J'ai une super idée vous allez voir. [Kerath, Ssol]

Fin de la seconde ennéade de Karfias, an 17, XI cycle

En l'absence de l'avatar d'Uriz, tout se passait paradoxalement plutôt bien à Sol'dorn, et Shyn'tae pensait qu'il y avait une probabilité de plus en plus forte qu'ils parviennent à remettre à Krish une situation approximativement aussi bonne que celle qu'elle avait laissé à son départ.

Compte tenu de l'ambiance générale des conseils d'état major, c'était étonnant. Ils n'étaient pas toujours faciles, et Shyn'tae avait parfois l'impression de s'accrocher comme une barnacle à son rocher.

Cette reunion là c'était pour l'instant plutôt bien passée. Les trois drows avait expedié le compte rendu des évènements de la journée -il ne s'était rien passé de notable-, ils avaient discuté des missions du lendemain et y avaient affecté les ressources - laborieux mais, il ne s'agissait que de missions de routine. D'autant plus que tout avait été préparé à l'avance-, et, fait incroyable, rien n'était venu l'agacer pour le moment. Kerath n'avait-il donc aucune proposition à critiquer? La magicienne avait trouvé cela étonnant.

La daedhelle s'étira félinement. La reunion allait toucher à sa fin. En tant que plus jeune et moins gradée, elle s'acquittait habituellement de l'ordre du jour.

- Nous avons terminé les affaires courantes. L'un d'entre vous a-t-il quelque chose à ajouter?

Kerath était resté silencieux durant cette réunion, ne parlant que si on lui posait une question, le siège commençait à doucement le gaver et plus vite ça serait terminé mieux ce serait. Pour tous. S’il fallait il ne ferait rien aux traîtres à l’intérieur de la ville une fois que Sol’Dorn sera tombée à condition que ça se finisse plus vite. Il grogna quelque chose à voix basse en regardant la carte. Ça faisait plus d’un an qu’ils étaient là. En étant immortel théoriquement le temps ne devrait pas poser problème mais le Senger était quelqu’un d’impulsif et même s’il ne pouvait pas mourir de vieillesse il était certain qu’il était possible de mourir d’ennui, ce qui arrivait lentement mais sûrement. De plus il était de l’avis que l’immortalité n’était pas une raison pour perdre son temps et les soldats qui étaient d’accord avec lui ne manquaient pas. Pour le général ce n’était qu’une question de temps avant qu’un groupe de guerriers un peu trop con pour leur propre bien fasse quelque chose de regrettable. Les bras croisés il observait la carte qui n’avait presque pas bougé depuis qu’ils étaient là, ce qui l’énervait prodigieusement, taper sur les despotes ça allait bien cinq minutes mais ça finissait par devenir lassant, il fallait un véritable défi au Second Ost pour avoir la chance de plaire à Uriz ou Zhak’Bar et ce n’était pas en restant là que ça allait arriver, il leur fallait un adversaire digne de ce nom, les elfes de préférence. Et puis tant qu’ils assiégeaient Sol’Dorn ils ne se préparaient pas pour l’étape suivante de l’Eda ; d’ailleurs le fait qu’ils n’en aient même pas parlé… la voix de Shyn’tae fit lever la tête de Kerath, le sortant de façon on ne peut plus désagréable de ses pensées comme seule sa fille savait le faire. Que Ssol’riss n’ait rien à ajouter ne l’étonnait pas. Faut tout faire soi-même… alors il se racla la gorge.

« Oui. » L’idée revint se former dans sa tête, ce n’était pas la première fois qu’il l’avait, en réalité ça faisait près de deux mois qu’il y pensait régulièrement et plus il attendait plus la tentation était forte, plus il regrettait de ne pas le faire. « Je vais inviter le con qui se fait passer pour le haut-prêtre de Meingal à arrêter ses conneries et s’il refuse il aura le droit à une ordalie pour savoir de quel côté sont les dieux. »

Une autre réunion de l’état major, un état major tronqué, et rien d’intéressant à se mettre sous la dent. De mon côté, à part quelques rapports sur quelques personnalités importantes de Sol’Dorn je n’ai pas eu grand-chose à partager. Ni en affaire courante, ni en élément extraordinaire. C’est d’une secousse de la tête que je réponds à Shyn’tae alors que je me redresse sur mon bâton. Tu me dis que c’était une perte de temps, que j’aurais dû rester dans ma tente, ou continuer de poursuivre certains de mes projets… ou plutôt, de leurs projets. Je vais même un peu plus loin en suggérant que je n’aurais pas du quitter le Puy. Tu me réponds que c’est aller un peu trop loin et mon attention se reporte sur la tente, le monde que je peux changer par mon action ou mon inaction.

Sous mon masque étoilé je hausse un sourcil en entendant les mots de Kerath, pas tellement surpris. Quoi de plus naturel que des eldéens qui essaient de faire escalader un conflit quand il stagne trop ? Il y a une pointe de frustration aussi, il est direct, trop direct, et s’il ne l’avait pas annoncé j’aurais pu jouer avec ce savoir sur lequel j’aurais forcément mis la main avant que quoique ce soit ne soit mis en place. Non, cette fois l’information est partagée par tous. Mais je peux jouer avec autre chose, quelque chose qui se retrouve rarement entre mes mains de cette façon, un pouvoir pur. Je ne me fais pas d’idées, c’est un pouvoir qui m’expose, et un affrontement direct me verrait certainement y laisser ma peau. Mais aujourd’hui à une telle suggestion je pouvais répondre oui ou non et ma parole déciderait de la position de nous tous.

Mon trop grand sourire étire mes traits. Celui qui n’est que silence, celui qui semble folie, celui qui s’étend du visage que j’affiche au monde à celui que tu m’affiches.

Le projet est si simple… mais si efficace s’il vient à être mené à bien, un affrontement théologique pour décrédibiliser la tête de Sol’Dorn. Si c’est la cohérence que je recherche, je dois répondre que ce n’est pas un plan que je juge bon, et je sais qu’il essaiera quand même. Mais je ne peux oublier les conséquences de ma lutte contre ce précédent complot, et quand je suis là, je ne sers pas que Toi, je le sers Lui, aussi. Tu protestes inutilement et je ne t’écoute déjà plus. J’imagine l’ordalie en question aller jusqu’à la mort et je me demande ce qu’on risque si Kerath perd ? Il y a des risques, forcément, mais rien de dramatique comparé aux gains. Je reste pensif un instant, attendant que quelqu’un fasse mine de répondre pour que je l’en empêche, et quand ça arrive mon sourire laisse la place à une demi-expression d’interrogation.

Je me tourne vers Shyn’tae mais m’aligne mal, comme un aveugle à moitié sourd le ferait. « Phord’ur ? Votre avis sur le sujet ? » Le choix n’est pas innocent, après tout mes choix le sont rarement, et je suis curieux de savoir ce qu’elle en pense.

Voir Kerath préoccupé était rarement une bonne nouvelle. Du point de vu forcément partial de Shyn'tae, il rodait dans la tête de l'Obok non seulement des idées, mais aussi des catastrophes à différent degrés de maturation. Elle avait hâte que le siege de Sol'dorn se termine. Et pour ce qu'elle en savait, les choses avançaient bien sur ce point.

