Fumées et miroirs [PV Lyorindel & Aegden]

3e ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Petit matin ; Palais de Milynéa Lythandas

Tu souffles d’exaspération, tes doigts s’appliquant à défaire un énième nœud. Voilà plus d’une heure que tu luttais contre ta propre crinière, rassemblant en une tresse des mèches dont tu avais – malgré le fait que ce soit les tiennes – presque oublié la  véritable longueur. Trop habitué aux chignons rapides et aux coiffures laissant frisure libre de boucler… et trop habitué à ce que ce soit systématiquement Kaëlistravaë qui soit de corvée de tressage, tu faisais décidément un piètre coiffeur dès que les choses devenaient le moins du monde complexes. Heureusement que ton besoin d’exercice te forçait à te lever extrêmement tôt, sinon tu n’aurais jamais pu prendre le temps d’arracher à ton corps les premières sueurs, et encore moins d’accueillir les agréables douleurs qui rendaient maintenant la séance de nattage plus pénible encore qu’elle n’était censée l’être.

- Tsh. tu pestes à voix basse Enfin terminé.

L’heure, selon tes standards, commence à se faire tardive, mais tu as encore le temps. En quelques jours, les peintures corporelles seront devenues part intégrante de l’identité de Noruì. Cependant, en tant qu’elfe cherchant à s’imprégner de culture Vaanie, quoi de plus naturel que de laisser un artiste de la région faire de ton son canevas ?

- Si tu n’avais pas rafraîchi mes peintures la première fois, je ne t’aurais jamais imaginé aussi bon un pinceau entre les doigts.

- C’est naturel. Galamdir glousse Après tout ce n’est pas ma spécialité. Seulement s’il y a une chose que j’ai appris en quelques décennies de travail, c’est qu’il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc. le sang-mêlé sourit Et puis, des huiles aux teintures… mélanger couleurs et odeurs n’est pas bien différent.

Tu te lèves pour te placer en face de l’immense miroir mural resté jusque-là dans ton angle mort. Et tu souris. Il t’avait demandé de te retenir de poser les yeux sur ses dessins avant qu’il n’ait terminé. Avec toutes les peines du monde tu t’y étais forcé, pour découvrir maintenant que le jeu en valait la chandelle. Le long de tes bras et épaule gauche et jusqu’au pectoral qui y était attaché, de différentes teintes d’or des écailles s’emboîtaient, quelques-unes de leurs semblables, plus éparses, fichées dans ton flanc. En cherchant bien, quelque part sur ton épaule l’on pouvait trouver des yeux. Avec un peu d’attention, dans la mer d’écailles dépassaient quelques griffes, et sur ton pectoral s’ourlaient les volutes de ce que le jeune esthéticien interprétait comme le Souffle du Dragon d’Or.



- C’est magnifique. tu poses un regard reconnaissant sur ton serviteur Il faudra que je te rende la pareille un jour.

- C’est mon travail. Je ne demande rien de plus que de vous savoir satisfait. le jeune homme te répond avec une profonde sincérité Maintenant vous devriez vous dépêcher, vos camarades vont vous attendre.

Tu le salues. Il te le rend. Tu t’en vas rejoindre tes artistes de frères d’armes. Habituellement toujours le premier sur les lieux d’un rendez-vous, te voilà dernier arrivé. La faute à la fichue tresse qui te chatouille gaiement le bas du dos. Vous aviez largement le temps cependant avant que ne soit sonnée l’heure fatidique. Thaar ne vous forcerait pas à vous presser. Cette tare-là au moins elle ne l’avait pas.

- Et bien. tu lances sans conviction aux deux autres elfes, réarrangeant les pans de tissu libres décorant le pantalon qui te servait d’unique vêtement Je crois qu’il est temps de découvrir à quoi ressemblent les arts de la scène en Ithri’Vaan. le talon de tes poulaines claque contre la pierre du sol alors que tu t’avances légèrement Nous sommes là pour ça après tout, non ?

Tu soupires, désabusé. S’il on t’avait prévenu dès le départ que les Princes Marchands seraient aussi difficile à rassembler que le Haut-Conseil d’Anaëh, tu serais probablement resté à ta place, de l’autre côté des frondaisons de la Prime Œuvre.

