Maladresse et déjà vu | Silex

Troisième ennéade de Karfias, an 17, XI cycle
Frontière

Les drows peuvent-ils changer?

L'Ordalie.
L'Ordalie entre l'Obok Sender Kerath et la Phord'Ur Vaen're. Le guerrier contre la mage. Le père contre la fille.
De ce que la prêtresse savait, entre les deux , l'ordalie avait commencé bien avant qu'un pied n'ait foulé la terre battue de la Fosse de Zhak'Bar. D'après ce qu'elle avait pu entendre de son amie, les mots que ces deux là échangeaient étaient loin d'être tendres dans le confinement de la tente de l'état major. Cela en était si triste.

L'Ordalie.
Ce jour fatidique n'avait à peine deux jours. La soignante passait d'un chevet à l'autre, d'un camp à l'autre. Demain, ils pourraient commencer à se lever un petit peu… Demain. Alors demain, les ennuis commenceraient vraiment pour les prêtres.
La prêtresse avait replacé Nessys auprès de son ancienne maitresse. En effet, Shyn'taë avait besoin de deux bras valides. Et si les menaces d'être totalement infirme n'étaient que passagère, il fallait être en mesure de palier au manque d'occupation que procurait la couche d'un souffrant. Sans compter que le demi-drow avait déjà la confiance de la sombre alitée.
Après la révélation du prêtre jaloux qu'était son responsable de camp, Na'ri ne savait pas, plus, comment se comporter avec l'Obok. Ses propres sentiments n'étaient pas clairs… Alors ce matin, quand le responsable l'envoya à Frontière pour chercher en urgence des herbes médicinales, la soignante en tira un grand soulagement.

Du moins jusqu'au moment où, dans l'écurie, elle s'apprêta à sceller Sarah'hamil, son chameau. Dans le box voisin, Noisette piaffait, tapait les parois avec force, et de temps en temps un esclave malheureux. Les palefreniers ne parvenait pas à le calmer, jusqu'à ce que l'un d'eux suggère à la prêtresse de le monter. Ce qu'elle fit et qu'elle regratta. En effet, le cheval, victorieux, ne se déplaçait qu'en pavanant. Son port était altier, son pas cadencé et sa queue haute. Cela devait être beau à voir, mais le subir du camp Nord jusqu'à Frontière en était une autre. Elle aurait aimé pouvoir se reposer un peu après ses deux jours d'efforts soutenus à faire en sorte que les deux combattants s'en sortent sans grosses séquelles. Au fond, ils étaient aussi têtus l'un que l'autre. Un trait de famille, peut-être.

***

La drow avait attaché son cheval à un anneau proche du marché pour pouvoir y déambuler plus rapidement.  Aussitôt la prêtresse avait eu le dos tourné que la créature avait entamé un duel de regard avec le cheval le plus proche. Contrairement à ses habitudes, elle avait laissé à sa tente sa robe noire de gros drap pour porter à la place une tenue  légère composée d'un pantalon et une tunique, l'épée bien visible à la hanche. Elle avait appris à ses dépends, et aussi à ceux de certains habitants audacieux, que frontière n'était pas toujours la ville la plus sûre.

Elle allait d'étalage en étalages, avec la démarche souple et dangereuse d'un drow vétéran.  Bien évidement, le marché touchait à sa fin et les produits restant n'étaient pas toujours de prime fraicheur. A moins que ce ne soit le demi drow qui s'était arrêté non loin d'elle. Il empestait, comme s'il ne s'était pas lavé depuis des mois. Na'ri jeta un regard apitoyé à l'individu. Peut-être était-ce un esclave en fuite, ou avait-il cru à sa bonne fortune en venant jusqu'à Frontière. Manifestement, il s'était trompé. Elle changea de boutique, mais l'individu fit de même peu après. C'était agaçant. Depuis quand les doebs se permettaient-ils de s'arrimer à des drows de souche. Comment le faire partir? La daedhelle donna quelques piécettes à un marchand en échange d'une pomme bien juteuse, qu'elle fit rebondir deux fois dans la main.

Brusquement elle fit volt face vers le malheureux, un grand sourire décorait son visage ténébreux.
- Te…

Il sursauta et s'enfuit en zigzaguant entre les tentes, la laissant sur place, la pomme à la main. Les doebs étaient décidemment bien étranges. Qu'allait-elle faire de sa pomme maintenant?
- Attendez !

Na'ri se lança à sa poursuite en esquivant souplement les passants, vendeurs comme acheteurs. Lui avait disparu dans ce qu'il convenait d'appeler une ruelle faute d'un meilleur terme, nichée entre deux bâtisses à l'équilibre précaire. Elle le suivit peu après, disparaissant de la vue des passants. Personne n'avait envie de faire attention aux activités d'une Eldéenne lancée à pleine course. Cela portait malheur.

- Attendez! Votre pomme!" Elle lui avait acheté un fruit pour lui, il allait le manger. Le demi drow se retourna un bref instant pour la voir gagner du terrain, trébucha sur un tas de planches roussies par le soleil et tomba à la renverse. L'Eldéenne le rejoint facilement, interrogative. Il la regardait, paniqué. C'était assez incompréhensible. Alors lui offrit son meilleur sourire pour le mettre en confiance, et lui tendit la pomme.

Il recula, apparemment effrayé par l'objet. Y avait-il une symbolique qu'elle ignorait? Le bruit d'une course résonna dans la ruelle. Un volet claqua. Trois gaillards apparurent au pas de course, apparemment décidés à en découdre. Devant la vétéran, le demi drow soupira en apercevant les nouveaux arrivants, manifestement soulagée.