Elle avait surtout confiance en les actions de leurs diplomates et en la stratégie du feu d'Uriz. Certes, il restait encore deux dirigeants à convaincre ou à mettre hors jeu à Sol'dorn, mais la cité arrivait peu à peu jusqu'à un point de rupture.

Ainsi donc, lorsqu'elle entendit Kerath expliquer avec finesse la stratégie qu'il comptait déployer, tout trace de sourire disparut de son visage.

Elle ne répondit rien, car le faire sans prendre le temps de la reflexion aurait été malvenu. En l'absence de Krish, c'était le Haut prêtre de Tesso qui avait la direction de l'état major. La daedhelle s'était donc tournée vers lui, le regard interrogatif.

Il avait sourit d'un grand sourire, et Shyn'tae avait fronçé les sourcils. Puis il s'était à son tour tourné vers elle, même s'il semblait toujours regarder derriere son épaule. Cette sensation était agaçante.

« Phord’ur ? Votre avis sur le sujet ? »

Était-ce un jeu? Ladite Phord'ur ne put réprimer une certaine fébrilité. Sa position vis à vis de l'Obok, déjà sujet à controverse en la présence de Krish, était fragilisée en son absence. Manière de la renforcer? C'était une bonne façon de démarrer un conflit.

Son regard alla entre les deux mâles.

- He bien… je croyais que cette option avait déjà été abordée. Je suis surprise qu'elle revienne maintenant sur la table, surtout en l'absence du feu d'Uriz. Nous arrivons à un point de rupture, nous avons suivi une stratégie jusque là, qui s'apprête à porter ses fruits. Et sur un coup de tête, on prendrait le risque de tout mettre en l'air."

Peu à peu, la demoiselle avait eu des soupçons. Mais non seulement ils étaient peut-être faux, mais les exprimer tout de suite serait malvenu. Elle tendit le poing fermé, et déplia un doigt.

- Deux options. D'abord la plaisante: Tu gagnes, la haute prêtresse de Teiweon  est déstabilisée car on lui retire une de ses cartes à l'improviste. Nul ne sait ce qu'elle fera, mais on le paiera d'une façon ou d'une autre. Elle se souviendra de ce coup tordu. Nombreux ceux à Sol'dorn qui le verront comme une annonce de ce qu'il se produira lorsqu'on prendra la ville. Doutes, risques, incertitude."

Elle déplia un second doigt.

- Ensuite la déplaisante. Tu perds. Il te tue. Nous perdons un Obok respecté par ses hommes pour… rien? Ah si. Les Sol'dorniens en déduisent que Meinghal est de leur coté, cela affecte également le moral de nos hommes."

La drow le regardait dans les yeux.

- Je ne dis pas que ce n'est pas une option, parce que tu pourrais gagner. Mais ce n'est pas une stratégie. Et surtout, Démontre-moi que en quoi ca n'affaiblit pas notre stratégie actuelle."

Il ne s’était pas attendu à ce que Ssol’riss réponde directement, s’aurait été contre le sens même de sa prêtrise mais Kerath s’était tout de même attendu à ce qu’il dise quelque chose, après tout c’était le seul haut-prêtre dans les parages. Enfin c’était le seul vrai haut-prêtre dans les parages. En réalité il se moquait particulièrement de l’avis de Shyn’tae et il n’avait ni l’envie ni la responsabilité de s’expliquer devant elle mais il devait le faire devant le haut-prêtre alors il se retourna vers ce dernier, se demandant pourquoi est-ce qu’il faisait ça. Les questions qu’elle posait étaient légitimes et même si il n’avait aucune raison de lui répondre il savait que quelqu’un de plus gradé les lui poserait, que ce soit Ssol’riss lui-même ou Krish à son retour alors autant commencer maintenant et il allait le faire lorsqu’il entendit un couinement étouffé provenant de l’extérieur.

Le problème lorsque l’on a un animal aussi collant qu’un bagron c’est qu’il ne peut pas vous laisser un moment sous peine de déprimer or ce n’était pas ce que voulait Kerath mais les conseils d’Etat-Major étaient toutefois trop important pour être interrompu par un couinement qui se voulait être un rugissement. Cependant Tiu'kor n’était pas le genre à se mettre dans un coin et être triste en attendant le retour de son maître, après tout si ce dernier l’avait appelé ainsi il y avait bien une raison. Kerath sortit donc pour éviter que le bagron ne crache sur la tente pour creuser un trou dans le tissu. Normalement il trouverait un prêtre de Zhak’Bar pour s’en occuper mais malheureusement pour lui il avait du mal à refuser quoi que ce soit à sa nouvelle créature et puis elle ne faisait pas tant de bruit que ça… bon si jamais Tiu’kor dérangeait la réunion il le sortirait. Du moins il espérait. Pour la défense de Kerath il suffisait de regarder les yeux de son nouveau compagnon pour être attendri. L’animal flottait au niveau de son épaule et une fois dans la tente cracha quelques flammes pour monter et flotter un peu plus haut, tournant doucement autour de son maître. Désormais libre de cette petite distraction le Senger se tourna vers sa fille.

« Tu penses vraiment que les dieux sont du côté d’une bande de traîtres ? » Il doutait très fortement qu’Uriz laisse une autre divinité accorder sa bénédiction aux adversaires de ses enfants restés loyaux.

Kerath regardait le haut prêtre. Probablement l'entendait-il, peut-être parce qu'il n'avait guère le choix, mais il n'avait pas pour autant tourné les yeux vers elle.

Il y avait de bonnes chances qu'il réponde néanmoins, parce que l'envoyé du mensonge avait demandé son opinion à elle. Ce n'était qu'une question de temps. Il ouvrit la bouche, puis fut interrompu par un couinement que la daedhelle reconnut sans peine. Ses oreilles se dressèrent. La creature qu'elle avait offert à son père se trouvait non loin, il était impossible de s'y tromper. Et d'ailleurs Kerath se retourna et sortit sans un mot, laissant les deux autres seuls.

Shyn'tae jeta un oeil en direction du haut prêtre et haussa une épaule. Il allait revenir. Elle en était certaine. Et en effet l'Obok fut rapidement de retour, accompagné de la créature. La jeune magicienne n'aurait pas cru qu'il puisse l'apprécier autant. Ca fait quoi d'être moins attachante qu'un bagron pour son propre père? Rien, car être jalouse d'une telle créature serait bien trop honteux pour qu'elle ne l'avoue, même à elle-même.

- Il n'a jamais été question de justice dans la manière dont Uriz traite ses enfants. " Elle regardait son père attentivement, comme si elle le mettait au défi de la contredire.  La drow arborait un léger sourire. Le bagron dut reconnaitre sa voix, car il orienta ses yeux adorables vers elles, puis cracha quelques flammes en émettant ce qu'elle supposa être l'équivalent d'un feulement. Comment faisait-elle pour être aussi adorable?

Elle ignora la créature et poursuivit.

- Non... vous souhaitez demander au haut prêtre de se soumettre. Il ira jusqu'au bout, acceptera l'ordalie et combattra en portant haut et fier la flamme de sa colère."

Elle s'arrêta un instant, puis se déhancha, souple comme un chat. "je n'oserais préjuger qui aura SA faveur à ta place. S'il était suffisant d'être convaincu de l'avoir de son coté..." Elle ne finit pas sa phrase. En effet, qui aurait parié qu'elle serait encore en vie aujourd'hui ?

