[Ellipse] Plus on résiste, plus dure est la chute | Sauveur/Aerianna

9ème ennéade de Favrius
An 14:XI

Sur une civière, on emportait un corps. Il n'était pas inerte mais il bougeait à peine. Prises séparément, les blessures qui le recouvraient n'étaient pas d'une grande gravité. Mais elles étaient nombreuses et le combat avait été long. Il avait tenu bon aussi longtemps que possible. Il s'était vaillamment défendu, infligeant de belles balafres à son adversaire, mais il avait fini par tomber, incapable de se relever.

Sauveur était conscient. Enfin, à peine. La lumière éblouissante du jour laissa vite place à l'ombre des coulisses des Sablons. Les applaudissements pour le vainqueur n'étaient guère plus fort que le crépitement d'un feu à son oreille. Il n'avait pas senti deux paires de mains le saisir et le porter pour le mettre sur le brancard. Il avait à présent l'impression que son corps ne touchait plus terre et flottait simplement dans les airs. Il entendit une voix connue et tourna la tête à moitié vers elle mais était incapable de comprendre ce qu'elle disait ni même de la reconnaître. Elle lui avait pourtant tant de fois crié dessus en entraînement...

-Pas le temps de le conduire à l'Aile Blanche. Emmenez-le à l'infirmerie. Il est où Ulk ?!

Alors qu'Hashar donnait ses instructions, les esclaves qui portaient le gladiateur n'attendirent pas la réponse à sa dernière question pour obéir à l'ordre qui leur avait été donné. Ils prirent un escalier pour descendre d'un étage et traversèrent sans une hésitation tout une série de couloirs. En passant, ils signalèrent leur présence par quelques cris demandant de leur céder le passage. Ils arrivèrent ainsi jusqu'aux grandes salles de soins cachées sous le large cercle de pierre des Sablons. Quelques ouvertures en hauteur donnaient sur les rues alentours, apportant air frais et lumière. Si la pièce était grande, elle était bien vide ce jour-là. Elle avait été dimensionnée pour les grandes mêlées mais l'arène n'accueillait plus que des duels depuis quelques jours.
On déposa la civière dans un coin libre suivant les indications qui leur furent données. On étira quelques paravents afin d'isoler Sauveur et le soigneur qui vint rapidement à ses côtés. Avec l'aide d'un infirmier, ils commencèrent à le déshabiller et faire l'état des lieux de ses blessures. Il présentait de multiples entailles aux bras et une au flanc. Des bleus commençaient à apparaître sur son torse et son visage, certaines suite à des coups portés, d'autres à des pierres lancées en grande vitesse. Quelques côtes étaient sans doute fêlées mais c'était difficile à dire sans les réactions du patient... Son avant-bras droit était brûlé sur tout un côté, il l'avait sacrifié pour se protéger des flammes qu'on lui envoyait au visage. Et, ce qui avait été son coup de grâce, une entaille profonde marquait son épaule gauche. La lame avait traversé de part en part. Associé à toutes les autres, la douleur de cette blessure avait fini par avoir raison de lui et il s'était écroulé à genoux après avoir titubé quelques secondes. Urgoll avait alors reprit sa lame, appuyant sur son torse avec le pied, ce qui l'avait envoyé au sol.

Lorsque Hashar arriva au chevet de son poulain pour s'assurer qu'il recevait les bons soins, il put découvrir l'ampleur des dégâts dont il avait déjà fait la liste au fur et à mesure du combat. Retirer la tunique s'était révélé être une opération délicate du fait de la chaire brûlée, si bien que le soigneur avait décidé de découper la manche pour s'en occuper plus tard. Ses jambes étant intactes, Sauveur était vêtu d'un simple pantalon en toile qui s'arrêtait à mi-mollet. Son bras brûlé pendait dans le vide de manière à ce qu'il ne touche rien en attendant d'être soigné. Un infirmier maintenait deux linges de tissus de chaque côté de la plaie à l'épaule, pressant pour essayer d'arrêter le saignement tandis qu'un autre faisait un bandage de fortune sur l'entaille du flanc gauche. Le soigneur tourna son regard vers l'eunuque. Il le reconnaissait pour avoir déjà fait le point avec lui en prévisions d'éventuels soins pour son gladiateur.

