Bientôt la liberté me reviendra.

Dans la demeure d’autrui, Nath’Ryna Tael’Chath rêve et attend. Pour son plus grand malheur elle n’avait pas vraiment le choix, reléguée au rang indigne de prisonnière, d’otage au mieux, dans une prison à peine plus dorée que sa chambre dans le palais familial, la dernière apprentie du Grand Architecte ne peut que rêver et prier ; rêver et prier pour que Myr’Hennis meurt. Et pour ça elle passe un temps disproportionné devant l’autel dédié à Isten dans la villa de son geôlier car si ce dernier venait à rendre sa flamme au Père elle deviendrait la nouvelle Grande Architecte. En effet dans son malheur se trouvait au moins une bonne nouvelle : son condisciple était mort lors de sa tentative ratée et vu que son maître avait quitté le Puy avec les osts il n’en avait pas désigné un autre ce qui faisait d’elle la seule et unique héritière légitime de la charge ô combien importante de Grande Architecte du Puy d’Elda. Une charge que sa famille n’aurait jamais dû perdre. Une charge qui fut créé par sa famille et qui lui revenait de droit. Une charge qu’elle récupérerait d’une façon ou d’une autre.

C’était d’ailleurs son objectif, depuis l’échec de son complot elle ne pensait plus qu’à ça : un moyen de se libérer et de renverser Myr’Hennis Vect. Cependant sa marge de manœuvre était… limitée. C’était même le moins que l’on puisse dire étant donné qu’elle était tout le temps surveillé. Lorsqu’elle ne faisait pas semblant de travailler avec Plynnil, car personne ne la laissait travailler réellement, il était hors de question qu’elle s’approche d’un quelconque document architectural, Ashal et des membres de confiance de sa garde la gardait à l’œil. Toutefois elle avait pu entendre plusieurs fois en passant vers le quartier des esclaves que le Grand Architecte avait un trésor, caché quelque part, et que la dernière personne a avoir tenté de le découvrir avait eu une fin aussi peu enviable qu’exemplaire. Toutefois elle avait aussi appris que la dernière personne en question avait pu voir ledit trésor avant d’être attrapée.

Le seul problème étant que la voleuse en herbe était morte et qu’il était fort peu probable que le trésor se trouve au même endroit qu’à l’époque. Alors Nath’Ryna rêvait et attendait. Elle rêvait éveillée, allongée dans son lit et se demandait s’il n’était pas impossible de trouver quelqu’un qui pourrait l’aider. Après tout elle pouvait devenir Grande Architecte et les Tael’Chath étaient connus pour leur richesse digne de grands princes marchands ; il y avait donc de nombreux intérêts à l’aider. Le souci n’était donc pas les motivations mais plutôt qui motiver et elle pensait avoir trouvé alors la prima ferma lentement les yeux pour masquer à sa vue le plafond si sobre de sa chambre. Le lendemain elle continua la mascarade à laquelle elle était sujette depuis plus d’un an et demi maintenant à ceci près qu’elle fit disparaître un encrier et un bout de parchemin du bordel sans nom qu’était le bureau du Grand Architecte. Une fois de retour dans sa chambre pour la nuit elle embrassa la pièce du regard mais ne trouva pas de cachette, aucune qui ne puisse être trouvée sans trop de difficulté du moins et elle savait pertinemment que sa chambre était fouillée quotidiennement de fond en comble. Un sourire amusé vint à ses lèvres alors qu’une solution venait de lui traverser l’esprit. Elle sortit et s’approcha d’un garde.

« J’aimerais faire une offrande à Isten, pouvez-vous m’amener une esclave ? » Demanda-t-elle avec une voix suave en faisant glisser sa main le long de la cuirasse du guerrier. « Ah oui, j'allais oublier: n’oubliez pas le darnab. » Elle accompagna sa requête d’un sourire charmeur avant de retourner dans sa chambre une fois que le garde s’en allait exaucer son souhait.

Quelle difference y-a-t-il entre l'étude noire et la demeure du grand architecte? L'elfe s'amusait parfois à en tenir un inventaire précis, lorsqu'elle s'ennuyait en tout cas, ce qui arrivait rarement. En soit, elle n'avait pas été étonnée que l'étude noire confirme sa cession auprès du grand architecte. Si les détails de ladite acquisition étaient sujets à discussion, elle ne doutait pas que les mages préféraient éviter un conflit avec Myr'hennis Vekt, et surtout qu'ils sauraient en tirer avantage à un moment où un autre. Ils ne changeraient pas.

Elle était un pion dans le jeu de Tess de la politique des Maitres. Peut-être cela aurait-il du la révolter, mais Mililwen trouvait cela normal au plus profond d'elle. S'il y avait une certitude en elle, c'était son rôle. D'aussi loin qu'elle se souvienne, il en avait toujours été ainsi.  Qu'elle change de propriétaire faisait partie sans aucun doute possible de la fonction, tant que c'était fait dans les règles de l'art. Et si cela ne l'était pas, ce n'était pas à elle de s'en émouvoir outre mesure.

Cela ne signifiait pas qu'elle ne devait pas faire attention à sa personne, ni qu'elle ne pouvait pas prendre de plaisir, bien au contraire, aussi prenait-elle en général garde à naviguer à vue dans ce nid de serpent.  Son seul regret était l'absence de sa sœur, mais le temps remédierait peut-être à cela. Mililwen était patiente.

Elle était satisfaite par sa nouvelle vie. Le travail était d'une certaine façon plus simple qu'à l'étude noire, car après tout il y avait beaucoup moins d'égos à satisfaire ici, mais il présentait son propre lot de défis. Ses camarades esclaves ne savaient pour la plupart pas s'ils devaient s'inquiéter ou admirer le mélange de determination et de soumission de l'elfe, et l'aura de mystère somme toute séduisante qui en résultait lui convenait parfaitement.

Mililwen avait contribué des décennies, des siècles même à faire de l'étude noire un lieu fonctionnel, aussi ses talents l'avaient conduite à être affectée aux ordres de Plynnil, qu'elle avait appris à apprécier, chose qu'elle pensait réciproque.

Mais ce n'était pas là toute l'étendue de ses talents, et c'est pour d'autres, plus charnels, que ce garde vint la quérir en cette sombre soirée.

- Mililwen, tu vas servir Nath’Ryna Tael’Chath, ce soir. Elle souhaite faire une offrande à Isten." Le drow faillit lui ajouter de se presser, car la patience n'était pas la plus grande des qualités de l'apprentie du grand architecte. Mais l'esclave s'était déjà levée sans un bruit, souple comme un chat.