Elle soupira et secoua la tête. "C'est un malentendu…"Le mâle s'était remis sur ses jambes, encore accroupi. Il s'élança soudain vers elle, qui se tordit souplement pour l'esquiver, il la dépassa à pleine vitesse et passa au travers d'un mur de torchis. "Je veux seulement qu'il prenne ma pomme…" Il avait du se faire mal, pensa-t-elle. Ce mâle était décidemment trop maladroit. Mais les trois amis du probable blessé n'écoutaient pas.

Un coup de poing jaillit, destiné à la tête de l'Eldéenne, mais ne rencontra que le vide. Entrainé par son élan, il ne vit pas le plat de la main qui frappa sa nuque, l'envoyant au sol. Elle ne souriait plus, concentrée, à l'affut des mouvements de ses adversaires. Ils manquaient un peu d'entrainement. Elle virevolta, un coup de pied fusa. L'homme hurla, plié en deux en se tenant l'entrejambe. Le dernier hésita. La drow l'observa avec curiosité, et tendit la pomme qu'elle tenait toujours.

- Tant pis… vous, vous en voul…" Un bref sifflement retentit, il y eut un choc.

La pomme roula des doigts de la noirelfe.
Son corps suivit le mouvement, tombant vers l'avant.
La flèche assommante rebondit sur le sol avant de s'immobiliser.

Derrière son corps inanimé, un archer baissait lentement son arme, le visage sevère. Il tenait sa vengeance.

Plongée dans l'obscurité, la sombre n'était pas totalement dénuée de ses sens. Elle sentait la terre sur laquelle elle était posée. Les odeurs des simples qu'elle avait acheté plus tôt qui couvrait celle plus âcre de la présence d'être vivant. Et le soleil. Les rayons de l'astre du jour caressaient sa peau avec ardeur. Puis, dans un sourire, elle ouvrit les yeux lentement. Une vague de lumière la submergea et son monde fut noyé d'or blanc incandescent. Alors pour tenter de s'en protéger, elle plaça une de ses mains devant cet amant si enflammé et tenta de le caresser. Mais non seulement, il se refusait mais il s'éloignait. Petit à petit la drow prit conscience de son environnement.
Elle était allongée par terre. En se redressant, elle ne reconnut pas la ruelle. Celle-ci était plus sordide que celle où elle fut attaquée.  Désorientée, elle fit le tour de ses possessions. Son épée était là, sa besace gisaient non loin. Il semblerait qu'elle n'est été soulagée que de ses piécettes. Par contre elle avait gagné une grosse bosse à l'arrière de son crâne. Chose dont elle se serait bien passé. Rapidement, elle se remit sur ses jambes. Son effort fut salué par un hennissement.

- Noisette ? Mais que fais tu ici ? Le cheval secoua la tête de gauche à droite en guise de réponse. Saisissant les rênes, la pretresse soupira en les voyant sectionnés. Nous avons trop tardé. Toujours trop intelligent pour le bien-être de ses cavaliers, le cheval parti au galop avant même que celle-ci n'ait posé une fesse sur la selle.

***

La prêtresse avait beaucoup à faire. Sitôt qu'elle était arrivé au camps nord, elle s'était consacrée à la préparation du remède pour l'Obok Senger. Au lieu de l'administrer elle-même, elle avait laissé son collègue s'en charger. Elle avait en effet d'autres projets : rendre visite à son amie Shyn'taë. Cela faisait un certain temps que celle-ci n'allait pas très bien et la perte de l'ordalie n'aurait surement pas d'impact positif. La société drow ne pardonnait pas aux perdants, aux faibles et aux incompétents.

Après avoir discuter avec ses pairs, la prêtresse s'approcha doucement du lit de la patiente.
- Bonjour ! Comment te sens tu aujourd'hui ? sa voix était plutôt enjouée. Elle tirait un tabouret et s'installa près du lit.

- Bien, ne t'en fais pas... Merci. Il ne m'a pas tant amochée!
La puînée souriait, rassurante, sa voix habituellement douce comme le cristal rendue un peu râpeuse. Evidemment elle souffrait encore, mais elle avait vécu bien pire. Une côte cassée, le cou douloureux, des articulations démises. Compte tenu qu'elle avait failli y rester, elle trouvait qu'elle s'en sortait plutôt à bon compte. Les dieux avaient été relativement cléments… Car pour le moment, ils l'avaient mise à l'épreuve en lui montrant ce qu'était vraiment la vulnérabilité.

- C'est de ton moral que je m'enquéris… Je connais tes blessures. La prêtresse s'amusait de la réponse de la sombre.

Shyn'tae se tut un long instant, sa mine plus sombre. "Ca va aller je pense. Je n'avais jamais espéré gagner tu sais. Mais… " Elle hésita, ses lèvres frémissant plusieurs fois avant qu'elle ne parvienne à articuler ses pensées. "… j'aurais pu y arriver… je crois. Avec un peu plus de préparation. Il.. Il n'est pas invincible. " Elle sourit à la prêtresse. "Si je pense cela.. C'est que ca ne vas trop mal, je pense."

- Te voilà à beaucoup penser. Profites en ce n'est que le début ! La soignante s'amusa. J'ai un petit soucis. Est-ce que tu voudras bien m'aider ?
- Bien sûr. Tout ce que tu veux, je te dois bien ca.
- J'ai reçu un papier l'autre jour et je ne sais qu'en faire. C'est un acte de session d'un esclave. Or je n'en ai jamais eu. Que dois-je faire de cette ère ?

La Phord'ur avait haussé à la fois un sourcil et une oreille pointue. Elle entreprit de hausser les épaules, mes serra les dents en renonçant.

"Ce n'est pas vraiment de l'aide que tu cherches mais un conseil… S'il est à toi, tu en disposes selon tes désirs.. Si tu n'as pas fait enregistrer l'acte auprès du culte de Teiweon, et bien j'imagine que tu pourrais le déchirer et laisser le propriétaire actuel se débrouiller avec l'esclave. Mais qui ferait ca?"

