L'art: liberté ou asservissement? [Myr]

5ieme jour de la 2ieme enneade de Karfias, deuxième mois d'été
An 17 du XIe Cycle

Sol'dorn est une charmante destination de vacances. Du soleil, du sable, mais aussi plus de soleil et encore plus de sable. Situé au milieu du desert, l'ancienne drow devenue cité avait été conçue au départ par les redoutables noirelfes du Puy d'elda dans le but d'occuper le desert. Il était donc naturel qu'ils en perdent le contrôle, car les maléfiques créatures étaient ainsi. Plus quelque chose leur était utile, plus ils risquaient de l'égarer.

Mais lorsque les sombres égaraient quelque chose d'utile, ils finissaient toujours par revenir. Et ainsi cela faisait maintenant un certain temps que les êtres obscures et fourbes campaient sous les murs de la fière forteresse, laquelle résistait toujours, mais seulement parce que les négociations prenaient du temps. Les campement militaires des forces Eldéennes étaient peu à peu devenu le centre d'une fourmilière temporaire faite de tentes dont l'objectif était de pourvoir aux nombreux besoins des cruels soldats, tout en leur soutirant menue monnaie au passage. Vu que lesdits soldats s'ennuyaient ferme, toutes les distractions étaient bienvenues. Les vaani, fort pragmatiques, n'auraient pas été du genre à manquer l'occasion.

L'auvent de la tente protégeait difficilement de la chaleur étouffante du désert. Au moins arrêtaient-t-elle les rayons ardents de l'astre solaire. La tente était installée sur une petite hauteur et surplombait le camp qui, à cette heure de la journée, était loin de fourmiller de vie en raison de la chaleur. On y avait une vue imprenable sur les operations, et surtout plus loin, sur Sol'dorn, monolithe dont la noirceur se détachait sur la blancheur du sable et l'azur du ciel. Devant l'immensité des éléments, la puissante armée drow paraissait finalement bien fragile.

Plus loin, assez en tout cas pour rester hors de vue des occupants du lieu, une drow s'était trouvée bloquée par le solide dispositif de securité qui ceinturait l'endroit. Un serviteur fut dépêché pour annoncer la nouvelle arrivante au maitre des lieux. Accepterait-il de lui accorder audience? La jeune daedhelle supposa qu'elle avait de bonnes chances d'y parvenir, au moins pour tromper son ennui.

Une dizaine de minute d'attente sous le soleil de plomb plus tard, le serviteur refit son apparition pour informer la garde de la nouvelle: L'invitée serait reçue. Sa satisfaction fut malheureusement de courte durée puisqu'on l'arrêta aussitôt. Ses armes resteraient à l'entrée. Il y eut une brève hésitation, et la drow finalement détacha le fourreau qui pendait à son coté, et le tendit fermement de la main droite au sbire.

Quelques instants plus tard, la silhouette accompagnée du serviteur escaladait la colline brulante. C'était une daedhelle protégée du soleil brulant par une cape et sa capuche. La cape entrouverte s'écartait régulièrement pour dévoiler une paire de jambe sveltes couleur ébène chaussées de sandales légères et habillées de pans de tissus noirs légers. Une simple bandeau couvrait sa poitrine pour compléter sa tenue en laissant son ventre nu.

Quelques minutes s'écoulèrent encore le temps que la sombre rejoigne d'une démarche souple et féline l'auvent duquel le Maitre des lieux pouvait sans peine admirer le paysage grandiose. Là, elle retira sa cape pour libérer sa toison de neige coiffée en une longue tresse, la sueur visible sur sa peau nue. Elle s'inclina respectueusement, vive comme un chat. Son bras droit participa à la révérence, le gauche resta étrangement inerte à son coté.

- Aspirante Vaen're, du C'nros, grand architecte. C'est un plaisir de vous revoir après tout ce temps. Je regrette de n'avoir pu vous saluer à Thaar. Puis-je?"

Et sans attendre, elle se déchaussa félinement et retira sa cape. Autant la sombre n'aimait pas porter de chaussures, autant la brûlure du sable l'avait contraint à faire des compromis regrettables. En cet endroit protégé du soleil, elle avait la satisfaction de n'être nullement soumise à ce genre de contraintes.