- Oui, Maitre. Combien de temps pour me préparer?" Sa voix avait la douceur du miel et la precision de l'acier, et, à la voir manifestement lavée et coiffée, le sombre se demanda un instant si elle ne s'était pas attendue à sa venue. C'était stupide.

- Pas plus de quelques minutes.
- Merci. Lui faut-il une bouteille de Darnab?

Le garde fronça les oreilles. L'elfe le déconcentrait. Il allait oublier le Darnab. En même temps, ce n'était pas pour faire serveur qu'il s'était engagé. Peut-être la Dernière guerre lui permettrait-elle d'avoir la sienne, élevée en milieu naturel, un jour. Oui, il en était certain.

Quelques minutes plus tard, il accompagnait l'esclave jusqu'à la chambre de sa charge. Pieds nus, elle avait troqué l'uniforme des serviteurs du grand architecte pour une robe diaphane.

Les fins drapés de soie blanche que le moindre mouvement suffisait à soulever cachaient tout autant qu'ils révélaient ses courbes elfiques. Un ensemble de bijoux d'argents rehaussaient ses traits, et, entre ses mains, elle tenait un plateau délicat sur lequel était posés une bouteille, des verres de cristal et des accessoires.

Le garde l'annonça pendant qu'elle attendait, souriante, regard baissé, ainsi qu'on attendait d'elle.

L'apprentie du grand architecte lui faisait penser à certains des Maitres de l'étude qu'elle avait côtoyé de prés. Parfois, il valait mieux être méfiante. Mais une esclave ne choisit pas ses Maitres.

Parfois, dans ses rêves, c'était le cas.

Pendant que le garde était partis accomplir sa volonté, Nath’Ryna retira son manteau de soie noire qu’elle laissa ruisseler sur le sol en attrapant au passage l’encrier qu’elle avait dissimulé dans sa manche si ample. C’était un mouvement qu’elle connaissait tout particulièrement et qu’elle aimait tout aussi particulièrement. Malheureusement ces temps-ci on ne lui laissait pas y dissimuler une dague. Elle joua avec l’encrier, le faisant passer entre ses doigts agiles en se rappelant avec une certaine mélancolie teintée de fierté le moment où elle avait presque lancé une guerre entre deux familles de premiers sangs en assassinant la bonne personne au bon moment. Alors certes elle avait perdu une amie en la tuant avec son promis mais la tentative en avait valu la peine, elle avait particulièrement apprécié maquiller la scène pour en faire un règlement de compte ; c’était d’ailleurs ce qui lui avait d’abord inspiré une carrière dans la Doth’ka mais son père le lui avait refusé et, étant la cadette, elle n’avait même pas imaginé pouvoir protester. Elle maudissait d’ailleurs encore son père pour le lui avoir refusé, s’il avait ouvert les yeux pour voir ses talents elle ne serait pas dans cette situation aussi embarrassante que stupide. Surtout que la situation aurait pu être évitée si les autres primas n’avaient pas somnolés pendant des heures.

Elle desserra les poings et tenta de se calmer, briser la petite bouteille d’encre aurait été particulièrement pénible, surtout avec l’esclave qu’elle avait demandé qui ne devrait pas tarder. Elle secoua lentement la tête, elle ne pouvait évidemment pas se le permettre.

Cependant Nath’ryna ne pouvait s’empêcher de ressasser son échec. Elle se doutait que l’inactivité de ses pairs ne résultait pas d’un manque d’information, elle s’en était assurée ; elle avait mis en place des moyens redondants pour que son appel arrive bel et bien aux oreilles de suffisamment de monde… elle avait encore quelques vengeances à accomplir mais avant de s’y mettre elle devait devenir la nouvelle Grande Architecte. Ou du moins se libérer. Alors la prima s’approcha de la bibliothèque remplie de livres inintéressants qui avaient été changés lors de son emprisonnement. Un instant elle se demanda si l’un d’eux étaient désormais l’ouverture d’un passage secret qui lui permettrait de s’enfuir, après tout Myr’Hennis était connu pour ça… malgré elle un sourire lui vint aux lèvres, s’il y en avait ici elle l’aurait trouvé après tant de temps à tourner en rond dans cette pièce. Mais l’apprentie ne prit aucun livre, elle avait le temps de tous les arpenter et savait qu’ils ne lui serviraient à rien, à la place elle alla s’asseoir devant sa coiffeuse, tournant le dos à la porte. Nath’ryna sortit le morceau de parchemin de son décolleté et elle plongea un de ses longs ongles dans l’encre d’un noir abyssal puis elle laissa son doigt danser pour y laisser des lettres pleines qui ne manquaient pas d’élégance même si elle pouvait faire bien mieux, avec le matériel nécessaire. Si quelqu’un se plaignait de la lisibilité ça ne serait pas de sa faute.

En attendant que l’encre ne sèche elle alla ramasser son manteau toujours au sol mais avant qu’elle ne puisse se baisser pour l’attraper on toqua à la porte. Elle fit un pas sur le côté pour se mettre entre la porte et la coiffeuse pour s’assurer que le garde ne verrait pas ce qui y était déposé.

« Entrez. »

Lorsque ses yeux rouges se posèrent sur l’esclave elle haussa un sourcil. Elle ne s’était pas attendue à ce que tout soit prêt si vite. Les yeux vigilants de son geôlier embrassèrent la pièce du regard et avant que les yeux en question ne puissent atteindre la coiffeuse, Nath’Ryna ayant oublié de prendre en compte la différence de taille car ce n’était pas le même qui était partis chercher l’esclave, elle s’approcha de lui d’une démarche chaloupée.

« Je vois que ton ami n’a pas oublié le darnab. » Elle lui adressa un sourire enjôleur avant de poursuivre en se pourléchant les lèvres. « Vous allez nous rejoindre n’est-ce pas ? La Sulfureuse en serait ravie. »

Comme elle s’y attendait, car ça leur avait été défendu, le garde déclina, bien qu’il eût une seconde pleine et entière d’hésitation. Une fois le guerrier sortis elle se tourna vers l’esclave avant de l’ignorer complétement et de retourner vers sa coiffeuse pour y chercher l’encrier dans lequel Nath’Ryna plongea à nouveau un doigt. Les gouttes d’encres tombant à intervalle régulier sur le sol alors qu’elle revenait vers l’esclave rythmait sa marche. Une fois arrivé devant l’esclave elle lui prit le menton dans un main tendre mais ferme et la força à la regarder. Dans les yeux sanguins de la prima brûlait un désir qu’elle ne cachait pas. Le son d’une goûte s’écrasant au sol brisa à nouveau le silence.

