Nuit d’Arcamenel de la 6e ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Appartements Royaux
Tu avais pu voir ta fille une fois de plus. Tu avais pu l’entendre rire une fois de plus. Tu avais pu étreindre les deux femmes de ta vie une fois de plus. Te bâfrer de cet amour trop fort, trop parfait, trop niais, trop agréable. Il t’avait été donné de revivre ce monde de fantaisie un jour de plus et d’espérer qu’il perdure à travers les décennies, les siècles, les Cycles, l’Eternité… Tu es vivant. Il t’avait finalement fallu retrouver ton foyer pour t’en étonner. Tu es vivant, et que la Voilée te châtie à l’instant si en ces mots tu la fais mentir, mais aujourd’hui tu ne conçois plus de mourir. Oh le danger, tu le connaîtras à nouveau. Tu t’en approcheras le torse bombé et les bras ouverts, parce qu’aujourd’hui la mort t’est étrangère.
Pour toi, contre toute attente, tout vient de commencer. Ces dernières années ont été une pénible renaissance. Une renaissance dont tu sais ne pas être arrivé au bout, mais dont tu es persuadé bientôt voir la fin. Une renaissance censée t’ouvrir les portes d’une nouvelle existence, présent de La Mère en remerciement à ta fidélité. À
votre fidélité. Tu ne peux mourir avant de naître à nouveau. Tu ne peux mourir avant d’avoir rempli ton rôle. Car le rôle qui est tien est une mission divine qu’I Ëmel te sait désirer remplir plus que tout, et sous sa divine protection tu es invincible… tant que tes erreurs lui restent pardonnables.
La Prime Déesse a fait de toi un père de plus d’une façon. Chacune d’entre elles riche d’enseignements servant toutes les autres.
Tu frissonnes. Une glaciale cascade creusant son chemin le long des sillons dessinés sur ton dos. Tu souffles lourdement, te délectant de la brûlure du froid contre laquelle lutte ta peau. Tu humes l’air, laissant les essences sucrées embaumant la salle entière te chatouiller les nasaux. De chaudes larmes, des larmes de bonheur, disputent ton visage à la moiteur ambiante. Et tu souris. Parce que la vie est belle et que le destin est généreux. Tu n’as rien perdu. Tu as tout risqué et tu n’as rien perdu. À l’heure qu’il est tu en restes profondément étonné, et tu t’en voudrais presque. Au final après tout, n’étais-ce pas manquer de foi en ton jugement, en ton peuple et en tes dieux que de t’en étonner ? Peut-être. Mais comment faire autrement ? Tu restes faillible après tout…
Une main vient se saisir de ton trapèze, le presse avec force, oblige tes cou et menton à s’enrouler autour d’elle dans un râle de satisfaction. Quelques os craquent dans le même mouvement, terminant de briser le perçant silence nocturne. Ta large paume toujours avec la même énergie, glisse de son perchoir à la recherche de ton aisselle, se saisit de ton pectoral et le malaxe de la même façon avant de mollement couler, faute de volonté. Un souffle chaud quitte tes narines. Une sensation électrique te parcourt la nuque, avant de vicieusement s’en prendre à ton dos. Tu trembles, forcé d’envoyer ton crâne vers l’arrière. Un lent battement de paupières plus tard, tes dents se dévoilaient en un rayonnant sourire.
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Alors ? une voix cristalline tinte à ton oreille Encore à noyer ses réflexions dans un bain de minuit ?Tes mains attendent la remontée de leurs épouses, ne les rejoignant qu’une fois revenues à ta nuque, mais se délectant chaque instant de la douceur de ces paumes épargnées par le temps. Pour toute réponse tu couines, partagé entre la tristesse de voir brisée ta bien-aimée solitude, et l’immense bonheur qu’est la vision de la peau de porcelaine de celle que tu aimes sous la pâle lumière des lueurs.
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Je t’aime Tigilidënya.Tes doigts remontent mollement le long de ses bras, hésitant à dépasser ses coudes. Tes lèvres espèrent que les siennes te répondent d’un baiser plutôt que de mots. Il n’en est rien. Et dès lors tu sais ce qu’elle a sur le cœur.
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Il n’y a rien que je ne ferais pas pour toi Elnoruì.-
Je sais. Tu glousses. Elle sourit timidement. Elle ne te répond pas. Elle attend, simplement. Elle attend que tu te redresses, que tes doigts glissent plus haut que ses coudes, que tu la ramènes à toi. Elle attend, accroupie face à toi, que tu lui disent les mots qu’elle a désespérément besoin d’entendre.
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C’est la preuve que tu m’aimes.Ta grande paume humide cherche sa tempe, en chasse un fil d’argent, le remplace par quelques perles d’eau froide. Tes dents disparaissent derrière un sourire à l’infinie tendresse. Tes prunelles grossies par la nuit brillent face à l’éclat de l’Etoile du Matin.
