Sur le chemin - Cesare di Crosta

Sur le chemin – Cesare di Crosta

Quatrième ennéade de Verimios, An 11:XI

Le soleil froid se levait sur l’Anaëh et filtrait à travers les rideaux de lin blanc d’une petite auberge de Ardamir. Il était encore tôt, l’heure idéale pour se préparer à prendre la route vers Thaar. Isíl se devait de ne rien oublier pour entamer ce long voyage. Cela faisait déjà quelques ennéades qu’elle réfléchissait à tout. Le trajet à faire, ce qu’il lui fallait, tout en pensant à ne prendre que le strict nécessaire et le moins encombrant. Toujours allongée, elle repoussa la couverture, referma les yeux l’espace d’un instant puis se décida à se lever.

Une heure plus tard, après avoir fait l’inventaire de ses affaires et s’être préparée elle prit enfin la route. Elle avait troqué son armure contre une tenue plus adaptée au voyage, un tantinet plus chaude ainsi qu’une longue cape en feutre vert forêt surmontée d’un capuchon. Un grand sac qu’elle portait en bandoulière renfermait le peu qu’elle possédait ainsi que des vivres tandis qu’une grande gourde était attachée à sa taille, de même que ses épées.

Se trouvait à présent, plus haut dans le ciel miradelphien, le soleil, posant ses doux rayons sur la route qui perçait à travers la canopée. Isíl aimait l’hiver pour cet astre qui brillait sans brûler, pour les ciels couverts et parfois, les clairières enneigées. Cela lui semblait être une période idéale pour voyager de l’Anaëh jusqu’en Ithri’Vaan, cette contrée hétéroclite qu’il lui tardait de découvrir. D’ailleurs, elle avait quelque peu progressé en oliyan. Enfin, elle parvenait à articuler quelques mots qui, malgré tout, sonnaient de façon assez peu délicate contrairement à l’elfique. Néanmoins, le diantrais demeurait la langue étrangère qu’elle maîtrisait le plus, bien qu’elle espéra en apprendre davantage une fois sur place.

Un oiseau en plein vol traversa alors le sentier à quelques centimètres devant elle. Le flot de ses pensées fut instantanément interrompu et Isíl remarqua que cela faisait déjà des heures qu’elle marchait, même si c’était d’une allure lente.

La jeune elfe décida alors de s’arrêter quelques minutes sur le bord du chemin pour se ravitailler en eau et en nourriture. Elle s’assit sur sa cape, ouvrit son grand sac de jute pour y récupérer une sorte de galette qu’elle commença à grignoter tout en observant les environs. L’endroit aurait semblé désert si les divers bruits de la forêt n’étaient pas là pour combler le silence et rappeler l’effervescence de la nature. Il était d’ailleurs plaisant de se trouver au beau milieu d’une nature pleine de vie.

À cet instant, un bruit différent troubla le chant des habitants du bois. Les oreilles apparentes de la jeune femme se mirent à bouger légèrement, son regard scruta les frondaisons alentours puis le sentier. Plus alerte, elle tendit l’oreille. Quelqu’un ou quelque chose approchait.

Ils étaient quatre. Quatre hommes s'avançant péniblement dans un environnement dans lequel ils ne trouvaient pas leur place. Un environnement qui avait fait de leur vie un enfer, envoyant huit de leurs compagnons droit dans la gueule de Tari. Un environnement qui ne désirait qu'une chose : les recracher ou les dévorer. Eux quatre ne désirait qu'une chose : être vomis par cette forêt infernale qui ne leur avait apporter que des malheurs.

Juché sur le cheval survivant de la troupe, Cesare pestait contre sa malchance, contre la folie de Mara de l'avoir envoyé ici et contre les marchands elfes. Si l'on pouvait appeler ces grandes pousses de cette façon ! Il n'était pas inhabituel pour le chef des maigres troupes de la Princesse Marchande de s'en prendre à des non-humains verbalement. Mais une véritable lassitude transpirait derrière ses sombres pensées. A vrai dire malgré ses préjugés, il avait espéré beaucoup de ce voyage. Le chevalier qu'il prétendait être, qu'il était devenu à certains égards, ne rêvait que de rencontrer le mystérieux peuple des forêts de l'est. Que l'idée lui paraissait stupide désormais !

