Le tournois de Sol'Dorn.

L'idée du tournois venant d'être approuvée par Krish, Kerath s'en alla vers l’intendance pour commencer les préparations du tournois et cette fois il n’allait pas pouvoir échapper à sa rencontre avec Brannel, le maître intendant du second ost et la personne la plus irritante qu’il connaissait et pourtant sa très chère fille était ô combien pénible. Il avait d’ailleurs pensé une ou deux fois à proposer à Shyn’tae la place Brannel vu qu’elle semblait appréciait de lire et d’écrire des rapports sans grand intérêt cependant le général avait sa fierté et il préférait supporter Brannel plutôt que de s’abaisser à demander quelque chose à sa fille. D’ordinaire il envoyait quelqu’un à sa place lorsqu’il devait visiter l’intendance ou bien il se débrouillait pour voir un autre intendant mais cette fois ce n’était pas vraiment possible malheureusement alors il poussa un grand soupir en poussant la porte des quartiers de l’intendance du Second Ost.

Le maître intendant faisait bien plus vieux qu’il ne l’était réellement, sans doute à cause de son air blasé et de ses cernes qui semblaient descendre toujours plus bas à chaque fois que Kerath le voyait. Etrangement Brannel dégageait une impression de nonchalance, il avait un air un peu négligé mais en regardant de plus près ce n’était qu’une impression ; le daedhel se tenait droit en toutes circonstances, ses vêtements ne faisaient pas un pli et ses cheveux restaient toujours dans la position qu’il leur avait dicté le matin. Le Senger ne savait pas si cette aura était volontaire ou non mais elle cachait à merveille le drow si procédurier qu’était le maître intendant. Ce dernier salua son supérieur lorsqu’il entra, évidemment le salut en question fut parfaitement exécuté et ses yeux morts se posèrent sur le lointain, au-dessus de l’épaule de Kerath, par-delà l’ouverture de la porte.

« Repos. »
« Que puis-je faire pour vous ? »
« Nous allons organiser un tournois dans six ennéades, je veux que tout soit prêt d’ici là. »
Brannel hocha lentement la tête avant de retourner à son bureau pour s’y asseoir, chercher plusieurs feuilles. « Il va me falloir plusieurs autorisations et… »
« Est-ce nécessaire ? » L’interrompit le général qui commençait déjà à en avoir marre.
« En plusieurs exemplaires. » Reprit-il avec sa lenteur habituelle comme si Kerath ne lui avait pas posé de question. « D’abord il va me falloir la confirmation écrite que l’ordre vient bien de vous puis la confirmation écrite que la décision a été approuvée par la triumvir Krish Al'Serat ainsi qu’un double de chaque. » Il s’arrêta un instant, examinant deux feuilles différentes que le Senger n’avait pas envie d’examiner comme son maître intendant le faisait si bien. « Avez-vous prévu une récompense ? »
« Oui. »
« De quelle nature ? »
« Je n’en sais rien… monétaire sans doute. »
« De quel montant ? »
« Je… deux-cents souverains. » Il avait répondu rapidement sans vraiment y réfléchir mais en voyant Brannel l’inscrire il se rendit compte que ça faisait beaucoup pour un petit tournois. « Non, cent souverains. » Mais c’était trop tard, l’intendant avait déjà noté la somme et Kerath se mordit l’intérieur de la joue.
« Si vous voulez changer la récompense veuillez remplir le formulaire approprié. »
« Deux-cents ça ira très bien… » répondit-il dans un soupir exaspéré.
« Bien, il va me falloir une confirmation écrite explicitant l’acceptation du montant par l’intendance des autres osts ainsi que de leur Obok Senger d’Thalack respectifs et de la personne la plus haute placée présente au siège, dans ce cas précis il s’agit de la triumvir. En double, évidemment. »
« Evidemment… » Kerath regarda la main de Brannel glisser d’une feuille à une autre alors qu’il cherchait ce qu’il voulait dans ce bureau où tout était parfaitement à sa place.
« Les personnes étrangères aux osts ont-ils l’autorisation de participer ? »
« Je… oui si tu veux. »
« Il va me falloir une autre confirmation des Obok Senger d’Thalack et de la triumvir dans ce cas, sauf si… » les yeux de Kerath s’illuminèrent d’espoir devant ce revirement soudain alors que les yeux de l’intendant parcourait la page jusqu’à en arriver au bout. « Le tournois se passera-t-il dans le camp ? »
« Non ! »
« Où donc alors ? »
« Dans… à Frontière. » Un nouveau hochement de tête de Brannel fit pousser un soupir de soulagement au général qui se rendit compte qu’il venait effectivement d’échapper à davantage de paperasse.
« Il faudra une autorisation pour les eldéens qui comptent participer, que vous allez devoir contresigner. »
« Très bien. C’est tout ? »
« Non, la magie sera-t-elle autorisée ? »
« Oui, sûrement. »
« Alors il va me falloir l’autorisation de la Phor'dur L'Renor Crysto ou de sa représentante sur place, Shyn’tae Vaen’re. »
« Merci je sais de qui il s’agit. » Répondit-il en grognant, visiblement excédé.
« C’est tout pour le moment. J’attends ce que je vous ai demandé dans les plus brefs délais et je vous recontacterai pour… la suite. » L’intendant tenant un minimum à sa vie préférait ne pas pousser son supérieur.