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Même si c’est complètement fou ?-
Surtout si c’est complètement fou. Ton front vient chercher le sien. Vos yeux se ferment. Et ainsi vous vous entendez. Tu l’entends questionner sa confiance en toi. Tu l’entends questionner sa confiance en les siens. Tu entends sa souffrance devant son impuissance. Tu entends la douleur d’une mère se sentant coupable de s’être faite protectrice en une heure que la raison aurait voulu mal à propos. Mais d’une caresse tu te tentes à la rassurer. De tes mains contre ses joues tu te tentes à lui rappeler tes mots, tes premiers mots, vos premières confidences depuis ton retour.
Elle s’est trompée. Elle a manqué de sagesse. Elle a manqué de patience. Mais tu ne lui en veux pas. Au contraire. Tu l’en remercies. Parce qu’elle l’a fait par amour. Combien de fois as-tu toi, par amour, pris des décisions inconsidérées ? Combien de fois, par amour, t’es-tu éloigné de ce que tu croyais être ? Mais tu es ardent. Tu es tumultueux. Ces soudaines éruptions passionnelles sont ce pourquoi elle t’aime. Elle, elle n’est que douceur. Elle est constance. Elle est sérénité. Elle, elle pense s’être trahie. Elle, elle pense t’avoir trahi. Elle a eu peur. Elle n’aurait pas dû. Elle voulait ton bien, mais elle s’y est mal pris. Persuadée qu’elle était que tu avais besoin d’elle… mais ce qu’elle ne voyait pas, c’est que de bout en bout, elle avait eu raison.
Tu
as besoin d’elle. C’est un fait. Elle est ta Gardienne au même titre que tu es son Protecteur, et toute la confiance qu’elle puisse mettre en toi ne changera jamais cela. Tu
as la confiance pleine et entière de ton épouse, tu le sais. Et tu n’as pas besoin qu’elle soit aveugle pour le reconnaître. Elle comme toi, par amour vous êtes parfois laissés prendre par la folie… mais y a-t-il seulement un témoignage plus poignant que la folie vertueuse d’une femme inquiète ?
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Artiön…-
Kaëlis ?-
J’ai tes cheveux dans la bouche... elle marque une pause beaucoup trop longue …et en plus ils sont trempés.Vous vous laissez tous les deux aller à un rire d’apparence candide, mais qu’Arcamenel en soit témoin, vous saviez déjà tous les deux où vous alliez. Ton front quitte le sien pour aller blottir au creux de son cou et s’y frotter comme un chat. Les boucles de ta crinière trempée déversent leur vital trésor sur l’Etoile du Matin, partageant avec elle les essences qui y sont dissoutes. Puis tu relèves le visage. Tu la regardes, l’air taquin, ses bras croisés sur une toilette maintenant complètement détrempée. Tu te plaques aussi près que tu le peux contre le rebord de la grande baignoire royale, et tes doigts vont chercher les bords de la mousseline, pour se glisser sous la nuisette trempée.
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Elnoruì…-
Oui ?-
Tu sais ce qui serait fou ?-
Je pense bien en avoir une idée…Ta formidable carcasse émerge de l’eau froide, ruisselante de filets d’eau comme une nuit étoilée, redessinant ta puissante silhouette des reflets du maigre éclairage. Avec ton corps s’élevant se soulèvent tes mains, et avec tes mains se soulève le tissu, délicatement arraché à la peau de celle qu’il dissimulait alors. Tu jettes nonchalamment le vêtement de nuit, t’asseyant par la même occasion sur le rebord du bain. Un index vient dessiner la courbe d’un sein. Deux paumes viennent suivre le tracé de généreuses hanches. Deux pouces se creusent un chemin sous le peu de tissu qu’il reste. Deux mains arrêtent leurs vagabondages. Un elfe entier attend.
Une jambe puis l’autre, une gracile demoiselle s’extirpe du cocon. Un pied puis l’autre, une ombre de Lune se laisse attirer par les flots. Elle se laisse couler, dans un moment qu’à tes yeux seul pourrait qualifier le mot
féérique. Lentement, l’une après l’autre, les douces courbes de ton épouse se laissent engloutir par l’onde. Lentement elle disparaît, comme un songe à l’approche du réveil, menaçant de t’échapper pour mieux que tu la désires. Délicatement elle glisse, jusqu’à ce que son visage ne soit plus, jusqu’à ce que l’Etoile du Matin n’éclaire plus la nuit, et que seules les profondeurs puissent répondre aux rayons de Silène.