Pour une fois depuis un bon moment Myr’Hennis s’était volontairement passé de sa toge, préférant au tissus somme toute relativement épais même si très léger, une tunique et un pantalon tout ce qu’il y a de plus classique cependant il n’avait pas abandonné le blanc virginal qui était un peu sa marque de fabrique ; en plus ça tombe bien ça donne moins chaud de porter du blanc. Le Grand Architecte avait choisi cette colline pour y installer sa tente justement parce qu’elle surplombait les travaux guerriers des osts. C’était l’endroit parfait en vérité, il avait une vue imprenable sur Sol’Dorn ce qui était toujours utile lorsqu’il était question de l’étudier, il s’éloignait des soldats sans pour autant quitter le camp et puis il pouvait voir l’Oliya et le fleuve gigantesque lui servait parfois de muse même si la plupart du temps sa compagne remplissait aussi ce rôle. C’était d’ailleurs avec sa muse de chair et d’os qu’il partageait cette tente, la colline proche du centre du camp était un endroit tout choisit pour être tranquilles tout en dominant le camp en question, isolé sur les hauteurs et pourtant omniprésente étant donné les gardes tous les deux mètres jusqu’à atteindre le sommet de la colline.

Le Grand Architecte était seul lorsque Shyn’tae arriva, enfin lorsqu’elle fut arrêtée au pied de la colline. Le serviteur qui vint prévenir Myr’Hennis de l’affranchie le trouva assit à une table qui était encombré de diverses piles de livres, de manuscrits, de cartes, de dessins, de rapports, d’outils divers, il y avait même une ou deux statuettes. Cette table n’était donc pas sans rappeler le bordel sans nom qu’était celle dans son bureau. Alors lorsque le servant s’éclaircit la gorge pour attirer son attention, l’architecte leva la tête et l’interrogea du regard. Ce dernier demanda s’il était prêt à recevoir Shyn’tae et il répondit par un hochement de tête, une fois qu’il aurait terminé quelque chose. Une fois son travail terminé il ferma les deux journaux, mit l’un sur la table, une pile de papier entre les deux afin de ne pas perdre son précieux labeur et il recouvrit le tout avec le second journal. Il ordonna à l’esclave d’aller chercher la mage pendant qu’il se frottait les paupières dans l’espoir tristement vain de faire partir la fatigue de ses yeux. Il se tourna pour ordonner aux esclaves d’éventer plus vite, il ne savait pas quelle heure il était mais la chaleur commençait à péniblement augmenter. Lorsque Shyn’tae se présenta devant lui un sourire lui vint aux lèvres, un sourire qui disparut bien vite lorsqu’elle n’attendit pas son assentiment. Il fronça les sourcils mais d’un geste il ordonna à des esclaves de débarrasser la daedhelle. Il pouvait bien lui laisser une seconde chance après tout, même si elle avait dû apprendre durant son temps passé chez lui qu’il n’aimait pas qu’on se moque de lui.

En tout cas si elle avait l’air en pleine forme ce n’était pas tout à fait le cas de Myr’Hennis qui avait l’air plus faible que d’ordinaire. Ses traits étaient légèrement creusés et tirés, il avait des cernes sous les yeux et semblait un peu émacié. Il termina sa coupe d’une traite avant de la reposer.

« C’est rien, après tout une championne ne doit pas avoir beaucoup de temps libre, je n'ai pas voulu te déranger. Mais toutes mes félicitations pour ta victoire, championne. Cela dit, aspirante du C’nros, on peut dire que tu aimes la mobilité, c’est d’ailleurs dommage, si tu étais restée un peu plus longtemps tu aurais pu devenir mon apprentie vu qu’une place s’est libérée et tu n’as qu’à attendre un peu pour être promue Grande Architecte, ce siège aura bientôt ma peau. »

Cela faisait des ennéades que la présence du grand architecte au siège de Sol'dorn préoccupait et interrogeait la jeune magicienne. Il avait fallut attendre bien longtemps avant que les responsabilités additionnées à l'absurde emploi du temps que lui avait concocté la Ditrown Da’re lui permette de venir rencontrer l'objet de sa curiosité. Shyn'tae aurait certainement pu tricher car la rose noire n'était pas là pour la surveiller. Elle se demandait même si sa supérieure n'avait pas fait cela juste pour la tenter de renoncer. En tout cas, la jeune sombre avait été à la hauteur du défi. Sa part cynique l'avait félicitée d'avoir été si bien dressée qu'elle parvenait à se torturer sans avoir besoin de supervision.