- Un bon conseil dois aider n'est-ce pas ? Bref, passons.. Je ne sais plus ce que j'ai fait du document… La sombre se prit le menton et réfléchit. Je crois lui avoir laisser. Donc j'imagine que sa propriétaire peut en disposer. A moins que l'on peut laisser l'esclave choisir. Qu'en penses tu ?

- J'ai assez été cruelle avec lui," soupira-t-elle. Pour tout dire, Nessys lui faisait un peu pitié. Il était attachant."Si tu veux, je pourrais en avoir l'usage."

- Je te le laisse. Au moins, il arrivera peut être à maitriser tes pulsions autodestructrices, lui." Le visage de l'ainée était toujours fendu d'un sourire.

- C'est… très aimable." Shyn'tae ne savait que dire, et avait baissé les yeux par reflexe. C'était là une remontrance cachée qui touchait droit au cœur. Elle repensa à cette panique inconnue qui l'avait étreint à cet instant. Culpabilité? Soulagement? Frayeur? A cet instant où, absolument impuissante, elle avait su qu'elle allait mourir.

***

Fourbue mais satisfaite du travail accompli en cette journée, la drow alla se coucher. Assez rapidement elle rêva.

Elle quittait le camp, pieds nus vers une destination inconnue… Elle ressentait un caractère d'urgence… et ne répondait pas aux soldats qui la saluait.
Frontière... Mais pas au marché... Ni à l'auberge… Il y avait un espèce de camp.
Elle attendait dans l'ombre… Un homme avait eu le malheur de trop s'approcher. Maintenant, il gisait. Egorgé.

Encore une journée comme une autre.
L'âge et l'expérience avait appris à Na'ri à apprécier la routine et l'instant présent. Quand on était un Puysard, les surprises était rarement bonnes : complots, agressions, torture et autres joyeuseté culturelles. La daedhelle se satisfaisait grandement des aléas de travailler avec le vivant. Bien sûr les individualités de ses patients étaient aussi bien source d'inquiétude que de découverte. Cependant, ce qui l'emerveillait toujours, c'était la résilience des corps. Chacun avait une réponse à la magie qui lui était propre. Parfois les tissus sur-réagissait, d'autre moins...
Alors si l'environnement était calme, de préférence sans violence, la prêtresse était heureuse. Elle était persuadée que c'était dans les petites attentions que l'on retrouvait les plus grands sentiments.

Ce matin, elle rit avec ses pairs. Le plus jeune des prêtres était revenu blême et en courant de sa visite à Kerath. C'est après avoir vidé plusieurs verres de liqueurs de piment qu'il réussit à bafouiller sa mésaventure:

Alors qu'il était en train de changer consciencieusement le pansement de l'Oblok, il avait relevé la tête. A cet instant, il s'était retrouvé nez à truffe avec le félin à pointe de l'Obok Senger qui le regardait travailler avec curiosité. La créature avait soudain levé la tête pour l'interroger du regard.

A aucun moment, le jeune prêtre n'avait imaginé que le félin puisse vivre avec son maitre. Il ne l'avait pas du tout vu en entrant dans la tente. Le félin avait dû rester dans un coin sombre et la curiosité l'avait poussé à surveiller les soins.

Dans l'après midi, elle se retrouva face à un dilemme, ou plutôt à la jalousie de Sarah'hamil, son chameau qui lui aussi voulait lui sortir. Cependant Noisette ne se laissa pas faire : il voulait sortir également. Et lui seul avait plus d'élégance que cette bestiole douée de trop de jambes. Alors elle partit avec les deux. Scellés pour ne pas faire de jaloux. Mais c'était sur Sarah'hamil qu'elle monta dans l'espoir de faire un petit somme pendant le trajet. Si la sombre avait rendu Nessys à sa propriétaire, elle attendait encore pour rendre le cheval. En effet, Na'ri espérait sans vraiment y croire que la malade serait moins tenté de quitter sa chambre si Noisette était au camp Nord.

C'était un livre à la main que la sombre alla d'ailleurs la visiter/ Elle avait cherché une petite distraction à offrir à son amie mais une migraine provoquée par le manque de sommeil et un usage intensif de la magie l'avait grandement limité sa créativité.  Heureusement, elle s'était rappelée l'ouvrage étrange que la Phord'ur lui avait offert. Elle voulait avoir un avis sur la traduction d'un passage d'un livre. Et Shyn'tae adorait les livres.

- Tiens regarde, c'est ce passage…
Shyn'tae s'était penchée sur l'ouvrage, installée tout contre la prêtresse de Kiran pour se plonger dans la lecture de l'ouvrage. C'était de L'Oliyan, mais un dialecte mystérieux et élitiste. La magicienne, malgré son érudition, devait faire de grand efforts intellectuels pour percer les secrets que les mystiques avaient caché dans l'ouvrage.
- laissez mortifier ainsi 10 minutes… " La jeune drow était dubitative.
- En général, une mort dure plus de 10min. Il faut donc relever magiquement les zestes dans leur jus et les 2 cuillères à bouches ? Mais ça n'a pas trop de sens… Tu es sûre ?
- Je… c'est pas censé être un manuel de nécromancie. Non? On ne me l'a pas vendu comme ca. Et la technique est bizarre. Je veux dire… Shyn'tae semblait pour le moins  dubitative."Je ne suis pas spécialiste, mais on ne peut pas faire de  nécromancie sur ce genre de choses… Quoique, pourquoi pas?" Oui, rien ne l'empêchait. Mais quel esprit tordu voudrait faire une chose pareille? Et surtout pourquoi?
- Je demanderai aux prêtres de Leetha… Mais en tout cas, je ne l'ai jamais vu. Lis la suite, c'est d'autant plus troublant…
- Après quoi, versant cela dans le coin d'une serviette en l'enfermant, tordez fortement le linge pour en exprimer tout le jus que vous recueillerez… dans une bassine avec le reste de la composition? C'est du charabia, Na'ri…" Shyn'tae tourna quelques pages de l'ouvrage. "Ou alors c'est un code…"
- Ou… une description de torture. Et regarde plus loin la sombre pointa un passage peu après battez ferme cet appareil. La perplexité habitait Na'ri, comme à chaque fois qu'elle lisait ces pages. Non seulement elle n'avait aucune idée de ce à quoi le résultat devait ressembler, mais en plus les mots ne voulaient pas dire grand-chose pour elle.
- "Ca me fait du mal de l'admettre, mais cette recette de cuisine est peut-être largement au dessus de notre niveau pour l'instant." C'était un ouvrage de maitres, sans aucun doute.