Une tentatrice créature crève la surface, le regard luisant de malice, les lèvres exsudant de parfums ensorceleurs, les baiser brûlants de passion. Les premières braises te rongent la gorge, d’autant plus bouillantes que dix glaciers t’arrachaient en même temps les flancs. Incapable de lutter contre l’incendie, tu laisses faire, impuissant. Tu ne peux que pleurer la tranquillité perdue lorsque les flammes atteignent ta poitrine, en grimpent les montagnes jusqu’aux pics, en mordent rageusement la cime, avant d’en dégringoler les falaises, éternelles insatisfaites. Mais ils sont trop profonds ces sillons-là. La vallée sous la montagne n’est pas terre accueillante pour les flammes, mais au fond de ces sombres ravines prospèrent les glaciers.
Les doigts de Kaëlistravaë continuent de te retracer les obliques, alors que ses lèvres retrouvent ta ligne centrale, de plus en plus menaçantes. Jusqu’à ce que son nez titille ton nombril, jusqu’à ce que ses lèvres dangereusement basses sur ton pubis se décident à glisser vers ton aine, se retirent brusquement, et que les glaciers que sont le bout de ses fins doigts ne dévalent tes pyramidaux jusqu’à leur sommet.
Tes narines souffles un soupir cuisant, tes mains s’accrochant aux abords des bains dans une vaine tentative de retenir un soubresaut tandis que celles de ta dulcinée s’affairent à terminer de réveiller ta virilité. Avec une mesquinerie toute assumée elle entame une interminable traversée de bout en bout de ton palpitant mâle, savourant la souffrance que lui permet de t’infliger l’indécente démesure qui fait ta vaine fierté. Savourant cette délicieuse douleur avant que son duel contre le géant ne la fasse sienne. Une dernière bise, posée sur la tête du géant, avant que les délicates mains n’en quittent le tronc pour grimper vers ta poitrine, pour y planter leurs griffes et t’attirer vers la noyade. Sous le charme de la lamia tu obéis, tu cours vers ta fin, glisses à nouveau vers l’eau, prêt… heureux de te faire dévorer par ce monstre à l’irréelle beauté.
Un ventre plat accueille tes doigts, l’hypnotisante ombre de seins à la parfaite rondeur fait disparaître tes pouces. La senteur fleurie d’une chevelure d’argent tranche à travers les essences ambiantes pour caresser ton nez. Et ton nez creuse, et ton nez creuse, et tu trouves une gorge à marquer des lèvres et des dents. Tu serres, lamproies. Tu creuses un peu plus sa peau chaque fois que les griffes de la créature de rêve sur ton ventre n’arrivent au sommet du mât soigneusement installé dans le creux de son dos. Tu embrasses, vengeur, taillant de tes incisives des pointes à ses rondeurs alors qu’elle amène ton désir à son comble, qu’elle t’étire vers des sommets, qu’elle s’assure de te posséder dans ton entière grandeur. Et elle t’échappe.
Pour mieux s’offrir. Pour mieux te prendre. Pour mieux t’engloutir. Vorace créature.
Timidement d’abord, elle t’invite en elle, le ventre saisi, les dents à la lèvre. À grandes lampées d’abord elle engouffre de l’air, lutte contre la douleur, s’accroche au bonheur extatique dont elle se rapproche chaque fois qu’elle dévore un peu plus de toi. Appuyée contre ton torse, cueillant à l’occasion tes lèvres contre les siennes, elle se soulève pour mieux retomber, s’inflige chaque fois un défi un peu plus grand, s’offre chaque fois un plaisir un peu plus intense, t’offre de vivre une liesse plus fiévreuse. Petit à petit vous vous emportez. Petit à petit le plaisir prend le pas sur la douleur. Petit à petit vous vous oubliez.
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Hngg…Pour toi le soudain contact d'un obstacle. Pour elle la terrible sensation d'avoir été envahie. L’une des mains de ton épouse te lâche pour se saisir de son propre ventre. Sa mâchoire se serre. Ses yeux se plissent. Elle se retire. Elle te regarde. Tu la regardes. Vous souriez. Vous tentez de vous retenir, mais en vain. Vous échangez un rire communicatif, alors que tu la prends contre toi, ce qui aurait dû être la finalité de vos jeux déjà oubliée.
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Je suis désolé Tigilidënya. tu lui poses une bise sur la tempe C’est que ça fait longtemps que ça ne nous était pas arrivé.-
Je crois que j’ai été un peu ambitieuse. elle glousse doucement Mais c’est la preuve de mon amour, non ?La tête de ton épouse vient trouver repos contre ta poitrine, et avec une nonchalance indigne de ce qui aurait dû être le malaise de l’instant, tu te saisis d’une éponge, et avec le plus grand des naturels, t’appliques à gratter une peau déjà propre.
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Alors là peut-être qu’il faudrait qu’on s’aime un peu moins !Un nouveau rire. Un bâillement. L’annonce d’une agréable nuitée. La promesse d’un lendemain plus beau.