- Que tu gagnes ou que tu perdes, au fond ce n'est pas le plus important. On les qualifie de traîtres parce qu'ils sont une épine dans notre pied, mais le conseil théocratique n'en est pas moins convaincu d'être croyant. Tu les menaces, tu les provoques, ils feront en sorte de se montrer digne d'Uriz. Ils ne se soumettront pas. Le risque est qu'ils relèvent le défi. Et après?"

En effet, et après? Ce serait une si bonne surprise pour le feu d'Uriz à son retour. Elle n'aurait d'autre choix que de répondre aux défis par le défi. Uriz regardait.

Tout sourire disparut de son visage.

"ne fais pas ça. S'il te plait." La réalité était qu'à moins de le provoquer justement en ordalie, personne ne pourrait vraiment l'en empêcher. Peut-être que tout se passerait bien. Non, aucune chance, répondit sa conscience, implacable.

Il leva les yeux vers Tiu’kor lorsqu’il cracha ses flammes, étant proche du plafond de la tente il préférait faire attention à ce qu’elle ne prenne pas feu. Ce qui l’empêcha de répondre tout de suite et ça valait mieux pour Shyn’tae. Un sourire carnassier passa sur les lèvres de Kerath, oui il se doutait bien que Kyorlin n’allait pas accepter de se taire et qu’il allait prendre l’ordalie, dans le cas contraire le général serait très déçu. Cela dit son sourire ne resta pas bien longtemps sur son visage, encore une fois alors que sa fille ouvrait la bouche il ne savait pas s’il devait en rire ou en pleurer. Sans doute les deux. Encore une fois ce n’était pas décevant, c’était pathétique. C’était triste de voir que malgré ses deux siècles révolus, bientôt trois d’ailleurs, sa fille pensait encore comme une enfant. Et après elle se demandait pourquoi Kerath la traitait comme telle.

« Je savais que tu n’étais pas bien intellignete, ce n’est pas nécessaire de me le montrer à nouveau. Au contraire Uriz est juste. » Une justice implacable pour un peuple qui ne mérite pas mieux. Mais ça il ne pouvait pas le dire et ne comptait pas le dire de toute façon. « Le fort prend ce qu’il veut et le faible souffre ce qu’il doit. Mais de toute façon il n’est pas question du Père mais du Juste. L’imposteur va relever le défi, j’y compte bien, et Meingal rendra son verdict impartial. » Le bagron se mit à lentement descendre en tournant dans la tente, comme s’il planait, pour arriver aux côtés de son nouveau maître où il se mit à flotter en lançant un regard agacé sur tout et n’importe quoi mais, à l’instar de Kerath, surtout sur Shyn’tae. « Tu es déjà vu comme une insulte du C’nros alors je te déconseille vivement de raconter d’autres conneries du style. Tu n’y survivrai pas. »

Il n’était pas difficile d’entendre la colère dans sa voix. Il avait très envie de lui en mettre une mais se retint, une façon comme une autre de la remercier de lui avoir offert Tiu’kor. Parfois il avait du mal à croire que dans la mage de l’autre côté de la table était sa fille. Finalement c’était bien vrai que tout ne passe pas par le sang.

« Mais comme tu es un peu lente: le conseil est une épine parce que ce sont des traîtres. Pas l’inverse. » Il regarda un instant Shyn’tae avant de pousser un long soupir. « Je ne comprendrais jamais pourquoi L’Renor a fait ça… » c’était d’autant plus incompréhensible qu’elle n’avait aucune raison de se foutre de la gueule des osts. Il faudrait qu’il lui demande mais si elle s’attendait à autre chose qu’un accueil glacial elle risquait d’être profondément déçue. « Peu importe. Le conseil dans son entièreté ne mérite plus de vivre et ils iront tous dans leur cellule attitrée, même si je dois m’en occuper personnellement, l’exécution de la sentence est due depuis bien trop longtemps et je ne veux pas faire attendre Kiel davantage. Et encore moins Teiweon. »

Comme si j’arrête de fonctionner au moment où Shyn’tae commence à me répondre je m’immobilise, gardant l’orientation initiale du masque, avec ce regard qui semble toujours perdu derrière elle, même si les deux étoiles mauves sont tournées dans sa direction. Je la regarde elle car je me suis déjà fait un avis sur Kerath et n’est pas le moins du monde surpris par sa position qui est tellement en accord avec ce qu’il est que je pourrais deviner son expression du moment presque sans aucun doute. Il y a bien une inconnue mais je n’ai pas vraiment envie d’étudier toute l’étendue de l’affection qu’il porte à cette créature volante ballonnée. Shyn’tae, elle, se trouve dans une position assez complexe par ma faute et c’est elle qui montre le plus de complexité à cet instant là. La discussion ne va nulle part – et tu me demandes si je m’attendais à autre chose – mais elle maintient sa position et essaie de s’ériger en défenseur du plan face à un eldéen trop chaotique pour elle.

Elle a si peur des risques, elle a si peur de décevoir, elle a si peur qu’elle serait prête à argumenter jusqu’au bout du temps. Sur les dieux et leurs intentions, sur toutes les options qu’elle a imaginées et leurs conséquences, sur les véritables raisons de notre conflit avec le conseil de Sol’Dorn, sur ce point de rupture… Un point de rupture pas si important d’ailleurs alors que d’un geste nous pourrons toujours écraser cette cité. Tu prononces un unique nom, Kerhel, et je me trouve à acquiescer malgré moi. Et cette visite, celle que j’avais terminée en tant que passager de ce corps, celle où il m’avait combattu, où tu m’avais combattu. Ce n’est pas assez pour externaliser cette crainte mais tout s’imbrique d’une façon qui me force à le prendre en compte. Tu me communiques aussi une peur pour Shyn’tae, une peur que je ne comprends pas mais qui doit provenir d’un de mes nombreux moi.

Et puis, je ne peux oublier ce qu’il s’est passé la dernière fois que j’ai luté contre ceux qui voulaient l’affrontement à tout prix, je ne peux oublier cette nuit. Tu me dis que le Père des Batailles nous enverra des défis de plus en plus grands tant qu’il ne sera pas rassasié, et tu me dis aussi que quelqu’un en moi ne veut pas voir Krish Al’Serat détruite par son illustre hôte. Je sais de qui tu parles, et ce deuxième message est teinté d’hérésie. Je suis tenté de tout arrêter et donner raison à Shyn’tae pour cette raison là, pour contrarier celui qui ne veut pas me laisser rester maître de moi-même. Mais ce serait me mettre avant Toi, me mettre avant le Puy, me mettre avant l’Eda Vengeur, et finalement faire exactement ce que je lui reproche de faire. Cette incohérence ne devrait pas contrarier le plus grand serviteur du Menteur.

Et pourtant.