Myr'hennis était à la fois différent et semblable à lui-même. Il avait froncé les sourcils lorsqu'elle s'était  déchaussée. "Saignée pour avoir enlevée une paire de sandale sans attendre d'en avoir l'autorisation". Ca aurait fait une belle épitaphe, s'amusa-t-elle en notant qu'à cet égard au moins, le drow était resté identique en tout point à ce qu'elle connaissait de lui.

Par contre, la fatigue semblait également avoir pris son du chez le mâle. Au moins, ils étaient deux à ne pas trouver le siège de Sol'dorn de tout repos. La drow n'avait guère changée en carrure, si ce n'était les multiples fines cicatrices qui décoraient ses membres svelte et son visage gracieux. La plupart en partie effacées, témoignaient d'un effort constant pour en venir à bout, mais de nouvelles s'ajoutaient semble-t-il aussi vite qu'elle s'en débarrassait. Elle aussi avait apparemment subi les privations, mais son regard brillait d'une determination qu'il ne lui avait pas connu à l'époque.

En tout cas, après ce qu'on appellera l'affaire des sandales, elle était sagement et respectueusement restée debout à la limite de l'auvent à attendre une invitation à s'asseoir qui ne viendrait peut-être jamais. Ce n'était là qu'un juste retour des choses, elle pouvait s'en accommoder sans peine, ce n'était qu'un maigre prix à payer.

Elle s'inclina à nouveau devant ses félicitations. Elle doutait que Myr'hennis puisse se sentir gêné de quoi que ce soit. Cela voulait donc probablement dire qu'il se fichait royalement d'elle. Mais qu'il prenne la peine de lui dire le contraire était assez étonnant pour la faire sourire. La flatter? Elle?

- Merci grand architecte. Je vous dois aussi cette victoire, ainsi qu'à Vaervy." La magicienne regarda aux alentours, cherchant la principale intéressée sans la trouver, avant de continuer en souriant. "Oh, Personne ne sait de quoi sera fait demain. Je prends bonne note. Avec la formation du C'nros, encore moins de gens chercheraient à agacer le grand architecte."ajouta-t-elle, un sourire amusé aux lèvres.

- "Je vous vois bien fatigué. C'est la premiere flamme qui vous a fait venir à Sol'dorn? J'ai été surprise d'apprendre que vous étiez-ici je vous avoue, loin de vos oeuvres . J'espère que ce qu'elle vous demande ne vous épuise pas trop." Le sourire avait grandit encore, malicieux. "J'espère qu'elle vous laisse le temps de continuer à peindre et sculpter."

Lorsque Vaervy fut mentionné il serra les mâchoires ça faisait… il n’eut pas besoin de calculer, la date apparut dans son esprit sans qu’il ait besoin d’y réfléchir vraiment. Un an, un mois, une ennéade et cinq jours. Pourtant même après ces quatre-cent dix-neuf jours ça lui semblait comme si c’était hier et d’un côté il en était soulagé, il ne voulait l’oublier pour rien au monde, elle avait bien mérité qu’on se souvienne d’elle à travers les ans, les cycles même. Cela dit il n’avait que peu d’espoir quant à la survie de sa mémoire à travers les cycles, malheureusement il n’était, ironiquement, pas immortel et même si le prochain complot ne marcherait peut-être pas, le second, le troisième ou peut-être le quatrième finirait bien par avoir sa peau et avec lui Vaervy disparaîtrait pour de bon. Il se mordit l’intérieur de la joue pour se concentrer sur autre chose, pour faire passer ce désagréable sentiment qui venait se lover confortablement au creux de son cœur. Il n’en voulait pas à Shyn’tae, après tout elle ne vivait plus dans sa villa depuis un moment et à moins qu’elle se soit intéressée au sort de la capitaine comment pouvait-elle le savoir ? Que la mage cherche Vaervy des yeux confirma à l’architecte qu’effectivement elle ne savait pas, ou bien qu’elle voulût simplement confirmer ce qu’elle savait déjà mais peu important la vérité, il ne comptait pas lui dire, c’était entre lui et Krish. Il se mit à pianoter sur le bureau en face de lui puis il fit un autre signe à un esclave de remplir sa coupe, il en but quelques gorgées, il répondrait en temps et en heure, après avoir posé sa coupe sur son bureau, aplatissant le coin d’une feuille rebelle il se mit à pianoter sur le bureau, les sourcils froncés, il continua pendant quelques secondes avant de daigner parler à nouveau.