« Es-tu croyante ? »

On reconnaissait une esclave vivante à sa capacité à écouter, à voir, à analyser tout en se faisant oublier. Il y avait des Maitres faciles à anticiper. D'autres imprévisibles, mais auxquels il suffisait de faire confiance. Puis il y avait les derniers, ceux qu'il valait mieux laisser aux autres. Ceux qui avaient toujours une idée charmante derriere la tête, et qui brûlaient de la mettre à execution. On pouvait aussi leur faire confiance: Ils venaient avec les ennuis. Mais au moins était-ce distrayant, à défaut d'allonger l'espérance de vie.

L'anedhelle classait la prima dans cette troisième catégorie. Une catégorie très peuplée. Elle était restée immobile, impassible, ses bijoux de corps luisant à la lumière des chandelles, pendant que la sombre faisait mine de séduire le garde. Voué à l'échec, et l'apprentie le savait. Jouait-elle seulement avec lui, ou avait-elle un autre but?

Comme elle s'y attendait, le garde déclina. Un sourire léger éclaira les lèvres de l'esclave lorsqu'elle constata sa breve hésitation. Sans qu'elle sache pourquoi, les petites faiblesses de ses Maitres sonnaient toujours comme des douceurs de l'esprit.

Elles furent seules. L'esclave attendit, yeux baissés, ses oreilles effilées frémissant à peine, à l'affut des actions de la sombre prima. Son regard saisit les gouttes d'encre tomber sur le sol. Inhabituel. Comme prévu celle-là avait une idée derriere la tête. Mililwen respirait lentement, calme, détendue malgré la tension. Chaque pas que l'hôte de ses lieux faisaient vers elle réveillaient une délicieuse chaleur en elle.

La drow s'arrêta devant elle, les yeux de l'esclave baissés et posés sur sa poitrine. Pas un geste, ni un frémissement. La main d'ébène se posa sur son menton, qu'elle souleva sans rencontrer de resistance, petit à petit, dans le silence. Il y eu un frémissement cette fois, non pas de peur, mais tout autre. De l'anticipation.

Les yeux verts de l'elfe rencontrèrent ceux, sanguins, de la drow. Elle vit le désir qui les habitaient. un léger sourire ornait son visage soumis. Son regard brillait. Elle lui répondit sans aucune hésitation. On le lui avait demandé, alors elle adulait les flammes qu'elle voyait s'épanouir dans ce regard. C'était simple… Il suffisait de se laisser aller, d'écouter son cœur.

- Oui Maitresse. J'ai reçu les enseignements des dieux. Il est dommage que tant d'autres soient aveugles à la vérité… Mais cela est voué à changer. Sa voix était douce, apaisante, sensuelle même.

Elle ne s’était pas attendu à une autre réponse et même si elle avait sans doute raison, Nath’Ryna ne put s’empêcher de se demander si l’esclave en face d’elle était sincère. Avant de décider que ça n’avait aucune espèce d’importance. Qu’elle croit ou non aux dieux ne changeait rien au fait qu’elle ferait ce qu’on lui disait et qu’elle servirait d’offrande peu importe le panthéon auquel elle croyait. En y réfléchissant un peu l’offrande n’en aurait été que plus belle si elle avait gardé les dieux de ses ancêtres. De ses ancêtres pensa également Nath’Ryna mais à quoi bon y accorder de l’importance maintenant ? C’était il y a bien des cycles.

« Et ça changera sous peu. »

La prima apporta son doigt encore trempé d’encre au niveau du visage de l’elfe et avec le bout de son ongle elle commença à y dessiner des arabesques, des symboles qu’elle avait appris durant les années qu’elle avait passé au temple d’Isten. Lorsque l’ongle en question n’arrivait plus à déposer de l’encre, qu’il n’en ait plus ou que cette dernière ait commencé à sécher, Nath’Ryna l’appliqua avec son doigt, descendant de la tempe jusqu’aux lèvres de l’esclave en un demi-cercle. Pendant ce temps elle attrapa la bouteille de Darnab dont elle fit sauter le bouchon d’une pression du pouce puis la prima en versa ensuite sur le sol, réduisant considérablement le débit en couvrant l’ouverture via son pouce.

« Whol lil' Quarval-sharess… » murmura-t-elle, son souffle réchauffant la peau de l’esclave avant d’apposer son pouce dégoulinant sur les lèvres de l’esclave pour les sceller. « Lueth whol udossa. » Le darnab coula sur le menton de l’elfe et Nath’Ryna s’approcha d’autant plus pour lécher le liquide jusqu’à arriver aux lèvres qu’elle embrassa pleinement. Après un long baiser où elle en profita pour partager le darnab qu’elle avait gardé en bouche, la prima recula enfin, les flammes dans son regard s’étant transformées en brasier.

« Comment tu t’appelles ? » Elle attendit une réponse avant de poser une autre question. « Sais-tu danser, Mililwen ? »

Un bref hochement de tête fut la réaction de l'esclave à la réplique de sa Maitresse. Elle n'allait pas la contredire, mais "sous peu" était peut-être le signe d'une grande précipitation ou d'un excès de confiance. Chose d'autant plus dommage que les immortels avaient le temps. La réalité de la foi de l'elfe était qu'elle ne connaissait rien d'autre que les dieux sombres.

Ce n'était pas tout à fait vrai, réfléchit-elle sans quitter la sombre du regard. Il y avait quelque chose d'autre que les dieux drows, mais elle l'abhorrait tant qu'y attarder l'esprit la mettait physiquement mal à l'aise. L'ongle de la drow s'était posé sur son visage, et s'y promenait maintenant pour tracer des dessins dont son toucher ne parvenait que bien mal à deviner les traits. Cela même suffisait à embraser sa flamme. La sensation de l'ongle fin, puis du doigt sur sa peau vulnérable n'étaient rien de plus qu'une délicieuse touche finale.