Kerath hocha la tête avant de sortir en grognant que ce tournois avait intérêt à valoir le coup. En réalité c’était sa faute si Brannel était aussi procédurier, après les purges des intendants pour corruption les survivants s’assuraient que tout était bien à sa place et ça passait forcément par l’écrit. S’il avait su, le Senger n’aurait peut-être pas été aussi prompt ou en tout cas pas aussi déterminé à éradiquer en profondeur la corruption qui réduisait l’efficacité de son armée ; même si désormais il n’y avait plus de problème d’équipement qui disparaissait tout était bien plus lent.

7eme ennéade de Karfias de l'an 17:XI
Tournois de Sol'Dorn, à Frontière

Fou. Il y avait matière à le dire : c'était une idée complètement folle. Mais, le temps passant, elle s'était vilainement ancrée dans la caboche de la Grise. La logique, la raison, la peur du rid - La peur de quoi ? -, le bon sens... Les barrières avaient ployé une à une, sans trop savoir pourquoi se maintenir, pourquoi lutter. C'était une bouteille à la mer, c'était une tentative comme une autre. Cela n'avait pas de sens, si ce n'est pour elle, et cela lui suffisait.

Enfourchant le bien nommé Casse-Crâne, la demi-grow avait galopé à toute allure jusqu'à la 'ville' de Frontière. Un truc, fait de bric et de broc, de bicoques et de baraquements divers, n'ayant d'autres raisons d'exister que l'invraisemblance d'un siège drow, qui durait déjà depuis plus d'une année. Un siège drow qui dure ? Quelle drôle d'idée ! Les faits n'en était pas moins là... Mais ce qui avait des airs de poudrière mal famée menaçait à présent d'exploser. Après tant de saisons sans bouger, les rumeurs dévalaient de toutes les gorges dans les bouzins : les guerriers eldéens déferlaient dans les pleines, matant les dernières poches de résistances... Sans pour autant s'en prendre à Thaar même. Ainsi, le fragile équilibre demeurait, mais les peau se hérissaient, les regards se faisaient anxieux... Bientôt, tout cela exploserait. Sans doute. Peut-être. La demi-sang, qui cavalait dans la poussière, ne pensait guère à demain. Il n'y avait que cette idée folle, qui l'avait tant démangé.

Voilà... Elle y était... Frontière.
Et son tournoi.