Cesare gratta sa barbe soigneusement taillée et jeta un regard désolé à ses hommes. Revêtus de leur lourde cuirasse de cuir, ils souffraient du froid humide tandis que lui pouvait apprécier le contact de l'acier sous son épaisse chemise. Le chevalier ne portait en effet qu'une protection des plus légères, une simple tunique de cuir bouilli, renforcée par une cotte de maille taillée sur mesure et des jambières simples. Une cape verte était jetée élégamment sur ses épaules et la masse, solidement attachée à sa ceinture, dansait doucement le long de sa cuisse. Sa hache d'arme était portée par son écuyer, un des heureux survivants de leur expédition malheureuse...

Avec un soupir, le chevalier repoussa ces mauvaises pensées. Il avait suffisamment souffert de la sorte pour se ressasser de tels souvenirs. Comme pour le rappeler à l'ordre, son cheval s'ébroua et il releva la tête, les sens en alerte. Que diable pouvait donc encore leur réserver la forêt ? Les yeux de l'Aigrelet sondèrent la forêt alentour mais ne perçurent aucun mouvement suspect. Cependant, droit devant eux, se dessinait une forme humanoïde encore indistincte. Alors que la distance s'amenuisait, le chevalier put distinguer une elfe. Vêtue de manière martiale, elle faisait presque la taille de Cesare, chose rare chez les grandes pousses des forêts d'Anaëh. Ce qui marqua le chevalier fut son corps mince et taillé pour le combat mais surtout ses grands yeux bleus, sublimés par ses cheveux d'ivoire. Il marqua un temps d'arrêt avant de se reprendre et de saluer la dame.

"Bien le bonjour madame. Je suis le chevalier Cesare di Crosta, humble représentant de la Princesse Marchande Maralina Irohivrah" débuta Cesare, arrivant enfin à prononcer le nom de son employeuse sans accent péninsulaire. Sa maîtrise de l'oliyan avait fortement progressé ces derniers mois. "Nous rentrons sur Thaar. Peut être souhaitez vous une escorte jusqu'à la Cité elfique la plus proche ?" proposa-t-il poliment, se doutant que comme souvent en présence de simples humains l'elfe allait refuser l'offre.

Sur le chemin – Cesare di Crosta

Quatrième ennéade de Verimios, An 11:XI

La forêt semblait s’être tu pour qu’Isíl puisse mieux distinguer les bruits alentours. Silencieuse, comme si elle désirait se faire aussi petite que possible afin que l’on ne la trouve pas lors d’une partie de cache-cache. Mais la forêt était dense et rien ne pouvait la camoufler. Elle était présente partout autour, sur des kilomètres. Elle était plus terne, mais avait revêtu ses habits d’hiver, la rendant mélancolique et lui octroyant une beauté froide.

Les sons se précisèrent et la jeune elfe put alors distinguer, au loin, les sabots d’un cheval qui foulaient le sol à basse allure ainsi que le pas de plusieurs personnes, moins régulier. Elle ne parvint à dire combien. Il s’avéra que les pas provenaient d’un petit groupe d’humains, accompagné d’une unique monture, qui apparut enfin sur le sentier. Les quatre hommes semblaient touchés par la démotivation, le froid, bien qu’il fut modéré, et peut-être même bien la fatigue.

Isíl finit son maigre repas et s’abreuva le temps que le groupe n’arrive à sa hauteur. Il était rare de croiser d’autres races en Anaëh. Surprise, elle se releva, sans précipitation, avec toujours cette once de méfiance alors que le groupe semblait ralentir le pas. Elle ramassa son sac de jute et sa cape qui gisaient au sol, puis posa cette dernière sur ses épaules, sans pour autant remettre en place son capuchon.

