Tu peux toujours retenter ta chance... Si t'as pas peur | Aube & Courtois

5ème jour de la première ennéade
Favrius, Automne de l'An 17:XI

-Santé ! Firent cinq voix en cœur au milieu des entrechocs de pintes et de verres.

Tous burent ensuite une gorgée avant que les boissons ne touchent à nouveau la table. Cette soirée étaient particulière pour les Hadjaoui : ils venaient de récupérer leurs terres. Aerianna n'avait pas eu à débourser beaucoup pour les avoir et, comme promis, elle les avait remises à Sauveur et à sa famille, se tenant prête à les aider pour la suite, tout en sachant que cela prendrait au moins un an et demi avant d'obtenir une récolte.
Ce soir, il n'y avait pas de conjoints. Ils fêtaient l'évènement, c'était vrai, mais ils avaient aussi certaines choses à partager tous ensemble pour la suite. Au moins l'un d'eux devait prendre la direction de leurs terres et ils restaient toujours leurs sœurs et leurs mères à retrouver. Courtois et Sauveur n'étaient pas encore libres de faire ce qu'ils voulaient, Digne voulait rester auprès de sa compagne, Patience était mère célibataire... Cela faisait beaucoup de problématiques pour peu de moyens finalement. Raison pour laquelle ils avaient organisé cette petite réunion de famille. Cependant, hors de question pour eux de ne pas en profiter un peu malgré tout. Aussi, ils s'étaient donnés rendez-vous dans une taverne, prévoyant de fêter cela dignement avec leurs proches une prochaine fois. Digne proposa d'ailleurs qu'ils fassent cela chez lui. Il y avait largement la place et les enfants pourraient être couchés dans l'une des chambres de la demeure. Cela sembla convenir à tout le monde.

Reposant son verre, Aimé se tourna vers le colosse à l'air renfrogné.

-Tu viendras accompagné ?

Courtois ne répondit que d'un haussement de sourcil mais l'information n'étaient pas tombée dans l'oreille de sourds.

-Quoi, t'as quelqu'un ? S'étonna Sauveur.
-Qui ? Renchérit Digne.
-Vous emballez pas. Je suis pas avec, on couche ensemble. C'tout. C'pas la seule com'ça.
-Il l'a déjà ramenée chez lui. Commenta Aimé en s'adressant à ses deux plus jeunes frères, comme si cette simple phrase suffisait à leur faire comprendre qu'il accordait plus d'importance à cette femme qu'à toutes les autres.
-Pour le peu que je sais, vous avez l'air de vraiment bien vous entendre. Ajouta Patience avec un sourire espiègle.

La jeune femme avait en effet pris une véritable place dans la vie du quartier depuis son arrivée et discutait tant avec les voisins qu'avec les marchands du coin. Si les premiers lui avaient parlé des nuits plutôt bruyantes et surtout interminables qu'ils passaient ensemble, les autres avaient évoqué leurs soirées arrosées et leur complicité... Etant donné l'âge de leur frère, ils n'espéraient plus qu'il veuille se stabiliser un jour. Cependant, cette femme-là les interpellait.

-Z'avez fini d'vouloir me caser ? J'm'amuse, c'pas interdit.
-Comment elle s'appelle ?
-Mleshka. C't'une amie. Avec quelques avantages... Et ça lui convient bien à elle aussi.
-Il n'y a vraiment rien de sérieux entre vous ?
-Je sais pas. En un mois, on n'a pas dû s'voir dix fois. C'sérieux pour toi ?

A la mimique de Sauveur, il avait sa réponse. Effectivement, c'était peu... Et même moins que Sanaa et lui lorsqu'ils avaient commencé à se fréquenter alors que leurs débuts n'étaient que purement physiques. Mais cela ne voulait rien dire...

-Au lieu d'vous occuper d'moi, concentrez-vous sur lui plutôt. Dit-il en désignant Aimé. Bientôt quarante ans et toujours célibataire sans enfants. Qu'est-ce tu fous, bordel ?!
-Je passe trop de temps à m'occuper de ton cas. Répondit son aîné du tac au tac, provoquant l'amusement dans leur tablée.

L'ambiance était plutôt bonne enfant alors qu'ils ignoraient qu'une paire d'yeux les observait depuis un coin de la salle...

Les yeux machiavéliques d’Aube brillèrent alors qu’ils fixaient d’un regard fier et enflammé la carrure impressionnante de son père. Elle bu une grande gorgée de lait de chèvre et reposa avec bruit sa tasse sur la table avant de s’essuyer la moustache blanche qu’il avait laissé sur sa frimousse. Un sourire satisfait s’était dessiné sur le visage tandis qu’elle comparait la taille des muscles de Courtois à ceux des autres attablés qui l’entouraient. Il y en avait bien quelques uns qui avaient l’air solidement bâtis, mais aucun ne pouvait se mesurer au paternel !

Courtois. C’était son prénom, et l’une des quelques informations qu’elle avait réussi à réunir en le filant depuis quelques jours. Un nom bien moins tape-à-l’œil que Lame sanglante, qui semblait bien peu coller à son caractère... Un nom qu’elle n'approuvait pas du tout... Mais la jeune fille hausse les épaules pour remettre cet épineux problème à plus tard, elle lui trouverait bien un surnom affectueux... L’affreux géant au mauvais caractère par exemple. Méchant, immense, mais si difficile à pister !

Il fallait dire qu’elle avait fait son possible pour rester invisible, de peur qu'il l'envoie valser d'un coup de panard bien placé, quitte à perdre sa trace de nombreuses fois. Elle avait également souvent dû abandonner son espionnage pour rentrer au dispensaire. La jeune fille avait fait la promesse à la haute-prêtresse de ne rater aucun repas, qu’elle prenait en compagnie des deux jeunes novices Amélie et Tiphaine. Elle avait également rencontré Ludwig, l’herboriste du temple, qui avait l’air d’un vieux dans un corps de jeune, pour lui proposer sa précieuse aide avec l'objectif de devenir son apprentie.

Mais son travail à ses côtés s’était révélé bien moins passionnant que prévu. Elle avait du recopier de sa plume tremblotante des lettres sur des minuscules étiquettes, supporter ses innombrables remarques et recommencer sans fin son recopiage dès qu’il jugeait qu'il n’était pas assez bon. Il avait même, comble de l’audace, refusé de lui apprendre à confectionner un poison, et Aube avait dû se rabattre sur une autre recette.

L’air boudeur, la jeune fille plongea sa main dans sa bourse portée à la ceinture pour en ressortir une fiole de verre à moitié remplie. Non seulement le produit n’était pas celui qu’elle escomptait, mais de plus, l’homme ne lui avait permis d’emporter que quelques gouttes du produit en échange d’une des précieuses piécettes d’argent données par Lucrétia. Son cadeau pour son père n’était certes pas à la hauteur de ses espérances...