On était peu de choses face à l'immensité du savoir. Elles n'en continuèrent pas moins de débattre sur le sens caché des mystérieux écrits, tout en grignotant des biscuits. Finalement, que Shyn'tae ne puisse se servir de son bras directeur était une bonne chose: Na'ri avait là une bonne occasion de lui faire travailler l'autre, celui dont elle avait perdu l'usage à Thaar.

Autant dire que la Phord'ur ne mangea pas beaucoup de biscuits.

Le soir, elle s'endormit au Camp Sud.  Lorsque le sommeil s'abattit sur elle, elle s'y abandonna au sommeil avec un délice non feint.

***

Elle était seule dans la plaine. Seule. Enfin !
Lorsqu'elle écarta les bras pour embrasser le monde, la sensation qui s'empara d'elle était si grisante…. Là, elle avait de l'espace. De l'espace pour se mouvoir, pour s'exprimer, pour être libre.
Le vent jouait avec l'étoffe de sa robe. Elle dansait entre ses jambes. En écho, ses cheveux d'argent  virevoltaient.

Puis elle s'envole.

La faim la tenaille. Elle part en chasse. Tournoyant haut dans le ciel, elle cherche une proie.
Là-bas, deux proies. Silencieuse, elle fond aussitôt sur elles. Elle en harponne une puis repart aussitôt dans l'obscurité.
La faim continue à la ronger. L'autre ne s'est pas encore éloigné. La proie est seule, si tentante... Alors elle frappe à la tête.
L'autre pousse un cri bref, un cri d'agonie, un signal. Alors une troisième surgit de l'ombre. Sa lame jaillit comme un éclair dans l'obscurité. Mais trop tard. Elle s'esquive à tire d'aile non s'en y laisser quelques plumes.

L'astre solaire rayonnait depuis un certain temps quand la prêtresse ouvrit les yeux.  Elle avait l'habitude des cauchemars qui ne la quittaient jamais vraiment, mais cette nuit de sommeil l'avait à peine reposé. Elle se souvenait de la violence, de la mort, mais quelque chose était différent. Quelque chose qu'elle n'arrivait pas à identifier.

Elle avait manifestement dormi habillée, et il ne lui fallut donc pas longtemps pour rejoindre la tente de la Phor'dur, non sans avoir d'abord fait un crochet par le temple pour y récupérer quelques sucreries.  

- Bonjour ! Suis-je en retard pour t'aider à te laver ? Les cheveux emmêlés,  la sombre était encore marquée par son réveil tardif. Elle avait baillé en écartant la toile sans prendre garde à s'annoncer, car tous la connaissaient ici. La jeune drow, presqu'une enfant à son apparence,  était assise sur son lit, le bras droit en écharpe, l'autre détendu à son coté, et un livre ouvert sur les genoux. Agenouillé face à elle, Nessys la surveillait attentivement. Lorsqu'elle tourna la tête vers sa visiteuse, l'esclave hésita. Il ne savait pas s'il devait tourner la page ou non. La Phord'ur lui demanda de ranger l'ouvrage et d'aller chercher une bassine d'eau. Lorsqu'il fut parti, adressa un sourire à la prêtresse.

- Non, tu n'es pas en retard. Tu n'es pas obligée tu sais. Je peux…" Shyn'tae se tut un instant avant de continuer, un sourire exagéré aux lèvres. "… demander à Nessys. Mais j'apprécie énormément l'attention!" Finit-elle par ajouter. Elle appréciait la compagnie de la vieille drow, laquelle ne jugeait jamais apparemment, et l'observa alors qu'elle s'approchait.

- Tu as l'air fatiguée. Des soucis?"

- Ha ? Non, du tout. En tout cas surement moins que toi ! La soignante avait été étonnée par la question de sa cadette. J'ai récupéré ceci ! à ces mots, elle sortit de sous sa robe des biscuits qu'elle tenait fièrement. Aujourd'hui, ils sont tous pour toi ! Et tu gagnes au change ! Ils sont meilleurs qu'au camp nord ! Un grand sourire carnassier décorait son visage. Puis elle déposa son butin sur une desserte, un par un. La Phord'ur haussa un sourcil et une oreille à son manège. Elle était certaine de voir venir la suite, et sentit à la fois une boule d'angoisse grandir au creux de son ventre en même temps qu'un excitation peut-être un brin perverse. Elle connaissait assez la prêtresse pour savoir qu'elle n'était pas du genre à se moquer, mais ne comptait pas non plus manger comme un animal.
- J'en ai l'eau à la bouche… Que dois-je faire pour les mériter?"