-Vous aviez pas un mage ? On aurait besoin de lui, votre gars peut s'en tirer mais il est plutôt mal en point.
-Je lui ai fait sonner les cloches. Il arrive.

Ulk avait tout observé, et il avait déjà envoyé un homme d’Aerianna l’informer d’où il serait dans les prochaines heures. Il s’était mis à se mouvoir vers les zones de soins de l’arène une fois qu’il avait compris que Sauveur aurait besoin de lui, mais il avait gardé un œil sur son protégé jusqu’à la fin du combat. Ce n’est que quand la foule explosa qu’il se permit de quitter les tribunes. Son œil expert avait déjà remarqué la blessure qu’il faudrait qu’il adresse très rapidement s’il voulait que l’humain se remette rapidement et que lui continue de vivre cette existence si proche des arènes. Il se dirigeait instinctivement vers le lieu où il avait dû soigner l’humain lors des précédents combats et un esclave qu’il ne reconnaissait clairement pas se rua vers lui en lui demandant de se presser, et il lui obéit, ne faisant pas cas de son impertinence, pour l’instant.

Arrivant sur les lieux, c’est un Sauveur inconscient qu’il trouva sur une civière à l’abris des regards. Des soigneurs étaient déjà à son chevet, et ils avaient déjà fait les premiers gestes importants. La dernière blessure l’inquiétait, et il se plaça aux côtés de l’infirmier pour poser sa main sur l’épaule du blessé et estimer ce qu’il pouvait faire avec sa magie en la sondant. La réponse était tout, heureusement. Sans rien demander à son voisin qui tenait ces linges déjà bien rougis par le sang, l’eldéen fugitif commença à agir sur la blessure. Heureusement pour ceux qu’il soignait – et ceux qui l’observaient exercer son art – il avait appris à adapter ses méthodes de guérison à un monde où Kiel était presque absente, et il ne ressentait plus autant le besoin de directement plonger ses longs doigts dans la blessure pour les guérir. Seule Aerianna le lui demandait de temps en temps, lorsqu’une blessure le lui permettait, et de plus en plus. Mais maintenant, un contact prolongé avec la surface de la peau lui suffisait pour refermer les tissus et obstruer au moins temporairement les voies par lesquelles tout ce liquide s’échappait.

Après de longues minutes que le daedhel vit à peine défiler, habitué qu’il était aux longues opérations magiques, il releva la tête. Le gladiateur survivrait, c’était évident, et il ne tarderait peut-être pas à se réveiller, alors que le mage continuait un travail qui lui demanderait graduellement de moins en moins d’effort de concentration. Le soigneur principal qui s’était vu retirer sa première préoccupation était resté actif ailleurs, et l’infirmier aux linges les avait changé. Les nouveaux rougissaient moins vite, c’était bon signe. Et le drow qui était resté muet tout ce temps s’essaya à un peu de discussion – si l’argenté savait seulement ce que ce mot là signifiait – auprès d’Hashar, la seule personne ici qu’il reconnaissait en dehors du gladiateur. « Sacré morceau ce gobelin. Il n’est pas le premier à se casser une dent dessus ni le dernier, et les autres ne m’auront pas pour les réparer. » Ces derniers mots avaient été prononcés en toute connaissance de cause, alors qu’Ulk connaissait des bribes du parcours du nouveau Triumvir du Puy. Il n’attendit aucune réponse et se tut à nouveau.

« Cette blessure se refermera toute seule si on laisse du temps, laissez moi regarder ce bras, avant qu’il ne se réveille. » La main sur l’épaule de l’inconscient brisa le contact avec sa peau, et il posa un unique doigt sur la chair brûlée du bras.

Hashar attendait debout au pied du lit, laissant suffisamment de la place afin que les soigneurs puissent passer entre lui et le brancard. Bras croisés, il observait les guérisseurs à l'oeuvre, les épaules contractées. L'arriver d'Ulk ne l'aida pas à se détendre et, heureusement pour lui, il était bien trop concentré sur l'état de Sauveur pour balancer une réplique au mage qui débarquait un peu tard à son goût. L'eunuque était son sumarudi, veillant au bon fonctionnement de l'école en l'absence de la propriétaire, mais il était aussi son entraîneur. Vétéran de l'arène de Sol'Dorn, l'humain avait une très bonne expérience des combats et des jeux tels que ceux auxquels le jeune Hadjaoui devait participer.
Hashar ne fut pas sans remarquer que l'épaule pissait bien moins le sang après l'intervention du mage. C'était la blessure qui l'inquiétait le plus et il était un peu plus soulagé de constater qu'il ne se viderait pas par là.