La gamine releva les yeux vers la tablée qui l’intéressait avec une mine légèrement inquiète. Elle ne pouvait pas se permettre d’attendre que Courtois se retrouve seul pour l’accoster, sous peine de rentrer au dispensaire au beau milieu de la nuit, et se prendre une sacrée rouste par sœur Tiphaine. Aussi, elle finit de vider sa tasse d’un geste décidé avant de se lever et de s’approcher dans un sautillement pressé. La jeune fille tapota l’épaule de la personne assise en face de l’ancien gladiateur pour lui signifier qu’il devait se pousser. L’homme tourna un regard interloqué vers la jeune fille qui s’assit sur le banc à ses côtés le contraignant ainsi à lui faire de la place.

- Bonjour père, lança-t-elle dans un sourire éclatant à Courtois alors qu’elle abaissait avec force sa paume sur la table, provoquant un ridicule petit bruit sourd. C’est pour toi, continua-t-elle en retirant sa main pour faire apparaître le petit flacon contenant un fond de produit incolore.

- C’est moi qui l’ai fait pour toi ! Ca sert à mettre sur une plante et ça repousse les insectes ! Je ne sais pas si tu as des plantes chez toi... Moi je voulais faire du poison mais j’ai pas le droit ! Quand je serai vieille qu'il a dit Ludwig... Mais si tu veux je peux t'offrir autre chose ? Dis-moi ce qui te ferait plaisir !

Reposant son verre, Courtois distingua une silhouette se mouvoir derrière son frère, bien trop proche pour qu'il ne porte pas un minimum son attention sur elle. Assis à ses côtés, Sauveur en avait fait de même mais il ne fit que hausser un sourcil intrigué jusqu'à ce que...

-Oh non, pas elle...

Tous les regards se posèrent sur le colosse, interloqué par ses paroles alors que seuls les deux mercenaires avaient vu la gamine arriver. Bien vite, l'attention d'Aimé fut attirée derrière lui et l'enchaînement des évènements le surprit. Découvrant la petite blonde qui s'installa sans gêne entre sa sœur et lui, il peinait à comprendre ce qu'il se passait. Il dévisageait l'enfant et n'eut pas le temps d'interroger son cadet du regard que...

-Bonjour père.

Digne s'étrangla tandis qu'il buvait une gorgée de sa bière et fut pris d'une quinte de toux, Patience lâcha un "Quoi ?!" incontrôlé et les deux derniers se tournèrent aussitôt vers un Courtois qui baissait la tête dans un soupir. Il avait fallu qu'elle l'aborde devant eux... Il avait remarqué qu'elle le suivait parfois, même si sa présence ce soir lui avait échappée. De toutes les fois où elle aurait pu l'aborder, elle avait attendu le pire moment pour lui. Certes, elle ignorait très certainement qui étaient les gens qui l'entouraient mais le hasard avait si mal fait les choses... De son point de vue en tout cas.

Le géant ne se préoccupa pas une seule seconde de son petit discours ni de son cadeau bien que tout le monde nota qu'elle avait voulu lui offrir un poison... Curieuse idée, surtout pour son père. Sauf si elle prévoyait de l'utiliser sur lui. Le paternel ne sembla toutefois pas se soucier de ce détail outre mesure.

-J'en veux pas et j'croyais avoir été clair. J'veux pas d'toi non plus.
-Courtois ! Intervint Patience qui était moins surpris par l'indélicatesse de son frère que par le fait qu'il en use sur une enfant.
-Tu nous expliques ? Reprit Sauveur d'un air intrigué et contrarié à la fois.

Courtois releva enfin la tête pour toiser le regard de ses frères et de sa sœur. Ils venaient déjà de le faire chier avec Mleshka, ils allaient s'y mettre avec la gamine maintenant ?! Il fit une moue.

-Elle a débarqué chez moi l'aut' jour. Paraît qu'j'ai engrossé sa bourge de mère quand j'étais à l'Aile Blanche.

Il porta son verre à ses lèvres et vida ce qu'il restait de sa boisson, laissant tout le monde à ses questions. Si elle était fille de riche, alors qu'avait-elle à gagner à retourner auprès de son père naturel ? Elle ne devait manquer de rien et même avoir reçu une éducation. Qu'avait-elle à faire d'un homme dont le statut était à peine mieux que celui d'un esclave ?

-Mais pourquoi elle est venu te trouver, toi ? Finit par demander Sauveur.
-J'sais pas. D'mande-lui. Fit-il d'un air désintéressé par le sujet.

Sur ces mots, Courtois se leva et quitta la table pour se diriger vers le comptoir, faisant mine d'aller faire remplir son verre. Les Hadjaoui restants échangèrent quelques regards interloqués et interdits. Ils savaient tous qu'il ne reviendrait pas de si tôt. Finalement, Aimé se leva pour libérer un peu de place sur le banc et emprunta une chaise à une table voisine pour se mettre en bout de la leur.

Si le père d'Aube était le plus massif de toute la fratrie, il n'était pas le plus grand. A la gauche de l'enfant, Aimé était un peu moins corpulent et mesurait quelques centimètres de plus, ce qui le rendait tout aussi impressionnant. Son physique était néanmoins radoucit par son regard bienveillant et son doux sourire. Face à elle se tenait Sauveur. Lui était le plus grand de tous et sa carrure était emprunte d'un peu plus de finesse malgré sa musculature bien présente. Par rapport à eux, Digne, assis face à Aimé, semblait presque gringalet mais n'avait pourtant rien de ridicule. Son corps était également façonné par le maniement des armes, même si ses atouts à lui n'était pas la force brute. Patience, enfin, était la plus petite et la plus frêle de la tablée mais pas celle de ma pièce. En effet, sa silhouette trahissait trahissait la finesse de ses muscles et elle était plus grande que bon nombre de femme.
Malgré sa chevelure brune au milieu de la rousseur flagrante de tous les autres, le lien de parenté entre les quatre Hadjaoui était plus que notable. Cela se voyait dans la forme ou la couleur de leurs yeux, dans le dessin de leurs mâchoires, dans leurs pommettes saillantes... Courtois, lui, n'avait rien de tout cela. Là où ses frères et sœurs de sang avaient les cheveux roux, lui les avait marrons. Là où tous possédaient des iris teintées de bleu, les siennes étaient grises. Quant à son visage, il était difficile d'y déceler des caractéristiques communes autres autres.
Non, que ce soit dans le physique ou le tempérament, rien ne l'assimilait à ceux qui entouraient désormais la jeune fille.

A peine assis, Aimé croisa ses bras sur la table devant lui et sonda l'enfant du regard. Pour eux, cette petite sortait de nulle part, Courtois n'ayant jamais parlé d'elle. Après quelques secondes de silence, ses lèvres s'étirèrent en un sourire complaisant. La scène que venait de jouer ne l'avait certainement pas mise à son aise.

-Je m'appelle Aimé. Puis il continua, présentant chaque personne d'un signe de main. Et voici Sauveur, Digne et Patience. Je ne sais pas si c'était voulu de ta part mais tu es tombée en pleine réunion familiale.
-Alors... Tu sors d'où comme ça ? Demanda Digne, toujours intrigué par cette question laissée en suspend avec le départ de son frère. Il ne remettait pas en doute l'affirmation de la petite, il voulait comprendre surtout. Après tout, personne n'avait intérêt à venir quérir Courtois comme père...