« Tu ferais mieux de te rappeler de qui tu parles, tu as de la chance mais tous ne sont pas aussi indulgent que moi, manque de déférence envers le Feu d’Uriz en présence de la mauvaise personne et je ne donne pas cher de ta peau ; tu devrais le savoir mieux que quiconque : ma tante n’est pas du genre à plaisanter sur le sujet. » Il reprit sa coupe du bout des doigts, comme s’il s’attendait à ce que la Krish arrive pour la lui prendre des mains, il retint un sourire à cette idée puis il avala une gorgée de Shyk'na. « Tu sais également mieux que la majorité que je n’aime pas les mages… ma tante et toi avez la chance d’être des exceptions, alors tu devrais aussi savoir que je me tiens loin de tout ce qui peut incanter. Mais je te remercie de veiller sur moi. » Il se para d’un sourire sardonique après avoir terminé sa phrase et le sourire ne quitta pas ses lèvres alors qu’il poursuivit. « Mais je t’en prie, assieds-toi… » à moins qu’elle aille s’installer sur le lit double dans le coin de la tente elle allait devoir s’asseoir sur le parquet. Encore qu’elle pût s’asseoir directement sur la table ou faire le tour pour s’installer dans l’autre siège aux côtés de Myr’Hennis mais elle n’oserait pas, pas si elle tenait à quelque chose d’aussi précieux que sa vie. « Les jeunes de nos jours ne viennent jamais voir leurs aînés simplement pour prendre des nouvelles, dis-moi ce qui t’amène. »

Ainsi Vaervy était bien morte. Lorsque Shyn'tae avait prononcé son nom, la réaction de Myr'hennis avait été si transparente que la jeune sombre en avait été saisie de surprise. Colère, tristesse peut-être avaient un instant fissuré la carapace de son vis à vis. Ce n'était pas quelque chose qu'elle le pensait capable de simuler, et elle en fut touchée... brièvement. Car il s'était s'agit d'un instant fugace, et comme on pouvait s'y attendre la riposte fut violente

Touché droit au coeur, articula la voix du cynisme caché au fond de son crâne, alors que ses oreilles gracieuses s'écrasaient sous la charge de celui qu'il fallait bien reconnaitre comme un supérieur. Elle désapprouvait les mots que le sombre employait, mais cela n'avait guère d'importance. Elle le connaissait bien assez pour savoir ce qu'il attendait d'elle, et que ce n'était pas une bataille qu'elle devait gagner. Le grand architecte était arrogant, têtu, dangereux, il n'avait aucunement besoin d'elle et il la considérait de moindre mérite. Dangereuse combinaison pour être audacieuse ou malicieuse.

Comment le feu d'Uriz avait-elle pu choisir ce personnage ? Sa raison la poussait à croire qu'elle ne voyait que ses mauvais côtés. Elle s'était un instant demandé si elle était jalouse. Mais rodait sans répit à son esprit la rencontre entre Myr'hennis et cet imbécile de Maître de l'esprit. Et si elle s'était trompée à l'époque? Et si la cible de Myr n'avait jamais été Viconia mais plutôt l'impensable? Il n'aimait peut-être pas les mages, mais n'hésitait pas à s'en servir quand ça l'arrangeait, conclut-elle avec agacement.

