Le spectacle continue | Camp Sud

7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen
17h00

Une demie heure. C'est le temps qu'elle avait pu mettre à profit pour se préparer... Et craquer en ouvrant l'écrin nacré qui reposait sur son bureau. Deux longues bouffées de sa résine sombre produisant cette entêtante fumée mauve et elle se laissait aller sur la chaise qui servait de fauteuil de bureau pendant que l'esclave que lui avait envoyé les prêtres d'Isten - avec compliment de leur Grand Prêtre - s'occupait d'un brun de maquillage mettant en valeur ses yeux et affirmant sur ses bras et son col, les marques de son combat du jour.

Vue l'état de son dos, le port de son corset d'argent était fort à propos. Il laissa les énormes cicatrices de son bras gauche parfaitement visibles et son collier de prière était parfaitement mis en valeur. Sur un pantalon de cuir noir, un voile de mousseline rouge sang récupéré d'une autre tenue plus complexe donnerait la touche de style qu'il lui faudrait. Et pour l'occasion - et cacher sa cheville encore bien foulée - elle porterait même des bottes. Elle aurait mal mais c'était le cadet de ses soucis. Avec sa, ses griffes d'acier et la tiare orné de verre et de pierre rouge qu'elle portait le matin. Cela ferait parfaitement l'affaire.

Lorsque l'heure arriva, tous étaient rassemblée sur la grande place qui servait aux manœuvres et aux revues. L'estrade qui avait été dressée le matin pour la grande prière était encore intacte et c'est entourée de quatre garde, dont l'un au masque d'argent, qu'une petite silhouette d'obsidienne fendit la foule d'un pas énergique. Comme elle l'avait prévu, chaque fois que son pied heurtait le sol, une pointe de douleur aiguillonnait la cheville de Krish. Mais comme elle l'avait prévu, elle 'en foutait éperdument.

Les quatre soldats se placèrent autour de l'estrade, deux en bas, deux dessus. Une légère brise lui caressant le visage, Krish prit un instant pour observer la foule. Des militaire. Des prêtres. Quelques  civiles venus du Puy. A droite, près de l'estrade, Valsrik'Hrae était encadré par quatre gardes d'ébènes. Là-bas, elle repéra Kerath et le nota mentalement.

Avant que n'éclate la voix chaud et forte de la triumvir.

Eldéens.

Les Dorniens sont croyants. Les dorniens sont drows. Il y a quinze ans, c'est nous qui les avons déçu. Tandis que les chefs d'Elda se battaient entre eux pour amasser des miettes de pouvoirs, ils ont oublié qu'un empire tout entier méritait leur attention. C'est la faiblesse d'Elda qui a laisser Sol'Dorn se détourner de nous. C'est la Faiblesse d'Elda qui a laisser les Doebens sombrer dans la barbarie. A nous, aujourd'hui, de leur montrer qu'Elda s'est relevée. Qu'Elda est forte. Et qu'Elda mérite leur allégeance. Car plus nous aurons de Flamme pour combattre à nos côtés, plus la fin de l'Eda Vengeur se rapproche de nous.

Tels sont les mots que je vous ai adressé en commençant ce siège. Lorsque nous étions encore au Puy.

Évidement, ces mots avaient fait frémir. Ils le faisaient encore. Ses mains accompagnaient ses mots, donnant plus d'impact à ce qu'elle martelait, adoucissant les autres. L'expression de son visage était ferme.

Mais un an à passé. Et la main que nous leur avons tendu pour réunifier les forces dévouées aux Dieux a été rejetée. Nombre d'entre vous pensent que tout cela était une perte de temps et que les Dorniens ne méritaient pas cette clémence. Libre a vous de le penser. Le Père nous a offert à chacun une Flamme et nous a révélé la supercherie de la Traitresse pour que nous soyons maître de nos pensées et de nos actes. Et ce sont vos actes qui ont parlé pour vous.

Vous avez accomplit votre devoir. Vous, fiers guerriers d'Elda, avez eu l'humilité d'attendre. Vous avez prouvé pendant un an votre Loyauté. Votre Force morale. Votre Dévouement pour Elda. Jusqu'à ce que nous nous affrontions ensemble les despotes et que nous puissions prouver une fois de plus la Puissance de notre peuple.

Depuis le mois dernier, vous combattez à nouveau. Nos Flammes sont à nouveau élevées par le brasier de la Guerre et nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin ! Comme vous le savez, j'ai annoncé au début de l'ennéade que le temps de la patience était arrivé à son terme et que Sol'Dorn tomberait d'ici neuf jours. Nos camarades d'Elda sont venu pour assister à cet évènement et il aura bien lieu !

Elle rugit. L'emportement se lit dans ses gestes. Les émotions profondes déforment ses traits avec facilité tandis que sa voix pousse pour que tous puissent entendre le mieux possible.

Ce matin, un messager nous est arrivé de Sol'Dorn, couverts d'étranges stigmates. Cette après-midi, le fleuve a été détourné pour noyer tous les rats qui se terraient dans les sous sol en attendant de pouvoir fuir. Grâce à nos alliés et aux oreilles que nous avons su pointé dans les bonnes directions, nous avons appris qu'une magie puissante couvait entre les murs de Sol'Dorn. Leur dernière carte. Puissent-ils nous offrir un combat digne de mémoire car demain à l'aube, nous entrerons ! Et s'il en reste pour nous faire face, nous leur montrerons ce que c'est d'avoir l'attention du Père des Batailles !

Mais ce matin également, sur le chemin qui nous menne à ces instants glorieux, une altercation a éclaté après la prière. J'ai levé la main contre Kerath'Elghinn pour défendre ma consœur Viconia victime d'un accident magique. Je m'en suis remise aux jugements des dieux comme n'importe laquelle d'entre vous et Meingal, lors de notre Ordalie, a confirmé que cela n'était pas juste. La Vengence appartient au bafoué et il est indigne de défendre quelqu'un sans conviction, simplement par habitude.

Aiguillé par le Jugement de Meingal et les murmures du Père, je me suis longuement entretenue avec Viconia. Elle n'a pas exigé réparation et les séquelles de l'accident mettront sûrement du temps à pleinement guérir. Nous en sommes arrivées à la conclusion qu'elle n'est plus en capacité d'assumer son rôle de Triumvir. Il y a moins d'une heure, avec le Capitaine de la garde d'Ebène comme témoin, Viconia X'Ianxin a renoncé à son titre de Triumvir.

Le Triumvirat à aujourd'hui atteint ses extrêmes limites. Et c'est pourquoi, en tant que son dernier membre, je décide de ne pas le reconduire. Aujourd'hui et devant vous tous assemblés, c'est donc la charge de Reine que j'endosse. Et c'est ce titre que je couvrirait de sang demain à l'aube en entrant dans Sol'Dorn à vos côtés.

Et ce titre, je le dépose aujourd'hui devant vous.