- Dois-je te réexpliquer ton exercice ? Les yeux se firent malicieux. Sur ces entre-faits, l'esclave revient tenant une bassine d'eau légèrement fumante et du linge. Nessys, je t'autorise à lui donner les biscuits qu'à partir du moment où ta maitresse aura réussi à se saisir au moins deux fois un biscuit. D'accord ? Puis elle en garda la dernière pâtisserie qu'elle déposa sur le bureau. Celui là sera pour toi, quand tu auras fini tes exercices d'écriture.  La Pordh'ur leva les yeux au ciel, mais devait bien reconnaitre que l'étrange échange suscitait en elle une douce chaleur. "Fais ce qu'elle dit", souffla-t-elle à son esclave.

C'est alors qu'elle remarqua quelque chose qui titilla sa curiosité.
- Tu t'es battue? Ta robe est tâchée sang… et abimée.

La prêtresse n'avait su répondre à la question de Shyn'taë.

***

Bougre d'âne… enfin de cheval. Noisette galopait devant, imitant Sarah'hamil en tentant de mettre ses babines au vent. Ce cheval était trop intelligent pour sa propre survie.
Le chameau avait fini par ignorer l'équidé après avoir tenter de le mordre. Mais seulement, Na'ri ne le laissa pas faire. Elle râlait de ne pouvoir faire un somme sur le chemin du retour. Et sur les nuages qui montaient. S'ils ne se dépêchaient pas, ils prendraient la pluie.  

***

Ce n'était plus un champ de bataille, mais un charnier. La robe de la prêtresse était maculée de boue, de sang et de fluides non identifiés. Penchée sur un soldat gravement blessé. Tout une partie de son coté lui manquait. Elle lui murmurait doucement tandis qu'il sanglotait de douleur.
De nombreux corps gisaient autour d'eux. La majorité était morts ou agonisant.

- Streea Jabbuk Stseshzi ! Restez avec moi… Ne bougez pas…

La bataille prenait peu à peu une vilaine tournure. Il faudra bientôt que la soignante prenne la poudre d'escampette. L'état de son patient ne se stabilisait toujours pas. Le sang coulait abondamment malgré les bandages.

- Streea Jabbuk…

On lança la charge des félins à pointe. Les lourdes montures blindées piétinèrent tout sur leur passage. La médecin jura en se couchant pour protéger l'officier. Un râle échappa à l'officier.

- Non, Streea…

Mais, le capitaine ne l'entendait déjà plus. La flamme avait quitté ses yeux. La prêtresse serra les dents en serrant le corps de l'officier contre elle. Elle regarda autour d'elle. Dans la mort, les elfes, les drows et les autres races se ressemblaient tant. Eparse, les corps sans vie s'enlaçaient.

Pourquoi s'extraire de ce bourbier? Bien qu'elle soit blessée et épuisée, sa priorité n'était plus sa survie. Elle aurait tant aimé mourir ici avec celui qu'elle avait aimé. Alors elle serra l'être contre son cœur à s'en étouffer.

***

Dans son sommeil Na'ri pleurait à chaudes larmes.

Elle ne savait pas. Elle ne savait pas si c'était l'élancement ou l'odeur du sang qui l'avait réveillée. La sombre avait tenté de bouger sa main, mais sans succès et eut pour toute réponse la contrainte et douleur. Paniquée, elle ouvrit les yeux et… ne reconnut rien. Rien de ce qu'elle distinguait autour d'elle ne correspondait à ce qu'elle attendait, c’est-à-dire à l'intérieur de sa tente. Il y avait bien de la terre au sol, c'était déjà cela. De ses compagnons, de ses affaires, il n'y avait nulles traces.
Elle releva lentement la tête pour tenter de reconnaitre les alentours mais la prêtresse ne voyait pas grand-chose si ce n'est qu'elle n'était pas seule. La lueur d'un feu lui parvenait, vacillante. Les silhouettes d'un couple se détachaient dans les ombres. Alors elle chercha dans ses souvenirs… Mais non, rien de lui venait. Elle s'était endormie d'épuisement dans son lit de camp, comme d'habitude. Mais seulement, rien n'expliquait ce qu'elle faisait ici et maintenant.

Peut-être était-ce un mauvais rêve. Non, ses cauchemars étaient d'une autre nature. Et d'ailleurs, elle avait encore étreint Kyorl Stseshzi, son ancien Streea Jabbuk.
Peut-être avait elle été kidnappée. Cependant, comment auraient ils fait pour passer inaperçus dans le camp militaire ? Non, l'hypothèse était improbable.
Peut-être était-ce une illusion, pour l'asticoter un peu d'avoir était trop proche de son Obok Sender. Peut-être… La sombre, tristement habituée aux farces de ses congénères et de Kiel, se raccrocha à cette idée pour ne pas céder à la peur, à l'incompréhension et à l'énervement.

La daëdhelle attendait. Elle avait fini de répertorier les brins d'herbes à sa gauche quand elle vit le cuir d'une botte, puis de deux. Rapidement, elles se muèrent en un fin visage bien pâle. Il eu un geste qui ramena la sombre à quelques heures dans le passé. Son cœur manqua un battement. Son postulat devenait de plus en plus probable. Les quelques secondes où la prisonnière croisa le regard avec son ravisseur furent si longues et si courtes qu'elle ne pu dire si elle avait déjà croisé cette personne mais avec une autre carnation… Si c'était une illusion elle était parfaite.

Mais déjà, elle se retrouva avec une gourde dans les mains. Boire ou ne pas boire… En tant que medecin, elle savait que mourir de soif était bien plus douloureux et rapide que mourir de faim. Alors, par lâcheté, faisant fit que l'eau soit infectée ou empoisonnée, Na'ri bu. D'abord une petite gorgée pour évaluer le breuvage puis une nouvelle.

- Merci murmura t'elle en eldéen. Elle tenait à rester polie en toute circonstance. Mais, elle reprit son étude des brins d'herbes. Si l'autre avait quelque chose à dire, il le dirait. Mais elle se tairait. Nul n'avait le droit de dire comment vivre, et quoi faire de son corps.