-Assieds-toi",  conclut-il, y ajoutant une pique mesquine qui la laissa impassible pour l'avoir trop entendue. Son regard fit le tour de la pièce pour confirmer ce qu'elle savait déjà. Nulle chaise additionnelle hormis celle qu'elle supposa destinée à la flamme d'Uriz, et aucune autre solution satisfaisante. Le grand architecte l'avait à coup sûr remarqué. Autant ne pas le décevoir, s'amusa-t-elle.

Il la vit sans hésitation s'incliner alors aussi souplement que profondément. Sa tresse tomba par dessus son épaule pour se balancer doucement avant qu'elle ne prenne la parole, sa voix douce et apaisante, dénuée non seulement de peur, mais aussi de malice ou de moquerie.

- Veuille me pardonner pour mon comportement inapproprié en votre demeure. Je vous remercie de m'avoir corrigée. J'aurais aimé venir vous saluer plus tôt, mais les circonstances m'en ont malheureusement empêchée. "

Ses excusez terminées, la sombre se redressa d'un mouvement sec, et, écartant d'une main vive les tissus légers qui recouvraient ses jambes, s'agenouilla sur les tapis d'un même mouvement, comme si c'était là quelque chose de complètement naturel et anodin sans s'aider de ses bras. Elle continua alors, du ton détaché de quelqu'un qui aurait été assis à sa table à goûter les victuailles qui s'y trouvaient. Le trouble que cette pensée provoqua la poussa à la chasser immédiatement cette pensée. Les odeurs venaient de rappeler à son estomac tendu qu'elle ne mangeait pas toujours à sa faim ces derniers temps.

- Et également merci de me faire l'honneur de votre hospitalité." Autant aller directement à l'objet de sa visite, cela promettait de ne pas d'être facile. Et elle doutait que le grand architecte ne profite pas de la situation. Elle continua donc. "Vous avez raison, je voulais m'entretenir avec vous d'un sujet bien précis. Vous avez obtenu pendant le temps de ma présence en votre demeure une esclave elfe dénommée Mililwen. Seriez-vous prêt à négocier sa cession avec moi? Il y a peut-être quelque chose que je puisse vous offrir?"

Autant commencer par voir s'il était ouvert à l'idée même et quel serait son prix. La drow supposa qu'il en aurait un et avait même quelques idées déplaisantes qu'elle préférait garder pour elle. Peut-être serait-elle plaisamment surprise? C'était peu probable. Pour ce qu'elle en avait compris, les surprises de Myr'hennis remportaient toujours un franc succès.

La patience de Myr’Hennis avait des limites, plus ou moins importantes en fonction du sujet et malheureusement pour Shyn’tae, les limites de sa patience étaient vite atteintes lorsqu’il était question de hiérarchie et de soumission à ses supérieurs ; évidemment que dans un sens, lui-même, comme tous les drows qui se respectent, il imaginait, n’aimait pas courber l’échine devant autrui. Mais voilà, il n’avait au final que deux supérieurs et il était en bon terme avec elles alors à moins qu’il n’oublie sa place en public il était peu probable qu’il n’ait à ployer le genoux, ce qui est toujours bon à savoir lorsque l’on a un orgueil démesuré. En réalité son invitation à s’asseoir était une seconde chance, une seconde chance dont le prix était une petite humiliation ainsi qu’un rappel qu’ils n’étaient pas égaux et que la mage ferait mieux de ne pas l’oublier. Un peu de familiarité et on oublie ça place… mais s’il fallait une petite humiliation pour que tout rendre dans l’ordre c’était un sacrifice que le Grand Architecte était prêt à faire. Enfin il était prêt à le faire quand ce n’était pas lui qu’on humiliait, cela va de soi.

Il écouta Shyn’tae présenter ses excuses en attrapant un raisin, l’esclave placé à ses côtés tenait la grappe tendue vers lui, et tenant le fruit du bout des doigts, il joua avec un instant en le regardant, hésitant s’il devait ou non le manger. Il décida finalement que ça n’en valait pas la peine et il posa le raisin sur la table, le gardant pour plus tard.