Je reprends vie et tourne la tête vers Kerath alors que ses mots me confirme que les deux n’iront pas plus loin et que si je n’empêche pas Shyn’tae de lui répondre comme elle semble si ardemment le vouloir je serais celui qui devra apporter l’exécution de la menace d’ordalie de Krish Al’Serat. Je remonte la main le long de mon bâton avant de le laisser reposer sur ma paume que je présente à mes interlocuteurs pour les arrêter. Après un tintement caractéristique que je suis le seul à pouvoir entendre tu me donnes ton avis. Je secoue la tête avant de poser un regard sur Shyn’tae. Je romps mon silence d’une voix qui n’a pas vraiment pour vocation d’être contestée. « Phord’Ur. Je comprends vos craintes, peut-être même que j’en partage certaines, et il se pourrait que Meingal vienne à préférer cet… usurpateur… à un de nos Obok Senger, et cela ne faciliterait pas nos vies… Mais s’il ne nous faut qu’un Obok Senger pour vaincre le plus haut représentant de leur fausse foi… » Je laisse la moitié de la phrase en suspens dans l’air et passe à Kerath. « Obok Senger. Peut-être seriez vous satisfait par un message plus discret, plus… personnel… vers l’usurpateur de Meingal ? » J’ai sans aucun doute le pouvoir de faire apparaître un tel message directement entre les mains ou dans les oreilles de l’intéressé, et si le résultat serait le même, il y aurait encore maigre marge de manœuvre en fonction du résultat.

Il y a d’autre motivations derrière ce choix, des motivations moins avouables.

Silhouette tendue, penchée vers l'avant, les oreilles abaissées, regard de braise, mâchoire serrée. C'était là une veritable drow. La colère suintait doucement de son attitude. Qu'il l'insulte était une chose. Mais comment osait-il encore une fois en ce lieu. Quel mépris fallait-il avoir pour les autres participants à ces réunions pour y étaler leurs disputes? Quel arrogance pour vouloir ainsi les prendre à témoin?

Il était évident qu'elle allait répondre, en tout cas, le haut prête de Tesso dut s'en rendre compte, car il enchaina avant qu'elle ne commence. Son oreille se tendit, à l'écoute, et elle tourna le regard vers lui. ses craintes? Une grimace apparut sur son visage. C'était donc ca ce qu'ils pensaient d'elle? Qu'elle avait peur? Qu'il suffisait de lui donner quelques mots comme friandise pour l'apaiser tel une enfant? Que ce n'était qu'une question d'égo? "Vaincre le plus haut représentant de leur fausse foi." Là était la médaille de pacotille. Celui qui se souciait de la gloire de vaincre un drow alors qu'on était à Sol'dorn depuis un an maintenant pour faire grandir la vague qui déferlerait sur le domaine de Kehrel. Elle se fichait bien qu'il puisse perdre lorsque gagner n'accomplirait rien de bon.

Tuer le haut prêtre n'était qu'une manifestation d'orgueil de son père. Il n'y avait là nulle stratégie, si ce n'est l'ennui et le désir d'être important. Nous ne sommes que des poussières devant un projet plus grand. Mais Ssol était un grand prêtre.

Kerath haussa les épaules et hocha la tête. Evidemment qu'il était d'accord.

- C'est bien. Comme ca, plutôt que de fouler au pied officiellement le travail de nos diplomates en leur imposant un coup de force sans leur demander leur avis, nous avons la "décence" de le faire dans leur dos."

Le sarcasme était perceptible dans le ton qu'elle employait. Elle ne s'était pas calmée. Au contraire. Ses yeux brulaient d'une colère sans égale lorsqu'elle se tourna vers son père, froide, le regard brillant.

- Et toi. Comment peux tu balancer ca quand le feu d'Uriz est absente. Est-ce de la perfidie, de la lâcheté ou seulement un caprice? Une idée impulsive. Un coup de tête, parce que tu en as marre. Tu peux m'insulter tant que tu le désires. Mais cette fois, tu es allé trop loin. Laisse la Ditrown da're en dehors de ca. Laisse mes hommes en dehors de ca.

- Réglons ca au combat. C'est ce que tu cherches depuis le début, à te ridiculiser, à nous ridiculiser en permanence devant le feu d'Uriz et le haut prêtre de Tesso. Si je gagne et que les dieux décident de te laisser la vie, tu renonces à cette connerie et tu n'insulteras plus MES hommes. Si tu gagnes, et que je m'en sors vivante, je ferai pour une fois ce que tu désires."

Encore une fois il ne savait pas trop comment réagir : rire ou pleurer ? L’un était tentant mais l’autre était plus proche de son état d’esprit actuel. Cependant il se serait posé la question s’il était calme, s’il était resté soucieux comme il l’avait été durant toute la réunion. Malheureusement sa très chère fille avait déjà commencé à dire n’importe quoi et il avait répondu alors il ne pouvait pas faire marche arrière. Toutefois la crise de Shyn’tae permit à son mépris d’éclipser sa colère et un grand sourire apparut sur son visage dévoilant ses canines lui donnant un air malsain comme à chaque fois qu’il n’avait pas un sourire carnassier aux lèvres.

« Si j’étais toi je fermerai très vite ma grande gueule. J’en ai discuté avec Krish avant qu’elle ne disparaisse et elle a dit, je cite : une ordalie serait une excellente idée… si nous la gagnons. » Il aurait pu tronquer la citation mais il n’était pas du genre à prendre que ce qui l’arrangeait sinon il se serait déjà débarrassé d’une partie du Second Ost lorsqu’il en avait pris le commandement. « Et ce ne sont pas tes hommes. D’ailleurs je ne sais pas lequel de vous deux mérite le plus d’être puni : L’Renor pour t’avoir nommé Phord’ur ou toi pour avoir accepté alors que vous savez toutes les deux que tu ne le mérites pas. »

Son sourire se fit complétement carnassier alors qu’il la regarda avant de sortir de la tente, au fond de ses yeux d’un rouge de sang coagulé cerclé de jaune se trouvait une petite lueur, il était content qu’elle l’invite à se battre. Pas parce qu’il le voulait particulièrement comme elle le pensait mais parce qu’il voyait enfin son propre sang. Il écarta donc le battant et le maintint ouvert, Tiu’kor en profita pour sortir en poussant le couinement caractéristique de sa race.

« Après toi. »

Shyn'tae l'observa un instant, interdite. Continuait-il à se moquer d'elle ? Le monde était décidemment empli de funestes incompréhensions. Elle soupira, parce qu'au fond, le malentendu était symptomatique de quelque chose de plus profond: Kerath ne comprenait rien à ce qu'elle était vraiment.

- Tu m'as mal comprise. Nous n'allons pas nous chamailler devant une tente. L'avatar d'Uriz l'avait annoncé. Demain, à l'aube, dans la fosse et devant Uriz.

Je suis surpris que Kerath n’essaie pas d’imposer son idée première plus directe alors qu’il accepte d’un hochement de tête. De l’autre côté je vois Shyn’tae se tendre, se mettre en colère, comme si elle tente de te prouver que ce nom que tu as prononcé n’est pas le bon, qu’il y a plus d’Uriz en elle que de Kerhel. Tu ne commentes pas cette observation mais forcément tu réagis au reste, commentant à la place mon dosage parfait avec le même sarcasme dont Shyn’tae fait preuve un instant plus tard. Un Obok Senger satisfait et une Phord’Ur furibonde, voilà ce que je réussis à obtenir alors que le peu de frustration que je n’avais pas réussi à insuffler chez le père s’était retrouvé chez la fille. Mais en dehors de cette pique qui m’est destinée et qui ne m’atteint pas – après tout, il n’y a probablement pas plus proche de nos diplomates que je ne le suis – elle déverse entièrement sa colère sur Kerath avant qu’il révèle au milieu d’autres insultes quelque chose qui ne m’étonne pas et qui rassure quelqu’un en moi. Il tente un assaut conséquent mais je le contiens avec ton aide, il est prêt à prendre Kerath au mot et à lui donner ce qu’il demande…

Mais je ne peux plus me contenter de simplement décider, pas avec l’invocation de l’ordalie que Krish Al’Serat avait agitée comme une menace, une ordalie que j’ai considéré comme un dernier recours, une ordalie que sans surprise l’Obok Senger accepte en un instant, prêt à en découdre. Il faut que je compose avec, il faut que je m’en serve. Mais c’est aussi une ordalie qui n’est d’un coup plus au goût de Shyn’tae alors qu’elle la repousse au lendemain quand elle comprend que son père pourrait même accepter une ordalie dans la tente s’il l’avait fallu. Kerath semble trouver le moment importun pour lancer une énième pique. « C'est bien ce que je pensais. Et demain tu trouvera une autre excuse. Aller dégage et laisse les grands travailler. » Je n’aurais pas eu à feindre la consternation si j’avais voulu la montrer mais leur va et vient constant est déjà devenu une norme et je me suis déjà refusé à laisser Vaerian se débattre avec eux.