Toute les illusions avaient une faille. Souvent elle se trouvait dans les détails... Et le temps. C'était donc très simple, il suffisait de la trouver. A gauche, il y avait 3 gros cailloux, 5 petits, 26 brins d'herbe dans le triangle et… raaaah, combien de brin d'herbe déjà à côté ? Le sang sous sa boite crânienne pulsait à lui faire mal. Ils n'y étaient pas aller de main morte… ou amplifiaient ils la sensation ?

Les Puysards… peuple redouté et méprisé. Les eldéens apprenaient tout petits le prix de la persévérance et du mérite. Ils savaient que rien était gratuit ou même acquis. Alors ils en devenaient quelque peu paranoïaques et monomaniaques.

L'accent, la grammaire et le timbre de l'eldéen déguisé avait fait tiquer les oreilles effilées de la daedhelle. Il y avait une faille…  
3 gros cailloux, 5 petits et 26 brins d'herbes dans le triangle. Elle porta enfin véritablement son attention sur l'être qui se trouvait devant elle. Seulement, pour cela, elle devait lever la tête. Sa foutue tête qui pulsait. Et voilà que son champ de vision s'était rétréci. Alors le crâne dodelina.

Comme par télépathie, l'autre s'était assis en tailleur devant elle. Il y avait une faille…
3 gros cailloux, 5 petits Un puysard n'aurait jamais jouer un elfe clair ainsi. Ne dit on pas que les pantins de Kerhel étaient hautains et fiers ? Elles devaient rester debout. Son regard se perdit sur l'accoutrement de son gardien. Ce n'était pas puysard, elle en était certaine. Elle avait tellement côtoyé de soldats qu'elle connaissait les différentes modes, les différentes armures en fonction du temps et des Osts. Où avaient ils réussi à mettre la main sur ça ? Frontière… Il y de tout à Frontière.

La mauvaise graine était en train de lui demander son nom ? Fallait il se fier à son ouïe ? Il y avait une faille…
Llar Jatha'la Tonashss… La sombre sursauta au son de sa voix. Et les cordes tirèrent. Elle ferma les yeux comme pour encaisser cette nouvelle vague de douleur. Et puis tant pis, son nom sera "Llar Jatha'la Tonashss, soit trois gros cailloux". Ils sont forts quand même, ils ont réussi à trouver un bon benêt pour lui tenir compagnie. Ce devait être un novice. Elle ne s'était pas rendu compte à quels points les autres s'ennuyaient.

A moins qu'il y ait une faille. Une faille dans son raisonnement.

Par tous les dieux, que ses pensées étaient dans la mélasse.

Llar…

Bon. Tout ceci ne ressemblait à RIEN. Mais vraiment rien. C'était peut être un cauchemar tout simplement. Un cauchemar éveillé. Ce qui était rassurant avec le cauchemar, c'est qu'il suffisait d'attendre. Le jour où un pair la réveillerait très bientôt.

Llar…

Et si cela n'était pas un rêve ? Et si elle s'appelait maintenant Llar ? Elle allait avoir des difficultés avant de répondre de but en blanc à ce nouveau nom. Mais il suffisait de prendre son mal en patience.

Les oreilles effilées de la daedhelle pointèrent vers son interlocuteur, attentive. Elle avait noté le changement de langue, mais elle n'arrivait pas du tout à y trouver un accent quelconque.
A la première question, elle répondit par un geste de dénégation qu'elle regretta aussitôt tant la douleur que cela provoqua en son pied était vive. Rapidement la grimace céda la place à l'étonnement.

Oui, j'ai… commença t'elle en eldéen avant de trouver ce choix non judicieux. De plus, chercher les mots en Olyan lui permettait de réfléchir sur cette situation incongrue. Elle reprit d'une voix grave et basse.
Oui, j'ai tué des hommes armés. Beaucoup. Trop. Foutue culpabilité. Des hommes. Des femmes. De tout âge. De tout horizon. De tout temps. Et les miens aussi. Ses mots étaient posés les un après les autres avec une extrême précaution comme s'ils pouvaient se briser à tout moment. Alors ce n'est que justice. Meingal que ta justice soit faite. Qui sont mes victimes ? Qui sont tes frères et sœurs ? Quand sont ils morts ? Peut-être j'aurais un souvenir…

Sur sa joue une larme coula. Elle n'avait pas envie de partir, pas ici, pas comme ça. Mais, elle acceptait le jugement. Pourquoi fallait il qu'il ait lieu, maintenant ? Elle avait un autre projet. Un grand projet : celui d'aimer.

La daëdhelle attendait son jugement et quand elle sentit le froid de l'acier sur sa gorge, elle ne put s'empêcher de remercier silencieusement les dieux d'avoir en face d'elle une personne qui savait où donner la mort. Alors elle ne bougea pas.

Impossible… (1) C'était tout bonnement impossible. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur puis son visage se figea sous un masque d'incrédulité. Cela faisait cinq jours qu'elle faisait des allers retours entre les camps Nord et Sud. Cinq jours qu'elle jonglait avec son agenda pour voir la fille et préparer les soins du père. Cinq jours durant lesquels elle négligeait les autres patients et elle-même.

Sous la lame du couteau, une corde céda. La pression dans son dos se relâcha tandis que celle de son esprit s'amplifia. Après avoir rouler un peu des épaules et sans trop tirer sur les autres liens, la sombre ajouta.

