rentra, après une cinquantaine d'années sous les ordres d'un maître qui ne le méritait pas, au service du grand architecte ; ce dernier l'ayant choisit suite à un tour des talents artistiques drows. Pour son Clor d’Beannaighil il choisit Isten, la déesse avec laquelle il avait le plus d’affinité déjà parce qu'il a toujours voulu atteindre une position suffisamment importante pour être certain de ne pas avoir à combattre et surtout parce que, éternel insatisfait, Myr'Hennis s'est naturellement tournée vers la déesse. Pendant pas loin de d'un siècle et demi il travailla comme aide puis ensuite comme apprenti, devenant le second, rejoignant son aînée de près de cent-vingt ans : Nahalar Ultozia.
Myr’Hennis avançait d’un pas rapide, d’un pas dont l’énergie était l’enfant d’une colère froide, dans les rues du Puy. Il se souvenait encore le sang chaud imprégner sa toge blanche et même si la chaleur de l’hémoglobine n’avait pas été désagréable, son vêtement avait été souillé par du sang d’humain, du sang d’esclave. Le grand architecte et ses deux disciples avaient été conviés à une pièce reprenant la célèbre Bataille des Cendres ; l’apprenti avait appris le lendemain que sa rivale, Nahalar, s’était assurée qu’un des acteurs tranche l’artère d’un esclave jouant un péninsulaire pour que la giclée de sang vienne l’éclabousser. Alors il toqua à la porte de la responsable.
Mais elle savait qu’il arrivait, elle s’était préparée. Nahalar avant demandé à ses esclaves de lui apporter une robe noire.
« Je dois lui montrer que je suis son contraire… » avait-elle déclaré, pensive, avant d’ajouter :
« il est hors de question qu’il me regarde de trop haut. » Termina-t-elle après avoir demandé des chaussures à talon.
C’est un petit esclave humain au nez cassé, marqué par une longue cicatrice qui s’étendait de sa joue droite jusqu’au bas de son cou qui accueillit le drow et il se demanda si le choix du portier n’était pas une énième insulte. Le portier se sortit de l’encadrement de la porte et d’un geste indiqua une autre que Myr’Hennis passa avec une pointe d’inquiétude.
« Myr ! Quelle bonne surprise, je t’en prie, assieds-toi. » L’interpela celle qu’il était venu voir. L’intéressé grinça des dents en entendent ce diminutif qu’il détestait mais il alla s’assoir à la petite table en fer forgée. Elle se trouvait dans un grand atrium et à l’ombre d’un arbre.
« Ta visite est toujours un cadeau des dieux. Veux-tu un rafraîchissement ? Sers-nous Méli. » Ordonna-t-elle à une esclave qui attendait patiemment à côté de la table.
« Merci. » Il déclina en couvrant sa coupe de sa main.
« Méli ? Joli nom. » Commenta Myr’Hennis en regardant de bas en haut la sang-mêlé. Les yeux de l’esclave se remplirent de peur mais elle n’osa pas regarder sa maîtresse. Cette dernière posa sa coupe en faisant du bruit pour attirer l’attention du drow sur elle. Le sourire qui sonnait aussi creux que la vie d’un anëdhel avait disparu des lèvres de Nahala et rien que pour ça le déplacement en valait la peine.
« Que me vaut ta plaisante visite ? Le suspense me tue. » Si seulement, pensa Myr’Hennis.
« Très bien, je vais être franc en ce cas, je ne voudrai pas avoir ta mort sur la conscience. » Il la regarda un instant avant de reprendre.
« Je sais que c’est ta faute si le sang m’a giclé dessus la veille. Je veux savoir pourquoi tu as fait ça. » Sa voix était aussi glaciale que son regard et ça amusait beaucoup son interlocutrice.
« Le rouge te va si bien. »« La vraie raison, s’il-te-plaît. » Myr’Hennis tourna la tête pour concentrer son attention sur Méli qui avait jugé bon de s’occuper un peu plus loin de sa maîtresse capricieuse et surtout jalouse de l’attention que l’esclave lui subtilisait.
« Pour te montrer que c’est en mon pouvoir. » Elle accompagna sa réponse d’un haussement d’épaule.
« Un simple je peux le faire aurait suffi. »« Tu as raison mais c’est d’un ennui ! C’est un manque d’originalité sans nom. C’est indigne de moi en somme. Il faut que tu comprennes une bonne fois pour toute que tu n’as aucune chance de devenir grand architecte. » Elle avala une gorgée de sa coupe pour attendre une quelconque réaction de Myr’Hennis, lorsqu’il fut clair qu’il ne comptait rien dire ou faire elle continua.