Ses yeux pailletés d'or passèrent sur l'immense assemblée, son ton montant peu à peu en un décrescendo habité à la tension sincère.

Car ce titre n'a d'importance que si Elda est prêt à le suivre. Si vous, aujourd'hui, vous êtes prêt à le suivre. Après l'inaction de mes prédécesseurs, la déchéance de Malag'eyl, l'unification du Puy, la réhabilitation d'Esion, le renforcement des armées, les Purges, l'effort de guerre, cette longue attente et les premières batailles durant lesquelles nous avons versé notre sang ensemble. Alors pour que nous créions un empire incontesté qui prouvera à tous la Puissance des Vrais Dieux ! Pour que nous portions le fracas des armes jusqu'aux confins du septentrion et jusqu'au cœur de l'Anaëh ! Que ce monde soit jeté dans les flammes pour la gloire d'Uriz ! Pour y calciner les faibles ! Pour glorifier les Forts ! Êtes-vous prêts à me jurer fidélité en tant que reine ?!

Il n’y a pas de surprise quand je suis convié à assister à ce qui vient sur la grande place du camp sud. Si je ne me suis que préoccupé de Sol’Dorn dans mes actions bien des mots sont tout de même venus à mes oreilles, et tout a commencé par celui prononcé par Valsrik’Hrae Zezxyra, reine. Le bâton m’a mené jusque là, dans un martellement des plus réguliers, sans fausse note, et je ne me suis pas arrêté à la foule. Je l’ai traversée pour me rapprocher de l’endroit qui importe, et n’ai été retenu par personne.

C’est avec la connaissance que quelque chose d’historique va avoir lieu que j’ai pris place de l’autre côté, de celui qui n’est pas la foule, donc. Je me tiens près de l’estrade, au sol, sur sa gauche, immobile, prêt à retenir ce qu’est devenue Krish Al’Serat et à tout consigner. Les autres dépositaires de notre histoire sont dans la foule, et ils sont ceux qui relateront l’éclat de l’eldéenne d’un point de vue que je ne peux de toute façon comprendre. Quand elle apparaît enfin le visage dans le masque s’abaisse sur son passage, et il attend les premiers mots pour se relever. Tu ne dis rien pendant l’entièreté du discours, car il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’elle utile les bons mots, les bons concepts, pour convaincre une foule qui semble réceptive depuis qu’elle a combattu aux côtés de celle qui se prononcera reine dans quelques instants.

La suite du discours est plus complexe, car ceux qui savent ce qu’il en est vraiment ne sont pas légion, et je devine en toi de la fierté, de la fierté par rapport à ce qui est tut et ce qui est dit, de la fierté par rapport à quelqu’un que tu connais bien, du moins que tu as connu en même temps que moi.

Les derniers mots sont ceux tant attendus, et je souris en les entendant, tournant légèrement un regard masqué dans la direction de celle qui s’est proclamée reine, celle qui ne devrait être opposée. Pas après une telle journée, en tout cas, car ses adversaires n’en sont plus, et ceux qui n’ont pas disparu sont là, vivants mais matés. Même si l’un d’entre eux a gagné un combat contre celle qui veut le ramener dans le rang. Celle qui pourrait faire plus que ça, même, en une tâche qui aurait pu gâcher le tableau s’il n’avait été aussi riche. La richesse du tableau est la promesse faite, celle qui mène à la chute de Sol’Dorn, celle qui mène à un empire, un empire plus grand que tous les empires, un empire qui commence ici et que seuls toi et les tiens savent où il s’achève. Une fois qu’il se sera achevé on parlera de l’accomplissement de notre destinée, en un récit déjà partiellement écrit.

Dans la foule les premiers à rugir sont Tes serviteurs, ça et là d’autres les joignent, et le vacarme ainsi créé ne peut peut-être plus être arrêté alors qu’il grandit au fur et à mesure que les flammes se joignent au feu de joie, acceptant le Feu du Père comme flamme pour les guider toutes et dans le brasier les lier.

La contestation, si elle existe encore, attendra.

La journée touchait presque à sa fin, en tout cas la majorité en était passée et on pouvait dire qu’elle fut mouvementée et qu’elle risquait de l’être encore. Etant déjà dans le camp sud lorsque l’heure approchait à grand pas, avec Murrpau à ses côtés, le guerrier regardait la place se remplir, les officiers du second ost et la Garde Draconnique s’étaient rassemblés autour de leur ancien Senger, des soldats assignés au camp sud étaient là aussi et tendaient à graviter autour de leurs supérieurs. La queue de Murrpau bâtait lentement l’air, si lui ne savait pas ce qui était sur le point de se passer il savait tout de même que c’était important. Très important. Alors lorsque Krish arrive enfin et qu’elle monte sur l’estrade, le félin à pointe, jusque-là assis, se releva, poussant sans ménagement ceux qui se tenaient trop près mais qui n’osaient rien à dire à une telle créature ou son maître.

Le discours fit frémir Kerath. Le début lui faisait toujours grincer des dents et il se souvenait avec un certain dégout les mots qu’avaient employés Kirsh pour parler des dorniens et justifier leurs actes. Des mots que quelqu’un aurait pu utiliser pour justifier une rébellion. Des mots qu’il avait eu envie de lui lancer au visage ce matin. La façon dont elle avait inversé les rôles en parlant de Sol’Dorn l’énervait, surtout après la discussion qu’ils avaient eu à ce sujet mais il pouvait entendre Malal lui rappeler sèchement que ce n’était que de la rhétorique. Un art qu’il avait dû étudier alors qu’il montait les échelons de son ost, un art qui l’intéressait même s’il ne s’y était pas dévoué.

La chute de Sol’Dorn, un siège bien trop long au goût de la majorité des soldats fut accueilli par des vivats, Kerath montrait l’exemple et s’il n’était pas le premier à les avoir poussés, ces fameux vivats, il devait être le second. Le répéter était une bonne chose, surtout après avoir rappelé qu’elle avait combattu avec eux, contre les despotes et que même si elle n’était pas une militaire, la guerre lui tenait à cœur ; en même temps l’inverse fut particulièrement indigne d’un avatar d’Uriz mais cette pensée devait être à des lieux des esprits des soldats rassemblés ici, le discours faisant ressurgir les souvenirs de leur triumvir se battant à leurs côtés. Rien de mieux que le combat pour créer des liens et des liens ils avaient eu l’occasion d’en tisser, la purge des seigneuries ayant été longues et progressives jusqu’à l’assaut du fort Malbork. Enfin lorsqu’il fut question de l’attaque à l’aube et, surtout, d’avoir la certitude que le Père tournerait son regard brûlant dans leur direction, les guerriers assemblés crièrent leurs joies comme si on leur avait annoncés que Teiweon les accompagneraient jusqu’au Nahali dans une dizaine de minutes.

Ce qui força Krish à humblement lever une main pour réclamer le silence après quelques instants et son souhait fur rapidement exaucé car beaucoup semblaient penser qu’ils s’agissaient là de la fin du discours toutefois il n’en était rien alors ils écoutaient avec un sérieux tout solennelle.