Sans être sûre de revoir son canasson en le confiant à un mioche, contre une belle pièce, la Grise rejoignit le rassemblement impromptue dans cette ruche chaotiques. Alors que le sang coulait dans la plaine, ici, les armes étaient tirées pour une histoire d'or. Dans une autre situation, étant donnée la somme monstrueuse qui serait décernée au vainqueur, la demi-drow aurait peut-être tenté quelque choes. Rien dans l'arène, sans doute. Une mauvaise surprise à quelqu'un, peut-être. Ou juste quelques magouilles. Pour l'heure, cette motivation-la était pourtant oubliée. De ses yeux noirs d'encre, la Grise balayait fébrilement les figures : des vaanis, il y en avait... Et tant d'eldéens. Elle déglutit. C'était fou... Et alors ?

Sans un mot, un air contrarié méconnaissable sur sa gueule grise, la demi-sang assista à un combat. Les lames s'entrechoquaient trop vite pour elle, les mouvements lui échappaient, le sang, le rugissement de la foule de timbrés rassemblés pour en voir quelques-uns s'écharper alors que la guerre menaçait, couvant... Qu'est-ce j'en ai à fiche ? Sans un sourire, elle vit un vaani vaincre un eldéen, et les regards rouges se faire particulièrement lourds, tandis qu'à l'inverse, le vainqueur exultait. Indifférente à cette atmosphère, agitée, la Grise disparut du public un temps, alors que les nouveaux combattants se préparaient, et que des bourses changeaient de main. Une gueularde noiraude annonça quelque chose... Avant de se faire interrompre.

"EHO. Eh, du con ! Tu m'laisses causer, deux secondes ?" clama une voix, profitant du silence.

Prestement, la Grise rappliqua avec un tonneau vide, un peu endommagé, sous le bras. Le plantant au milieu de l'arène improvisée, elle bondit dessus, ouvrant la bouche... Mais un craquement lui coupa la parole. Stupéfaite, elle manqua tomber alors que son piédestal se craquelait sous son poids, se faisant instable jusqu'à s'effondrer. D'un bon, elle évita la catastrophe mais perdit la hauteur pourtant si utile en un tel moment. Pas l'temps d'pester. Alors... La sueur lui collait la crinière et la chemise à la peau, son coeur distribuait se coups comme un tavernier ses pintes, ses doigts fourmillaient comme si lancer la moindre dague eut servi face aux innombrables regards. Allez, t'as pas fait chier l'autre connard pour rien... Les poings sur les hanches, la Grise s'éclaircit la voix.

"VIEL'USS VITHUXX XUIL USSSSTA ILHAR QOEN BLYN DRASVEN ? LOA, NAFA RIVVVVIL, A LIL' TOURNE-GAMBETTE ?"
Quo a couché avac ma mère, il y a quorante-sept ans ? Loa, ane humaine, au Tourne-Gambette ?

Le dos droit, l'air furibonde, la demi-sang parcourut les visages du regard, répétant, plus fort, plus distinctement, son eldéen dénaturé, alors que les gueules se mettaient à rire, à pester, à la huer... A en avoir rien à foutre. Une nouvelle répétition, ponctuée d'un "Personne ?" en olyian - Merde, j'lui ai pas d'mandé... ! Comment dire ?!... -, et la demi-drow se vit copieusement engueuler - Pas la gueule à envoyer des mots doux. - en eldéen par l'une des sombres, alors que d'autres s'avançaient. Prenant une grande inspiration, les tripes serrées, la Grise repartit d'où elle était revenue, aboyant un "J'me barre !" au gus qui s'avançait. Exposant ses mains vides, baissant la tête, elle quitta à grands pas l'arêne, puis ses alentours, puis...

Personne.

Étonnamment, personne n'avait volé sa monture, et Casse-Crâne se retrouva rapidement à battre la terre sèche de ses sabots, retournant à Thaar, renâclant quand sa cavalière serra trop les cuisses. Celle-ci marmonnait, les yeux plissés, grimaçante. Bordel, c'pas faute d'les avoir répété ces putains d'phrases !