Même flétrie ou noire, une rose n'en reste pas moins une rose (pv L'Renor)

Thaar, An 14 du Cycle XI, début Karfïas

La nuit est sans lune. Dans les ruelles du port de Thaar, il y a un bruit de course. Ou plutôt une simili course. La proie est là, toute proche. On lui a demandé de lui couper les couilles à ce connard. Non pas parce qu'il a été infidèle, mais ca, tout le monde le fait à Thaar ou presque.

Non, il doit payer parce qu'il a violenté une des filles de sa logeuse. Et quand on dit violenter, elle ne pourra probablement même plus marcher. Il l'a défiguré ce salaud. Dante a bien des travers, mais il y a une règle immuable qui s'applique chez lui. Les putes ont droit au respect. On pourrait même le qualifier de chevalier servant de ces roses flétries.

Oh, ce connard va vivre probablement... peut-être que si, peut-être que non, mais ses bourses seront dans une jolie boite remise à la donzelle... Et si cette dernière peut remarcher, il va contacter sa volière et l'y placer comme apprentie. C'est une job peinarde et respectée. Une source d'information importante et intéressante.

Mais, pour le moment, retournons à notre programmation, le gars a une flèche dans la peau du cul et il essaye de s'en aller par les petites ruelles pour rejoindre la grande rue du Port, essayant parfois d'ouvrir quelques portes verrouillées à cette heure. Et, à cette heure, les gens n'ouvrent pas à personne. Dante connait la place, connait les airs. Aussi prend il un raccourcit, laissant un moment sa proie sans défense. Il va le reprendre de l'autre côté. Le repousser vers les entrailles obscures et puantes de la ville, qu'il transpire un peu ce porc.

S'arrêtant, ne se sentant plus poursuivit, le bourreau s'arrête, respirant lourdement. Un mètre quatre vingt dix,bien baraqué, brun comme la terre, des battoirs en guises de mains, la démarche du marin. Tout en lui indique le matelot ou le pirate. Peu importe, la portée du geste est la même, la sentence est la même.

L'Ombre est au boulot.  Et putain qu'il aime ça!

Les effluves maritimes lui piquaient le nez, en bien que la nuit fût fraîche, elle regretta l’épaisse moiteur qui régnait dans ce dédalle d’immondices pavés. Ravalant quelques jurons, la mine contrariée, elle n’avait guère sur elle plus qu’une intestine sensation de frustration. Elle haïssait cette ville et ces gens, elle détestait tout, y compris le clapotis suffisant des vaguelettes s’écrasant sur les quais. Dans l’obscurité relative de la nuit, elle appréciait tout de même la solitude et le silence. Elle avait quitté l’échoppe dans laquelle l’avait traîné ses hommes, deux ou trois verres plus tard. L’esprit embrumé par l’alcool – ou bien était-ce le brouillard qui nimbait les ruelles ? -, elle était sortie lassée de tout ce monde. Si d’aventure elle avait le choix, elle décamperait volontiers le soir-même. Le Puy lui manquait tant que chaque rencontre lui filait la nausée. La joie, l’excitation platonique qui régnait dans la grande citée de l’occident n’avait aucune emprise sur son cœur bien trop attaché aux valeurs de son peuple. Et puis, Dula, ici ils ne tuent pas les elfes.