Contrairement à ton ami, tu n’avais pas vraiment d’idée sur Thaar. Enfin si mais tu préférais l’ignorer, après tout peut-être que tu serais surpris, t’étais-tu dit en quittant l’Anaëh. C’était ce que tu voulais croire pour ne pas faire face à l’angoisse que représentait un tel voyage et lorsque tu as vu la grande ville un mélange d’admiration et de dégoût s’est emparé de toi. Pourquoi autant de gens vivaient ici ? Et surtout pourquoi se forçaient-ils à vivre dans de telles conditions ? Pourquoi les dirigeants de la ville laissaient faire, n’apportant aucune aide à leur peuple ?

Des questions préliminaires auxquelles tu ne demandas pas de réponse et tu n’étais pas certain d’en vouloir. Cependant très vite la curiosité s’était emparée de toi et tu t’étais vite retrouvé à déambuler dans les rues étroites, enfin déambuler n’était peut-être pas le bon terme car tu avais un but : comprendra davantage la ville ; avec un peu de chance tu pourrais trouver une réponse tout seul comme un grand à tes questions. Certains diraient que comme un grand n’était peut-être pas l’expression la mieux choisit mais là n’était pas la question. Alors lorsque tu as demandé une pomme à un homme qui en présentait plusieurs sur un étal et qu’il t’a demandé quelque chose tu l’as regardé avec des yeux ronds. Puis il s’est répété et tu as dû lui dire que tu n’avais pas d’argent. Ce à quoi il a répondu qu’il fallait mieux que tu partes vite au lieu de lui faire perdre son temps. Tu as obtempéré et tu es rentré dans la demeure de ton hôte pour aller manger une pomme là-bas vue que dans les rues visiblement c’était impossible, tu en as profité pour poser quelques questions sur cette histoire d’argent aux serviteurs.

Il te fallait admettre que le concept n’était pas dénué ni d’intérêt ni de sens et facilitait tout de même la vie mais, comme tu allais le comprendre durant ton séjour, il pouvait poser de gros problèmes et, au final, était la cause de tous les maux de Thaar et par extension d’Ithri’Vaan. Alors tu t’es demandé si c’était une bonne idée de l’implanter en Anaëh. Tu as passé quelques jours à peser le pour et le contre et tu en es arrivé à la conclusion que ça pourrait être une bonne idée ; les Cités elfiques ayant une mentalité tout à fait différente de celle des humains et autres races peuplant cette contrée corrompue qu’était l’Ithri’Vaan et qu’aucun elfe ne thésaurisait quoi que ce soit alors les chances que les elfes s’y mettent étaient faibles. Cela dit un des artistes avec lesquels tu voyageais souligna fort justement que, peut-être, les humains avaient la même mentalité que vous avant que l’argent ne corrompe leur esprit et qu’une fois le concept de monnaie implantée en Anaëh, avec le passage des cycles, l’Œuvre finirait peut-être par se transformer en une autre Ithri’Vaan, du moins une Ithri’Vaan plus luxuriante.

Ton compagnon de voyage avait détruit tes hypothèses en même temps que ta bonne humeur matinale alors lorsqu’Artiön se présenta finalement pour que vous partiez à la découverte des différents arts présents à Thaar ton enthousiasme en était considérablement amoindri. Cependant tu hoches la tête, oui vous étiez là pour ça, pas que pour ça mais tout de même, ç’aurait été dommage de ne pas en profiter.

« Je m’attends à être déçu mais sait-on jamais, peut-être que nous trouverons une perle rare. Tu as un lieu en tête ? »

Lorsque le retardataire arriva, contrairement aux deux autres, Aegden resta aussi silencieux qu’il l’était déjà, autant pour laisser Artiön répondre à la question de Lyorindel que parce qu’il n’était, lui aussi, qu’à moitié convaincu par l’idée.

Au vu de ses mésaventures précédentes il se demandait si il y avait quoi que ce soit d’intéressant dans cette ville. Plus le temps passait et plus il en doutait sincèrement. Comment les thaaris pouvaient-il créer quoi que ce soit s’ils devaient déjà passer leur temps à essayer de survivre et de lutter contre leurs propres pairs ? D’ailleurs d’après ses dires Lyorindel ne s’attendait pas à grand-chose non plus malgré son optimisme.