Quant à Kerath il hocha simplement la tête, sachant pertinemment où elle allait en venir et en effet elle annonça la démission de Viconia, comme elle le lui avait annoncé deux heures plus tôt. Il se demandait si la nouvelle reine avait forcé à la main à son ancienne collègue ou si cette dernière avait accepté de son plein gré. Ça n’avait pas vraiment d’importance. Seule la suite du discours en avait. Et la suite de l’Eda Vengeur.

Si les premiers à rugir sont les prêtres de Tesso disséminés dans la foule, les premiers à réagir, sous l’impulsion de Kerath qui n’attendait que ça, étaient les guerriers du second ost. La déclaration de Krish reçu un salut unanime, tous les soldats autour de Kerath imitèrent leur anciens Senger et se frappèrent la poitrine comme un seul drow avant de se mettre à rugir à leur tour, de façon littéral pour Murrpau.

Sortant du temple de Teiweon avec les derniers prêtres de la Gardienne, la prêtresse de Kiran rejoignit ses pairs en refaisant son turban. Elle prit place aux côtés de son gardien qui fulminait. Mais l'arrivée de la Triumvir l'empêcha d'émettre le moindre mot.

Le visage tourné vers le sol, Na'ri baissa la tête pour mieux entendre. Alors elle écouta.

Le discours tout d'abord.
Le rythme avait été travaillé. D'abord des phrases courtes, qui sonnait comme le marteau sur le cuir d'un tambours. Le début d'une longue marche militaire.
Au fur à mesure les phrases étaient plus longues. La mélodie s'enrichissait. Au bon endroit, il y avait des mots qui éclataient comme des timbales. La tension montait. Montait.
A nouveau une phrase courte. Un constat. Un coup de tonnerre.
Le silence.
Et pour conclure, la reprise de la cadence du début. Cependant elle paraissait plus fluide avec ici et là les mots d'éclats. Le bouquet final.

Les mots.
Qu'avait il à dire ? Le passé avait été exposé pour expliquer le présent qui aboutit à un lendemain. Efficace si on prenait en compte les réactions de la foule. Visiblement les mots avaient réussi à toucher les eldéens. Visiblement les mots étaient justes et partagés. Tant mieux.

Les mots avaient été posés et il sembla qu'il y aurait bien d'autres batailles à mener que devant les murs de pierre de Sol'Dorn. Un nouvelle guerre pour la nouvelle Reine. Une guerre de mots contre des murailles de papier. Le sang pouvait couler tout autant. A voir, à suivre.

Krish s'était sentie seule là où ils auraient dû être trois. Mais de là où elle s'était mise, serait elle encore plus seule ou trouverait elle vraiment des alliés ? Aurait elle autant  de mains exécutantes, qu'aidantes ?

Les clameurs, les rumeurs.
La foule vibrait. La foule vivait là un évènement historique. Il y aura un avant et un après. La foule pourra dire, les larmes aux yeux, la voix chevrotante, "J'y étais !"  Oui, et en fonction de ce que demain sera fait, ils rajouteront moult détails pour embellir ou enlaidir la légende.

Les battements de son cœur.
Il était idiot, stupide de ne pas reconnaitre que les mots, le discours l'avaient touché elle aussi. Mais moins prolixe que les soldats, elle ne poussa aucune clameur. Le lendemain allait être intéressant. Le surlendemain plus encore. Seulement et seulement si, elle aurait un demain. Elle s'était mise entre les mains des serviteurs du Juste. Elle était toujours en sursis. C'était ainsi.

Êtes-vous prêts à me jurer fidélité en tant que reine ?!

Na'ri ouvrit les yeux et releva à moitié son visage. Un sourire l'éclairait.

Un sage méconnu de ce monde dit un jour que la violence est le dernier refuge de l’incompétence…

Quelle déchéance ! Elle qui fut Princesse-Marchande d’une rayonnante cité cosmopolite devenue la Reine Barbare d’un peuple brutal et intolérant.

Le Façonneur observe à l’écart, écoute la glorification de la faiblesse, accompagné par la petite escorte que la « Reine » a bien voulu lui imposer… L’Eda Vengeur, cette farce ! Le dernier sursaut à la mode pour tout un peuple qui demeure bloqué et traumatisé par une blessure vieille de huit cycles ! C’est ridicule ! Voir pathétique si leur bêtise ne coûtait pas tant ! Uriz les consume, Uriz les dévore, Uriz les aveugle… Les pauvres imbéciles ! Les Forts se sont ceux qui se sont affranchis de cette vieille rengaine usée mais qui seront consumés par le nombre des faibles.
Ce jour glorifie la violence et promet les cendres à la sagesse… Un goût amer envahit sa bouche, pour un peu, il pourrait en vomir.

Sans surprise, Krish lui dévoile également l’étendue de sa tromperie, mais il s’en serait douté, hein, ça l’étonne pas ! Les accords d’approvisionnement comme autant de moyens pour le soumettre, le contraindre. Et cette blague que de lui assurer qu’il serait le premier à pénétrer Sol’Dorn… Non qu’elle ne tienne pas son engagement, hein, même s’il doute fort qu’elle se prive pour elle-même du symbole de son entrée ! Mais c’est avec sur les talons une folle bande de chiens enragés qu’elle entend le lâcher dans la ville ! Que Valas les emporte ! Tous ! A considérer que les vaines batailles de ce triste dieu qu’est Uriz prévalent sur la grande quête de savoir de la Chimère !

Loin des acclamations et des aboiements frénétiques, le Façonneur se risque à l’honnêteté, il crache au sol pour conjurer le sort lorsqu’elle demande la fidélité de ses chiens malgré sa petite compagnie, il l’accompagne d’une prière orpheline pour ceux qui lui sont plus semblables que cette foule sanguinaire.
Le geste sera sûrement rapporté, mais il s’en moque, ça n’est qu’un moindre souci comparé à ce qui l’attend… C’est une chose de négocier avec une princesse-marchande certaine de sa supériorité, c’en est un tout autre de le faire avec une reine sanguinaire et fanatisé convaincue de l’être de droit divin, et donc d’avoir tout autorité sur « son » peuple, lui inclut, quand bien même il se considère de Valas, non d’Uriz.

Il doit réfléchir, sacrifier sa position actuelle devenue trop précaire et en trouver une nouvelle. Et malgré tout ce que ça promet comme désagrément, il veut toujours se rendre en ville…

Oui, je sais, mais il en fallait bien un pour casser l’ambiance !

- Alors, qu'il en soit ainsi. " ponctua l'eldéenne au retour du calme.

Son cœur battait.

Et c'était sans doute tout ce qu'elle pouvait espérer.

Un sourire rayonnant sur les lèvre, elle se tourna vers la droite de l'estrade pour donner son premier ordre en tant que reine. Il était temps de clôturer les plus grands déboires de la journée.