« Quoi que tu puisses penser je t’apprécie et je n’ai pas envie que tu meures. »« Ne t’en fais pas je sais bien que c’est en ton pouvoir, inutile de me le démontrer. »« Honnêtement, je souhaite de tout cœur ne pas avoir à te le prouver. » Elle plaça ses deux mains sur son cœur pour attirer le regard de Myr’Hennis sur son décolleté. Feignant de ne pas voir la manœuvre ce dernier laissa à nouveau vagabonder son regard vers Méli. Nahala se racla la gorge pour attirer son attention.
« Tu peux nous laisser Méli. Quant à toi, merci de ta visite. » Au fil des décennies qui suivirent il devint clair qu’elle avait raison : leur maître préférait son travail aux dépends de celui de Myr’Hennis. Pourtant ce dernier n’abandonnait pas pour autant, déjà parce que sa fierté le lui interdisait et surtout parce qu’un seul apprenti survivait à la succession du grand architecte. Alors son instinct de survie le poussait à tout faire pour retrouver les grâces de son maître. Comme par exemple faire tomber une statuette d’Isten sur le projet de Nahala. Prendre le risque d’endommager une statue à l’effigie d’une divinité n’était pas quelque chose qu’il faisait confortablement mais le message était bien trop délicieux pour passer à côté ; il espérait que la déesse lui pardonne, après tout elle est aussi la déesse de l’ambition, elle devrait pouvoir comprendre.
C’est justement peu après ce fameux incident que Nahala vint un jour, enfin un soir, chez lui. Un esclave vint chercher Myr’Hennis dans son atelier pour le prévenir. Le drow ordonna qu’on l’amène directement dans ledit atelier et après les salutations de circonstances ce fut Myr’Hennis qui entama la conversation.
« Qu’est-ce qui t’amène ? » Les poings sur les hanches, placé devant une statue représentant Zhak'Bar en marbre noir à moitié terminé, les rainures blanches de la pierre évoquaient les éclairs du dieu dragon dansant dans et sur ses écailles ; c’était un cadeau de l’architecte, il espérait acheter le calme de la prêtrise du dragon. Le drow ne cachait aucunement son agacement d’avoir été dérangé.
« J’espère que c’est important, je très suis occupé. »« Je voulais savoir où tu en étais, il semblerait que ta commande avance vite. C’est très bien, le haut-prêtre de Zhak’Bar peut se montrer impatient, brusque même. » Elle fit le tour de l’œuvre inachevée qui occupait le centre de la pièce.
« En effet et je te remercie de ta sollicitude. Est-ce tout ? » Il avait attendu que Nahala soit de nouveau visible pour lui demander mais en la voyant avancer en laissant trainer son doigt sur la pierre il regrettait de l’avoir amené ici. Elle plaça le doigt en question sur le torse de Myr’Hennis et lui sourit.
« Non, j’ai un cadeau pour toi. » Haussant un sourcil de surprise, le premier réflexe du drow fut de reculer mais elle prit sa main et la posa délicatement sur un ruban de sa robe ; une robe blanche cette fois.
« Tire. » Lui susurra-t-elle à l’oreille en plaçant ses deux bras de chaque côté de son cou. Myr’Hennis s’exécuta et d’un coup sec tira sur le ruban, défaisant les attaches de la robe qui ruissela sur le corps de la puysarde pour terminer au sol. Nahala l’embrassa ensuite passionnément. Ils reculèrent jusqu’à toucher une table, celle où le sculpteur avait posé ses outils. Avec une main il brisa leur baiser puis planta ses yeux dans les siens.
« Ton enthousiasme me touche mais, tu sais, j’ai un lit. » Ses lèvres s’étaient retroussées en un fin sourire.
Au final les deux amants n’en restèrent pas là. Même s’ils avaient d’autres aventures ils finissaient toujours par partager une autre nuit et ce de façon remarquablement régulière. Mais ce n’était pas ce qui inquiétait Myr’Hennis. Ce qui l’empêchait parfois de dormir c’était la santé déclinante de son maître. Puis il fut réveillé par un tambourinement nocturne insistant. Il alla lui-même ouvrir, pensant trouver Nahala sur le pas de sa porte mais il tomba nez-à-nez avec une partie de la garde de son maître. Il fut pris sans ménagement par les bras et traîné jusqu’à l’atelier du grand architecte où il comprit vite que désormais le Puy avait une grande architecte. On le traina devant les pieds de Nahala une lame sous la gorge et contrairement à ce qu’il pensait cette dernière hésita puis elle fit de lui son apprentie ; prétextant qu’elle préférait avoir un ennemi qu’elle connaissait plutôt qu’un inconnu.