Était-ce là seulement l'idée retorse que l'apprentie du grand architecte avait eu en tête? Les doutes de l'elfe s'effacèrent lorsque les doigts d'ébène scellèrent ses lèvres carmines. Un doux soupir franchit sa bouche qui s'embrasait à son tour sous l'effet du sirupeux liquide. L'elfe ne recula pas, et ferma les yeux un instant lorsque les lèvres de sa Maitresse vinrent chercher le darnab sur sa peau rendue sensible par la liqueur.

Mililwen ne croyait peut-être pas aux divinités de l'Anaëh, mais elle avait une majesté peu commune chez une esclave que Nath'Ryna eut la joie de sentir s'effriter un peu plus à chaque fois que sa langue léchait un peu de la boisson aphrodisiaque, jusqu'à ce baiser qui fut timide, hésitant un instant. La liqueur se faufila de lèvres à lèvres, un frémissement parcouru l'esclave, dont le baiser s'épanouit en une fougue délicieuse, synonyme d'un désir digne de l'offrande.

Lorsque la drow se retira, elle était haletante, ses yeux d'émeraude tout aussi saisis d'excitation que les siens. Le plateau d'argent avait glissé sur la desserte voisine, abandonné, mais son contenu intact.

- Oui Maitresse... Elle avait répondu dans un souffle. Un sourire alangui régnait sur ses traits gracieux. Danser, c'était quelque chose qu'elle avait beaucoup pratiqué, seule, ou en groupe. Que voudriez-vous que je danse pour vous?

Elle ne répondit pas, du moins pas toute de suite. D’abord Nath’Ryna se pourlécha les lèvres avant d’embrasser à nouveau l’esclave, c’eut été dommage de gaspiller une goutte de ce précieux liquide quand bien même il y en avait une bouteille juste à côté.

« Nous verrons bien ce que tu danseras. »

L'esclave hocha la tête, aussi dignement que lui permettaient les effets de la boisson. Cette fois-ci, elle avait été incapable de faire preuve de retenue lorsque la sombre l'avait à nouveau embrassée, tout son être embrasé de désir. Elle voulait se méfier. Il le fallait car c'était un fauve qu'elle avait face à elle, et elle était la proie. Mais l'embrasement qui l'habitait maintenant brouillait ses pensées. C'était un conflit dont elle savait ne pouvoir sortir victorieuse, et cela se voyait.

Un sourire malicieux pointa sur le visage de la sombre alors qu’elle fit un pas en arrière, puis un autre, abandonnant tout contact physique avec l’elfe pour aller vers sa coiffeuse afin d'attraper l’encrier encore ouvert. Elle retourna lentement vers son lit pour s’y asseoir de profil en suivant le pourtour de l’encrier avec son index.

« Approche. »

Sans un mot, parce qu'ils auraient été superflus, la belle s'approcha, la démarche féline, la soie de couleur soulevée à chacun de ses pas pour dévoiler la peau claire ornée de bijoux, jusqu'à ce qu'elle se trouve à nouveau devant elle, si proche de ce corps qui l'attirait, presqu'irresistible. Soumise, elle n'alla pas plus loin, mais son regard parlait pour elle. La respiration de la prima se faisait plus rapide alors que l'effet du darnab devenait de plus difficile à combattre. Peut-être en avait-elle trop pris. Quoi que, en prend-t-on jamais trop?

« Voyons ce que la déesse veut… » Elle se releva pour faire le tour du lit.  L'elfe l'avait suivi du regard, à la recherche de signes de sa volonté. Il fallait qu'elle pense à quelque chose d'ennuyeux, sinon elle allait lui sauter dessus, et cela la tuerait probablement. La comptabilité du grand architecte, peut-être. Cela s'avéra efficace quelques secondes, du moins jusqu'à ce qu'elle commence à fantasmer sur Plynnil et un rouleau de parchemin.

D'une main posée sur l’épaule de l'esclave, Nath’Ryna la tira de ses rêves torrides et l’invita à se retourner. Plaçant l’encrier froid juste en dessous de la gorge de Mililwen, la prima pencha le flacon encore plein pour que l’encre déborde pour couler avec une lenteur exaspérante.

L'elfe frémit lorsque la premiere goutte noircit sa peau, laissant des éclats de ténèbres aux alentours. Les sensations de fraicheur, d'humidité lui paraissaient magnifiées, excitantes même. Qu'est ce qu'elle adorait et détestait cette drogue, les deux en même temps. La goutte glissa, laissant une trainée sur la peau et quelques éclats sur la soie. Une autre suivi, puis un filet fin.

L'elfe se cambra, soupirante, courbant la tête en arrière pour présenter sa poitrine et son ventre à sa Maitresse. Ses bras alanguis elle s'offrait, car c'était la meilleure chose à faire. Une délicieuse attente et une torture insoutenable à la fois. La robe serait sans aucun doute fichue, mais c'était le problème des maitres. Elle soupira de désir, tandis les poings alors que la noirceur se glissait entre ses seins, envahissait son ventre pour lui donner une peau d'encre. Et c'était un immense plaisir.

Elle en avait décidemment beaucoup trop bu.

Suivant l'encre couler sur la peau claire de l'elfe, la prima dévora du regard ladite peau.  Elle se mordit la lèvre inférieure dans l'espoir de ne pas céder maintenant, le rituel n'était pas encore terminé, mais l'effet inverse se produisit alors à la place Nath'Ryna mordilla le cou de son offrande à Isten en fermant les yeux. Puis elle arrêta finalement de faire couler l'encre, elle recula d'un pas, satisfaite de la marque laissée dans le cou de l'esclave avant de pousser ladite esclave sur le lit. Sans qu'il faille la forcer, comme dans une danse, elle s'allongea. La soie, la peau chaude caressa celle de la Prima au passage, sans qu'il fut facile de savoir si elle l'avait fait sciemment.

En effet la robe était fichue. Mais l'apprentie s'en moquait complètement, surtout qu'elle comptait aggraver la situation. Avec une lenteur qu'elle avait du mal à s'imposer elle suivit l'esclave sur le lit, laquelle, sur le dos, reposait dans une pose lascive, son regard aux pupilles dilatées dévorant la beauté de sa Maitresse. Sa chevelure noire comme l'encre s'étalait autour de son visage fiévreux. La sombre déchira la fine soie d'un coup sec pour laisser la peau respirer, bien qu'elle était jusque là bien loin d'asphyxier. Suivant l'encre qui continuait de couler, Nath'Ryna l'accompagnait de ses doigts, s'assurant que cette dernière constituait des motifs plaisant à l’œil. Parfois ses caresses étaient faîtes du bout des ongles, parfois elles étaient plus appuyées mais elles descendaient toujours. A chaque instant un peu plus bas sur la peau échauffée par le désir, chaque caresse était à l'origine d'un soupir. L'elfe voulait plus, le désir la dévorait peu à peu. Mais ce n'était pas à elle d'en décider, et si elle adorait offrir ce genre de frustration à d'autres… Elle même savait apprécier le recevoir. La sombre jouait de sa passion comme d'un instrument bien accordé, et c'était son rôle d'en être un… D'honorer les dieux à sa manière, comme cela devait être. La prima n'était pas une prêtresse d'Isten, même pas une novice, mais elle avait passé tant de temps au temple qu'elle avait fini par en apprendre beaucoup sur les rites et rituels de la Belle alors elle se faisait une joie de les reproduire.