- Faites le monter. " Une fois le mage à la peau blanche auprès d'elle, sa voix s'éleva à nouveau, forte pour que tous l'entendent, mais ses yeux n'étaient posés que sur lui. " Pour avoir utiliser ta magie contre moi, j'ai exigé Vengeance. La marque que tu portes aujourd'hui au visage te rappellera ce que tu as fait et ce que tu risque, car je ne pardonne pas deux fois. Mais puisque tu as demandé à t'exprimer avant que la sentence concernant ta tentative de rébellion soit appliquée, je t'écoute. "

C’est un beau discours. C’est un discours plein de ferveur. C’est le discours d’une Reine sincèrement dévouée à l’Eda Vengeur, et en cela, il te plaît. Comme beaucoup d’entre eux, ton cœur s’est emporté à l’écouter. Comme beaucoup d’entre eux, il a embrasé ta fierté. Contrairement à eux il restait une ombre traversant la lumière. Pas parce que tu es prisonnier, non. Pas parce que tu pourrais encore mourir, devant leurs yeux à tous, fait spectacle pour tous ceux ayant goût pour les derniers cris des bêtes à l’abattoir. Mais parce qu’il n’était pas que ferveur. Il n’était pas que vérité. Ce discours était l’exemple même de ce que la politique t’avait d’étranger. Les mots savamment manipulés de manière à autant excuser les hérétiques Dorniens qu’à exciter l’envie d’éliminer les derniers de leurs résistants. Les mots et les circonstances savamment manipulés pour que les véritables raisons de l’éloignement de la dernière Triumvir avec qui elle eut partagé le siège soient gardées mystérieuses. Que la guerre soit aussi la chose de Tesso tu veux bien l’entendre… mais que cette guerre ait à être la chose de Tesso tu as du mal à l’admettre.

Ton visage malgré son extrême pâleur était peint d’une humeur bien sombre. Tu n’as aucune idée de quelle serait sa réaction. Tu avances malgré tout, tu y es bien obligé, lorsque la nouvelle Reine te le demande… ou du moins demande à ses kerkands de t’y forcer. Comme si tu n’en aurais pas été capable par toi-même. Et la sentence et ses raisons sonnent, une fois de plus, à ton oreille, à leur oreille, et les yeux se braquent sur toi, et les oreilles se dirigent droit vers toi, et tes premiers mots tonnent comme l’orage, alors que tu te tiens droit debout.

- Mes convictions n’ont pas changé. Mes mots de ce matin, je ne les regrette pas. tu laisses peser les silences, mais tu t’assures qu’ils soient courts, que l’on te laisse aller jusqu’au bout de ta pensée Nous Eldéens n’offrons pas notre allégeance à de simples titres. Nous ployons le genou devant la force animant ceux qui les portent, car elle leur vient du respect qu’ils portent aux Onze. elle t’a demandé d’être sincère, et c’est ce que tu es Ce que je regrette, c’est que mes façons aient été – compréhensiblement – prises pour une invitation à la rébellion. Ce que je regrette, c’est d’avoir laissé la passion obscurcir mon jugement, et prononcé devant tous ce qui n’aurait dû t’être destiné qu’à toi. Je ne regrette qu’une chose, et c’est de m’être pris pour savant dans mon ignorance, et d’avoir remis en question devant tous ta dévotion envers la réalisation de l’Eda Vengeur. Pour autant, je refuse de m’incliner devant toi en tant que « Reine ». ce dernier mot lorsqu’il quitte tes lèvres le fait de la manière la plus volatile qui soit « Reine » n’est qu’un titre creux, et ils sont trop nombreux les « Rois » ayant trahi l’Elda. pourtant ton visage se baisse, ton genou trouve le sol, tes épaules se rassemblent vers l’avant, et tu ploies devant elle avec le plus grand des respects Si je te jure fidélité aujourd’hui, c’est en tant que Guide d’Elda, et Vaisseau de l’Eda Vengeur. Je serai servant à ma Reine tant que ma Reine est servante aux dieux. tu te recroquevilles encore un peu plus Je te demande pardon, Krish Al’Serat, d’avoir jamais laissé entendre que tu n’étais pas servante des dieux. Et je vous demande pardon ma Reine car je sais maintenant ce titre ne pas être qu’un mot creux lorsque prononcé par vos lèvres.

Le sourire à la fois intéressé et désinvolte de Krish n'avait pas bougé, mais lorsque les premiers mots de Valsrik passèrent ses lèvres, elle faillit l'interrompre pour le condamner à mort sans plus attendre. Son sang n'avait fait qu'un tour et plus il avançait dans sa rhétorique, plus le sourire de l'eldéenne était redevenu sincère... Et même un poil amusé.

Non parce qu'il revenait peu à peu sur le premier accent qu'il avait donné à son intervention, mais surtout parce qu'il trouvait toutes les façons possibles de s'excuser sans se dédire. La pensée qui avait guidé ses réflexions plusieurs fois au cours de la journée lui revint une fois de plus : Préférait-elle être une louve parmi les chiens ou une fern parmi les tigres ? Elle en avait ici un parfait exemple.

Elle l'observa un moment, cherchant à savoir si elle devait s'offusquer du début ou se réjouir de la profondeur d'une sincérité qu'elle ne s'attendait pas à entendre. Mais s’éterniser ne servait pas à grand chose.

- Voilà un homme qui plie le genou, mais pas la Flamme. " lança-t-elle avec un certain enthousiasme. " Lève toi. Et dit moi, Valsrik'Hrae, aimé de Valas... Toi qui accepte d'être le servant d'une servante des Dieux, que serais-tu prêt à sacrifier pour eux ? "

Tu n’es pas mort. Pas encore. Il semblerait qu’elle ait compris cette fois, ou du moins, que tu aies réussi à te faire comprendre. Soulagement… que tu te garderais d’afficher devant une telle foule de Sombres. À sa demande tes jambes se déplient et ton dos se déroule. Tu te relèves pour lui faire face, et accueillir dignement sa dernière question.

Que serais-tu prêt à sacrifier pour les dieux ?

Tu as beau dire, la question te surprend. Ta vie, la situation dans laquelle tu t’étais retrouvé prouvait déjà que pour le Nahali, tu serais prompt à la jeter au feu, mais en réalité quelle valeur a ta seule et unique vie devant les Onze ? Même une vie de dévotion pleine et entière, même une vie à s’appliquer à faire honneur à leurs valeurs… n’est qu’une vie. Finalement, la vie la plus précieuse aux yeux du Père des Batailles est celle qui s’accroche telle une teigne à ce monde physique, et verse dans son sillage l’huile sur laquelle pourra se répandre son feu. Le plus grand sacrifice aux Onze est fait d’œuvres, de défis remportés, d’avancées, de conquêtes. Le plus grand sacrifice n’est pas celui du sang versé, mais celui du sang sué. Combien serais-tu prêt à suer pour les Onze ? Pour Elda ? Pour Uriz ?