Son père ne lui accorda pas un regard quand elle tenta de s’excuser pour son ridicule cadeau. Il était déçu évidemment. Ca sautait aux yeux qu’il aurait aimé un autre présent... Elle n’avait pas été à la hauteur de ses attentes. Elle allait devoir en faire bien plus pour se voir accorder sa confiance !

- J'en veux pas et j'croyais avoir été clair. J'veux pas d'toi non plus.

Les lèvres de la jeune fille se pressèrent l’une contre l’autre alors qu’elle acquiesçait d’un air pitoyable. Finalement, elle n’aurait pas du l’accoster ce soir. Elle avait bien pressenti que sa pâle imitation de poison ne l’impressionnerait guère. Même les compagnons de beuverie de Courtois semblaient choqués par sa folle audace. Ils se hâtèrent d’ailleurs de demander une explication à l’homme qui était sur le point de finir sa boisson.

- Elle a débarqué chez moi l'aut' jour. Paraît qu'j'ai engrossé sa bourge de mère quand j'étais à l'Aile Blanche.

Aube le fixa d’un air émerveillé, en cachant un petit rire ravi et faussement modeste derrière la paume de sa main. Courtois ne remettait plus en question l’idée qu’il était potentiellement son géniteur ! Elle reçu sa tirade comme une véritable bénédiction, et ne pu s’empêcher de jeter une orgueilleuse œillade à ses voisins de bancs en rejetant son visage pâle en arrière. Son bonheur fut pourtant de courte durée et son sourire se fana bien vite. Elle ne savait pas qui étaient ces inquisiteurs qui posaient tant de questions mais ils finirent par ennuyer son gladiateur de paternel qui s’enfuit précipitamment non sans avoir enfin vidé son verre.

En se retournant vivement, Aube fustigea d’un regard furibond le géant qui l’avait fait fuir. Sa carrure imposante ne l’impressionnait guère, persuadée qu’en cas de menace, son père le battrait à plate couture. Un autre tas de muscle, à la chevelure fauve, se leva pour attraper une chaise et se rassit aussitôt près d’elle pour planter ses doux yeux bleus dans ceux de la jeune Galaad. Elle soutint son examen d’abord d’un air effronté. Quelque chose lui disait qu’ils allaient la cuisiner... Mais peu importait ce que cette bande de colosses allait dire ou faire, ils ne parviendraient pas à la détourner de son père !

- Je m'appelle Aimé, lança l’homme dans un sourire. Et voici Sauveur, Digne et Patience. Je ne sais pas si c'était voulu de ta part mais tu es tombée en pleine réunion familiale.

Aube tenta de suivre les différentes présentations d’un air circonspect, balayant d’un rapide regard les différents membres de ce groupe qui semblait sortir de l’ordinaire. Une réunion familiale ? Voilà qui expliquait les similitudes qu’elle était parvenue à identifier entre les uns et les autres. Son regard s’attarda un instant sur la fille. Elle lui rappelait vaguement quelqu’un, bien qu’elle ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qui la troublait. Elle finit par s’ébrouer pour reporter son regard vers celui qui semblait aussi aimable que son prénom. Tout cela était très touchant mais que venait faire Courtois dans tout ça ?

- Alors... Tu sors d'où comme ça, demanda Digne qui semblait être le plus jeune de la famille.

Après l’avoir toisé un moment, Aube soupira et releva un de ses genoux pour s’y accouder confortablement. Autant se mettre dans la poche les amis de son père... Ils pourraient peut-être plaider sa cause auprès de lui.

- Ben je viens de Feldorn. Je suis venue à Thaar à la recherche de mon père, Courtois ! Un éclat d’orgueil brilla un instant dans ses yeux avant qu’elle ne continue. Le mari de ma mère m’a mise à la rue... Inutile de préciser que c’était parce qu’elle l’avait volé et accusé le plus jeune de son fils du forfait. De toute façon ma mère m’a toujours détesté. Elle m’a demandé plusieurs fois de disparaitre de sa vie. Je comprends en même temps j’ai gâché son existence en naissant, elle a raté son mariage, ses parents l'ont rejetée, tout ça... Tout en continuant de parler, elle cherchait Courtois des yeux, vérifiant qu’il ne quittait pas la taverne. Si c’était le cas, elle se jetterait à ses trousses pour le filer.

- Bref, je suis venue rencontrer mon père parce que je suis sûre que je lui ressemble et qu’il pourrait être fier de moi...

- Je l’aime beaucoup, finit-elle dans un sourire niais. Et vous ?

La question de la jeune fille provoqua l'amusement du reste de la tablée. Manifestement, elle n'avait pas compris quel était leur lien avec son prétendu paternel. Il fallait avouer que Courtois ne ressemblait à aucun d'eux, ni de près, ni de loin. Pourtant, Aimé avait bien parlé de "réunion de famille", non ? Qu'à cela ne tienne, ils se montreraient plus explicite.

-C'est une véritable tête à claque... Lâcha Digne, retenant à peine son sourire railleur.
-Ma compagne le déteste. Surenchérit Sauveur.
-Mais il n'en reste pas moins notre frère. Conclut Patience d'une voix douce.

Un coin des lèvres de la rousse s'étira lentement en observant la réaction de la petite qui réalisait enfin qu'elle était entourée par ses potentiels oncles et tantes. Elle non plus ne ressemblait pas à leur famille, ni même à Courtois. Sans doute avait-elle pris les traits de sa mère. Il n'y aurait que la petite pour le leur dire.
Son récit avait éclairé les quatre Hadjaoui sur de nombreux points : ce qu'elle voulait à Courtois exactement, pourquoi elle était parti à sa recherche et pourquoi maintenant, la raison pour laquelle elle était seule dans cette taverne... Cependant, il avait aussi soulevé de nouvelles interrogations.

-Quel est ton nom ? Demanda Aimé, attendant patiemment la réponse avant de sourire à l'écoute de son prénom.
-Eh bien Aube, ta mère est une hypocrite. C'est trop facile de reporter la faute sur toi. C'était à elle de faire ce qu'il fallait pour ne pas tomber enceinte. Toi, tu n'y es pour rien !

Patience bouillonnait. Elle aurait voulu avoir la mère de cette petite devant elle pour lui dire ses quatre vérités. Le discours qu'elle tenait à sa fille était profondément injuste. Elle reniait ses responsabilités en faisant tout porter à son enfant, un être innocent qui n'avait rien demandé à personne, pas même d'apparaître dans la vie d'une femme qui ne la désirait pas. Elle avait si bien réussi son coup que même Aube était convainque de sa culpabilité dans cette histoire. Pourtant, si elle l'avait voulu, un tour chez un apothicaire ou auprès d'un médecin -mage ou non- aurait réglé le problème. Si elle avait les moyens de s'offrir une nuit avec un gladiateur, elle avait les moyens de prendre les précautions adéquates !