Cette fois je tourne la tête vers Shyn’tae sans regarder autour d’elle, plongeant les deux étoiles mauves dans son regard, me redressant avec mon bâton, et je déclare d’une voix claire avec un soupçon d’étonnement sur la fin. « Dans la Fosse, sous l’œil de Meingal, c’étaient bien ses mots… mais pourquoi attendre l’aube ? » Je me tourne vers un eldéen presque derrière moi. « Faites chercher un serviteur de Meingal et envoyez le se préparer. » Et si ce n’est pas l’arrogance prévue de Kerath qui me force à durcir les termes comme je le voulais initialement c’est mon envie de m’impliquer si légèrement dans les événements autour de moi qui s’en charge. « Si vous me le permettez… » Bien sûr qu’ils me le permettent. « Si cette ordalie voit le jour… » Je fais une moue de léger dédain. « Pas la vôtre, l’autre… » Je souris. « Ce sera bien une exigence formelle du Puy, pas de Kerath seul. »

En entendant la dernière réplique de Kerath, on eut dit que la petite sombre s'était finalement calmée, aussi soudainement qu'inexplicablement. Elle toisa le grand drow un instant, sans expression, puis se tourna vers le haut prêtre pour l'écouter à son tour. Les deux étoiles mauves ne quittaient pas le carmin de son regard. Une légère moue apparut sur ses lèvre à mesure qu'il continuait, jusqu'à ce qu'elle hoche la tête à la fin de l'exposé.

- Je comprends haut prêtre. Je n'avais pas anticipé que l'Obok interpréterait les choses ainsi." Elle aurait du. La seule chose qui lui épargnerait les reproches de Kerath serait probablement de rester muette. " Je croyais opportun de laisser à chacun le temps de se préparer. " Il y avait tant de choses à faire. Se recueillir déjà. Boucler ses affaires en suspens. Ca l'ennuyait profondément de laisser d'autres drows dans l'embarras au cas où un incident particulièrement fâcheux se produisait. Tant pis, parfois on ne pouvait avoir ce qu'on voulait.

- Au fond, je reconnais que cela n'a guère d'importance, un peu de temps pour se recueillir devrait être suffisant, haut prêtre." La drow avait parlé salué respectueusement son supérieur.  "J'ai bien pris note de votre decision." Elle hésita à ajouter quelques mots mais finalement s'abstint. Au fond, leur dire ce qu'elle pensait était inutile. Elle avait déjà suffisamment fait dégrader la situation, même si, pour être totalement franche, elle découvrait qu'elle s'en fichait comme de sa dernière chemise.

Il ne restait plus qu'à attendre le grand prêtre de Meingal.

***

A peine plus d'une heure s'était écoulée depuis que le père et la fille avaient quitté sans fracas la tente de l'état major. Aucun mot n'avait été échangé avant que le grand prêtre n'arrive. En soit c'était une bonne chose, car le contraire aurait été d'autant plus humiliant pour leurs charges à tous. Shyn'tae voulait mieux que ca. Le méritaient-ils? C'était une autre question, à laquelle les dieux seuls  pourraient répondre.

Le prêtre de Meingal avait acté le différent. Il avait eu la confirmation de Shyn'tae qu'elle ne souhaitait pas que l'ordalie se conclue par la mort d'un des participants, car manifestement aucun des deux protagonistes ne le souhaitait. Pour sa part, la Phord'ur avait le regret de devoir admettre que son père était utile à l'effort de guerre du Puy, malgré tous ses défauts. Difficile de dire si le bagron avait approuvé.

Puis ils s'étaient séparés. La Phord'ur, ayant quelques affaires qu'elle souhaitait régler auparavant, et ne désirant pas faire l'affront à son père d'y aller , s'était rendue aux tentes de l'état major est en était revenue une vingtaine de minutes plus tard, avant de se recueillir devant les dieux, seule. Elle savait exactement ce qu'elle voulait faire, et ces derniers apprécieraient. Il y avait néanmoins aussi en elle un sentiment de malaise. Elle n'avait pas terminé l'épée de l'Obok. On l'avait forcée à choisir.

Finalement, à l'heure dite, les prêtres de Meingal étaient venu les trouver pour les conduire dans la fosse.  A la ceinture de l'armure légère de Shyn'tae pendaient Eveil et un long couteau. Kerath connaissait bien l'arène, elle beaucoup moins, car elle n'avait jamais eu l'occasion d'y pénétrer autrement qu'en spectatrice. Elle était heureuse que cela change aujourd'hui. Ce serait un beau combat.

Elle avait son père à une dizaine de mètres d'elle, face à elle, dans une arène. C'était quelque chose dont elle rêvait presque depuis des mois, des années même. Une occasion comme celle là ne se reproduirait peut-être jamais. C'était un formidable combattant. Il méritait le meilleur qu'elle puisse lui donner.  

Ce n'était pas la premiere Ordalie du vétéran. Il avait la légende de toutes les avoir gagnées. La demoiselle sourit en l'admirant, le regard pétillant. Imaginer gagner contre lui… Cela aurait été de l'arrogance. Gagner était important: La voix du haut prêtre de Tesso raisonna dans son esprit. Avait-il dit cela pour l'encourager à donner le meilleur d'elle-même? Ca aurait été mal la connaitre, car à l'instant, l'enjeu n'avait guère d'importance.

Tenter l'impossible, vouloir vaincre, faire mieux, toujours mieux, sans relâche. Le cœur battant fort dans la poitrine, elle vivait. Au dessus, les quelques mages de repos avaient fait le déplacement. D'autres spectateurs s'intéressaient à se combat inhabituel. Ils n'existaient pas. Seul son adversaire… qu'elle voulait voir donner le meilleur de lui-même.

Elle dégaina Eveil, vive, gracieuse et légère dans ses appuis.