- Tout ce que j'ai.

L'eldéenne accueillit la déclaration du mage avec un ample hochement de tête des plus respectueux. Le ton. Les mots. Elle croyait en sa sincérité. Et d'un geste adressé au capitaine de sa garde, quelques mouvements de foule derrière l'estrade permirent à une haute silhouette d'émergée.

Les fers au poignet, encadré de deux gardes d’Ébène, Ran'Lyn fut poussé à monter sur l'estrade. Portant les vêtements qu'il avait le matin même, soigné mais privé de son focalisateur, l'eldéen fut placer près du mage aveugle. Il n'avait pas été touché par les prêtres pendant son séjour de quelques heures dans les geôles de Kiel et remis d'aplomb par la Doth'Ka elle-même. Qu'il ouvre la bouche et les gardes qui l'encadraient le feraient taire, par la force s'il le fallait.

Krish lui lança un regard rapide, mais sa présence n'avait pas d'autre intérêt que ce qu'elle produisait sur Valsrik. C'était vers lui que les yeux pailletés d'or retournèrent bien vite.

- Même l'ami qui était prêt à se battre aveuglément pour toi ? "

Un pas traînant que tu aurais reconnu entre mille. Un parfum dans lequel tu suffoquais depuis des années déjà… et puis merde, ton focaliseur t’avait été rendu. Tu le voyais, du moins, tu le percevais à ta façon, le nécromancien. La garce ! Elle ne pouvait pas te faire ça ! Reine ou pas, un jour tu le lui ferais payer ! Tout ça n’était qu’une mascarade, les dieux ne pouvaient pas vouloir ça ! Ils ne pouvaient pas…

Elle ne ferait rien.

Tu n’en sais rien en réalité, mais tu veux te convaincre qu’elle ne ferait rien. Sa revanche elle l’a déjà prise sur toi. Maintenant tout ça n’est plus qu’un cruel jeu. Il ne pouvait en être autrement. Tu ne veux pas y croire. Tu déglutis, et un frisson te parcours l’échine lorsqu’elle prononce les mots fatidiques. Elle ne peut qu’être en train de jouer. Elle essaie de te pousser à bout. Elle veut voir si les heures ont suffi à te rendre plus sage ou si tu es exactement le même que ce matin, voilà tout. Tu n’y crois pas une seule seconde. Tu refuses de penser que Ran’Lyn puisse être exécuté ici, tu refuses de penser que l’on puisse te le retirer. Ce ne serait pas logique. Ce serait stupide. Ce serait te pousser à l’explosion à peine auras-tu fait l’effort de te contenir. Et pourtant tu as peur.

Tu serres les dents. Oui, pour les dieux tu le sacrifierais même lui, seulement les dieux n’avaient rien à faire avec ce qui se jouait à l’instant. Oui, pour les dieux tu le sacrifierais même lui, sauf que fussent les dieux en personne ceux qui te le demandèrent que ta tristesse serait la même. Celui-là tu tiens à lui, de la plus étrange des manières.
Tes yeux vides de pupilles sont incapables de retranscrire ton trouble. Dirigés vers le vide ils t’épargnent plus de honte dans ton hésitation, ils empêchent que tu n’accuses rageusement la Reine à qui tu venais de jurer allégeance, et que ton ire silencieuse ne se déverse sur les Gardes d’Ebène. Mais faute de tout cela, tes yeux vides pleurent. Ils pleurent des larmes acides alors que tes poings se serrent, que ta gorge s’étrangle et que ton cœur bat la chamade.

Pendant ce temps, lui ne dit rien. Il ne lutte pas. Il ne s’enfièvre pas. Stoïque comme tu ne l’as jamais connu, Ran’Lyn attend patiemment que tu prononces les mots qui scelleraient son sort. Tu sens son regard sur toi. Tu le sens te dévisager, inquisiteur mais sans la moindre agression. Il ne te met au défi de rien. D’absolument rien. Il ne te reproche rien. Il ne t’impose rien. Il est exactement le même que celui qui t’a permis de survivre à ces dernières années de torture.

- Même lui.

Ta voix se veut ferme, mais elle est résignée. Tes pensées bouillonnent, et l’espace d’un extrêmement court instant tu es fier, tu vois ta victoire, puis tu regrettes ardemment, puis tu es mort, puis tu es vivant, puis tu es à nouveau là, sous les yeux de tous, et tu veux rajouter qu’aujourd’hui les dieux n’ont rien à voir avec tout ça, que ne pas le libérer serait au contraire les priver d’un servant. Que tout ça n’avait pas de sens. Que sa vengeance était déjà accomplie… mais à peine tes lèvres furent-elles entrouvertes que le regard devenu sévère de ton compagnon te réduit au silence.

Même lui.

Une question ; Une réponse.

D'un pas encore légèrement raide de son combat du jour, que Krish cachait derrière le dynamisme de sa démarche, elle approcha de Valsrik'Hrae.

- Les Dieux peuvent être fiers de ton Courage et de ton Abnégation.

Elle avait regarder l'hésitation, le doute reconnu la colère contenue. Elle avait entendu la réponse. Et elle avait hoché la tête avec un sourire.

- Je saurais m'en souvenir.

Elle ne doutait pas du fait que la réciproque soit vrai, mais elle ne regrettait pas ce jeu de chat. Cela faisait bien trop longtemps. En passant, le capitaine de la garde lui remis une lourde clef de fer qu'elle déposa dans la main de son vieux camarade. Elle glissa un sourire des plus provoquant à celui qui était enchainé avant de reprendre d'une voix forte.

- Valsrik'Hrae, Ran'Lyn, étant donné la situation complexe de ce matin je considère que vos actes étaient irréfléchis et non malveillants. Valsrik'Hrae, je crois ton repentir sincère et ta ferveur réel. Priver les Dieux d'un talent comme le tien serait dommageable du moment que ton comportement n'est pas un plus grand problème. " Elle prit une légère pause avant de conclure. " Je retire la sentence qui pesait sur vous deux. A partir de ce soir, tu occuperas temporairement le rang de Prime Sorcier d'Elda. Lorsque Sol'Dorn sera sous notre contrôle et que tu auras le temps de retourner au Puy, les mages décideront eux-même s'ils acceptent de te reconnaitre définitivement en tant que chef ou non. "

Un nouveau geste et les gardes d'Ebènes descendirent de l'estrade pour prendre leur poste autour. Le regard de Krish scrutait toujours les yeux sans vie de Valsrik'Hrae, appréciatrice. Ce titre était mérité mais donner cette condition permettait deux choses. D'une part, elle n'aurait pas outrepasser ses compétences pour choisir un Prime Sorcier. D'autre part, il aurait le soutient des siens, un véritable poids pour un véritable Prime Sorcier. Peut-être pourraient-ils repartir ainsi. Peut-être se l'était-elle aliéné... Elle avait hâte de voir ce que donnerait tout cela. Pour la gloire ou la mort. Peut-être un jour l'embrasserait-il à nouveau...