-Mais... Tu es sûre que c'est Courtois qui l'a mise enceinte ? Comment tu l'as su ?

Il n'y avait a priori aucune raison pour qu'elle mente sur le fait qu'un ancien esclave soit son père. Ceux-ci n'étaient guère beaucoup mieux lotis une fois libre que lorsqu'ils portaient leurs chaînes. Le colosse n'avait rien de particulier. Certes, il avait un emploi stable et bien payé mais sa vie était certainement bien plus misérable que la mère et le beau-père d'Aube. Sans compter qu'il était loin d'être un tendre... La petite semblait pourtant vouloir s'accrocher à lui, au point d'être fier du simple fait qu'il estime qu'il soit possible qu'elle soit sa fille, et ce, même s'il lui balançait droit dans les yeux qu'il ne voulait pas d'elle. Alors, à moins qu'elle soit masochiste, elle disait probablement la vérité. Ou tout du moins en était-elle persuadée.

Les yeux de la jeune fille s’écarquillèrent d’un air choqué au fur et à mesure qu’elle entendait ce que pensaient de Courtois ses compagnons de table. S’ils cherchaient la bagarre, ils allaient l’avoir ! Elle ne savait pas encore comment, mais elle leur ferait payer leur affront, pour l’honneur de son père ! La dernière phrase lancée par la femme d’une voix douce la laissa cependant pantoise et sa soudaine envie de vengeance s'envola aussi vite qu'elle lui était venue.

Notre frère ? Courtois était leur frère ?! Donc la réunion de famille l’incluait lui aussi ? Alors que les idées se mettaient lentement en place dans son cerveau embrumé, elle répondait de manière automatique à ce qu’on lui demandait.

- Aube...

-Eh bien Aube, ta mère est une hypocrite. C'est trop facile de reporter la faute sur toi. C'était à elle de faire ce qu'il fallait pour ne pas tomber enceinte. Toi, tu n'y es pour rien !

Un sourire s’allongea sur la mine de la jeune fille bien que ce qui venait d’être dit n’avait pas vocation à être drôle. Les lèvres d'Aube finirent même par s’ouvrir sur une rangée de petites dents alors qu'elle levait les yeux sur la femme dont elle avait évidemment oublié le nom. Ses pensées s’étaient enfin fixées sur une idée claire. Ses voisins de tablée étaient tous les frères et sœur de l’ancien gladiateur. Ils appartenaient donc également à sa famille, et cette dame qui venait de s'emporter contre sa mère n'était autre que sa tante. Elle tourna la tête vers le barbu roux aux yeux si doux. Son oncle ! Le grand à ses côtés, son oncle aussi ! Et le plus jeune, tout aussi roux que le premier : son oncle également ! Il lui semblait que son cœur allait exploser de joie ! Il fallait qu’elle saute sur la table pour danser la gigue, qu’elle retourne voir Ludwig pour faire des potions et des poisons à offrir à tout le monde, qu'elle leur prouve son allégeance à la famille des Hadjaoui !

Mais alors qu’elle s’était levée en furie pour enlacer tous ses parents de ses bras en forme de brindilles, la dernière phrase lancée par le plus jeune dont le nom lui avait échappé la figea sur place.

-Mais... Tu es sûre que c'est Courtois qui l'a mise enceinte ? Comment tu l'as su ?

Elle délaça ses coudes noueux de l’emprise qu’ils avaient déjà eu le temps de former autour de l’énorme carrure d’Aimé pour se tourner vers l’autre rouquin. Que pouvait-elle répondre à une interrogation si légitime ? Il était évident que beaucoup d’enfants devaient mentir pour revendiquer la paternité d’un héro aussi légendaire que Lame sanglante... Surtout s’il y avait toute cette incroyable famille à gagner en prime...

Que révéler, à part les vantardises que sa mère confiait à ses voisines, d’une voix assez forte pour que tout le monde aux alentours puisse en profiter, ou son surnom si durement gagné d’Aube sanglante ? Toutes ces informations récoltées au compte-goutte sur son père, ces nuits entières à élaborer des plans pour le rejoindre... Et si tout cela s’était construit sur un mensonge ? Cette fierté si forte qu’elle ressentait à chaque fois qu’elle avait l’honneur de poser les yeux sur lui, ne reposait-elle sur rien d’autre qu’un fantasme construit années après années ?

- Je... je crois que c’est lui, balbutia-t-elle les yeux soudain brillants. C’est ce qu’elle a toujours dit, mais...

Non ! Il ne fallait pas qu’elle pleure ! Elle s’était promis que plus jamais elle ne verserait une larme, et encore moins en présence de son père ! Ça incluait évidemment le reste de la famille qu'elle venait de se découvrir ! Il fallait qu’ils soient tous fiers d’elle, et pas qu’ils la considèrent comme un boulet de gamine pleurnicharde. Non, jamais plus elle ne pleurerait !

-... Mais... Je n’en suis pas sûre... Je ne peux rien prouver, finit-elle avant d’éclater en gros sanglots bruyants.

Aimé n'avait pas caché sa réaction de surprise lorsque la petite lui avait sauté au cou. Il n'avait rien contre un élan de tendresse enfantine mais il ne comprenait pas vraiment d'où il sortait... Quoi que le fait d'avoir eu une mère qui la rejetait depuis toujours devait nécessairement avoir eu des conséquences sur cette jeune fille qui se découvrait une famille entière du côté paternel. Surtout si elle avait effectivement été mise à la porte... Malgré son étonnement, le géant roux avait néanmoins posé une main dans le dos d'Aube.
Leur étreinte fut cependant interrompue par la question très légitime de Digne et la petite ne la dédaigna pas. Elle y répondit avec une grande honnêteté... avant de fondre en larmes. Les quatre Hadjaoui se regardèrent sans comprendre ce qui lui arrivait. Elle tenait tant que cela à retrouver son père ? Quitte à ce que ce soit un homme comme Courtois ? Sauveur lança un regard à son petit frère, lui adressant un "bien joué" d'un air taquin. La réaction de leur potentielle nièce mettait ce dernier un peu mal à l'aise étant donné que c'était lui qui avait posé la question... Et son aîné avait choisi de s'en amuser pour dédramatiser la chose.

Au comptoir, Courtois se détourna de sa bière pour observer ce qu'il se passait à la table familiale. Il découvrit la gamine en train de chialer et leva les yeux au ciel avant de revenir à sa boisson.
Non, il était bien mieux là à boire tout seul que de se taper les jérémiade de la bâtarde.

Après quelques instants un peu gênants et un regard réprobateur de Patience à l'attention Sauveur pour sa réplique déplacée envers Digne, Aimé posa une main apaisante sur l'épaule de l'enfant.