-L'issue du combat était courue d'avance. Le gamin a un sale caractère, il est coriace. On peut dire que ça lui a bien servi, il a marqué des points auprès du public. Mais je préfèrerai qu'il s'en tire pour pouvoir en profiter.

L'ex-gladiateur avait une vision un peu faussée de son poulain. Il était un serviteur dévoué à sa maîtresse tandis que Sauveur méprisait son statut d'esclave. Hashar trouvait son attitude un peu puérile sur les bords : il passait son temps à regretter sa vie passée et n'avait qu'une idée en tête, retrouver sa liberté. Lors de la reprise de l'Aile Blanche par Azza, l'eunuque s'était confronté à un mur avec lui et il en avait chié pour parvenir à le convaincre de retourner dans l'arène. Il avait reçu une bonne gauche au passage d'ailleurs...
Mais ne n'était pas ce qu'Ulk avait pu voir de Sauveur. Certes, il renfermait une rage en lui qui n'attendait qu'une occasion pour exploser. Il ne fallait pas venir le titiller sur son servage et encore moins lui faire sentir qu'il ne valait pas mieux que du mobilier de valeur. Mais en dehors de cela, c'était un jeune homme à l'esprit vif et qui s'était assez vite acclimaté à l'apparence aussi étrange qu'extravagante de son soigneur. Il souriait assez peu mais cela allait de paire avec son humour essentiellement sarcastique dont il usait presque à longueur de temps.

Tandis que le mage s'était occupé de l'épaule, le soigneur avait retiré le tissu qui collait à la chaire brûlée. L'opération avait été délicate mais c'était relativement bien passée. Cependant, du sable demeurait dans la plaie et il essayait de le retirer en versant de l'eau claire sur la blessure, la laissant s'écouler dans une bassine posée au sol. Il s'arrêta lorsque le drow posa le doigt sur la brûlure.
Son geste provoqua-t-il une douleur vive ou était-ce que sa pression artérielle était suffisamment remontée avec l'artère de l'épaule qui était refermée ? Difficile à dire. Toujours était-il que Sauveur ouvrit soudainement les yeux dans une réaction de surprise atténuée par son état de faiblesse.

-Calme-toi gamin. On s'occupe de toi.

Sauveur ne voyait pas très net mais il distinguait sans mal trois silhouettes penchées sur lui ou une partie de son corps. Il souffrait mais il lui était difficile de dire d'où venait la douleur exactement tant ses sensations étaient toutes mélangées les unes aux autres.

-Je vois ça. Répondit-il avec sarcasme. La dernière fois qu'il y a eu autant de monde autour de mon lit, j'étais gosse. J'avais la grippe.
-Disons qu'elle a fait plus de dégâts celle-là. Mais tu t'en tireras tout aussi bien.
-Alors pourquoi celui-là m'écrase l'épaule ? Lança-t-il avec un bref signe de tête en direction de l'infirmier qui tentait d'arrêter les derniers saignements de la plaie qu'Ulk venait de soigner.

La voix de Sauveur trahissait tant sa fatigue après avoir mené un tel combat, sa faiblesse alors qu'il avait perdu une bonne quantité de sang malgré tout et sa douleur dont les emplacements commençaient à se préciser. Le pire dans une brûlure, c'était que le feu continuait à vous ronger même après qu'il ait cessé de lécher la chair. L'eau que l'on avait fait couler sur son bras l'avait un peu soulagé mais l'opération aurait dû être répétée pendant une heure pour que son mal se repose enfin.

Le guérisseur drow fut satisfait de son effet alors qu’un sourire s’étendit sur son visage. Un sourire comme ses doigts, trop distendu pour vraiment rassurer. « Tu râles déjà ? C’est bien. » Un regard entendu vers celui qui tenait encore l’épaule du jeune homme et il relachait la pression, vérifiant quand même que le sang ne s’écoulait pas trop avant de tourner son attention sur d’autres blessures. L’argenté ne répondit pas à la question de Sauveur, la réponse était bien trop évidente. Ou bien ne se souvenait-il même pas de l’ultime blessure subie face à l’eldéen ? Il n’avait probablement pas complètement recouvré ses esprits, et la perte de son sang n’y était certainement pas étranger.