Elle se tourna vers la foule pour ajouter. " Et pour en finir avec les troubles hiérarchique que connait ce jour je demande à Kerath'Elghinn de me rejoindre. "

Kerath avait hésité à amener Yshahin et Kel'zo a cette vaste réunion toutefois il fut content de ne pas l’avoir fait, le soldat se demandait à quoi Krish jouait, ce qui lui tira une moue dépréciatrice. Comme elle venait de le dire, son ami était prêt à se battre aveuglement pour lui, elle avait obtenu la soumission du futur Prime Sorcier, son compagnon n’était plus une menace. Tu as gagné, termines-en. Le soldat détestait les mauvais gagnants, c’était les premiers à baisser leurs gardes, à faire courir des risques inconsidérés à leurs camarades ; il en avait vu qui brisaient leurs formations pour se jeter à la poursuite de l’ennemi sans s’inquiéter d’un quelconque piège tendu plus loin. Mais Krish ne prolongea pas la célébration de sa victoire plus avant et Kerath décroisa les bras pour poser une main sur la tête de Murrpau avant qu’il ne soit appelé à monter. Ce qu’il fit, l’anneau orné d’une émeraude du second ost sautillait sur son torse au rythme de sa marche pesante alors que les gens sur son chemin se poussaient pour le laisser passer. Le sillon qu’il creusait ne se refermait pas tout de suite car le félin à pointe le suivait et si personne n’avait envie particulièrement envie de se faire bousculer par le colosse, c’était d’autant plus vrai pour son compagnon qui le suivait dans son sillage.

« Attends. »

Dit-il à Murrpau une fois arrivé au pied de l’estrade, devant les gardes d’Ebène. Une fois qu’on l’autorisa à monter seul il gravit la volée de marche qui le mena jusqu’à la nouvelle reine qu’il avait acclamé quelques instants plus tôt. Il aurait bien fait monter son félin avec lui mais s’il pouvait aider Krish d’une façon c’était bien en montrant qu’il avait confiance en elle. C’était aussi pour ça qu’il n’avait qu’un pantalon et une tunique à manches courtes noire et non pas une armure comme il en portait d’ordinaire ; bien que la rouge qu’il revêtait tout le temps était en train d’être réparée, il n’avait pas pris la peine de s’équiper de son armure d’apparat qui prenait la poussière depuis un certain temps maintenant dans son armurerie personnelle. Face à sa reine et de profil pour la foule, Kerath salua sa souveraine, encore une fois il frappa trop fort ; il aimait sentir le coup qu’il portait sur sa poitrine lorsqu’il saluait quelqu’un et il s’était habitué à lui donner une certaine force car d’ordinaire il portait une armure, une armure de plaque, ce qui n’était pas le cas présentement. Il resta dans cette position, sa main d’arme formée en un poing cendreux posé sur son cœur en attendant que Krish ne reprenne la parole.

Elle étouffa bien maigrement son petit rire qui secouait ses épaules. La poupée dans sa main, la thaumaturge s’empressait de dévisager la foule avec une attention somme toute amusée ; qu’il y avait du beau monde ! Tout le campement était amassé là, devant l’estrade – et quelle estrade ! Au-dessus la voluptueuse mondaine, qui criait avec la férocité du Père. Elle coula une œillade conquise à ses veines qui se tendait sous l’effort, pourléchant ses lippes asséchées. Et comme un agréable souvenir, le bruit de sa nuque se brisant sous son pied lui revint en mémoire. Quel beau jour que celui-là. Elle s’en souvenait parfaitement. La terreur dans les yeux de la Flamme, et l’immense joie dans le cœur de la Petite. Bientôt il lui fût difficile de ne pas trépigner ; ses pensées obscures tranchaient vivement avec la tenue virginale du jour. Un blanc immaculé qu’elle rêva de tâcher de fleurs carmines, comme autant de printemps souillés. Elle avait même – dans un effort modeste – arrangé sa crinière pour que celle-ci retombe dans une cascade parfaite. Ainsi accoutrée, elle avait l’air d’une enfant, plus que d’ordinaire. Ses grandes billes luisaient, et sa frimousse était radieuse. Une belle journée, Dula. Oh oui, c’est une belle journée que voilà !

Elle avait été invitée à venir au plus proche du promontoire, mais elle s’en était bien gardé. Là-bas elle n’aurait pu apprécier les bels gens. Plutôt elle s’était mêlée à ses rustres qui avait porté un drôle d’œil à sa tenue. Il était peu commun de la voir ainsi. Crois-tu que Kahveka apprécierait ? Ma petite Dula il les tuerait tous, et on danserait dans leurs tripes. L’idée lui arracha une énième secousse alors que ses petits doigts caressaient le tissu. A dire vrai, la Ditrown Da’re ne s’était point déplacer pour admirer la grandeur d’Uriz. Non, ce qui rendait ce spectacle atrocement comique, c’était cet amas pêle-mêle de renégats et d’honnêtes Eldéens, de braves guerriers et de traitres. Et plus encore, d’aucun n’osa même remettre en question ce drôle de siège qui arrivait à son terme. Qu’elle se proclame reine l’excita assez pour lui pardonner. Elle aimait Krish presque autant qu’elle la terrorisait, mais jamais son cœur ne pourrait se satisfaire d’une seule main. Elle n’avait pas brillé lors de cette reprise, pas plus qu’elle-même d’ailleurs. Et plus encore, la Rose Noire était déçue de cette flamme qui ne brûlait que les siens.

Mais là ! Elle reprit sa marrade de plus belle. Qu’il allait être beau le Puy, mené par des idiots aveuglés par leur propre cupidité. Qu’ils servent les Dieux, oh oui, qu’ils les servent. Le Monstre s’agit au fond de sa cage, et le verrou cliqueta. Il n’est pas l’heure Dula, non il n’est pas l’heure. Un sourire mauvais s’accrocha à sa bouille angélique. Elle savait ce que réservait la suite, il ne pouvait en être autrement. Et bien soit ! Elle l’accepta bien volontiers ; après tout elle avait sûrement tort de se montrer si sceptique. Un nouvel hallelujah emplit l’air lorsque le gros obok s’en rejoint la Guerrière. Et à L’Renor de l’acclamer tant et plus. Ainsi donc, elle comptait occuper tous les sièges vacants.
« Gloire à la Reine ! ». Un murmure, puis une nouvelle tranche de rire.

Ainsi elle pouvait vraiment espérer que cette journée arrive à son terme ?

Une fois Kerath sur l'estrade, elle lui saisit le bras en une franche salutation. Toujours aussi grand par rapport à la nouvelle reine, le voir sans son armure rouge avait quelque chose d’étrange, comme si ses larges épaules ressortaient encore plus lorsqu'elles n'étaient pas camouflées par une carapace de métal encore plus large. Ou alors c'était de le voir lavé de frais ? En tout cas, malgré l'absence d'armure d’apparat, il avait fit un effort pour bien présenter.