Il se tourna enfin vers la daedhelle une fois qu’elle fut assise sur ses genoux, une scène qui fit remonter quelques souvenirs et un semblant de sourire amusé sur ses lèvres. Il accepta les remercîments d’un hochement de tête puis ses oreilles se dressèrent légèrement. « Vous avez raison. » En voilà une phrase qu’il aimait entendre même s’il le savait, ça n’empêchait pas que l’entendre d’autrui faisait toujours plaisir. Il haussa un sourcil.

« C’était donc ça… » il reprit le raison entre ses doigts, désirant continuer son numéro il l’observa encore un temps et son sourire devint carnassier alors qu’il apporta le fruit à ses lèvres d’une façon étrangement sensuelle avant de l’avaler. « Mililwen hein ? Je ne pensais pas que vous étiez si proche sinon elle nous aurait rejoint. Encore une fois tu as de la chance, elle est toujours à mon service. » Il prit sa coupe entre ses longs doigts et la fit lentement tourner, observant le mouvement concentrique du liquide. « Et honnêtement je te l’aurait offerte avec plaisir, au nom du bon vieux temps, mais il y a un problème… » son sourire carnassier toujours aux lèvres, après tout il n’avait aucun intérêt à le cacher, il releva la tête pour regarder la daedhelle en face de lui en se demandant ce qu’il pourrait bien en tirer. Pour faire durer le suspense quelques secondes de plus il avala quelques gorgées avant de reposer sa coupe sur la table, là où se trouvait son raison quelques instants plus tôt. « Elle a passé trois ans à travailler avec Plynnil et ce qu’elle sait, ce qu’elle a appris, la rend bien plus précieuse que lorsque l’Etude Noire m’en a fait cadeau. Je ne suis pas un marchand, je ne suis pas assez mesquin pour en être un mais avec tout ce temps et cet argent d’investit je ne peux pas décemment accepter. Vois-tu ça créerait un précédent dangereux pour moi car la nouvelle va se répandre, mes voisins vont en profiter et en quelques ennéades me voilà ruiné et personne ne veut ça, n’est-ce pas ? Non… surtout pas toi, pas après tout ce que nous avons vécu ensemble et c’est pour ça que j’espère sincèrement que ces négociations n’auront pas d’incidence sur notre amitié. »

Humiliant. C'était l'adjectif qui convenait parfaitement à la situation de l'aspirante à genoux sur le tapis en contrebas du Grand architecte, lui-même assis à sa table pour daigner l'écouter. Il voulait rappeler la hiérarchie, il y était parvenu. C'était un très beau tapis, nota-t-elle néanmoins, et il était assez épais pour être très confortable. Comme quoi, les personnages les plus puissants peuvent aussi commettre des erreurs. Il n'avait manifestement pas pensé que le tapis puisse lui servir ainsi, sinon il en aurait choisi un bien moins douillet.

Elle faisait de son mieux pour cacher la douce et sensuelle chaleur que lad qui chatouillait son bas ventre, comme souvent dans des circonstances similaires. Ca aussi, il devait l'ignorer, ou l'avoir oublié. Du moins le pensait-elle, car il était souvent moins joueur que sa tante. Sa tante, voilà par contre ce qui agaçait Shyn'tae. Elle représentait L'Renor Crysto à Sol'dorn, et se maudissait de s'être trouvée dans cette situation… Bien qu'elle se doutait aussi que ladite dirigeante du C'nros aurait été fort émoustillée à l'idée de mettre son aspirante dans une situation similaire. Était-ce donc de famille?

Ses yeux, eux, ne résistèrent pas à la tentation de suivre le mouvement du grain de raisin entre les doigts de Myr'hennis. La magicienne se sentit saliver plus qu'elle n'aurait du à la vision du grand architecte qui hésitait, reposait la nourriture. Allait-il donc finir par le manger, qu'elle en soit débarrassée?  

Finalement, il porta le fruit à ses lèvres lentement. Les oreilles de la daedhelle trahirent son impassibilité apparente en s'abaissant, tendues sous la tension et la sensualité de l'instant. Son bras gauche trembla légèrement, et son poing droit se referma. Son cœur manqua un battement, et l'instant d'après, le grain disparut, brisant le sort et lui permettant enfin de se concentrer correctement.