Malgré tout, bien sûr, d'un autre côté, ça l’intéressait peux être plus qu'il ne voulais bien l'avouer de voir à quoi ressemblait l’art Vaani. Il n’aurait pas tenté de le faire seul quelque temps plus tôt sinon. Comme le disait l’éclaireur, peut être tomberaient-il sur quelques chose d’intéressant. Et puis mine de rien, il aimait assez l’art pour avoir envie d’en découvrir de nouvelles formes même dans un endroit aussi détestable.

Il se força à décroiser les bras et à arborer un air neutre et non pas totalement renfermé. Il pouvait bien faire un effort vis-à-vis de ses camarades tout de même.

-J'espère juste que peu importe où on ira , on n'aura pas besoin de leur argent ou je ne sais quoi.Soupira-t-il malgré tout.

La notion de propriété des éphémères, il l'avait bien vu, était différente de la leur. Il avait encore du mal à comprendre certains fonctionnements à propos de cela et, en éternel optimiste, il avait un doute sur la possibilité de pouvoir assiter à quoi que ce soit sans contrepartie monétaire.

Chez toi la motivation n’était pas au plus haut, et l’espace d’un instant tu avais espéré qu’il en serait autrement pour tes camarades. Jusque-là les résultats de vos entreprises géopolitiques étaient proches du zéro absolu. De soutien certain vous n’aviez toujours que Milynéa. D’allié potentiel vous aviez peut-être gagné la Princesse d’Uldal’Rhiz, mais du peu que tu avais vu d’elle, son opportunisme semblait toujours largement dominer son désir de limiter l’influence Eldéenne. Mais au moins jusque-là, après que presque une ennéade soit passée, vous n’aviez pas encore endommagé vos couvertures. Et à défaut de valoir votre temps d’un point de vue artistique, un spectacle auquel vous assisteriez aurait pour mérite de vous la solidifier un peu plus. Et puis… qui sait qui vous pourriez rencontrer quand…

- En tant qu’invités de Milynéa il y a un théâtre privé dans Les Soieries auquel nous avons accès privilégié. savoir s’il y avait quelconque justice dans cette situation était une autre paire de manche Les spectacles qui s’y tiennent sont réputés comme étant la fine fleur de l’art Vaani. Le propriétaire de l’endroit est un riche mécène qui s’est fait un métier de présenter de grands talents à d’autres mécènes.

Un vendeur d’art, dont les talents de critique avaient fait la fortune. Un mécène comme un agriculteur, sélectionnant les meilleures pousses, les choyant jusqu’à ce qu’elles lui paraissent mûres, pour en tirer le meilleur prix au moment où il les vendrait. Entre ses mains, les artistes ne valaient pas mieux que ne valaient les fruits et les légumes exposés sur les étals dans les quartiers populaires… si ce n’est que l’ordre des prix devait être grandement différent.
Les artistes y gagnaient de quoi vivre pour les plus avancés dans l’engrenage, et de quoi s’exercer pour les plus jeunes. Dans l’idée personne n’était censé souffrir d’une telle organisation, si ce n’étaient les saltimbanques, musiciens et autres cantateurs forcés à la jalousie car ils n’y avaient pas eu accès. La chose se voulait un échange. Pourtant, tu ne pouvais t’empêcher d’y trouver quelque chose de répugnant.

- Dans un peu moins d’une heure il est censé s’y jouer une comédie en ballet. Avec un peu de chance ce sera l’occasion de découvrir un pan du folklore d’Ithri’Vaan. tu soupires Dans notre situation, tout est bon à savoir après tout.

Tout est bon à savoir. À défaut d’avoir réussi à vous emparer d’un peu de pouvoir, en peu de temps vous vous étiez accaparés d’énormément de savoirs. De la manière dont étaient gérées les Principautés Vannies aux mœurs des différentes couches de la population, en passant pour tout et surtout par les rapports qu’entretenaient les territoires avec les Drows. La manière dont leur influence passée avait façonné les lieux, la manière dont certains d’entre eux s’étaient mêlés à la population pour devenir les Doebens, la profonde distinction que faisaient les Vaanis entre Eldéens – dans l’absolu craints – et les Doebens – devenus part du paysage – et les sentiments hétéroclites provoqués par la récente installation des Puysards autour de Sol’Dorn.