Elle réprima une énième insulte alors que son esprit s’échappa. Elle s’imaginait là, l’espace d’un instant, mutilant chaque Mange-Feuille qu’elle avait pu croisé. Chaque batârd qui avait osé croisé sa route. Alors un sourire soulagea un peu sa peine ; ses rêveries étaient bien plus excitantes que la vie ici. Et peut-être que la boisson aidant, elle se retrouva à haleter sous l’impatience alors que ses yeux aveugles vagabondaient sur les corps décharnés, les tripes étendues et le sang qui baignait son corps. Ses doigts froids se portèrent à sa bouche, et sa langue tenta vainement d’en extraire la ferreuse substance qui n’existait plus que dans son esprit. Et puis il eut ces bruits de course. La fuyait-on ? Avide de rêver encore, de rêver plus, de rêver mieux, elle se laissa porter par le flot du martèlement des pavés. Mais le son s’approcha, s’approcha encore, inexorablement.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle comprit que ce n’était point de ses divagations. L’œil alerte, comme un mécanisme, ses muscles se bandèrent. Les pupilles dilatées, et un sourire terrible illuminant son visage, elle oublia bien vite son morne exutoire. Plutôt, elle tendit l’oreille, les sens en éveil. Et l’air iodé s’emplit d’une nouvelle flagrance. De celle qu’elle connaissait. De celle qui finit de la convaincre de poursuivre les bruits dans la pénombre. Le sang. Tirant sa petite lame, la Sanglante s’entailla la cuisse, assez profondément pour que s’échappe un filet carmin. Sa lame au poing, sa main orpheline vint tripoter la plaie avec envie. Le liquide poisseux emballa son cœur une fois encore alors que s’était tût le fuyard. Planté devant lui, à cinq mètres, tout au plus, elle l’observa reprendre son souffle. L’adrénaline inonda ses veines. Elle ricana, pressée, excitée par la vue de cette proie qui ne l’avait pas encore vue.
« Dosst vlos orn tlu usst »
Ton sang sera le mien

L'ombre s'avance tranquillement, suivant le chemin de rubis laissé par l'homme. Il n'est pas pressé, il ne fait que le circonscrire dans son terrain de jeu. Le limiter dans ses mouvements. Ces ruelles, c'est chez lui. Il y a grandi. Chaque recoin est gravé dans sa mémoire dans ses muscles. Il n'est pas si difficile que ça.

Celui là a esquinté Tessa et il va le payer cher… D'abord l'affaiblir un peu… Ensuite le trainer dans un coin et s'amuser avec. Longtemps. La nuit, tout les chats sont gris. Remontant sa cagoule, l'assassin a dans son idée d'aller lui flanquer la frousse un peu. Il l'entend souffler comme un phoque. Et un ricanement.

Tournant le coin, il se retrouve derrière L'Renor qui ricane en regardant SA proie. Petite, elle rit comme une attardée.

Dosst vlos orn tlu usst

Sans attendre, il réclame SA proie… Non, elle ne le lui piquera pas sous le nez c'est pas vrai! Une flèche à l'empennage bleu de nuit traverse l'air sombre jusqu'au crétin,transperçant l'épaule et le clouant au mur de torchis derrière lui. Il laisse échapper un beuglement pitoyable. Et l'assassin ne s'en préoccupe pas. Les citoyens de ces ruelles n'ouvrent jamais leur portes la nuit. C'est une question de survis élémentaire. Une voix grave claque sèchement dans un murmure derrière la drow. Dans un Eldéen parfait.  

L'ust vlos phlyle l'p'luvt. Ol zhah usst. Naut dossta. Zexen'uma doeb!
Le premier sang réclame la proie. C'est la mienne… Dégage!

Tuer une drow, une Eldéenne à en voir l'habillement différent des gus du coin, serait sûrement mal vu par la garde. Les jeux commencent, la ville est pleine et en effervescence. C'était prévisible que tout les grands malades viennent chasser à Thaar mais ici c'est SON territoire, les lanternes rouges sont sous SA protection, qu'il y soit ou non. Il y a des gens qui y veillent. Des hyènes au service du lion.

Il encoche un autre trait, paré au cas où. Qu'elle respire de travers et, Eldéenne ou pas, elle crève. Il est dans les ombres, une parmis tant d'autres, dans les ruelles obscures de sa ville natale. La voix grave continue toujours dans son Eldéen parfait.


Dos ph'pholor ussta tah'entil eairthil vel'bol xun dos ssinssrin? Vel'uss xun dos ortelanth?
Tu es sur MON terrain de chasse. Qu'est ce que tu veux? Qui prie tu?