-Cesse de pleurer. Nièce ou pas, nous allons t'aider à savoir qui est ton père. Tu dis que ta mère a toujours parlé de toi comme étant la fille de Courtois ? Je pourrais peut-être aller lui parler pour en être sûr. Ou organiser une confrontation avec Courtois, personne n'oserait lui mentir à lui. Conclut-il avec un sourire malicieux en coin.

Il était vrai que le colosse n'avait rien d'avenant. Il faisait plutôt peur, ce qui le servait beaucoup dans l'arène ou même aujourd'hui en tant que garde. Cependant, il était ainsi même dans la vraie vie et il était certain que peu de gens se hasarderait à le mener en bateau car il était clair qu'il perdrait vite patience si la supercherie était découverte... De plus, ce serait un bon moyen pour l'aîné de la fratrie de savoir à quoi s'en tenir avec l'histoire de cette petite. Et peut-être pourrait-il la rabibocher avec sa famille, qui sait ? Mais, cela, il n'en parlerait pas à Aube. Il voulait avant tout vérifier sa version. A son âge, on avait vite fait de tout comprendre de travers. Et s'il s'avérait qu'elle avait raison sur toute la ligne, alors il saurait à quoi s'en tenir.

Le grand roux aux yeux doux posa une main qui se voulait réconfortante sur l’épaule d’Aube, transformant ses pleurs bruyants en reniflements peu ragoutants. La jeune fille releva son visage trempé vers lui alors qu’il lui parlait d’un ton calme.

-Cesse de pleurer. Nièce ou pas, nous allons t'aider à savoir qui est ton père. Tu dis que ta mère a toujours parlé de toi comme étant la fille de Courtois ? Je pourrais peut-être aller lui parler pour en être sûr. Ou organiser une confrontation avec Courtois, personne n'oserait lui mentir à lui.

La jeune Galaad blêmit à cette idée. La simple image qui flotta un instant dans son esprit du face-à-face entre Courtois Hadjaoui et Diane Galaad suffit à lui donner le vertige. Quelque chose dans tout ça clochait et la mettait très mal à l’aise. Elle se prit la tête dans les mains, les coudes posés sur la table en fronçant les sourcils pour tenter de comprendre l’origine de son agitation. Tonton rouquin lui proposait de l’aider, elle aurait du en être folle de joie.

La première explication qui lui vint en tête était qu’elle avait peur pour sa mère. C’est vrai qu’avec sa carrure, son père pourrait aisément lui asséner un coup sur la tête qui lui raccourcirait l’existence à coup sûr. Et sa mère était le genre de personne à rapidement provoquer l’envie d’asséner des coups sur sa tête...

La deuxième raison pouvait avoir un lien avec le résultat de cette confrontation. S’il s’avérait que Diane se rétracte et déclare que Courtois n’était pas son père. C’était tout simplement des années de rêves et d’espoirs qui s’effondreraient... Mais Aube ne voulait pas y penser, sous peine de faire revenir les larmes à gros flots. Elle secoua la tête pour passer à sa troisième explication.

Car s’en rendait compte maintenant, c’était ce qui lui faisait le plus peur en songeant à une réunion familiale Hadjaoui-Galaad. La jeune fille releva soudainement la tête en s’apercevant qu’on attendait une réponse de sa part depuis un bon moment déjà. Elle n’avait pas le choix, il fallait qu’elle leur explique, malgré la honte que cela lui inspirait...

- J’ai peur qu’elle l’abîme, murmura-t-elle tout bas en jetant une œillade sous ses longs cils à son père qui finissait son verre à grandes lampées au comptoir. Qu’elle vous abîme tous, rectifia-t-elle ensuite d’une voix un peu plus forte en reportant son attention sur celui qui semblait être l’aîné de la fratrie. Elle est si méchante... Et puis... Vous ne voudrez plus de moi dans votre famille quand vous l’aurez rencontré...

La jeune fille rougit violemment tandis qu'elle reportait son regard sur la fenêtre montrant des habitations noircies par un ciel de plus en plus sombre. Lucretia lui avait interdit d'être dans les rues la nuit tombée: elle allait devoir rentrer, sous peine de se prendre un savon !

La première réponse d'Aube provoqua le rire de Sauveur et l'amusement chez les autres. Abîmer Courtois ? Quelle idée saugrenue ! Que ce soit physiquement ou psychiquement, c'était bien mal connaître leur frère que de s'imaginer que quoi que ce soit puisse l'atteindre, et surtout venant d'une bourgeoise sans scrupules. La suite en revanche adoucit le sourire d'Aimé qui se voulu plus rassurant. Le but n'était évidemment pas de la garder auprès d'eux si elle n'était pas de leur sang mais il devait clarifier certaines choses.

-Premièrement, ne t'inquiète pas pour nous, et surtout pas pour Courtois. Tu l'as bien regardé ? Dit-il en le désignant au comptoir d'un haussement de sourcils. Tu crois vraiment que quoi que ce soit peut en venir à bout ?
-C'est plutôt lui qui tape sur les nerfs en général. Surenchérit Sauveur d'un air amusé.

Pourtant, de toute la fratrie, il était certainement celui qui s'entendait le mieux avec le colosse tatoué. Lui qui avait des prédispositions aux crises de rage, c'était son frère si stoïque qui lui avait enseigné à s'en servir comme d'une source d'énergie presque inépuisable. Cela lui avait si bien servi qu'il s'était démarqué des autres durant le grand tournoi de l'An 14, l'amenant jusqu'aux duels finaux.
Aimé sourit à la plaisanterie puis continua.

-Crois-moi, il est plus solide encore à l'intérieur qu'à l'extérieur.
-Et le fait d'avoir une mère méchante ne fait pas de toi quelqu'un de mauvais. Rassura Patience. Tu es assez grande pour savoir que tout dépend uniquement de toi, n'est-ce pas ? Quelque que soit tes qualités et tes défauts, tu peux choisir toi-même les valeurs que tu veux suivre.

Tandis que sa sœur parlait, Digne suivit le regard de la jeune fille jusqu'à la fenêtre. Ne discernant rien de particulier, il fronça légèrement les sourcils avant de se retourner vers la petite.

-Un problème ? Demanda-t-il sincèrement, quoi qu'un peu interloqué par ce changement soudain d'attitude.

Le rouge persista sur les joues de la jeune fille passant lentement de la honte à l’indignation. Ce qu’elle venait d’avouer semblait avoir provoqué une hilarité générale qui la piqua au vif. De quel droit se moquaient-ils tous d’elle ? Elle se tourna vers l’aîné de la fratrie, affichant une moue boudeuse en attendant une explication qu’il ne tarda pas à lui fournir.

-Premièrement, ne t'inquiète pas pour nous, et surtout pas pour Courtois. Tu l'as bien regardé ? Tu crois vraiment que quoi que ce soit peut en venir à bout ?

Suivant son regard, elle releva les yeux vers son père qui vidait une nouvelle chope accoudé au comptoir. La Galaad se dérida alors que ses yeux brillèrent d’adoration. C’est vrai qu’il semblait tellement fort... Invincible, il l’était surement...