Ainsi donc il reprit sans la regarder. Suggérait-il que Mililwen aurait pu les rejoindre dans leurs ébats? L'ardeur grandit, et elle rougit légèrement, l'image dans son esprit. Stupide, c'était stupide. Son poing se serra plus fort discrètement dans les replis du tissu, et elle reporta sa concentration sur les explications du grand architecte qui finalement la regarder, un grand sourire carnassier aux lèvres.

La sombre fit l'effort d'apparaitre un peu intimidée, ses oreilles frémissant à nouveau telles celles d'un chat, ses yeux grands ouverts. Nul doute que cela lui ferait plaisir autant qu'à elle, contempla-t-elle en frémissant et se prêtant au jeu. Il y eut une longue pause que Shyn'tae apprécia, car elle aimait le spectacle.

Puis il continua les explications qu'elle attendait, et qui ferait certainement d'un éventuel accord un sacrifice si immense qu'elle en entendrait parler jusqu'à la mort de l'un d'entre eux.

- Oui, je suis pleinement consciente des efforts que cela représente. J'ai moi-même participé à sa formation lorsqu'elle est arrivé dans votre demeure, mais comme vous le dîtes, c'était il y a bien longtemps. Rassurez-vous, grand architecte. Je sais qu'il n'y a aucune place dans votre flamme pour les mesquineries et les bassesses. Vous êtes même prêt à prendre de votre temps que je sais précieux pour m'aider à améliorer mon comportement. C'est pourquoi je savais que vous sauriez m'écouter." Sa voix était humble, elle baissa respectueusement la tête pour regarder les jambes de Myr'hennis.

- Je connaissais votre générosité, mais savoir que vous étiez prêt à me l'offrir, si cela n'avait été la jalousie de quelques individus à l'esprit étriqués…" Elle releva des yeux brillants d'émotion. "... Je suis incapable de trouver les mots pour exprimer mes sentiments. Je ne suis pas du genre à oublier tous ces moments, grand architecte. Merci…" Son sourire honnête grandit, elle inclina la tête, et continua docilement. "Mon intelligence est loin d'égaler la votre, vous êtes pour moi quelqu'un de bien trop grand pour laisser quelques jaloux vous contraindre par leurs vaines médisance.  Si vous commencez à les écouter, vous savez déjà qu'ils ne s'arrêteront plus."

S’il l’avait vraiment voulu il aurait pu faire bien pire, notamment la congédier ou même la condamner à quelques heures de piloris ou quelques coups de fouet mais ç’aurait été seulement pour lui rappeler que c’était en son pouvoir et il ne doutait pas que Shyn’tae en était bien consciente. Il aurait pu et il aurait été dans son droit en prétextant un insulte envers le Feu d’Uriz, sans compter qu’à son retour au Puy sa tante lui en aurait fait voir de toutes les couleurs au passage, non seulement pour cette insulte imaginaire mais surtout pour avoir ainsi rabaissé son nom. Plus il y pensait et plus c’était tentant, embarrasser Aerstab l’avait toujours amusé au plus haut point mais malheureusement il avait laissé passé sa chance, il y réfléchirait à nouveau si jamais elle lui donnait une autre opportunité.

Il écouta les supplications de Shyn’tae avec un air régalien, un monarque sans couronne écoutant les doléance d’un sujet et les supplications en question l’amusait, elle le prenait au mot et çaa l’amusait. Malheureusement pas pour longtemps, elle ruinait tout mais au moins elle lui donnait une nouvelle excuse pour la punir. Il poussa un long soupir lorsqu’elle eut terminé.

« Shyn’tae, un an dans ma demeure ne t’as donc rien appris ? Tu en fais bien trop. Que tu ne sois pas sincère passe encore mais aies au moins la décence de faire semblant ; que tu te moques de moi passes encore mais ait au moins la décence d’y mettre les formes. Voilà, ce petit jeu ne m’amuse plus maintenant… » il prit un air renfrogné, c’était donc si difficile de lui faire un peu plaisir en échange de son esclave ? Malgré leurs différents, Myr’Hennis était bien d’accord avec Vash'saz : la jeunesse ne respectait plus rien. « Mais je ne laisserai personne médire de ma clémence, tu m’as diverti une poignée de minutes et pour ça tu peux partir indemne. Maintenant va-t’en avant que je ne change d’avis. »

Les gardes en dehors de la tente rentrèrent pour escorter la mage en dehors au cas où elle refuserait d’obéir ou pire tandis que l’architecte s’était déjà désintéressé d’elle, son attention reportée sur le travail qu’il avait interrompu pour voir Shyn’tae. Il prit le vieux journal et l’ouvrit puis il eut une idée, il leva les yeux vers les gardes et la daedhelle et son sourire carnassier lui revint aux lèvres.