Attentif au moindre signe d'hostilité, son attention est sur L'Renor qu'il ne connait pas et donc envers qui il est très méfiant, et l'autre porc qui beugle en se débattant. Une flèche abrègerait son calvaire, mais Dante veut qu'il souffre. Ombre parmis les ombres, rien ne peut laisser deviner qu'il n'est qu'humain.

Elle l’avait senti, cette aura malsaine au derrière d’elle. Elle n’avait pas bougé, restant alerte, bien déçue de voir son jouet empalé de la sorte. C’était du gâchis, et même si elle pouvait presque voir le filet de liquide épais qui s’échappait de la plaie, il lui déplaisait de ne pas en être l’auteur. Pire encore, elle était envieuse qu’un doeben – à en juger par son accent – l’ait fait à sa place. Décidemment, la grande ville de l’Est ne lui plaisait guère. Pire encore, l’odeur âpre ne parvenait plus à couvrir les embruns d’iode qui lui filait la gerbe. Vraiment, le Puy lui manquait plus qu’elle ne l’aurait cru. Mais telle était la place qu’on lui avait confiée ; pour l’Elda Vengeur, elle se montrerait digne. Alors, sans encore se retourner, elle détailla un instant le visage contrit puis hurlant de la malheureuse victime. Des larmes inondaient ses petits yeux rapprochés tandis que ses joues, rosies par la douleur, voyait leur imperfection sublimée. Elle aimait cet instant, ce bref moment où la proie comprenait enfin qu’elle n’échapperait plus à son triste sort. Quand ce qui avait été un jour le bourreau se retrouvait en face de quelqu’un bien plus dangereux que lui-même.

A sa ceinture la poupée de chiffon voletait avec l’air qui s’engouffrait dans la ruelle. La pénombre de la nuit, prise entre deux feux, la Rose Noire esquissa un nouveau sourire, plus acerbe cette fois. Jamais en entamant cette course, elle n’aurait imaginé rencontrer un cousin bien plus empresser qu’elle. L’excitation allait bon train dans ses veines, si bien qu’avant même de s’en rendre compte, elle avait déjà fait volte-face, sa langue chatouillant sa lèvre étirée. Il faisait bien trop sombre pour distinguer plus qu’une forme armée, mais c’était suffisant. Peu lui importait le visage de son comparse, pas plus que ses origines. Il se mettait sur le chemin de son seul plaisir, et pour cela, il en payerait le prix. Il y aura deux cadavres pour le prix d’un. Et, pour une fois, elle ne chassa guère le ricanement intestin. Plutôt, sa fièvre se mêla insidieusement à la folie meurtrière de son Monstre : elle lui donnerait volontiers raison.

Et, durant une minute qui parut interminable, elle laissa s’installer le silence relatif, ponctué par les beuglements infernaux de la victime plantée au mur. Sa patience s’amenuisait à mesure que grandissait l’envie de lui faire exploser la langue d’un geste de la main, mais elle s’abstint.
« Xunus dos p'obon dosst ehmth Doeben ? Usstan kat gow jalbol »
As-tu marqué ton territoire Doeben ? Je n’ai rien sentit
Un petit rire cynique termina de ponctuer sa phrase avant que le calme ne revienne tout à fait.
« Vel'uss Usstan ortelanth 'udtila naut inbal jala guthlimia ghil. Jhal tesso uns'aa, vel'uss ph'dos ulu kuuv ulu gyolaen uns'aa? »
Qui je prie n’a aucun espèce d’importance ici. Mais dis-moi plutôt, qui es-tu pour t’opposer à moi ?