Mililwen en était aussi familière, mais avait bien du mal à résister à ses propres pulsions. La drow la vit saisir fermement les draps de ses mains fines pour résister à la tentation, pour se retenir de bouger alors qu'elle était le canevas des caresses et des dessins de la sombre, offerte à la déesse. Ses jambes, néanmoins, glissèrent malgré tout pour effleurer celles de l'officiante. Ce qui l’arrêta, la caresse brisa sa concentration, embrasant ses jambes et lança un frisson qui remonta sa colonne vertébrale, la forçant à se cambrer. C'était bien là les architectes, il fallait qu'ils dessinent, alors qu'à l'heure actuelle, l'elfe se serait bien plutôt vu la faire chanter jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus toutes deux. Et même peut-être un peu après.Un claquement de langue plus tard, Nath’Ryna reprit son dessin en se disant qu’elle avait trop bu de darnab et que la prochaine fois elle se calmerait. Une fois arrivée au nombril, la prima se baissa, une main sur le sein de l’elfe, titillant le téton, une autre posée juste à côté de sa tête, Nath’Ryna alla mordiller le lobe d’oreille de Mililwen.

« Montre-moi que tu sais danser. »

L'oreille de l'esclave frémit, la chaleur de la bouche, le touché des lèvres, des dents sur son lobe sensible la firent tressauter, s'arquer, son ventre bouillonnant touchant celui de la drow. Il y avait plusieurs manières de comprendre les derniers mots de la prima. Néanmoins, dans l'esprit embrumé de Mililwen, ce n'était pas le cas. Son corps elfique s'anima, elle dansa.

Ses yeux d'émeraude brillaient de la passion de la sulfureuse, ses doigts graciles frôlaient l'ébène de sa Maitresse. Obéissants et sauvages à la fois ils parcoururent les courbes, s'arrêtèrent sur sa taille, glissèrent bientôt sur le coté de sa poitrine, avant de redescendre. Elle ondula, cambrée, et son bassin vint s'appuyer en une démonstration équivoque contre celui de sa congénère, car Isten unissait tous ceux qui s'offraient à elle. Une jambe tremblante captura la Prima et la tête de l'elfe tremblante, gémissante s'enfonça dans son cou pour y déposer des baisers d'adoratrice.

Baiser après baisers, coup de langue après coup de langue, elle atteint sa gorge pour la vénérer comme s'il n'y avait rien d'autre au monde que la belle daedhelle.

Quant à la belle daedhelle en question, elle avait délaissé le sein de l’elfe et de sa main nouvelle libérée, elle tentait de retirer sa prison de soie. Des doigts d’ordinaire agiles se retrouvaient presque gourds alors qu’ils tentaient tant bien que mal de remonter jusqu’aux attaches de la robe dans laquelle leur propriétaire avait la désagréable sensation d’étouffer. Il fallait dire que l’attention de l’esclave n’aidait vraiment en rien mais voilà, Nath’Ryna n’avait pas pensé une seconde à lui dire d’arrêter et vu le zèle dont faisait preuve l’elfe ça ne risquait pas de lui traverser l’esprit dans un futur proche. Toutefois la prima arrêta de s’en prendre à l’oreille de sa servante pour éviter que son attention ne soit trop divisée, c’était déjà trop tard mais tant qu’à faire mieux valait limiter les dégâts.

Mais ce difficile effort ne fut apparemment pas vain, car l'elfe sembla reprendre un peu de ses esprits. Pas beaucoup, mais assez en tout cas pour se rendre compte de l'obstacle qui se tenait, moqueur, entre elle et cette peau de velours. Alors quatre mains furent à l'oeuvre, précipitamment, maladroitement, dévoilant bien vite plus d'ébène que les lèvres soyeuses de la servante s'empressèrent de conquérir avec une fougue guidée par la déesse ou au moins le Darnab. La daedhelle roula sur le côté sous les tentatives de l'esclave de la libérer de cette prison soyeuse, soupirant sous l'attention, désormais sur le dos, elle en venait à ne plus rien faire si ce n'est profiter des caresses qui passaient sans mal à travers la fine épaisseur de tissus pour toucher directement sa peau d'ébène.

La peau clair, ornée de bracelets et parcourue chainettes d'argent glissait gracieusement contre la soie, provoquant des frissons qui électrisaient la sombre, elle se tendit, inspira puis bloqua sa respiration en se mordant la lèvre inférieure.

Un sein s'échappa, qu'elle couvrit de caresses avant de flatter délicieusement le téton et sa propriétaire ne tint plus, elle laissa s'échapper un gémissement d'entre ses lèvres qui monta dans les aigus . Pendant ce temps, une de ses jambes nues s'était glissée entre les cuisses de la sombre pour glisser fort sensuellement et expertement entres elles, ses mains tremblantes œuvrant à la débarrasser de sa robe avec l'efficacité que peut donner l’expérience d'une esclave en matière d'habillement. A la manière d'un serpent, une fois finalement libre, Nath'Ryna s'attaqua directement au cou de sa proie du soir tandis qu'elle envoya une jambe sur le dos de l'elfe et une fois que son mollet trouva sa place dans le creux des reins de Mililwen, son jumeau vint l'y rejoindre pour tirer l'esclave à elle, afin de réduire une distance qui lui était désormais impossible à supporter.

Cramponnées l'une à l'autre, leurs bas ventres unis par les jambes couleur de nuit, leurs peaux soyeuses se découvraient en sensuelles caresses. Les délicieux chants de plaisir de sa congénère forcèrent l'esclave à abandonner ses seins attirants pour poser à nouveau ses lèvres sur les siennes en un baiser habité d'un désir sans borne ni pudeur. Une main claire s'empara de l'orbe qu'elle venait d'abandonner. L'autre, légère, s'enfouit dans la chevelure de neige. Lançant la tête de cette dernière en arrière pour découvrir sa gorge dans un gémissement muet.