Ils vécurent ensemble dans les appartements réservés à l’architecte en titre. Il comprit, en voyant une maquette complète du Puy d’Elda dans le nouvel atelier de Nahala que le projet qu’il avait détruit tant d’années auparavant n’était en réalité qu’un appât pour qu’il ne s’en prenne pas à son véritable chef-d’œuvre. Elle avait gardé l’énorme majorité de ses notes pour la confection de ladite maquette et en voyant ça Myr’Hennis n’osa calculer et encore moins imaginer le nombre d’années qu’elle avait pu passer dessus ; surtout au vu du niveau de détail. Un soir elle lui expliqua que leur maître lui avait ordonné de détruire la maquette, par jalousie jurait-elle. Evidemment elle avait refusé et le lendemain le cadavre de l’architecte fut retrouvé par sa garde rapprochée. Au final Myr’Hennis n’a jamais su comment elle s’y été prise mais à peine un an plus tard il trouva, à son réveil, un cadavre à ses côtés. Le cœur de Nahala avait tout simplement cessé de battre.
Myr’Hennis devint grand architecte.
Devenant grand architecte en 918 il resta cloîtré dans son nouvel atelier jusqu’au début du nouveau cycle. C’est donc un architecte ascète qui vit Brylyan lui mettre un apprenti dans les pattes après une vingtaine d’années, lorsqu’il fut claire que Myr’Hennis ne le ferait pas seul ; c'est donc le meilleur artisan du Puy qui fut choisit pour ce poste ô combien important. Le roi pouvait bien le forcer à prendre un disciple mais il ne pouvait pas le forcer à lui apprendre quoi que ce soit, ce dernier se retrouva donc négligé, forcé d’apprendre en observant son maître lorsque ce dernier tolérait sa présence. Il termina ses quatre-vingt-deux ans de réclusion en l’an 1 : X cependant ce n’est que pour s’acquitter de ses devoirs et non pour profiter de l’instabilité politique de ce début de millénaire comme certains ont pu le penser ou le craindre. Il prit un second apprenti à son service et les poussa à rivaliser d’ingéniosité pour lui plaire selon le principe suivant : s’ils se battent entre eux ils ne se rebellent pas contre moi. Ce fut un changement total pour le premier apprenti qui reçut l’enseignement de Myr’Hennis qui était jusque-là assez léthargique. Il prit deux mages de vie à son service en passant un pacte avec la prêtrise de Kiran: les temples de la déesse des maladies seront toujours entretenus en priorité en échange de ces deux magiciens. Car il en était arrivé à la conclusion suivante : les esclaves qui travaillaient sur ses projets et chantiers n’étaient pas assez efficace, il fallait donc qu’ils s’adaptent. Cependant il était hors de question d’attendre que la nature s’en charge. Ainsi il décida d’user de la magie de la vie pour faire des esclaves sur mesure pour ses constructions, une vie éphémère en somme car l’esclave, ne pouvant pas être employé à autre chose, est exécuté à la fin des travaux ou quand on n’a plus besoin de lui.
Maintenant qu’il était sorti de sa retraite auto-imposée l’architecte ne put s’empêcher d’user de son influence en voyant la situation puysarde en l’an 8. Il soutint l’établissement du Triumvirat et à cette occasion offrit la grande statue de Zhak’Bar à Urgoll’Ven, statue qu’il avait terminé en 898 mais dont il n’avait jamais fait don, dans l’espoir d’échapper à la série de purge ordalique de l’an 12. Le culte de Valas reçut, afin de plaire à Viconia X'Ianxin, deux statues, la première représentant le dieu en majesté se tenant au-dessus de Kerhel, une patte sur la poitrine de la déesse au sol ; la seconde représentait toujours Valas mais dans une posture différente : il rendait humblement le Feu Primordial à son propriétaire légitime. Enfin le grand temple d’Uriz reçut de la part de Krish Al’Serat une rénovation complète ainsi qu’une extension. En effet, au centre, couvrant le brasier éternel, apparut une chapelle richement décorée à la gloire du Père des drows, avec plusieurs frises courant le long de la structure illustrant la légende du Père des Batailles ; sur le fronton de la chapelle il est possible d’admirer un soleil envoyant ses rayons faire fondre de la glace. Quant à l’intérieur même se trouve une nef dont les murs sont décorés de peintures des Feu d’Uriz qui ont peuplé l’histoire drow et au-dessus de l’autel trône le portrait de Krish. Il soutint inconditionnellement le triumvirat, se rendant compte que s’il était impossible de les battre alors autant se joindre à eux. Il lança de l’an 12 à la fin de l’an 16 un grand projet édilitaire qui eut pour but rénover les grands monuments, laïques comme ecclésiastiques, du Puy et en profita pour mettre en exergue l’importance, la nécessité même, d’une réalisation prochaine de l’Eda Vengeur ; au passage les rues du Puy furent aplanies pour que les drows puissent marcher sans difficultés avec des chaussures à talon.