Elle fût presque déçue lorsque l’arme s’abaissa, que l’arc redevint respirable. La tension s’amenuisait et pourtant, l’autre continuait de beugler comme le porc que l’on égorge. Irritée aussi bien du bruit à son dos que d’une chance manquée de s’amuser davantage encore, elle glissa discrètement un doigt dans sa plaie. La douleur était délicieuse, délectable. Les picotements puis la peau qui se déchirant accélérèrent sa respiration. Le souffle plus cours, envahie par une chaleur lancinante, les fils perlés tintèrent. Elle ferma un bref instant les paupières, visualisant parfaitement la pauvre victime. Un. Son sourire s’étira dans son inspiration. Deux. Le sang qui s’écoulait de la flèche plantée ralentit, imperceptiblement. Trois. Ses yeux s’ouvrirent de moitié alors qu’elle tirait sur un fil. Peu à peu les sons s’étouffèrent et elle put deviner la panique envahir la proie épinglée. Sa bouche se remplit de sang, se mêlant à ses larmes pour s’écraser sur le sol.

Le ploc irrégulier était une bien plus jolie mélodie. Ainsi débarrassés des gémissements – bien qu’il continuait à émettre quelques gargouillis humides -, la Rose Noire accorda de nouveau son attention à son interlocuteur. Le doeben masqué l’intriguait, assez pour ranger sa frustration. Le Monstre, lui, tapa contre les barreaux de sa cache, bien mécontent. Pas cette fois-ci Dula. Non pas cette fois-ci. Nous ne jouerons pas avec ces deux-là. Pourtant, j’aimerai bien voir comment il est fait en dessous. Elle plissa le nez comme pour humer quelques effluves, mais la nuit empêchait de discerner convenablement les vaisseaux chargés de son hôte.

« Uriu ol tlus ji verve yol dos zet dosst homeland ulu gotfrer nindel l'Jabbress d'p'leik zhah naut ssinjin? Il or'shanse iltan whol udossta lodias, lu'uk reminds udossa nindel udos z'klaen treemma aphyon, p'wal nau jiv'undus orn lassrinn l'orn d'Elda R'hul. »
Cela fait-il si longtemps que tu as quitté ta patrie pour oublier que la Maitresse des souffrances n'est pas douce ? Elle s'est sacrifié pour notre peuple, et il nous rappelle que nous devons craindre la mort, car aucune douleur ne saura briser la volonté de l'Elda Vengeur.
Elle pointa un doigt accusateur, perdant jusqu’à son rictus amusé. Elle n’aimait guère que l’on se moque de sa Protectrice, de sa Mère qui avait été toujours si bienveillante avec Son enfant. Elle espérait, au fond d’elle, se montrer digne de Son amour – même si cela passait par une leçon à un freluquet.

« Ussta Ilhar Ih'ara zhah phlyou ilta vlos maristo, lu'dos zhal'la gultah ilta dossta whol jous'at dos ji hawrest! ».
Ma Mère Protectrice réclame son sang ce soir, et tu devrais lui offrir le tien pour t'être montré si insolent !

les prunelles étranges de l’homme sourient. Il n’a rien contre elle, elle ne suit pas Zhak’Bar. Elle veut discuter théologie? Avec lui? Certes, certes…. La voix grave reprend dans son Eldéen parfait.



ol zhah natha mon'tu d'maerch. Sel'tur inbal mzil jindurnen. natha dosman xta'rl dal natha rah xor natha velve. Sel'tur zhah natha sussula ulu skrel weaks ulu v'dri...  Il zik lu'drislved orn dal l'strogs ussen. il xunus naut treemma aphyon.Tangis'ka ilta phreng zhah veirus ulu uns'aa p'wal d'ussta vlos, usstan bel'lain lu'onhir ilta.  whol l'or'shanse il xunus whol dos lu'l'zao'n il belbaus uns'aa. usstan belbau ilta ussta p'luvt vel'drav usstan shlu'ta. Maristo tah zhah whol ilta. Udos xun naut inbal ulu treemma aphyon, jhal udos inbal ulu nurrisk ilta saph il xunus h'uena, xuil velven lu'xuil nau treemma, jhal rtillerenth nindel byr orn wynthye a udossta fre'sla.  Nindol zhah lu'oh usstan kampi'un l'orthae d'Elda R'hul.