Impossible. Je n'ai pas le temps pour cela. Il y avait quelque chose de dissonant à la lisière de sa conscience. Quelque chose de monstrueux. La nuit. Je rêve… et je ne me repose pas. ça ne changer pas à d'habitude, mais elle se reposait moins qu'à l'accoutumer. Mais l'autre n'était pas obligé de le savoir. Pourquoi les aurai-je tuer ?  Non, c'était absurde. Je ne fais rien de gratuit. et surtout pas de donner la mort , compléta t'elle en son for intérieur.

Cauchemardesque, absurde, la situation devenait de plus en plus ubuesque, où l'interrogé et l'interrogateur s'échangeaient les rôles.

" Alors, j’avais raison… Tout est de ma faute. "

La  phrase résonna étrangement aux oreilles de la daedhelle.

Tout est de ma faute

La sombre était là, privée de sa liberté juste parce que… parce qu'une décérébrée leucoderme avait fait des siennes ?! Comme d'habitude depuis son réveil, elle ne comprenait strictement rien. Elle n'en savait pas plus sur la funeste vengeance, mais une chose dont elle était certaine était que cela ne lui plaisait pas. Mais alors pas du tout.
Aux fonds ses prunelles rougeoyantes, une flamme luisait de colère.

" Reste tranquille… "

L'autre avait dû voir cette nouvelle lueur. Mais au lieu de calmer l'exaspération, elle ne crut que plus. Le regard de la drow était devenu algide. Bien entendu, le clair irritait le sombre. C'était attendu… Mais là. Comment Elros pouvait elle ainsi se moquer d'elle ? Ce n'était pas comme si elle pouvait faire qu'autre chose que de rester "tranquille".

La colère et les liens savamment noués pour être douloureux la maintenait éveiller. Mais elle n'avait aucune envie d'observer ces gens. Ils n'étaient que des vermines grouillantes et éphémères.

Insidieuse, une petite idée fit son bonhomme de chemin à travers les brumes de la colère et de la fatigue. Finalement, tout ces morts, étaient ils vraiment de son fait ? Existe t'ils vraiment ? Comment lui faire confiance à ça ?

***

Plaff !

La daedhelle ouvrit les yeux.

" Nous… partons ? "

La sombre fit un inventaire de son état : fatigue et douleur. Pour le moment la plus vive se trouvait sur sa joue… cependant, lasse de se poser des questions sans avoir de réponses, elle ne s'en étonna plus.

" Sur le chemin… pouvoir parler de cette histoire de vengeance ? Ce n'est pas comme si l'Elda n'était pas expert en la matière après tout. Et… Je pense avoir le droit de savoir. "

Dans un semi-rictus, la drow chercha les yeux de son vis-à-vis. Elle ne bougeait pas et pourtant ses membres lui rappelaient leur existence. Elle essaya de na pas être agressive dans un espoir vain où l'autre serait suffisamment inconséquente pour s'échapper.

"Pas certaine que l'Oliyan gagne du temps." Siffla la sombre entre ses dents. Dans son dos, l'autre s'activa et joua avec l'entremêlement des cordes. Les tentions changeaient, réveillant parfois des courbatures, mais la prêtresse se délectait de cette douleur car elle était juste annonciatrice de changement.

Les oreilles effilées d'obsidienne tiquèrent, les mots de la claire ne furent pas compris, mais sur la nuque les cheveux d'argent se hérissèrent.
Ces sonorités… si caractéristiques des pantins d'une forêt qui était devenu une véritable prison bien plus grande et plus fertile que le Vatna. La résonnance si particulaire des "r" qui roulaient, qui dévalaient comme un caillou une pente et qui, tombant dans l'eau éclaboussaient à grand renfort de "a" de "ë" et de "th". C'était un véritable torrent de montagne, bruissant, vivant, chantant. Pour celle qui a été élevée sous terre, c'était annonciateur d'inondation, de piège et de sang.

Les liens se furent plus coulant, alors Llar se redressa de toute sa taille, s'étira comme un oiseau cherchant son envol. Ce fut avec une déception certaine qu'elle constata ses jets. Elle était devenu un oiseau de poing au main d'une marionnette. Elle allait servir une remarque pernicieuse mais le regard bleu délavé de l'elfe l'en dissuada, à moins que cela ne soit le chuchotement ou le sac qu'elle avait rattrapé.

Pourquoi tant de mystère ? Pourquoi l'autre, qui était pourtant libre de ses mouvements et de son bon droit faisait tant de cas pour leur départ ?  Pourquoi tant de discrétion ? La sombre eut la désagréable sensation d'être retombée en adolescence à devoir fuguer pour profiter de la nuit. C'était certes rafraichissant mais franchement, elle était trop fatiguée pour prendre vraiment du plaisir pour jouer. Mais entre chevaucher vers on ne sait où et rester entraver à un poteau, le choix était vite fait. Alors elle suivit sans enthousiasme visible, celle qui tenait la laisse.

En cette soirée estivale, le camp était calme, tranquille. C'était le signe que les mercenaires étaient sur le qui-vive, vigilent. Pourtant, Elros la guidait à la lisières des ombres des tentes en se déplaçant silencieusement. Na'ri la suivait avec plus de maladresse, bien que rodée aux positions inconfortables, le temps avait fait son office et l'avait quelque peu rouillée temporairement.

Arrivant près des montures attachées par leur longue à des arbres, certaines bêtes frémissement et pouffèrent à leur présence. Instinctivement, elles réfugièrent dans l'ombre.

- "Qui va là ?" fit une voix grave.

- "Et maintenant ?" chuchota Llar, une pointe de curiosité dans la voix.
- "Tu cours quand je serai à porter."

La réponse fut laconique, et déjà, Elros tirait sa prisonnière, la faisant légèrement trébucher au passage.

Humble… Soumise… La sombre baissa la tête tandis que le mercenaire et l'elfe échangeaient. L'homme était extrêmement méfiant vis-à-vis de celle qu'il avait joliment nommé l'excavation d'immondices. C’est-à-dire, elle. Au fur et à mesure que les pas se rapprochaient du garde, la tension sur la corde devenait plus souple.
Encore deux pas.
Encore un pas.
Top !