-C'est plutôt lui qui tape sur les nerfs en général, ajouta un autre de ses oncles dans un grand sourire.

-Crois-moi, il est plus solide encore à l'intérieur qu'à l'extérieur, reprit Aimé, rapidement suivi par sa sœur qui s’était penchée vers la jeune fille.

-Et le fait d'avoir une mère méchante ne fait pas de toi quelqu'un de mauvais. Tu es assez grande pour savoir que tout dépend uniquement de toi, n'est-ce pas ? Quelque que soit tes qualités et tes défauts, tu peux choisir toi-même les valeurs que tu veux suivre.

Alors qu’elle s’était sentie le cœur plus léger, Aube eut l’impression que la tirade de la femme venait de le faire tomber dans ses talons. Elle se tourna vers cette dernière en déglutissant avec bruit. Lucrétia lui avait déjà parlé de cette histoire de valeur, de morale... Et bien que la jeune fille ne saisisse pas complètement le concept, elle avait tout de même l’impression de tomber bien loin du modèle que la haute-prêtresse attendait d’elle. Le mensonge et le vol lui paraissaient aussi naturel que respirer quand il s’agissait d’atteindre ses objectifs. Pire, elle ne voyait pas vraiment où était le problème... Elle ne faisait simplement qu’imiter ce qu’elle voyait autour d’elle.

Malgré tout, il était important pour elle de comprendre et de se conformer à l’idéal que lui proposaient des personnes comme Lucrétia ou sa tante. Elle semblaient si bonnes et sages... Tellement différentes de sa mère. Elle aimerait tant qu’elles soient fières d’elle !

-Un problème, s’enquit soudain celui qui semblait être le plus proche d’elle par l’âge quand il surprit le regard qu’elle lançait dehors pour surveiller l’heure. Sa question la sortit de sa torpeur, et Aube se releva vivement, aussi droite et fine qu’une planche de bois.

- Il fait nuit, il faut que je rentre, s’écria-t-elle avec force. Elle se tourna vers Patience pour lui expliquer, espérant vivement que cet effort faisait partie des fameuses valeurs qu’elle voulait que la jeune fille suive. J’ai promis à Lucrétia de rentrer avant la nuit tombée au dispensaire où je loge ! J’espère qu’on se reverra bientôt !

Avant qu’ils n’aient pu réagir, elle s’était faufilée jusqu’a son père et l’enserra brièvement de ses bras maigrichons et lui murmurant un au revoir aussi incompréhensible qu'émouvant.

- Abientotpapou...

Avec la rapidité dont elle était si fière et qu’elle avait surement hérité de son côté Hadjaoui vu leurs aspects athlétiques, elle s’éloigna de lui en riant, craignant qu’il ne réplique en lui assénant un coup sur le crâne. Néera, déesse de la vie, l’avait dotée de capacités exceptionnelles en plus de la rapidité : discrétion et analyse de son environnement. Elle était capable de se rendre invisible si elle le souhaitait et à même de sentir le moindre danger qui pouvait survenir. Elle fut pourtant incapable de repérer la paire d’yeux avide qui l’observa sortir de la taverne avec une attention particulière pour la bourse qui pendait à sa ceinture avant de la prendre en filature.

Aube s'était levée d'un seul coup et leur avait répondu prestement avant de s'en aller subitement. Les quatre Hadjaoui se regardèrent les uns les autres. Ils n'avaient même pas eu l'occasion de la rassurer ou de l'interpeller et la vivacité de ses gestes les rendaient pantois. Puis il la suivirent des yeux et la virent filer vers Courtois qui avait la tête tournée dans la direction opposée.

Lorsqu'il sentit des bras l'enserrer soudain, le colosse posa ses prunelles sombres sur la chose qui venait d'entrer en contact avec lui. Il dévisagea la gamine alors qu'elle persistait à lui témoigner de l'affection, à lui, un inconnu qu'elle considérait comme son père de longue date sans pour autant le connaître vraiment. Mais lui non plus n'eut pas le temps de réagir davantage. Elle le libéra bien vite de son étreinte sous les ronchonnements du mercenaire et fila vers l'extérieur. Il la regarda s'en aller sans bouger alors que, déjà, une certaine agitation régnait derrière lui.
Aimé, Sauveur et Digne venaient de se lever et rejoignaient leur frère.

-Attends, tu la vois filer toute seule dans la rue en pleine nuit et tu l'accompagnes pas ?
-D'une, j'savais pas qu'elle s'tirait. D'deux, j'sais pas s't'as vu mais elle m'a pas laissé l'temps d'grand chose. D'trois, vous v'z'êtes l'vé pour ça non ?

Sauveur et Aimé lui adressèrent un regard des plus explicites mais Courtois s'empressa de les ignorer. Il prit son verre et se dirigea vers leur table désormais débarrassée de la présence qui l'incommodait et où Patience se trouvait toujours. Cette dernière avait assisté à la scène et se trouvait aussi effarée que ses trois autres frères devant la réaction du tatoué. Mais ce n'était pas vraiment le moment de s'occuper de ça. D'une main, elle leur fit signe de filer.

-Qu'est-ce que vous attendez ? Rattrapez-la !

Sans plus attendre, les trois hommes se tournèrent vers la sortie et, une fois dehors, cherchèrent la jeune fille du regard. Mais elle était partie si vite et, malgré l'éclairage des ruelles, l'endroit restait sombre...

-AUBE ! Appela Aimé de sa voix grave dans l'espoir qu'elle soit encore assez près pour l'entendre.

La jeune fille s’était élancée dans la mi-pénombre de la ruelle en pouffant encore de rire au souvenir du plaisir qu’elle avait eu à enlacer son colosse de père. Pourvu qu’il l’accepte rapidement à ses côtés, et qu’ils partent enfin par monts et vallées vivre les aventures dont elle avait toujours rêvé... Elle avait l’impression d’avoir bien progressé ce soir, même s’ils n’avaient échangé que quelques mots et qu’il avait refusé son présent... Et puis il y avait eu la rencontre avec le reste de la famille !

Au souvenir des faciès de ses oncles et tantes, leurs mots et incertitudes lui revinrent en mémoire et son sourire se figea. Et s’ils avaient raison et que sa mère, en plus d’être stupide, égoïste et orgueilleuse était également une fieffée menteuse ? Et si mentionner son histoire avec Lame Sanglante n’avait été qu’une nouvelle manière pour elle de se vanter ? Il fallait dire qu’inventer une quelconque aventure avec ce combattant tout en muscle devait être tentant... La terrible idée que son lien avec Courtois ne soit qu’un vaste mensonge fit frissonner la jeune fille.

Mais n’étais-ce dû qu’au sentiment de se retrouver de nouveau orpheline de père, ou bien également à la brise glacée qui traversait la cape de laine qu’elle tenait serrée autour de ses épaules et semblait la transpercer de part en part ? N’était-ce également qu’une impression ou la ruelle était plus sombre qu’aux abords de la taverne dont le tumulte semblait à présent bien loin. Aube ne se sentait pas vraiment rassurée, et bien vite, elle eut même la sinistre impression d’être suivie.