Contrairement à Valsrik'Hrae, ce qui allait se passer ici était déjà posé, pensé et décidé. Moins inattendu. Plus reposant... Si cela n'avait pas lieu devant plusieurs milliers de personnes.

- Ce matin, tu étais prêt à tout perdre pour ne pas te mettre en travers d'une route que tu ne voulais pas emprunté toi-même. L'ordalie que j'ai demandé a prouvé que je suis allée trop loin concernant ta punition. Ta franchise et tes conseils me sont précieux. Alors je n'ai qu'une question pour toi : Accepteras-tu de prêter serment en tant que Karliik Glenn ? "

Kerath lui rendit son salut en saisissant également son avant-bras. C’était toujours étrange de le faire à un, du moins une, civile mais elle en avait gagné le droit en combattant à ses côtés et ce plusieurs fois ; après tout c’était bien l’avatar du Père qui avait mis un terme abrupt au siège de Malbork. Un fait d’arme que les soldats du second ost n’avaient pas oublié, était-il alors surprenant qu’ils furent les premiers à saluer leur nouvelle reine ? Alors, lorsqu’elle lui demanda s’il acceptait de prendre la place de Karliik Glenn, Kerath fut tout de même surpris, bien qu’ils en aient déjà discutés et qu’il avait déjà accepté. Mais ils en avaient déjà discutés en privé et il avait déjà accepté en privé. Pour la première fois depuis qu’il avait rejoint les osts, la vue de son armée l’intimidait. Les mots d’Uriz, rapportés par son avatar, résonnaient dans son esprit alors que les secondes s’égrainaient.

« J’accepte, ussta valsharess. »

Dit-il solennellement, baissant la tête en entendant quelqu’un approcher derrière lui, le capitaine de la Garde d’Ebène se tenait désormais à côté de la reine. Entre ses mains se trouvait un écrin qu’il ouvrit lentement pour dévoiler un anneau en onyx. Le prenant par la chaîne d’or et d’argent, Krish le passa autour du coup du soldat qui s’agenouilla en sentant l’anneau tomber sur sa poitrine. Une fois un genoux en terre, il attrapa l’anneau dans sa main droite, le leva au niveau de sa tête qu’il releva.

« Moi, Kerath’Elghinn, jure de vaincre nos ennemis, qu’ils se terrent dans les forêts d’Anaëh ou dans les tréfonds du Vatna et ce de toutes mes forces avec les troupes qui me sont confiées ; de remplir mon devoir au péril de ma vie et de toujours œuvrer pour le bien et la gloire d’Elda et de son monarque ; de toujours protéger le Puy et ce quel qu’en soit le coût. Puissent les dieux et leurs serviteurs m’en être témoins et Meingal se porter garant du respect de mes vœux. »

Il forma ensuite avec lenteur son poing pour enserrer l’anneau.

Chaque mot résonnait avec sa propre force. Tout comme les excuses de Valsrik'Hrae avaient sonnées dans l'atmosphère comme un serment, le serment et ses tournures coutumières lui faisait prendre conscience des changements du jour. Elle était reine. Elle remplissait les grades qui attendaient depuis si longtemps qu'on leur rendent leurs lettres de noblesse. Chaque promotion, chaque pardon, était un pari risqué. Chaque refus, chaque attente était un regret potentiel.

La main de Krish vint se poser sur cette du Karliik, elle-même autour de l'anneau représentant sa fonction. Ses yeux droits dans ceux du militaire, se hissa soudainement jusqu'à ses lèvres pour l'embrasser à pleine bouche. Ce ne fut pas bien long. Une marque de connivence plus que de désire. Le temps d'y déposer un goût de cuivre chaud, faisant écho à la fin de leur combat un peu plus tôt dans la journée. Puisque les Dieux avaient voulus ce drôle de lien, autant le mener à terme avec les honneurs.

Un coup de sa langue blessée empêcha une goute écarlate de perler au coin de ses lèvres. Krish s'éloigna d'un pas en lui soufflant d'un ton bas.

- Je prie pour n'assister qu'une fois à ce serment. " Elle sourit, féline, avant de se tourner vers la foule d'un geste ample, le laissant avancer seul s'il le désirait. " Fais face à nos soldats, Karliik Glenn. Car demain à l'aube tu seras à leur tête, à mes côtés, dans les rues de Sol'Dorn. "

Le baiser le surprise et la pointe de sang sur le bout de sa langue encore plus et ainsi Kerath se sentit lié par une troisième et, probablement, dernière chose à sa nouvelle reine : les révélation d’Uriz, le serment de Karliik Glenn et maintenant ce lien de sang finalisé. Il était loin d’avoir bu autant de sang qu’elle mais bon, ça devrait bien faire l’affaire après tout. Un sourire effleura ensuite ses lèvres en l’entendant susurrer. Lui aussi priait pour n’avoir à prêter ce serment qu’une fois. Cela dit avec tout ce qui s’était passé dans cette journée bien remplie il se demandait si un jour il risquerait de jurer fidélité à un autre monarque. La possibilité lui fit froid dans le dos après ce qu’il avait entendu dans le temple d’Uriz cette après-midi.

Maintenant il se devait de la protéger plus que jamais et surtout il se devait de limiter au possible ses prises de risques inconsidérée, il avait beau l’apprécier, il n’allait pas risquer les P’leiks pour ces jolis yeux pailletés d’or. Finalement il hocha la tête, pris la main de Krish et fit un pas en avant. Toujours plus proche de la foule, le Karliik Glenn leva triomphalement la main valide de la reine qu’il tenait fermement.

« Pour le Destructeur ! »

Il aurait bien ajouté « et le Foudre de Guerre » mais l’évocation de la seconde divinité guerrière d’Elda n’était pas à propos et c’était bien ce que craignait Kerath d’ailleurs. Il craignait de perdre le soutien du Prime Dragon car n’avait-il pas dit qu’il aiderait les daedhels tant que ces derniers se montreraient implacables ? Et ne risquaient-ils pas de perdre le soutien de Kiran et Leetha, les jumelles qui avaient promis leurs services tant que les daedhels se montraient sans pitié ? Ils s’étaient arrêtés devant les murs de Sol’Dorn bien plus longtemps que nécessaire et ils avaient fait preuve de pitié, ou de faiblesse selon certains. Le Karliik en venait à se demander comment est-ce qu’ils pourraient arriver à exaucer les souhaits de vengeance du Père sans les dons du Maître des Cataclysmes ou ceux des Jumelles.