Tiu’kor redescendit au niveau de l’épaule de son maître et lança, pour la première fois, un regard approbateur au drow masqué, suivit de peu par Kerath. Ce dernier était curieux de voir si sa fille allait, ou non, faire une autre tentative pathétique pour repousser le combat et il ne savait pas ce qu’il aurait préféré. Qu’elle tente de se défiler une fois de plus l’aurait amusé autant que déçu mais qu’elle se résigne à se battre le rassurait un peu. Alors après un hochement de tête pour saluer l’assemblée Kerath fit un tour à l’intendance pour récupérer une armure, du moins d’en demander une pour la faire ajuster à sa taille et une épée bâtarde. Il serait bien rentré au camp nord pour s’équiper dans son armurerie personnelle mais il n’avait qu’une heure ce qui était trop peu pour faire l’aller-retour sans compter le temps de s’équiper. Ainsi il profita de ce temps pour aller prier. Meingal tout d’abord car c’était avant tout sous ses yeux qu’il allait se battre, du moins l’espérait-il et c’était justement pour ça qu’il priait le dieu : pour que celui-ci daigne regarder le combat qui allait se dérouler en son nom. Ensuite ce fut à Zhak’Bar que le général adressa ses prières et l’ironie de sa demande le fit presque sourire : demander au Maître des Cataclysmes de lui accorder la force de se contrôler était peut-être stupide mais Kerath n’avait pas envie de tuer qui que ce soit, parfois il avait du mal à garder le contrôle au combat et il ne voulait pas prendre de risque ce soir. Le troisième, et dernier, dieu prié fut Uriz, non pas qu’il s’attendait à ce que le Père regarde le combat, après tout il y avait peu de chance qu’il en vaille la peine, il le faisait plus par principe, c’était presque devenu une habitude.

Pendant la vingtaine de minutes il retourna à l’intendance pour récupérer son armure en cuir cloutée qu’on avait ajusté rapidement à sa taille, l’épée avait été bien plus facile à trouer et à préparer vu qu’elle n’avait nécessité qu’un rapide affutage. Après avoir mit sa nouvelle armure il fit quelques moulinets avec sa nouvelle arme. Elle était plus légère que celles dont il avait l’habitude et il s’échauffa avec pour tenter de s’y habituer un peu. Il n’y avait plus qu’à espérer que sa mémoire musculaire ne le trahisse pas au moment fatidique.

Un prêtre vint le chercher pour lui dire que l’ordalie allait commencer sous peu et Kerath hocha la tête avant de suivre ledit prêtre jusqu’à l’arène consacrée. Il posa la pointe de la lame contre le sol et sa main droite sur le pommeau pour la stabiliser en entendant le grand-prêtre énoncer les règles. Son visage avait sa neutralité habituelle, sa respiration était courte mais contrôlée, son corps était tendu, prêt à agir lorsque le signal serait donné, son cœur déjà réveillé par les échauffements pompait de plus en plus vite au fur et à mesure que ce fameux signal approchait. Dans le regard du général toute trace de déception ou de mépris s’était envolé, il détaillait sa fille à la recherche d’une faiblesse comme un prédateur ; un kerkand venant de trouver quelque chose à se mettre sous la dent, bien qu’il n’ait pas la fourrure. Sentant que le prêtre allait bientôt arriver à la fin de son monologue, il déplia le qui tenait son casque sous son bras et sa main en attrapa l’arrière. Lorsque le prêtre eut terminé, il fit une pause afin de s’assurer que les combattants étaient prêts avant de déclarer le commencement de l’ordalie.

Kerath lança son casque en visant la tête de Shyn’tae. Il n’attendit pas de voir si son coup avait touché ou non, il avait presque commencé à courir en finissant son lancer de toute façon. Comme il s’y était attendu elle avait esquivé, l’inverse l’aurait profondément déçu en plus de mettre une fin abrupte au combat. Cela dit son lancer n’avait pas simplement pour objectif de l’empêcher d’utiliser sa magie mais aussi de rendre sa prochaine esquive prévisible. Il n’avait pas franchi l’entièreté de la dizaine de mètres qui les séparaient mais il ne fit pas un pas de plus pour ne pas laisser le temps à Shyn’tae de se remettre en position à la fin de son esquive. L’attaque de Kerath fut donc rapide, sacrifiant sa précision.

Debout sur le sable maculé par endroit , fermement campée sur ses deux jambes graciles, Shyn'tae écoute le prêtre. Son regard est pourtant posé sur son père. L'épée dégainée à sa main reflète les couleurs de l'arènes. Le beige du sable, le bleu du ciel, le gris des murs. Elle scrute Kerath, concentrée, impassible. Que doivent-ils penser de te croire capable de vaincre l'Obok sur son terrain? Orgueilleuse? Aveuglée?

Lui est tout aussi concentré, une lourde épée batarde à la main, son casque dans l'autre.

Ceux qui pensent cela n'a rien compris. Comment pourrait-elle ignorer qu'elle n'a aucune chance? Les dieux sont toujours du coté du plus fort. Et le plus fort peut se croire tout permis. Son cœur bat fort, la rage coule dans ces veines. Il faut qu'elle se calme, car sinon elle n'a réellement aucune chance. De quoi la croit-il capable? Elle a longuement prié Uriz qu'il ne l'humilie pas plus encore en ne la prenant pas au sérieux.

Le prêtre parle de sa voix calme et apaisée. Il a clairement l'habitude, et elle se demande s'il est parfois désespéré par ses compatriotes. Probablement. Curieusement elle a hâte qu'il finisse, et que le combat commence enfin.

Le prêtre a terminé. L'adrénaline fait battre son cœur si vite. Il recule. La fille et le père s'observent un long instant, puis l'officiant donne le signal.

Aussitôt, d'un geste vif et ample, le drow lance son casque sur son adversaire du jour, puis s'élance vers elle sans attendre. Cette dernière esquive prestement d'un saut le couvre chef qui aurait du frapper sa tête. Il passe au dessus de son épaule et s'écrase contre le mur de la fosse. Ce n'est pas la première fois qu'on s'assure qu'elle n'incante pas de cette manière, elle en a l'habitude.

Mais ce n'est que le début. Elle s'apprête à le recevoir, tendue. Car Kerath, malgré sa taille, malgré son poids, est déjà là, lancé à pleine vitesse. En un instant, son épée siffle dans l'air. Elle se croit rapide? La lame massive coupe pourtant quelques cheveux de neige. Les dents serrés, elle a sauté de coté, ses pieds nus accrochent le sable, et elle s'élance en avant, décidée à percer son épaule au travers des articulations de son armure de cuir clouté.

Elle franchit la garde de l'épée batarde, Eveil fend l'air à son tour. Elle peut... Une intuition, fruit de toutes les raclées que les vétérans lui ont infligé ses trois dernières années lui vient soudain. Il a lâché son épée. La daedhelle se jette en avant vers le sol.

Le coude du guerrier passe sans la toucher, aussi puissant qu'une massue, et bien trop prêt de sa tête à son goût. Son cœur bat la chamade, l'excitation coule dans ses veines. Telle une chatte, elle le dépasse, passe dans son dos et continue pour se mettre hors de portée de ses battoirs. Deux fois qu'elle lui échappe de justesse. Pas sûr qu'il y ait de troisième. Arrivera-t-elle même à l'effleurer? Quelle importance, elle vit! Une sensation nouvelle de malaise nait néanmoins au creux de son ventre. Est-ce ca la peur d'échouer? Pourtant, rien n'est joué...

Le vétéran s'arrête, se retourne et s'élance vers elle, ralentit par son inertie. L'aspirante lance une jambe en avant, et s'appuie sur le sol poussiéreux pour repartir à l'assaut, en une danse guerrière, la rage au ventre, Eveil brillant de mille feux sous la lumière du soleil, ils soulèvent le sable l'un et l'autre à chaque enjambée. Un pas de coté, ample, pour l'éviter au dernier de coté, et, en sueur elle tente une nouvelle taillade. Le bras du drow surgit, prêt à saisir son poignet. Il suffit qu'elle le laisse faire pour qu'il la touche. Peut-être le tranchant d'Eveil pourrait-il même le blesser. Il suffit qu'elle accepte qu'il saisisse son bras. Le seul. Il suffit qu'elle accepte de perdre, et elle peut le toucher…. L'effleurer. Ainsi l'honneur serait sauf? Ses yeux rubis s'ouvrent grand. Elle ne peut pas.