Elle tourna en hâte au coin de la ruelle et se retrouva avec effroi dans une ruelle plus sombre encore. La jeune fille accéléra avec toujours l’effrayante sensation d’entendre des pas se calquer sur son rythme et tourna dès qu’elle put, longeant un bâtiment délabré. Bien vite, elle prit ainsi les passages qui s’offraient à elle pour tenter de semer son poursuivant, sans se rendre compte qu’elle tournait en rond.

Finalement, la panique la gagna complètement, et elle se mit à courir et avant de tourner de nouveau à un angle de ruelle, pour buter contre une personne qui lui agrippa les épaules. Aube se mit à hurler en se débattant avant de lever les yeux vers son assaillant. Son cri se transforma en une exclamation plus mesurée.

- Mon oncle !

L’immense rouquin lui lança un regard interloqué alors qu’elle observait avec étonnement autour d’elle. La jeune fille était revenue sur ses pas aux abords de la taverne ! Qu’était donc devenu son sens de l’orientation légendaire ?! Elle jeta un œil derrière elle la mine légèrement apeurée pour s’apercevoir que la ruelle était vide, ce qui provoqua chez elle un mélange de soulagement et d’inquiétude. Avait-elle finalement tout inventé ?

- J... Je croyais q..que... commença-t-elle à bégayer avant de secouer la tête pour reprendre ses esprits. Mieux valait ne pas parler de son poursuivant imaginaire pour qu’Aimé ne la prenne pas pour une fillette apeurée à l’imagination fertile ! Elle reporta son attention sur lui avec un maigre sourire.

- Et si je te montrais où je loge, au dispensaire de Saint Iselda, comme ça vous pourrez venir me retrouver quand vous voudrez?

Sa priorité était surtout d'éviter de se balader de nouveau seule dans les rues et risquer de se retrouver en tête-à-tête avec son traqueur, qu’il soit réel ou imaginaire.

-Aube ! Aube ! Calme-toi, c'est nous !

La petite fille était en panique, ils avaient bien fait de partir à sa recherche. Il y avait de quoi être inquiet entre la bourse qui pendait à sa ceinture, son jeune âge et l'heure tardive. Thaar était dangereuse, surtout pour une personne seule et sans défense. Elle se débattit contre celui qui l'empêchait de partir. Aimé la maintenait pour ne pas qu'elle leur échappe et qu'elle fuit en courant sans comprendre qui la suivait. Tandis qu'il tentait de la calmer, Sauveur vérifia les alentours d'un regard. Il crut apercevoir une ombre se mouvoir dans la ruelle d'où la fillette provenait. Il fronça les sourcils mais ne prononça pas un mot. Il était inutile de l'alarmer davantage, surtout maintenant qu'elle était en sécurité.

Mais Aube réalisa bien vite qu'elle était entourée de gens connus et en qui elle pouvait avoir confiance. Elle s'apaisa d'elle-même, vérifia la rue -désormais vide- et dévisagea tour à tour les trois Hadjaoui. Confuse et persuadée d'avoir rêvée, elle tenta de dissimuler la peur qui l'avait saisie mais ses aînés n'étaient pas dupes. Néanmoins, ils firent comme si de rien n'était et le plus âgé -qui l'avait lâchée- se pencha sur elle après qu'elle les ait invité à leur montrer où elle vivait.

-Nous sommes-là pour te raccompagner. Tu ne devrais pas être dans les rues toute seule à une heure pareille.
-Et c'est pas plus mal qu'on sache où te trouver si on doit aller vérifier les paroles de ta mère. Fit gentiment remarquer Digne.

Ils lui avaient promis de démêler le vrai du faux. De s'assurer que Courtois était bien son père ou de trouver l'identité du véritable géniteur. Car, même si elle avait bien couché avec leur frère, il se pouvait aussi qu'il soit un partenaire parmi tant d'autres ou une façon de cacher qu'elle était enceinte d'un homme qui lui aurait posé problème... Bref, il y avait beaucoup de possibilités et ils étaient bien déterminés à découvrir laquelle était la bonne. Ils voulaient prendre ce sujet en main mais ce n'était pas tant pour libérer Courtois d'une éventuelle responsabilité qu'il n'avait jamais demandé à assumer et qu'il serait difficile de lui faire endosser. Leur inquiétude concernait plutôt cette petite qui avait tellement besoin d'un père qu'elle était prête à s'accrocher à un homme qu'elle ne connaissait pas et qui la rejetait par dessus le marché.

Finalement, ils se mirent tous en marche, direction Sainte Iselda. En chemin, ils en profitèrent pour en apprendre un peu plus sur cette enfant. Car que savaient-ils finalement d'elle en dehors de son nom et de quelques bribes de son histoire ? Pas grand chose.

-Dis-moi, Aude ? D'après ce que j'ai compris, tu sais depuis longtemps que Courtois existe. Pourquoi n'as-tu pas essayé de le retrouver plus tôt ?

-Nous sommes-là pour te raccompagner, lança Aimé à Aube en desserrant l’étau de ses mains pour la libérer. Son ton était si paternel qu’Aube leva vers lui des yeux brillants et débordants d’un mélange de joie et d’admiration alors que ses bras retombèrent sur ses côtés, comme deux brindilles. Le colosse à la tignasse fauve ressemblait tellement à l’un de ces héros de légende. Il en avait la carrure, comme le restant de la fratrie, mais semblait également avoir l’âme généreuse qu’on accordait souvent à ce genre de personnage sans peurs et sans reproches.

- Tu ne devrais pas être dans les rues toute seule à une heure pareille. Se reprenant, Aube croisa les bras en ricanant d’un air bravache. N’étaient pas nés ceux qui l’empêcheraient de se balader où elle voulait et à l’heure qu’elle voulait ! Elle voulut s’écrier qu’elle n’avait peur de rien, ni de personne, prouvant que l’épisode qu’elle venait de vivre semblait s’être instantanément volatilisé de sa mémoire défaillante, mais Digne prit la parole à son tour.

-Et c'est pas plus mal qu'on sache où te trouver si on doit aller vérifier les paroles de ta mère. Sa voix était douce et teintée de bienveillance, mais la jeune fille reçu ses propos avec la violence d’un gifle. Passer du froid glacial des ruelles sombres à la présence rassurante de ses trois oncles l’avait emplie d’une délicieuse chaleur. Elle s’était sentie immédiatement rassurée, sûre d’elle, avec le sentiment d’être exactement au bon endroit, au bon moment. Mais Digne lui avait cruellement rappelé que ce bonheur serait fugace, et que tout reposait peut-être sur un mensonge de sa mère. Aussitôt qu’il serait dévoilé, les Hadjaoui disparaitraient de sa vie aussi soudainement qu’ils était apparus à l’instant pour la sauver.