Son bassin poussa contre celui de son amante. Elle dansa. chaque friction de leurs intimités l'une contre l'autre les emmenant plus haut, mais pas assez pourtant. Elle adorait le chant de sa Maitresse, le sien s'y joint. En temps normal, elle aurait adoré l'entendre si fort qu'il fasse regretter au mâle de n'avoir su les garder de plus prés. Mais sous l'influence de la drogue, ce genre de considérations passaient forcément au second plan. Seul comptait la satisfaction de ce brasier inextinguible qui avait remplacé la raison.

L'elfe avait renoncé au baiser, et se redressant sans cesser la danse qui faisait valser chevelure brune et chainettes d'argent. Leurs longues chevelures s'étaient mêlées depuis longtemps. Une main gracile s'étendit, maladroitement, pour saisir un des objets que l'esclave avait apporté avec elle. Nath'Ryna ne se posait plus de questions depuis déjà un moment, s'abandonnant complétement au rituel qu'elle avait lancé mais qui lui avait échappé et c'était dans ce genre de cas qu'elle était contente de ne pas être une mage car tenir ses rituels n'étaient pas son fort. L'esclave aurait pu attraper une dague que la prima ne s'en serait pas formalisé, elle ne l'aurait probablement même pas remarqué.

Leurs yeux se rouvrirent, ils appartenaient à Isten. Les lèvres de l'esclave se détachèrent difficilement, à regret de celles de la sombre Prima, leurs souffles confondus… Un sourire sensuel décorait le visage clair de celle qui avait abandonné ses dieux. Elle se redressa peu à peu en ondoyant, offrant son corps ancré au regard de sa Maitresse. L'objet qu'elle avait saisit entre ses doigts tendre apparu dans le champ de vision de la prima. Oblong, fait d'obsidienne poli, sombre comme les abysses, il ne laissait aucun doute quant à son usage. Tout bon complot avait besoin de dague. Au moins métaphoriquement.

Le verre effleura voluptueusement ses lèvres charnues.. Son sourire grandit, l'obsidienne, glaciale, glissa sur un sein d'ébène, puis le ventre de la sombre. L'elfe se souleva sensiblement, l'expression voluptueuse, le sourire lascif, son jouet dans une main titillait l'intimité pendant que l'autre massait doucement la perle de sa partenaire, pour attiser plus encore le feu en elle, si c'était necessaire.

Après ce qui paru une éternité, l'obsidienne glissa lentement en la belle drow. Puis l'unit à l'elfe lorsque celle s'y s'appuya progressivement sur elle.

- Maitresse… Soupira-t-elle, langoureuse, alors que le plaisir se récompensait enfin l'offrande de leurs désirs.

Ayant perdu tout contrôle sur son rituel, Nath’Ryna se laissa complétement aller et s’abandonna dans les bras de l’esclave, après tout elle n’était pas prêtresse d’Isten et puis elle n’était pas certain que même la prêtrise garde un contrôle absolu en tout temps. Toutefois elle n’était pas vraiment en mesure de se poser ces questions.

Ainsi, quelques heures plus tard, lorsque son cœur avait repris une cadence plus normale et qu’elle était redevenue maîtresse de son corps, la prima, qui ne désirait en rien partager sa chambre avec une esclave, rouvrit les yeux. Cette dernière, lovée docilement contre elle l'observait avec une expression d'adoration bien naturelle.

Elle n'était pas certaine de se souvenir de l'intégralité de leurs ébats effrénés, mais il y avait de bonnes chances que même si l'insatiable Isten ne serait jamais satisfaite, elles aient réussi au moins à  l'amuser.

« Tu peux t’en aller. » Lui dit-elle sans lui adresser un regard. L'elfe s'anima aussitôt sans prêter garde à ses courbatures, et allait ramasser les objets que leurs activité avait fait tomber. La drow se tourna finalement vers elle. « En partant tu peux ramasser mon manteau, je te l’offre. »

Mililwen s'arrêta, parcourue par un frisson malsain qu'elle écrasa sous une volonté de fer. Les cadeaux n'existent pas. De cela, elle en était certaine. Du moins, pas des mains de quelqu'un comme Nath'Ryna, s'empressa-t-elle d'ajouter.

L'elfe ramassa néanmoins l'étoffe, car, bien qu'impossible dans ces profondeurs débordantes de perversité, un cadeau ne pouvait se refuser. Le manteau d'une douceur rare entre les mains, elle se prosterna bas devant le lit de la Prima et sa voix s'éleva en un murmure mélodieux qu'elle avait si longtemps travaillé et qui parvenait toujours à masquer son inquiétude.

- Maitresse, je ne suis pas digne d'un tel présent. Vous me faites un très grand honneur."

« Je sais. » Fut la seule réponse verbale qu’obtint l’esclave, ces deux mots accompagnés d’un geste nonchalant de la main lui indiquant qu’elle pouvait s’en aller, ce qu'elle fit sans se faire prier, emportant avec elle manteau, jouets, sans oublier le reste de Darnab.

Il suffit à Mililwen de soupeser le recipient pour comprendre pourquoi ses souvenirs de la soirée étaient si fragmentés. Un petit sourire coquin grandit sur ses lèvres. Il en restait si peu qu'ils n'en voudraient pas à la reserve.

Dans les couloirs de la demeure, la gracieuse demoiselle, nue comme au premier jour, sa charge dans les bras, se déhanchait voluptueusement en revenant au quartier des esclaves en profitant encore un peu des délicieux effets rémanants de la boisson. Elle aimait beaucoup trop le Darnab.

***

Assise en tailleurs sur sa couche douillette, il lui fallut un peu de temps pour finir de redescendre sur terre (ou plutôt sous terre en l'occurrence). Elle avait pris le temps de se laver, sans trop d'espoir de se débarasser de l'encre. Sa conduite exemplaire lui avait valu de bénéficier de rideaux diaphanes, qui lui offraient un semblant d'intimité. Pour tout dire, l'elfe était au delà de ce genre de considérations et s'en fichait au plus haut point. Par contre ce n'était pas le cas des autres esclaves, qui, pour certains, n'étaient pas insatisfaits de ne pas voir cette elfe étrange passer une partie de son repos les yeux dans le vague à réciter des mots que personne n'avait pour le moment réussi à comprendre. C'était déjà dérangeant. Qu'elle se donne manifestement du plaisir en le faisant était plus que troublant.