Le doigt posé sur la brûlure n’avait pas été retiré, et il servait à sonder ce qui pouvait l’être. Il y avait encore deux certitudes. Un, la blessure devait bien faire mal, deux, il pouvait bien travailler dessus. Il ne fit rien pour le moment, comme figé dans une réflexion trop importante pour que les stimuli du monde ne l’atteigne, puis la brûlure cessa d’être aussi douloureuse. L’argenté releva la tête et adressa il ne savait pas vraiment qui. « Je lui ai calmé la douleur ici. Profitez-en pour vérifier avec lui s’il a des côtes cassées. » Encore une fois, rattrapé par les souvenirs d’une médecine plus violente, il se sentait obligé d’impliquer le blessé, et tourna légèrement son visage vers lui avant de retourner au reste de son travail. « Guide les si tu peux, ça fera moins mal. »

Le contact du doigt sur la brûlure se brisa, et Ulk empoigna l’avant-bras vivement, tout en espérant pour son patient que son anesthésie tienne bon. L’humain était chanceux, chanceux d’avoir pu placer ce bras entre les flammes et son visage, c’était réparable mais il ne savait pas trop s’il pourrait empêcher une belle cicatrice. Le triumvir n’y était pas allé de main morte, comme pour tout le reste, emporté par les réactions de la foule qui s’amusait toujours à la moindre flamme qu’un gladiateur pouvait créer. Ces Thaari étaient idiots, en cédant à ce qui devait être la demande des eldéens d’autoriser la magie, ils avaient probablement privé les leurs de toute victoire possible. Le Puy en profiterait certainement pour reprendre une plus grande influence sur la zone, et ce n’était pas Aerianna qui les en empêcherait si elle continuait sur cette voie.

Il secoua la tête lentement avant de reprendre les soins, il n’avait pas laissé la politique et les siens derrière lui pour rien. S’en suivirent de longues minutes de réparation des tissus endommagés par les flammes alors que l’infirmier commençait à s’intéresser aux plus gros coups que Sauveur avait pris sur le torse.

Sauveur ricana douloureusement de la réplique d’Ulk tandis qu’Hashar s’inquiétait du sourire qui l’accompagnait. Le gladiateur commençait à connaître suffisamment le drow pour savoir qu’il n’avait pas à le craindre. Son apparence était étrange mais, s’il devait avoir un mauvais fond, il aurait choisi la nécromancie plutôt que la guérison en matière de magie de la vie. D’autant que l’eldéen avait quitté le Puy d’Elda pour des raisons que le jeune Hadjaoui ignorait encore. Si cela était un choix de sa part, c’était qu’il devait être en désaccord avec son peuple sur un certain nombre de points.
L’infirmier relâcha lentement la pression sur son épaule et Sauveur prit une inspiration sous le coup de la surprise mêlée à la douleur qui se soulagea rapidement. La blessure saignait toujours mais moins désormais que cette à son flanc dont le pansement était déjà bien coloré.

Soudain, la brûlure lancinante de son bras fut remplacée par une vague de fraîcheur salutaire. Dans un soupir, les paupières du gladiateur clignèrent très lentement avec la disparition de cette souffrance qui lui dévorait la chaire. Il aurait pu sombrer de nouveau si ses soigneurs n’avaient pas enchaîné aussitôt avec l’examen de ses côtes. C’était à peine s’il avait entendu le conseil d’Ulk étant donné la vitesse à laquelle son esprit s’était embrumé. Mais une palpation de l’un de ses plus gros bleus le ranima bien vite. Il lâcha un cri qu’il n’avait pas pu retenir du fait de la surprise.

-Et d’une. Comptabilisa le soigneur.
-Celle-la, c’était pas la peine de la toucher. Je vous l’aurais dit. Pesta Sauveur sous l’effet de la douleur.