Son corps agile se tord… Eveil effleure l'armure cloutée, le champ du metal glissant sur le metal retentit au travers de l'arène, la poigne de l'Obok saisit le vide. Mais cette fois, elle est trop prêt. Alors que la lame mieux aiguisée qu'un rasoir sépare le cuir de l'armure, Son épaule percute le battoir de plein fouet. L'armure absorbe la plus grande partie du choc.

Il est à peine ralentit dans sa course.

Elle est déséquilibrée, son dos cambrée, entrainé par son poids. Elle pourrait peut-être se rétablir en forçant… peut-être? Son corps tournoie autour de l'obstacle aussi solide qu'un roc, la danseuse pose la pointe d'un pied par terre... Il va faire demi tour, il va profiter de la situation. Elle se jette au sol le plus loin possible de lui, soulevant un nuage de poussière, et parvient à se rétablir sur ses deux jambes pliées, les deux mains au sol, sa gauche tremblante. la droite tenant toujours l'épée, elle évoque dans sa posture un félin en colère.

Ses yeux sont sur son père qui revient au pas de course pour achever l'ordalie. Ca a l'air si simple pour lui. Il provoque, il méprise, il humilie. Lui. Lui, toujours lui qui croit qu'il peut faire ce qu'il désire. Elle se dégoute. Qu'il assume, pour une fois. Tant de colère accumulée. Elle a si mal.

Les félins en colère sont dangereux. La noirelfe s'élance brusquement vers lui, l'épée en avant, comme enragée. seulement l'handicaper, même si tu n'as aucune chance d'y arriver, chuchote la voix de la raison à son oreille. Miraculeusement, elle vise bas.

Et brusquement, il bondit. Le cœur de l'aspirante fait un bond. Eveil se relève, par reflexe protecteur. L'ombre de Kerath est sur elle, Eveil glisse sur le ventre du guerrier. Le temps s'arrête. La pointe accroche un clou. Kerath retombe. La pointe perce le cuir, le poids du massif Eldéen repose un instant sur le bras de sa fille. Le coude céde le premier.

Elle tombe en arrière, Eveil coupe la peau sans peine, et s'enfonce dans son ventre sur toute sa longueur, fouillant dans les chairs comme dans les organes.

Elle est projetée au sol par son poids. Un craquement retentit, son souffle coupé. Son bras, son torse ne sont plus que douleur. La combattante lâche l'épée, ses doigts ne répondent plus… Ce n'était pas ce qu'elle voulait, sa rage s'évanouit.

Ses yeux à lui, se sont posés dans les siens. Enragés. Fous. Il se saisit de sa gorge avant qu'elle n'ait pu faire quoique ce soit, et serre, serre fort. La drow se débat, immobilisée sous le poids du mâle, qui appuie. Lorsqu'elle tente de parler, seul un gargouillis lui échappe, elle se débat plus fort, désespérée, en sueur, en panique, rien d'autre ne compte que ce regard sauvage qui se grave dans sa mémoire.

Elle ne s'était jamais rendu compte à quel point elle ne veut pas mourir. C'est un peu tardif, pensa-t-elle avec cynisme. Des gouttes d’un sang foncé se forment aux commissures des lèvres du père pour finalement tomber sur le visage de la fille. Alors qu’il continuait de serrer, il commença à lentement faire tourner son poignet avec une force irrésistible pour lui briser la nuque.

Une ordalie... Voilà qui agrémentait agréablement le quotidien, au goût de Raedryss Vile'yrn. Grande Prêtresse de Zhak'Bar, la sombre aux mires atypiques comblait ses journées avec moult tâches administratives relatives à l'entretien des bêtes du 2e Ost, de ses prêtres de la destruction, l'entraînement de ceux-ci - sans viser les murs assiégés - et le maintien de la discipline parmi eux. Un exercice des plus habituels pour la Grand Prêtresse... Au détail près qu'il ne s’éternisait généralement pas ainsi. Alors, que l'Obok Senger Kerath Elghinn remette quelqu'un a sa place faisait presque office de friandise pour agrémenter ce siège morne. Quoique l'issue se révélait plus surprenante que prévue.

Une simple incantatrice... Dans un premier temps, la sombre n'avait su si l'adversaire de l'Obok, la jeune Phord'Ur Vaen're, était suicidaire, pour avoir accepté un tel affrontement. Observant sans un mot les drows se tourner autour, Raedryss n'avait pu que constater : la jeunette était bien une mage incapable d'incanter en combat rapproché, ainsi tenaillée par un guerrier. La Grande Prêtresse le savait, pour être elle-même dans pareil cas. L'issue semblait alors inéluctable, la fine lame de la sombre paraissant ridicule face à la puissance de l'Obok. Pourtant... L'épée trouva son chemin dans le bide, et les mires de Raedryss s'étrécirent.

Cela ne suffit pas. Non sans un sentiment de déjà-vu, la Grande Prêtresse vit l'Obok forcer son avantage, peu importe sa blessure, jusqu'à exercer une pression mortelle sur la gorge de la jeune drow. Que fichait le servant de Meingal ? L'ordalie n'était pas à mort. Ou bien... Cet imbécile réagirait trop tard et ce morne siège verrait la mort d'une jeune Phord'Ur, qui en exaspérait plus d'un. Peut-être cela amènerait-il à un peu de mouvement... ? Bast. La Grande Prêtresse savait ce qu'elle voyait : son Obok ne tenant plus les rênes à sa sauvagerie. Une chose bienvenue sur le champ de bataille mais présentement superflue. Que la victime entre les grosses pognes soit la fille du-dit sombre laissait Raedryss froide. Les règles de cette ordalie étaient claires.

"KERATH." tonna la voix de la Grande Prêtresse, alors que ne s'entendaient plus, jusque-la, que les gargouillis de la Phord'Ur.

Haute et musculeuse, la drow aux cheveux de feu jaugeait le combat d'un regard inflexible. Son éclat attira l'attention du prêtre de Meingal, qu'elle ignora.

"L'ordalie est terminée. Vous avez vaincu." ajouta-t-elle, tout aussi distinctement.

Après quoi, seulement, Raedryss rendit son regard au sombre servant, serviteur du Juste, qui la fixait avec une lueur mauvaise dans le regard. Sans un frisson, la drow aux mires turquoises le salua de la tête, puis regarda à nouveau son Obok. Gardez votre rage pour nos ennemis derrière ces murs.

Noisette donnait l'impression à sa cavalière qu'il pouvait voler. Bien qu'anxieuse, elle s'imagina une paire d'ailes à chaque sabot. Na'ri ne savait plus s'il fallait rire de son imagination ou en être dépitée… Mais cette bouffée d'air ne dura qu'un temps, car la soignante réfléchissait déjà aux dégâts que l'un pourrait infliger à l'autre.