La jeune fille pencha tristement la tête, épaules baissées, découragée par la terrible l’épreuve qui l’attendait : la recherche de la vérité. Quand ses presqu’oncles firent mine d’avancer, elle les suivit en traînant les pieds. Pourtant, au fur et à mesure qu’ils marchèrent, son torse se redressa progressivement, preuve qu’elle retrouvait peu à peu sa bonne humeur. En effet, les regards des quelques badauds qu’ils croisèrent glissèrent sur les silhouettes massives de ses compagnons, et Aube devinait sans mal les commentaires impressionnés qu’ils taisaient en pressant le pas. Elle tira une grande fierté de se tenir en si bonne escorte, et pressant le pas pour les rattraper, elle voulu glisser sa minuscule main dans celle immense de l’aîné des Hadjaoui en tentant de réprimer le large sourire de contentement qui s’affichait sur ses lèvres. Après tout, si elle risquait de perdre ses trois oncles sous peu, autant en profiter un peu avant. Mais Aimé reprit soudainement la parole, et elle retira précipitamment sa main, de peur qu’il ne la réprimande.

-Dis-moi, Aude ? D'après ce que j'ai compris, tu sais depuis longtemps que Courtois existe. Pourquoi n'as-tu pas essayé de le retrouver plus tôt ?

La jeune fille fronça un instant les sourcils dans un effort intense pour mettre de l’ordre dans ses souvenirs et ses idées aussi éparpillées que changeantes. Quand elle prit la parole, ce fut de manière brouillonne et volatile, papillonnant d'une idée à l'autre à mesure que ses souvenirs remontaient à la surface.

- La première fois que j’ai entendu ma mère parler de lui, c’était dans une dispute avec son mari... J’ai juste compris que c’était un combattant ou quelque chose comme ça... Mais quand j’ai voulu en savoir plus, elle m’a frappé alors après j’ai évité d’aborder le sujet... Mais elle a finit par en parler de plus en plus, à ses amies, aux voisines, aux autres femmes du quartier... J’ai finit par apprendre que ça avait été un esclave gladiateur qui s’appelait Lame Sanglante. Comme les femmes semblaient impressionnées et ma mère plutôt fière d’elle, alors moi aussi j’étais fière. Mais les autres enfants eux se sont mis à se moquer de moi et à me frapper parce que j’étais une fille d’esclave ! Ces sales fils de mendiants ! Alors je leur ai dit que mon père allait venir leur trancher la gorge et ils m’ont laissé tranquille ! Ils m’ont appelée Aube Sanglante !

Sa voix fanfaronnante laissait très clairement sous-entendre qu’elle n’était pas peu fière du surnom qu’elle avait reçu.

- Ensuite j’ai enquêté pour trouver des gens qui auraient pu le connaître. Y'a tout plein de gens pas trop recommandables qui passaient par la taverne à l'entrée de la ville... J’ai fini par trouver un instructeur de l’école l’Aile Blanche. J’ai du lui payer des pots de vin pour avoir plus d’information avec l’argent de mon beau-père... Lui du coup il m’a mise à la rue... Et donc je suis venue ici avec l'instructeur pour retrouver Courtois !

Avec de grands gestes, elle avait illustré la fin de son propos pour le rendre plus clair en se tournant de côté pour les fixer, entièrement concentrée sur ce qu’elle venait de raconter. C’est donc sans grande surprise qu’elle bouscula sans le voir un passant qui manqua de trébucher et de tomber.

- S’cusez, lança-t-elle sans lui prêter la moindre attention, accaparée par son histoire et la présence des trois frères qui l’écoutaient. Et vous, vous avez été esclave aussi ? La jeune fille parlait fort, sans aucune conscience du poids des mots et de l’indiscrétion de ses questions, d’une naïveté enthousiaste.

Aube avait un débit de parole des plus impressionnants. Si elle était bien la fille de Courtois, alors elle ne tenait pas ça de lui. D'ailleurs, à bien la regarder, elle n'aurait pas reçu grand chose du côté paternel. Elle était petite, maigrichonne, les yeux bleus, les cheveux -si on pouvait appeler ça comme ça- bonds et frisés... Sans compter qu'elle était souriante et avenante. Tout l'opposé de leur colosse et taciturne de frère. Cependant, ils étaient prêts à lui accorder le bénéfice du doute. Elle n'avait aucun intérêt à leur mentir et le tatoué ne ressemblait en rien au reste de la fratrie. Pourtant, ils avaient bien le même père, et la même mère pour ce qui concernait Aimé, Patience et Digne. Il était donc malgré tout possible qu'elle dise vrai.

Ainsi donc, la génitrice de la jeune fille s'était vantée d'avoir couchée avec un esclave ? Ils avaient du mal à comprendre en quoi il s'agissait d'un exploit. Peut-être parce qu'elle avait eu les moyen de s'offrir un tel luxe ? La compagnie intime d'un gladiateur n'était pas donnée, même si cela rendait un peu service à leurs maîtres que de leur permettre de se détendre de cette manière de temps à autre. Ils n'en restaient pas moins des athlètes uniquement destinés aux arènes et c'était là-dessus que l'on voulait qu'ils se concentrent. Ils n'avaient donc pas de compagnie tous les soirs, loin de là.
Finalement, la petite s'arrêta de parler mais ce fut pour percuter bien vite un passant. Celui-ci se retourna sur son passage et commença à pester avec un air mauvais mais il fut bien vite arrêté par le regard sombre de Sauveur. Elle s'était excusée, il n'avait pas à attendre plus d'elle, cela arrivait à tout le monde. Il ne tolèrerait pas que cet inconnu s'emporte contre elle sans raison valable. Devant la silhouette de celui qui lui faisait face et de celle d'Aimé plus loin, l'homme s'affaissa de manière visible et poursuivit son chemin sans plus rien demander. L'ancien gladiateur rattrapa ses frères en deux pas et les rejoignit juste au moment où Aube posait sa question.

-Nous sommes nés libres, aucun de nous n'a choisi d'être gladiateur.
-Et nous n'en retirons aucune fierté, petite. Alors n'en aies pas pour nous. Conclut Sauveur d'un air grave.

Le sujet n'était visiblement pas des plus plaisants pour les trois frères et c'était bien normal. On leur avait imposé cette vie, imposé la servitude et la mort pour seule possibilité de survie. La fillette était probablement trop jeune pour le comprendre vraiment. Avec le temps, cela viendrait.
Cependant, la destination finale s'imposa bien vite à eux alors que la silhouette du dispensaire se dessinait devant eux. Il était temps pour elle d'aller se coucher et pour eux de retourner discuter de leurs affaires concernant leurs terres. Nul doute qu'ils trouveraient Patience en train de sermonner Courtois quant au fait qu'il ait peut-être un enfant et qu'il devrait prendre ses responsabilités. Eux savaient parfaitement que c'était peine perdue mais ils ne pouvaient que comprendre la position de leur sœur qui savait ce qu'être parent représentait. Ils ne lui jèteraient pas la pierre pour avoir essayé.

-Bonne nuit. Et sois plus prudente à l'avenir. On reviendra, c'est promis.

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