L’homme ne se formalisa pas pour si peu. On lui avait dit bien pire depuis qu’il travaillait ici. Quand la plupart des gladiateurs se contentait de serrer les dents, certains ne se gênaient pas pour l’insulter quand quelques uns l’avaient même frappé. Il avait bien compris que celui-ci n’était plus tout à fait parmi eux lorsqu’il avait appuyé sur l’hématome, ce qui expliquait sa réaction. Il continua donc son examen après avoir dessiné à la craie un symbole sur l’emplacement de la fracture. C’était une aide mnémotechnique qu’il avait fini par mettre en place à force de soigner trop de patients à la fois avec trop de blessures différentes. Au total, il avait une côte cassée, et deux fêlée. Il avait un doute pour une quatrième : soit il s’agissait d’une sacrée fêlure, soit c’était une petite fracture… Difficile pour lui d’en juger au toucher.

La situation n’avait plus cette urgence des premiers soins, et il prenait son temps, faisant probablement du plus beau travail sur ce bras qu’il n’en aurait jamais dans d’autres circonstances. Le corps des hommes était si peu habitué à prendre des coups qu’il lui fallait du travail d’orfèvre pour les satisfaire. Cohabiter avec la princesse capricieuse lui avait appris et l’avait habitué à être plus exigent envers lui-même lorsqu’il pratiquait des soins de surface plutôt que ceux plus internes, et il se faisait un point d’honneur à garder cette peau aussi lisse qu’elle l’était avant la brûlure. Il restait alerte au cas où on porterait son attention à une blessure plus grave que diagnostiquée à l’origine, mais il ne fit ni attention à la protestation de Sauveur, ni au reste de ce qui se disait. Il était resté focalisé sur sa guérison un long moment, la tête penchée en avant, et la releva finalement avant de constater ces marques sur le corps du jeune homme. Il ne vérifia même pas le bras, suffisamment confiant en sa maîtrise, et ne fit que rendre toutes ses sensations au gladiateur.

De côtes, il n’y en avait que deux sur lesquelles il allait se pencher tout de suite. Il s’occuperait éventuellement des fêlures dans les prochains jours, sentant une pointe de fatigue s’éveiller alors qu’il apposait sa main sur la côte la moins endommagée des deux. « Je pensais qu’il y aurait plus de casse… » Une semi-phrase fut prononcée par l’argenté avant d’être interrompue par la prise de conscience que le doute soulevé par le soigneur était valide, et l’os ne s’était pas encore brisé. Cependant, la moindre pression l’aurait probablement fait céder et il n’hésita pas à le solidifier légèrement, sans la moindre résistance de la part de l’objet de son attention.

Comme s’il ne s’était jamais arrêté, il finit sa phrase. « … mais il n’y avait qu’une blessure grave… » Un regard d’ensemble, et tout confirmait qu’à part cette dernière côte tout avait été adressé. Avec la même concentration dont il faisait régulièrement preuve, l’argenté s’occupa de la dernière côte, qui ne s’était pas vraiment brisée nettement mais qui n’était heureusement pas allée perforer quoi que ce soit d’important. Il commença par aligner et réagencer toutes les parties de l’os pour que la cassure soit plus nette, et entreprit de créer un lien entre les deux pour qu’elle se retrouve à peu près dans le même état que les autres côtes non soignées. Ulk redirigea son regard vers celui du blessé et se permit une conclusion à ses segments de phrase déconnectés. « …toutes les autres vont se remettre toutes seules avec ce que je leur ai fait. »

Maintenant que l’on laissait enfin ses côtes tranquilles, on aurait pu croire que Sauveur se serait sentit soulagé mais il ne le fut qu’à moitié en vérité. Presser ainsi fêlures et fractures avait ravivé la douleur qui s’était faite sourde et lancinante alors que la seule main qui le touchait encore tenait son bras anesthésié. Telle des répliques des coups qu’il avait reçu, la souffrance partait de ses blessures pour envahir son torse par vagues désordonnées. L’entaille sur son flanc n’était qu’une égratignure en comparaison de ce qu’il endurait maintenant. Pourtant, il avait largement senti la lame entailler sa chaire…

Tandis que le bras du gladiateur reprenait une apparence normale, un garde de l’arène vint trouver Hashar et lui glissa quelques mots à l’oreille. L’air grave de l’eunuque se teinta d’agacement, la nouvelle semblant le contrarier. Il indiqua au soldat qu’il arrivait avant se retourner vers Sauveur.

-Je reviens.
-D’accord, maman. Je bouge pas de là.