Comme un ressort, la daëdhelle fit volte face et se mis à courir.

Une foulée.
Deux foulées.
Trois foulées.

Le son mât d'un corps qui découvre les vertus de la gravité.

Bien que l'idée de continuer son chemin la séduit, la sombre ralentit pour revenir sur ses pas. L'extrémité de la corde était restée dans les mains de la geôlière. Au niveau du pauvre hère, la médecin s'accroupit pour chercher le pouls, puis elle passa ses mains liées dans les cheveux. Elle aurait aimé faire plus, mais elle était attendue n'avait aucune envie de retourner au pilori.

Quand Elros l'aida à monter sur son chameau, Llar lui murmura que la commotion cérébrale était sans gravité.

Alors que les mercenaires s'endormaient, deux cavalières s'éloignèrent du camps, soulevant des nuages de poussières.
Ce soir, les lunes semblaient plus lumineuses qu'à l'accoutumé.

Bersée par les pas réguliers de Sarah'hami, la sombre luttait pour ne pas sombrer dans le sommeil alors elle reposa ses questions. En vain. Pour passer le temps elle tenta de reconstituer le puzzle, mais il lui sembla que de nombreuses pièces étaient aux abonnées absentes.

Ce fut bien plus tard, que la claire prit enfin le temps d'apporter des éléments de réponses. Quand elle sembla avoir dit tout ce qu'elle voulait dire, la sombre prit alors la parole.

" Pourquoi ? " En voilà une question. Mais se rendant compte qu'elle était aussi vaste que le désert Zurthan Llar la compléta.

" Pourquoi avoir tuer alors que ce n'était qu'une rixe ? " C'était les siens qui se battaient avec leur lame au clair. Auprès des humains, les elfes se prévalaient d'être des êtres civilisés et pondérés. Que c'était il vraiment passé ? D'ailleurs était-ce vraiment une rixe ?

" Pourquoi ne pas me tuer pour éteindre la flamme avec moi ? Culpabilité ? Mais voyons… Nous n'avons pas élevé des humains ensemble, c'était une première rencontre… et c'était tellement plus facile de tuer un inconnu et de prime un eldéen.

" Pourquoi s'enfuir et vous privez vous-même des vôtres ? " Un sourire triste se dessina sur les lèvres de la sombre. Finalement, et comme d'habitude le meilleur des bourreaux restait soi-même.

" Pourquoi me faire confiance, alors que je suis autant criminelle qu'hôte ? La claire lui avait dit que la nuit, il en profitait. Et c'était une chose auquel la sombre avait envie de croire. Parce qu'elle n'aurait pas tué sciemment ces gens et qu'elle haïssait la magie de l'esprit.

La diction en Oliyan était lente, avec un fort accent noirelfe. Et même si elle avait cherché certains mots, la drow avait choisi de respecter la volonté de sa geôlière.

- Je ne suis pas mécontente de mon sort… dit elle en regardant ses poignets enserrés et en sachant pertinemment qu'elle était à la merci de son bon vouloir. Mais qu'attendez vous de moi ?

Cela faisait beaucoup de questions, mais elles ne représentaient qu'une infime partie des interrogations qui se bousculaient. Dans cet imbroglio, à la place de l'autre, il aurait été bien plus simple de la tuer. Là, au milieu du désert. Et d'ailleurs c'était peut être ce qu'elles étaient parties faire… Mais même si c'était cela, elle souhaitait le savoir.

Réponses précises, claires et efficaces. Pas de sentimentalisme, ni d'espérance vaine. En cela la sombre elfe commença apprécier un tout petit peu l'albinos.

Llar posa son regard tacheté d'argent sur son interlocutrice. Pour la première fois, elle la regarda vraiment. La lumière blafarde des lunes faisait ressortir les contours du visage fin d'Elros. Son nez et le dessin de ses lèvres s'estompaient dans l'obscurité tandis que ses cheveux, légèrement désordonnés, lui conféraient une aura argentée. Il émanait d'elle, une aura irréelle, presque onirique.

C'était une vision cauchemardesque pour les siens. Non contente de savoir connaitre des arts martiaux, elle était décidée, impitoyable. Et ça la rendait incroyablement belle.

Dans le silence feutré de la nuit, leurs montures avançaient côte à côte, toujours aux pas.

"Merci." C'était presque un murmure.

La daëdhelle ne put ou ne voulut en dire plus. De toute façon, qu'y avait il d'autre à rajouter ? S'en suivit un claquement de langue et une pression des cuisses et le chameau partit au trot, faisant danser ses babines au vent.

Hier, elle se serait consumée de rage contre les cordes, contre sa geôlière, contre elle et contre la volonté des Dieux.
Hier, dans la confusion, elle aurait eu la force de formuler une répartie mordante, insultante.
Hier, elle se serait brûlée.

Aujourd'hui, la fatigue et la reconnaissance d'être en vie, faisaient qu'à défaut de paix, elle faisait une trêve.
Aujourd'hui, elle était résignée à vivre. Parce qu'elle avait des raisons de vivre. Et la plus grande était un doux trouble qu'elle cachait en son sein.
Aujourd'hui, avait un arrière goût d'aventure. Comment allait elle vraiment aider ? Elle n'en avait strictement aucune idée. Mais elle avait décidé de faire confiance.

Et demain ?
Demain, selon toute vraisemblance, elles seront à Essalia. Elles devaient faire des emplettes.
Demain, et après demain, si tout ce passait bien, elles abeurveraient de sang un coin de désert autant assoiffé de vengeance que le frère. Que la claire.  

A demain.