C’est une question de point de vue. La douceur a maint visages…. Une caresse de la main ou du tranchant dune lame la douleur est une douce berceuse pour endormir le faible… Elle aiguillonne et motive les forts. La mort elle ne l’a pas craint. Même si son royaume m’est fermé à cause de mon sang, je la respecte et l’honore pour le sacrifice qu’elle a eu pour vous et l’enseignement qu’elle m’a offert.  Je lui offre tribut quand je le peux. Et ce soir il lui est réservé. Il ne faut pas craindre la mort mais l’affronter comme elle l’a fait, lames a la mains, sans crainte pour soi, avec la confiance que les autres réussiront par le sacrifice du sang et de la douleur. Telle est ma compréhension des écrits sacrés de l’Eda Vengeur.

Il penche légèrement la tête de côté.
Dos flohlu ilta, dos ortelanth ilta, usstan ssinssrin kma'at ussta p'luvt xuil dos ka dos ssinssrin ulu
Tu la suis, tu la prie, soit. Partageons l’offrande ce soir si tu l’accepte….

De son point de vue, il voit les oreilles de L’Renor s’exprimer en même temps que sa voix.

Vel'uss ph'dos, dalharen d'Isto.Jous uns'aa dosst jindurn, dos vel'uss zhaun ussta phraktos, vel'uss telanth ussta ooble'. Milith ussta dosst eluith'orth wun Ilta lu'dos orn tlu sslig'ne dal udossta jusron                     Qui es-tu, Enfant de la nuit ? Montre moi ton visage, toi qui connait mes Dieux et parle ma langue. Prouve moi ta foi en Elle et tu seras épargné de Notre courroux".

Il y a un léger rire grinçant, mauvais.

Usstan xun naut belbau natha xsa d'dosst jusron! Usstan tlun akai'zhar gil'ssrigghinn
Votre courroux j’en ai rien à foutre. Je suis damné de toute façon…

Néanmoins il obtempère, sort des Ombres totalement, glisse vers elle dans un silence absolu et s’arrête à portée de dague.. Même ses pas ne font pas de bruit… la grande main aux longs doigts se lève vers la cagoule qu’elle abaisse d’un coup sec, révélant les traits de l’humain, la large bouche au pli mauvais. Le côté gauche du visage tailladé avec un art certain. Un visage d’humain quelconque si ce n’est de ces putains de yeux dépareillés qui la fixent sans peur, une d’ambre claire et l’autre d’un vert radioactif.

Si la réaction de la drow est hostile, Dante est prêt pour la riposte, si elle incante aussi... Pour le moment, il ne fait que la regarder comme un animal sauvage le ferait, méfiant. L'Renor est à portée de ses crocs. Au propre, comme au figuré. [/size]

Elle réprima méchamment le rictus de dégoût qui naissait sur sa frimousse impassible. Si près d’elle, il avait osé blasphémer ses Dieux et son peuple. Un simple humain, à mille lieux de ce qu’elle aurait imaginé en entendant la voix mélodieuse tapie dans la pénombre. Plutôt, la Rose Noire s’était imaginé un pair, renégat ou exilé volontaire, vivant à son tour le mal d’un pays qui l’avait un jour allaité de son sein fécond. Une âme en peine qui s’était égarée dans le chemin de l’Elda Vengeur mais qui aujourd’hui s’accrochait à quelques repentances. Et plutôt, elle se trouva désillusionnée, trompée, trahie par un être sans valeur, un gamin trop fier et impudent. S’il exprimait une mine mauvaise, l’eldéenne ne s’en formalisa pas. Ô Dula, croit-il me faire peur, le doux enfant ?.