Le summarudi s’éloigna en râlant mais, dans le fond, il était satisfait de voir Sauveur plaisanter de la sorte. Cela signifiait qu’il reprenait déjà du poil de la bête. Certes, il ne serait pas debout demain et les soins devraient encore se prolonger quelques jours pour le remettre à neuf mais s’il gardait cette humeur malgré sa défaite et les blessures qu’il avait reçu, il saurait s’en remettre très rapidement.

Ulk lâcha enfin le bras du gladiateur et porta son attention sur ses côtes. Il n’avait fait que poser la main sur la semi-fracture de Sauveur mais cela suffit à rendre à nouveau la douleur plus incisive. Après un moment, elle se fit moins violente mais demeurait toujours présente tandis que le sombre portait son attention sur la seconde. Là encore, un simple effleurement suffit à raviver son mal jusqu’à ce que le mage retire sa main, laissant derrière lui une douleur plus ténue qu’avant son passage.

Si Ulk fatiguait, le gladiateur ne gardait les yeux ouverts qu’à cause de ses blessures qui se rappelaient régulièrement à lui. L’épuisement aurait cependant raison de lui tôt ou tard… Ce n’était qu’une question de temps.

-…toutes les autres vont se remettre toutes seules avec ce que je leur ai fait.
-Je te fais confiance là-dessus. Assura Sauveur d’une voix fatiguée et rauque.
-On va recoudre la blessure à l’épaule et la bander correctement. Indiqua le soigneur à l’infirmier qui l’assistait afin qu’il prépare le matériel, puis il se tourna vers Ulk. Est-ce que vous voulez qu’on fasse de même pour la blessure du flanc ou vous vous en occupez maintenant ?

Si l’homme âgé d’une quarantaine d’années ne la pratiquait pas, il savait que la magie n’était pas inépuisable non plus. Le drow avait déjà refermé une partie d’une importante entaille, soigné une large brûlure et entamé le processus de guérison sur deux côtes. Il ne pourrait sans doute pas faire plus avant quelques heures. Dans le doute, il présenta l’entaille à Ulk, retirant le pansement de fortune qui avait été mis en place pour limiter le saignement. Elle était profonde de presque deux centimètres. Seule la chaire était touchée. C’était douloureux et Sauveur ne devrait pas bouger mais quelques points devraient permettre d’attendre jusqu’au lendemain sans risque.

Ce n’était toujours qu’une pointe de fatigue, et il aurait pu de manière réaliste envisager soigner intégralement Sauveur le jour même. Mais c’était sans compter sur sa haute opinion de lui-même et une certaine flemmardise qui l’habitait quand quelque chose l’ennuyait. Une influence d’Aerianna, sûrement, se disait-il lorsqu’il essayait de le rationnaliser. Elle lui avait donné tellement de confort, ôté tellement de contraintes, ce devait en être le contre coup, sûrement. Lorsque le soigneur lui demanda s’il voulait s’occuper de cette dernière blessure ses pensées actuelles étaient trop présentes et il s’en servit pour se défiler. « Je pense que vous pouvez vous en occuper pour l’instant, elle n’est pas si grave que ça. Il ne faudrait pas qu’il se sente trop en forme, il risquerait d’y retourner. » Un sourire froid, pas de rire, un regard lancé vers le blessé qui ne riait probablement pas…

Son visage redevint sérieux alors qu’il réfléchissait à comment rassurer Sauveur. Il n’en avait sûrement plus besoin, il avait l’habitude, mais l’argenté essayait de prendre quelques précautions quand même, sans trop savoir pourquoi. « Je sais bien que tu préférerais que je guérisse tout ce que je peux aujourd’hui mais tu vas garder ces douleurs un peu plus longtemps. » Plus que quelques directives à donner et il pourrait aller se prélasser quelque part de plus agréable aux frais d’Aerianna. « Je ne ferais rien de plus avant demain, mange bien et dors bien, j’ai un peu ponctionné dans tes réserves pour l’épaule mais ça devrait aller si tu fais attention… Et écoute ceux-là aussi, ils savent ce qu’ils racontent. » Un sourire, un hochement de tête à l’attention de ses aides temporaires, et il faisait volte-face pour quitter les lieux, en baillant ostensiblement. Retrouver Aerianna était sa priorité maintenant, il avait faim et soif, et elle était son passe-droit vers les zones de l’arène qui lui permettraient de se rassasier.