L’homme à cheval était doté d’une chevelure de jais mi-longue, des yeux bleus et son amure d’acier laissait malgré tout deviner sa corpulence. Son visage était quelque peu marqué, certainement de par son âge, par la fatigue mais également par ce qui semblait être une mince cicatrice sous l’œil droit. Isíl ne sut dire si ce visage lui inspirait confiance ou non, mais elle décida qu’il était intéressant de connaître la venue de ce groupe d’humains. Les quatre hommes s’arrêtèrent à sa hauteur, conservant une distance raisonnable, laissant celui à cheval s’avancer un peu plus. Celui-ci prit alors la parole, se présentant, en oliyan. Un chevalier, du nom de Cesare di Crosta, agissant pour le compte d’une certaine Maralina Irohivrah, une Princesse Marchande. Peut-être n’était-il pas chevalier, peut-être que cette femme n’existait pas. Pourtant la proposition qui suivit capta son attention et ses oreilles oscillèrent faiblement.

« Salutations. Mon nom est Isíl Ondolindë. Vous allez donc à Thaar. Je compte justement m’y rendre. » répondit-elle d’une voix claire, dans un diantrais presque parfait.

L’usage aurait voulu que la jeune elfe énonce sa fonction. Au lieu de cela, elle marqua une légère pause puis reprit :

« Que me vaut l’honneur d’une telle proposition ? » demanda-t-elle, sur un ton quelque peu inquisiteur.

Son regard balaya de nouveau le groupe pour revenir se poser sur son interlocuteur.

Sur le chemin – Cesare di Crosta

Quatrième ennéade de Verimios, An 11:XI


La forêt reprenait ses activités. Isíl scruta subrepticement les alentours, sondant les chants et le vent soufflant à travers les branchages des arbres, ainsi que tous bruissements pouvant s’avérer peu habituels. La canopée laissait filtrer de faibles rayons de soleil éclairant le sentier bordé de fougères et autres plantes communes des forêts de l’Anaëh.

À la réponse du chevalier, Isíl arqua un sourcil, surprise de constater le changement de ton de ce dernier, presque présomptueux. Le dénommé Cesare di Crosta s’était certainement senti attaqué lorsqu’elle avait manifesté une curiosité, restée incomprise, pour la motivation du groupe à faire route vers la capitale de l’Ithri Vaan.

De plus, la jeune elfe se remémora les nombreux ouvrages qu’elle avait pu lire au sujet des humains. Et ils ne mentaient pas. Les femmes étaient considérées comme de pauvres créatures impuissantes ou moindres que leurs pairs masculins. Ainsi, elle estima qu’il pouvait être intéressant d’en jouer, plus que de remettre en question ce point de vue, bien peu flatteur, il fallait l’admettre, si d’aventure il était appliqué dans les communautés elfiques. Isíl souhaitait découvrir de nouvelles cultures, il était donc de mise d’en apprendre les usages et de faire en sorte de les respecter, sans pour autant effacer sa propre identité culturelle, qui elle, se trouvait malgré tout, bien enracinée.

« Eh bien, soit. Nous irons ensemble si cela vous sied et je vous saurais gré de m’apprendre ce que sait tout chevalier et noble personne qui se respectent. » dit-elle, sur un ton se voulant légèrement espiègle.

Néanmoins, elle tiqua lorsque le chevalier énonça avoir perdu huit de ses compagnons. Cela n’était pas très étonnant pour des étrangers mais de là perdre autant de soldats, cela lui paraissait beaucoup. Tout bien réfléchi, les humains étaient sujets à la maladie. Peut-être était-ce là la cause de ces pertes ou bien cela était-il lié à des créatures peuplant l’Anaëh ? Tout dépendait des endroits qu’ils avaient visités. Alors, montrant un peu d’empathie, elle ajouta :

« Vous m’en voyez sincèrement navrée. Cependant, je ne suis pas sans savoir que l’Anaëh et ce qui se trouve en dehors de ses frontières est bien périlleux même s’il me tarde de le découvrir. Souhaitiez-vous faire une pause ou nous mettons-nous en route ? »

Isíl esquissa alors un sourire tout en plissant légèrement les yeux, attendant la réponse du chevalier. Son approbation pouvait donc ouvrir de nouvelles portes et ainsi démarrer d’une façon différente son voyage vers sa nouvelle vie.