Shyn'tae serait surement armée d'Eveil. La lame était fine et tout aussi perforante que tranchante. Mais peut-être aurait-t-elle utilisé des armes plus exotiques comme lors des jeux de Thaars ? Hypothèse peu probable, si l'ordalie avait été décidé si rapidement. A contrario Kerath pourrait infliger de lourds dégâts contendants s'il avait usé d'Elrie. La medecin n'aimait pas ce type de blessures vicieuses, car refaire le puzzle d'os qui en resultait habituellement était amusant 2 minutes, mais pas plus. Mais en même temps, cette lourde arme aurait eu bien des difficultés à toucher la vive magicienne. Elle supposait donc qu'il aurait choisi une autre arme. Une lame? A moins qu'il ne se batte à mains nues.

Le cheval regagna l'enclot qu'il avait quitté peu de temps. Le camp Sud était calme. Indifférents aux évènements, les esclaves s'affairaient aux tâches de leurs maîtres. Des soldats vaquaient également à leurs occupations. L'ordalie avait elle seulement commencé ou était elle déjà fini ? La prêtresse, toujours habillée de ses jupes noires et d'un bandeau sur la pointrine, courrait vers le temple des Jumelles. Elle n'y rencontra que l'effectif minimum, les autres étaient encore dans l'arène.

Elle court, elle court la prêtresse au travers du camps. La boule qui lui vrillait le ventre depuis l'annonce de Nessys se diffusa pour se loger également dans la gorge quand Na'ri passa le vomitoire de l'arène. Sans grande difficulté, elle repéra le groupe des pairs et se dirigea vers eux. A bout de souffle, elle salua d'un mouvement de tête le Grand Prêtre. Ils étaient pour la plupart concentrés sur les deux combattants.

Bien. Kerath n'avait pas son mart… Oh… Le colosse s'était jeté sur Eveil. Ils tombèrent dans des craquements. Elle ferma les yeux. Elle ne voulait plus voir. Elle en avait déjà trop vu. Alors plutôt que de revivre une énième fois une défaite, elle tenta de se concentrer sur deux choses : la voix du prêtre de Meingal et la liste des blessures potentielles et leurs implications.

"KERATH."
"L'ordalie est terminée. Vous avez vaincu."

Ce n'était pas la voix qu'elle aurait attendu, mais peu importait, l'ordalie était terminée.
Na'ri allait s'élancer sur la piste quand elle se souvint d'une chose : elle ne devait pas dépasser son Grand Prêtre. Cependant, du fait de son ancienneté et de son expérience, elle eut sa place à son côté pour fouler le sable.

Petit à petit, le Kerath semblait lâcher sa proie. Puis il se laissa tomber sur le côté, soulevant un nuage de poussières. La poignée d'Eveil luisante de sang dépassait toujours de son ventre.. Tandis que des prêtres préparaient les brancards, Na'ri se pencha sur Shyn'tae dont la respiration était difficile. La soignante dessina du bout des doigts des motifs sur la peau sombre. Après quelque minutes, elle posa son diagnostique. Puis le Grand Prêtre de Kiran posa le sien. Alors, ils échangèrent de place.

L'Obok Senger avait été extirpé de sa carapace et avait été préparé tandis que la médecin et une autre prêtresse préparait leurs instruments. Elles s'étaient d'ailleurs saluées d'un mouvement de tête, appréciant mutuellement leurs compétences.
Sur le champ de bataille, ils avaient peu l'occasion de travailler de concert, mais c'était une norme dans le ventre du Puy. Alors quand il était possible de le faire, notamment quand les patients faisaient parti de l'Etat major, les prêtres étaient comme des enfants avec un pot de confiture. A quatre, ils se lièrent pour pouvoir partager leur magie.

Eveil avait une qualité: L’arme infligeait des blessures propres, nettes. La contrepartie d'une lame si aiguisée était que le moindre mouvement de Kerath avait empiré les coupures déjà profondes. Le sang s'épanchait, baignant l'acier. Cependant, si les médecins retiraient la lame, le flot serait plus abondant et elles courraient alors le risque d'un choc chez le patient, aussi robuste était-il. Alors, elles s'intéressèrent d'abord aux veines les plus importantes. Au fur et à mesure qu'elles les ressoudaient, les prêtresses retiraient doucement l'acier. Puis elles cédèrent leur place pour que les deux autres prêtres puissent s'occuper des chairs et des organes. En tant que doyenne, Na'ri conseilla un peu son collègue.

Finalement, c'est avec soulagement que le patient fut mis dans un état suffisamment stable pour pouvoir être transporter au camp Nord. Mieux vallait séparer les deux combattants. Les prêtres du second Ost étaient arrivés et ils s'occuperaient du transport.
Na'ri et ses collègues firent un rapport au Grand Prêtre. Les deux patients s'en sortiraient avec une bonne ennéade de repos.

Il faisait chaud, si chaud… Et pourtant la soignante avait froid.

C’est un peu déçu que j’observe l’ordalie se terminer, et tu ris. Je ne sais si c’est de Shyn’tae qui se fait écraser, si c’est de Kerath qui se laisse pourfendre ou si c’est de moi, alors que je l’ai laissé me tenir à la gorge de cette façon sans invoquer le jugement que j’aurais pu invoquer. Seulement, le jugement aurait pu aller jusqu’à la mort, et ce n’est pas en tuant qu’on apprend des choses intéressantes. Et quand on en a déjà appris, tuer un Obok revient à repartir de presque zéro avec le prochain. En tout cas, les deux ne meurent pas et Kerath s’impose, c’est en tout cas la décision prise par quelqu’un d’autre que moi. Moi je ne m’exprime pas, je regarde simplement, et je t’entends commenter ce que tu veux commenter. Je ne t’écoute pas alors que je me laisse dépasser par mes propres pensées, et par celui qui se débat en moi.

Lui aussi est déçu, alors qu’il n’y a aucun mort – ce qui semble être l’avis des soigneurs qui envahissent l’arène – et que rien n’est réglé pour autant. L’ordalie voulue par Kerath ne verra le jour que lorsqu’il sera remis de celle-ci, et même s’il parvient à ne pas mourir de ses blessures, une période de convalescence qui dure trop longtemps signifierait que la seule personne capable d’aller à l’encontre d’un de mes désirs sera sûrement de retour. Il aurait été plus simple qu’il gagne sans y laisser ce qu’il y avait laissé, vraiment. Mais c’est Vaerian qui veut que les choses restent simples, je ne suis pas contre un peu de chaos, et peut-être par principe le savoir frustré me donne du baume au cœur. Un cœur qui s’attache tour à tour à chaque identité alors que je leur laisse la possibilité de s’exprimer pour les sonder. Il y en a un qui est heureux, un qui n’est qu’attaché à la survie de la fille, bizarrement. Je sais qu’il existe, mais tu ne m’en parles jamais.

Les yeux toujours posés sur l’arène alors qu’on s’occupe des blessés, je prépare les quelques mots que je vais devoir murmurer aux quelques personnes intéressées. Je prends la décision de ne pas presser l’ordalie voulue par Kerath, je prends la décision de ne laisser aucun autre que Kerath porter ce coup à Sol’Dorn, je prends la décision de lui laisser du temps, et finalement, je prends la décision de laisser cette prêtresse de Kiran là donner le signal qui autorisera l’Obok Senger de se présenter devant Sol’Dorn lorsque le moment sera venu. Et quand quelques moments plus tard les décisions sont transmises je t’écoute et t’obéis. Tu me dis qu’il faut que je laisse de la place à celui au cœur soulagé.