« Attendez. Peut-être que tu vas pouvoir avoir Mililwen finalement. Mais seras-tu prête à en payer le prix ? » Il détacha un nouveau raisin de sa grappe et le regarda avec hésitation avant de le croquer avec délice, du jus coula de ses lèvres et du bout du doigt il vint l’essuyer sur son menton. Il regarda la moitié de fruit et un petit rire passa ses lèvres. « Soit, si tu l’aimes tant cette esclave tu accepteras sans doute de l’obtenir contre ta liberté. Mais cette fois ce sera pour de bon, tu seras marquée et ton nom entrera dans le registre qui recense mes esclaves. »

La drow s'était levée d'un bond vif et agile. Certes, elle n'avait peut-être pas fait preuve de grande subtilité, et faire semblant aurait été d'une hypocrisie dont elle n'avait plus le désir de faire preuve. L'aspirante reconnaissait manquer de sommeil et de repas solides, et peut-être était-ce susceptible d'affecter sa patience et sa capacité de conciliation. Autant se sentait-elle capable de faire des efforts pour quelqu'un qui ferait de même, autant le grand architecte avait tout son respect pour ses compétence, autant qu'il se moque d'elle ainsi avait été la goutte d'eau qui avait fait débordé un vas déjà bien rempli.

Les gardes surgirent aussitôt, l'un d'eux posant la main sur son épaule. Il n'y avait aucune raison qu'elle s'oppose à la fin de l'entretien, mais elle comprenait vu leur charge qu'ils soient prêts à agir et que les invités aient à déposer leurs armes. Un accident pouvait vite arriver. Mais mieux valait se moquer de Myr'hennis que de lui couper la langue: Malheureusement, Shyn'tae reconnaissait que malgré tous ses travers, elle avait son utilité.

Un homme écarta une tenture pour la faire sortir, laissant pénétrer le  et elle posa un pied nu sur le sable brulant, le soleil de plomb l'aveuglant un instant. Ah. Elle avait oublié sa cape et ses sandales. Tant pis, cela n'avait guère d'importance, elle endurerait. La drow et son escortent allaient continuer lorsque la voix de Myr'Hennis s'éleva à nouveau, la faisant tendre l'oreille. Un sourire amusé apparut sur les lèvres de la magicienne.

Elle ne répondit pas tout de suite, immobile, en profitant pour laisser ses yeux s'habituer à la blancheur intense du désert. Elle tourna alors la tête lentement sans se retourner, pour diriger un oeil malicieux vers son ainé.

- La proposition est tentante, vous servir était un plaisir. Je suis sincère.  Mais, et je vous dit ca parce que je vous considère comme un amis, je crois que vous devriez apprendre à placer l'intérêt de votre auguste personne derriere celui du Puy."

"Vous oubliez que je suis flamme de phoenix du Triumvir Viconia, soit membre honoraire de sa famille. J'exerce ici les fonctions de  Pho'dur du C'nros en représentant la Ditrown Da're, votre tante." Elle soupira, son ton las, car elle l'était.

- Je suppose que cette proposition était un trait d'humour. Que je désire remettre une esclave à mon service est une chose. Accepter votre proposition signifierait trahir la confiance d'une triumvir et d'une Ditrown Da're, et donc celle de nos dieux."

« Tu te tromps Shyn, mettre mes intérêts derrière ceux du Puy serait une erreur, les deux ne font qu’un et pour ce qui est des dieux nous en reparlerons lorsque tu seras haute-prêtresse mais si jamais tu as une idée pour racheter Mililwen fais-moi signe. »

La drow s'inclina et disparu de la vue du grand architecte en même temps que les gardes rabattaient la tenture.