Mais à cet instant, bien à l'abris de son espace personnel impeccablement rangé, l'esclave ne faisait rien de particulièrement troublant. Ou plutôt si: Elle observait le manteau comme s'il avait été une bête sauvage prête à l'attaquer.

Les drows comme Nath'Ryna faisaient rarement des choses gratuitement. C'était une Maitresse, elle savait qu'elle lui faisait confiance, car elle faisait partie des élus des Dieux. Il en était ainsi, tout comme elle savait que les Dieux l'avaient mise elle à leur service. Mais son esprit retors savait aussi que parfois, le meilleur des services se faisait de manière détournée, et que lorsqu'il existait des désaccord entre les Maitres, un petit espace de liberté se glissait. Elle savait aussi que c'était le cas ici. Et pour une raison qui lui échappait, cet espace était des plus délicieux.

L'elfe pouvait s'y engouffrer.

Les doigts pâles se posèrent sur le tissu soyeux, qu'elle parcourut tendrement comme s'il avait été un amant. Le manteau ne mordit pas, alors elle le ramena sur ses cuisses nues. Il était chaud.

Méthodiquement, elle le parcouru du regard à la recherche de quelque chose. De n'importe quoi.

Et elle trouva.

Derriere une doublure, quelqu'un, Nath'Ryna certainement, avait inscrit un message. Un instant, elle se sentit mal, Maitresse n'aurait pas voulu qu'elle le trouve. Elle avait fauté. Mais si Maitresse Nath'Ryna avait voulu qu'elle ne le trouve pas, Maitre Myr'hennis Vekt aurait lui voulu qu'elle le trouve.

Le plaisir le plus grand remplaça alors le malaise.

Le message était adressé à une prêtre d'Isten, et décrivait en détail le rituel que l'apprentie architecte avait tenté de conduire. En soit, c'était innocent. Que le message soit ainsi caché ne l'était par contre pas.

L'elfe s'habilla du manteau, et, toujours assise à genoux, s'endormit sitôt qu'elle eut fermé les yeux. Elle rêva le même délicieux rêve de soumission qu'elle rêvait chaque nuit.

***

Le lendemain matin

Déambulant avec élégance dans les couloirs de la demeure, le tissu du manteau battant ses jambes nues, Mililwen portait un plateau sur lequel était disposés un petit paquet d'etoffe parfaitement plié et de la nourriture. Rien d'extraordinaire, mais bien assez pour deux personnes.

Ses pas l'avaient porté jusqu'au lieu de repos de Plynnil, sa supérieur et collègue de travail, qu'elle savait ne pas encore avoir déjeuné à cette heure matinale.

Lorsque cette dernière lui ouvrit, l'esclave encore couverte de dessins tracés à l'encre lui présenta le plateau, un sourire au lèvres, et s'inclina respectueusement.

- Puis-je déjeuner avec toi aujourd'hui? Il y a quelque chose que je voudrais évoquer avec toi. Il faudra aussi vérifier le stock d'encriers. Il est possible que Maitresse Nath'Ryna en ait emprunté plus d'un."

Et Lorsque Plynnil l'eut laissée entrer et referma la porte derriere elle, l'elfe posa son plateau, puis se débarrassa du manteau. Belle comme pouvaient l'être les immortels, elle ne portait rien d'autre, et enchaina avec le plus grand naturel.

- J'ai été à son service hier soir. Peux-tu me dire si elle a dessiné quelque chose de gênant sur moi?

Désormais elle n’avait plus qu’à attendre, ce qu’elle avait déjà fait depuis tellement longtemps qu’elle pouvait bien continuer le temps que son complot porte ses fruits. Ce qui ne devrait pas tarder. Du moins l’espérait-elle. Elle se prélassa alors dans son lit, comme un morgal sur les pentes du Vatna, serrant contre elle son oreiller avant de finalement sombrer dans un sommeil paisible après un long bâillement.

Le lendemain elle s’étira tout aussi longuement avec la souplesse d’un chat. Elle se leva alors pour s’habiller, par réflexe elle voulut prendre son manteau mais en le cherchant quelques secondes des yeux elle se souvint qu’elle l’avait donné à l’esclave et un sourire mutin passa sur ses lèvres. Un sourire qui disparut lorsqu’elle bailla à nouveau. A la place elle attrapa un peignoir qui trainait par-là, encore à moitié endormie, Nath’Ryna se dirigea vers la porte de sa chambre et la quitta sans lancer un regard ni adresser un mot aux gardes sensés la surveiller.

La prima prisonnière se dirigea vers l’atrium de la villa, suivie par ses deux gardes. Depuis deux ans elle ne s’en formalisait plus, elle avait l’habitude et lorsqu’elle arriva finalement devant le bassin préféré de son maître, elle laissa son peignoir glisser sur son corps nu avant de mettre un pied dans l’eau brûlante puis un autre jusqu’à s’y émerger. Myr’Hennis n’étant pas là elle aimait beaucoup prendre sa place lorsqu’elle le pouvait ; c’était un bassin que lui seul utilisait d’ordinaire pourtant il ne l’avait interdit à personne, du moins pas directement, alors les gardes n’avaient pas levé le petit doigt lorsqu’elle s’était immergée dans l’eau pour la première fois, il n’avait rien fait la seconde fois et depuis ce premier jour où elle s’y baignait quotidiennement. Nath’Ryna poussa un profond soupir de bien-être lorsqu’elle sortit la tête de l’eau, elle tira ses cheveux en arrière et lorsqu’elle ouvrit les yeux elle fit mine de ne pas avoir remarqué le regard du second garde qui la dévorait des yeux. A la place elle tourna la tête vers l’esclave qui attendait au bord du bassin avec un plateau de nourriture dans une main et une coupe dans l’autre.

Plynnil se levait à chaque jour à la même heure sans qu’on ait besoin d’un quelconque mécanisme ou d’une personne dédiée à cette tâche. Au final, à force de côtoyer et de travailler avec Myr’Hennis elle avait fini par prendre son côté routinier. Ce qui n’était pas pour faciliter le travail de la garde personnelle du Grand Architecte, après tout les habitudes et la routine étaient les alliés les plus précieux d’un assassin quelconque alors dans un endroit où les assassins se doivent d’être particulièrement bons pour faire face à la concurrence, surtout la concurrence officielle, c’était une erreur plus mortelle qu’ailleurs. Mais même Vaervy n’avait pas réussi à faire changer Myr’Hennis alors Ashal n’avait même pas tenté. Qui plus était, depuis la mort de la Capitaine le Grand Architecte ne quittait plus la Triumvir.