Mais il garda évidemment ses doutes et ses craintes pour lui, ce n’était pas le moment et encore moins le lieu, les doutes se devaient d’être exprimés en privé, maintenant plus que jamais. Peut-être en ferait-il part à l’Olath Blada, peut-être seulement à Krish ou Na’ri ; peut-être seulement à Murrpau. Pour le moment le Karliik Glenn devait se réjouir de cet instant avec ses troupes qui poussaient déjà des vivats et qui s’étaient visiblement lancés dans un concours pour savoir lequel d’entre eux arriveraient à produire le plus de bruit. Dans la foule, il sembla à Kerath qu’il voyait des drows s’embrasser, d’autres se battre pour la plus grande gloire du Père, d’autres encore disparaître dans la masse de corps pour faire on ne savait trop quoi.

Le rugissement des Flammes. La grande main qui lui tendait le bras. Un début de règne prometteur... Mais qui laissait un goût étrange dans la bouche de l'eldéenne. Dans ce monde dépeuplé de la présence d'un seul, le Brasier qui lui brûlait le cœur ne s'emballait pas plus qu'il ne la désapprouvait. Ce n'était qu'un point de départ. C'était déjà un point de départ. Ce qu'aurait peut-être du être le point de départ de sa carrière politique au Puy... Non. A l'époque elle n'était que peur et servitude. Elle ne le serait plus.

Tous ces chants, toute cette gloire, tout cet enthousiasme était dédié au Père, non à elle en tant que personne. Aucun d'eux n'avait de respect pour la Forgeronne. Seule la Flamme comptait. Pour tous. Pour chacun. Sauf un. Et c'était bien ainsi. Elle était elle. Libre et Forte. Peu importait les noms et les titres. La foi et l'allant qu'elle les voyait exprimer, elle la ressentait également. Et malgré le creux que laissait l'absence, la joie sauvage était réelle.

" Pour le Créateur ! " Renchérit-elle avec ferveur.

Comme toujours, elle ne laissa rien paraitre alors que son esprit se tournait avec respect vers la source de tous ses tourments. En son fort intérieur, les versets d'une prière se déversaient d'eux-même en un hommage silencieux.

Gloire à Toi, Créateur,
Que ton Monde émerge du sang des oublieux.
Gloire à Toi, Destructeur,
Que ta Juste Colère inspire nos coups implacables.
Gloire à Toi, Père des Batailles
Que ton feu détruise le Faible et grandisse le Fort.
Gloire à Toi, Père des drows,
Que ta Liberté se propage jusqu'aux confins du monde.
Puissions-nous mériter ton regard.
Puissent les portes du Nahali s'ouvrir.
Haute et Forte brûle la Foi.

... Puisse-tu les voir aujourd'hui, car ils sont là pour Toi.

Je Vois.

Le cœur de l'eldéenne se serra douloureusement. Sa présence était forte, brûlante, écrasante. Elle frémit à cette impression de proximité qui avait toujours été si rare. Qu'ils grondent, qu'ils crient, qu'ils se déchainent, les drows qui tempêtaient face à elle. Qu'ils aillent de l'avant, armé de leurs passions et de leurs désirs, pour tracer leur propre voie au-dessus des autres. Qu'ils se nourrissent de démesure et s'abreuvent de férocité. Qu'ils brulent par les deux bouts car la pérennité n'était pas de ce monde. L’OEuvre que lui avait confié le Père n'avait pas besoin de tempérance. Elle avait oublié qu'elle n'en était pas la finalité, seulement un outil dont la volonté et le caractère avaient été choisis et aiguisés pour cette tâche bien précise. Passionnée. Changeante. Butée. Éprise de la beauté sanglante des talents éprouvés et du chaos qui les force à émerger.

D'un geste ample, sa main libre se changea en poing et frappa sa poitrine. Un coup sourd. Un battement de cœur. Un tressaillement se propageant de Flamme en Flamme dans cette foule innombrable. Un sourire féroce de la part de l'eldéenne. Des veines d'un rouge incandescent criblèrent la main à la peau noire. Portée par les cris et les regards, Krish leva les doigts vers le ciel. Entre eux claquèrent les flammes d'une épée ardente. L'apparition de l'arme symbole du Père brûlait et rayonnait sous le soleil déclinant.

- Pour le Père ! "

Si un seul d'entre eux avait cru qu'elle tenterait de calmer les soldats face à elle dans l'espoir futile qu'ils soient indemnes pour le lendemain matin, il se trompait. Les eldéens entreraient dans Sol'Dorn, dussent-ils le faire la bave au lèvre et les jambes brisées. A chacun d'eux de décider de son état et de son chemin.

- Et que l'aube soit rouge ! "

Elle abaissa son bras et la lame se dispersa en une gerbe d'étincelle. Alors seulement, elle lâcha la main de son Karliik Glenn - ou se libéra de son étreinte. Lâchant la foule des yeux, elle lança un regard sibyllin au général, puis à Valsrik'Hrae. Amusé peut-être ? Puis elle descendit braver le chaos pour s'éloigner de la place, laissant ses gardes se débrouiller pour s'organiser autour d'elle ou repoussant elle-même les importuns si c'était nécessaire.

Il ne lui manquait qu'une chose pour être comblée et elle ne la trouverait pas sous les hourra, les coups et les baisers. Une chose dont elle devrait profiter autant que possible tant qu'elle le pouvait.

Baisser la tête et écouter.
Ecouter et faire le tris dans les mots du clair obscure pour y trouver la sincérité et les traits sortis du cœur. Et ne pas savoir.
Alors, elle ouvrit les yeux et observa celui qui s'inclinait devant la reine. Elle était trop loin pour voir la marque sur la joue du mage qu'elle découvrit vraiment. Son œil médical nota certaines choses, elle ne pouvait s'en empêcher.

Que serais tu prêt à sacrifier pour eux ?
Attendre et se surprendre à retenir son souffle.

Même lui ?
Attendre et s'interroger. Dans la foule elle ne le voyait pas contrairement au dos du félin. C'était presque pareil.

Même lui ?
Son cœur se serra et s'emballa. Tout son corps le refusait. Et sa tête ?
Elle frémit à la réponse donnée.

Le pardon était accordé. Pour cette fois. Il n'était plus question de partir en chasse, elle en fut soulagée.

Kerath'Elghinn, Sagar Ni'Styx, monta à son tour sur l'estrade. Elle dû baisser vivement la tête pour cacher son visage aux regards mauvais du prêtre qui se tenait à ses côtés.

Karliik Glenn.

La prêtresse fut heureuse pour le daëdhel qui avait réussit à gravir toutes les marches de la hiérarchie militaire. Elle fut également heureuse pour une autre prêtresse qui avait pendant des années forgé le caractère, ô combien abrupt du nouveau gradé, pour ce jour. Son travail payait enfin.
Il était sur la plus haute marche et elle sut.

Baisser la tête et s'incliner fasse aux décisions.
Les vivats et les hourras avaient fait la place à de nombreux homages pour les Dieux. Il était temps de faire de même.

Son voisin de plus en plus furibond à ses talons, elle se faufila dans la foule à la recherche des premiers blessés.

Soigner.
Panser.
Pour demain.