Et presque laconiquement ses lèvres jusqu’alors closes laissèrent s’enfuir un ricanement qui se mua bientôt en un rire franc. Les éclats cristallins s’envolaient dans l’air redevenue silencieuse, mais ses prunelles andrinoples, elles, ne s’amusaient pas. Figées dans le regard de l’homme, elle ne parvenait à se décider que faire. Sa bravade avait passablement irrité la Sanglante. On pourrait regarder comment il est fait, au-dessous. Là, sous cette peau abimée. Regarder ses muscles et ses tendons, sentir son sang. Sans s’en rendre compte, elle pourléchait déjà ses babines avec gourmandise. Ce serait vraiment intéressant mais si peu distrayant. Elle aimait la traque, ressentir la peur.

« Les madames de toi n’avoir pas droit de parler mon langue ». Son Oliyan était clairement mauvais, empreint d’un accent terrible mais la voix tranchante ne laissait aucun doute sur son dégoût. « Ton naître t’as maudit. Elda ne pas accepter personnes de toi, humain ». Elle marqua une pause, laissant s’étirer un faible sourire torve. « Toi dire pourquoi devoir partager. Kiel être mère à moi, pas toi. Si tu prouver ton amour, tu devoir être expié ».

Indécise, elle observait la forme se mouvoir près d’elle. La Rose Noire avait assez d’instinct pour ne pas baisser de trop sa garde : la lueur sauvage qui brillait dans ses yeux déparaillés faisait écho à quelque chose en elle. En vérité, bien qu’elle eut détesté les humains, il l’intriguait. Il n’était pas tout à fait comme ce congénères fragiles et impurs. Il avait cette chose, au fond de lui, et bien qu’il fût blasphémateur, elle ne pouvait nier l’effort entreprit pour comprendre sa culture. Et c’était cela qu’elle abhorrait aussi. Le jeune impudent semblait trop à son aise, oubliant à qui il s’adressait alors. Les Eldéens avaient toujours tolérés leur existence et ces impertinents trouvaient toujours de bon goût de l’oublier. L’envie de l’écraser maintenant parcourait ses veines avec force. Le dégoût de la ville, les souffles des embruns n’ajoutaient qu’à son déplaisir. Par-dessus tout, elle souhaitait rentrer chez elle.

Ses lèvres s’animèrent un instant avant de laisser mourir la moindre volonté dans un visage imperturbable. Elle mesurait le poids de la satisfaction de deux proies pour le prix d’une, et se rappelant à elle, la Bête s’écrasa contre les barreaux de son esprit. Elle avait faim, elle désirait délester ses muscles engourdis par l’inactivisme et l’interdit. Et par-dessus tout, l’odeur entêtante lui collait les narines. Celle du sang. Ses dents agrippèrent sa lèvre inférieure alors que déjà ses pupilles s’agrandirent et son souffle s’accéléra. Plus elle pensait au liquide carmin, et plus l’envie se faisait impérieux. Ô Dula, pourquoi est-ce si dur de résister ? Ces petites choses ne réclament que ça, tu sais. Un petit rire enfantin s’éleva des ténèbres de son âme. Celui-ci sera un bien meilleur trophée, après le premier. Les gloussements ne s’arrêtaient plus, alors qu’elle lorgnait avec insistance sur l’homme-félin aux yeux vairons.

Se doutât-il un instant, quand sa voix perça l’air, que sa proposition fût lancée, qu’elle imaginait non pas un mais deux plats ? Car après tout, elle n’avait pas besoin de son approbation pour s’emparer de l’autre petit porc qui courrait vaille que vaille. Un geste lui suffirait. Elle n’avait guère besoin d’aide pour en venir à bout, pas plus qu’elle n’avait envie de partager ce moment privilégié. Que dirais notre Mère, Dula, si elle nous voyait jalouser un mortel ?. Alors rapidement, dans un pas feutré, elle lui passa au-devant, s’accroupissant devant une gouttelette rouge tombée lors de la cavale. Un doigt impérieux l’écrasa avant de se fourrer avec gourmandise dans la bouche de la Sanglante. Les yeux fixés sur la ruelle sombre, elle souriait.