L’esclave ne fut pas arrêtée par la petite armée qui protégeait l’assistante cependant la porte resta fermée tant que Plynnil n’aurait pas décidé de l’ouvrir ce qu’elle se leva pour le faire et la laisser entrer, un sourcil haussé. La demi drow retourna s’asseoir à son bureau.

« Tu peux. »

Elle s’assit finalement en mettant de côté une petite pile de documents sur son bureau pour en attraper un autre qui se trouvait être un inventaire.

« Relros ! » Un garde entra dans la pièce. « Prends des esclaves et va vérifier la chambre de Nath’Ryna, profites-en pour prévenir Ashal. » Le soldat hocha la tête et malgré son casque on pouvait sentir qu’il allait dire quelque chose avant de lentement secouer la tête et de sortir de la pièce sans se presser. Plynnil attrapa une tranche de viande qu’elle mâchonna sans grande conviction avant d’hausser à nouveau un sourcil en voyant l’elfe se déshabiller une fois la porte fermée par le garde. L’assistante observa donc le corps de l’esclave de bas en haut comme elle observait un des plans que Nath’Ryna avait pu dessiner pour l’aider.

« Je crains que tu ne te sois adressée à la mauvaise personne. Je n’en ai aucune idée. »

Être l’esclave favorite de Myr’Hennis avait ses avantages : un pouvoir qui s’étendait parfois sur la garde même du Grand Architecte et d’autres daedhels libres. Qui plus était, elle jouissait d’un train de vie digne d’une prima mais ça avait également des côtés négatifs notamment ; l’isolement. En effet tous connaissaient son maître comme quelqu’un de possessif ce qui faisait que les rites d’Isten étaient pour elle, malgré les mœurs très légères de la société drow, quelque chose de très abstrait. Alors certes elle en avait déjà entendu parlé, elle avait déjà vu des prêtres de la Belle mais elle n’avait jamais pu en profiter. Ce qui était d’autant plus triste que Myr’Hennis ne la touchait même pas.

Un sourire amusé s'épanouit sur le visage de l'elfe. Parfois, elle faisait vraiment penser à une drow, et c'était inquiétant. "Si tu n'en as aucune idée, c'est que cela ne m'empêchera pas de faire mon travail." Cela ne signifiait en rien que tout allait bien, car sa merveilleuse Maitresse était potentiellement retorse, et il aurait été bien étonnant qu'elle insulte les dieux en écrivant une quelconque vulgarité sur son esclave.

- Elle m'a aussi offert son manteau. Une très belle pièce, avec un charmant récit du rituel d'Isten caché dans la doublure. Elle en déposa une copie sur la table. Le papier était couvert de ce qui ressemblait fortement à l'écriture de Nath'ryna. "Mes talents au service de la belle ne sont pas à démontrer, mais c'est la première fois qu'on m'offre un cadeau. C'est dommage, mais je suis à peu près certaine qu'il ne s'agit pas d'amour.

Il n'y avait, comme souvent, guère d'émotion dans le ton qu'employait Mililwen. Elle avait plié soigneusement le manteau sur le dossier d'une chaise, puis saisi avec attention un coin du paquet de tissu fluide posé sur le plateau.

La toge se déplia et elle l'enfila tout en continuant ses explications.

- Je n'arrive pas à voir ce que le prêtre d'Isten ferait de ce message. Peut-être est-ce quelque chose dans la graphie? Peut-être suis-je seulement paranoïaque, mais ce serait beaucoup d'efforts pour seulement informer ce mâle de ses accomplissements. Les dieux n'ont pas besoin de cela pour nous remarquer.

Elle se tut un instant, et rajusta la tunique pour en faire disparaitre les plis. C'était adorable de voir parfois à quel point les maitres pouvaient devenir dépendants de leurs esclaves.

- Pour l'instant, je ne vois que des choses bien innocentes malheureusement, je crains que la seule manière d'en apprendre plus serait d'acheminer ce message et d'ouvrir la boite de Kirian. Quelle est la volonté de Maitre Myr'hennis?

Elle hocha la tête. Elle ne savait pas ce que c’était, elle pouvait se renseigner, voir ce que ça pouvait vouloir dire mais à quoi bon ? Mililwen ne quittait pas la villa alors qu’est-ce que ça changeait tant que ce n’était pas blasphématoire ou que ça l’empêchait de travailler ? Toutefois le don d’un manteau était plus singulier et ce qui suivait l’était d’autant plus. Plynnil prit le papier entre son pouce et son indexe pour le lire en écoutant l’elfe puis elle secoua la tête.

« Tu as raison, il ne s’agit pas d’amour. » Elle parlait lentement, elle était catégorique, elle ne l’avait jamais vu et se doutait même que c’était un conte utilisé pour faire peur aux enfants car l’amour précédait toujours la chute.

« Tu as raison, c’est beaucoup d’effort, beaucoup trop d’effort, pour un simple rituel. Toutefois publiciser ses efforts auprès des dieux ne fait jamais de mal même s’Ils n’en ont pas besoin. »

L’assistante avala une gorgée de thé de champignon aux épices brûlant puis une autre avant de finalement répondre à la question ô combien capitale de l’autre esclave. Elle aurait voulu prier dans l’espoir que Tesso lui susurre la solution appropriée mais elle savait que c’était vain.

« Je vais y réfléchir avec le commandant de sa garde. Attends dehors. »

Plynnil se leva pour raccompagner l’elfe jusqu’à la porte puis elle demanda à un des gardes d’aller chercher Ashal. Ce dernier s’exécuta et peu de temps après le commandant de la garde personnelle du Grand Architecte arriva dans le bureau et tous les deux ils partirent, laissant Mililwen seule avec les soldats gardant le bureau de l’assistante. Cependant l’elfe n’eut pas à attendre bien longtemps car Plynnil revint rapidement et fit signe à l’esclave de la suivre à l’intérieur de son bureau.

« Voici la volonté de maître Myr’Hennis. » Elle sortit le papier de sa manche pour le tremper entièrement dans l’encre. « Il vous remercie de ta loyauté. Ashal et moi aussi d’ailleurs. Tu peux disposer. »