Sous bonne garde- | Camp Sud... (libre)

7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen, Tente de Viconia, Sol'Dorn
19 heures

Ecrire…

Elle a libéré son bureau de tout le travail qu'elle avait à faire en tant que triumvir. Proprement balancé dans le panier occupant maintenant le pas de la porte en attendant que quelqu,un vienne le chercher… ou non, Viconia sort ensuite un grimoire, le plus récent en fait.

Le plus récent dans les plus vieux. S'asseyant sans cérémonie, la drow sort des encres de quatre couleurs différentes.  elle se met à écrire sur une des dernières pages de son grimoire, remarquez qu'écrire est un bien grand mot.  

Bientôt s'alignent quatre partitions sur les mêmes pages. La première, en encre noire, avec pleins de quadruples croches, en allegro qui englobe carrément les trois suivantes…. Bref, je vous épargne les détails techniques. Une, plus lente et plus régulière en bleu. Une seconde, pleine de silences et de soupirs en rouge et la dernière, en encre d'un émeraude éclatant, harmonieuse mais ô combien répétitive. Viconia a un besoin viscéral de coucher visuellement le bordel qui lui vrille le crâne. L'exercice mental ainsi créé lui permet de se distraire quelque peu même si son écriture est moins soignée  qu'à l'ordinaire.

Se distraire… ou pas… Travailler dur, la seule constante de sa vie. La seule chose qui lui reste et qu'on ne pourra pas lui enlever.  L'heure avance, le calme s'abat sur le campement…. Si les prêtres la laissent faire de prime abord. Ile deviennent inquiet quand ils voient les partitions…

-Lle'warin X'Ianxin, il faudrait vous reposer…

Deux yeux d'émeraudes rougeoyants, torves se lèvent du grimoire pour envisager le prêtre durement. Malgré tout, la sombre lâche son travail sans protester. Se faire dire sans cesse quoi faire et quoi ne pas faire commence à lui taper sur les nerfs, et ca ne fait même pas douze heures…  Collaborer, sinon ils sont bien capable de lui arracher le chien-ours en prime sous un prétexte bidon… Déjà qu'elle n'a plus revu son esclave de maison depuis plusieurs heures… Coïncidence? Elle en doute fortement.

D'un claquement de langue, elle fait faire l'exercice à la Bête ... Bon, ce ne vaut pas les longues courses dans la nature, mais ca sera mieux que rien toujours. Au moins a t'il été nourri convenablement aujourd'hui contrairement à Viconia qui a refusé toute nourriture sous prétexte simple et poli qu'elle n'avait pas faim. Ce qui, compte tenu de ses nausées sporadiques, est très plausible.

Immobile, stoïque, elle le regarde évoluer, silencieuse. Viconia n'a pas parlé depuis le couronnement de Krish, n'a rien demandé non plus de ce qui se passait. Sa survis immédiate lui importe peu, le gaspillage de ses recherche beaucoup plus. D'un autre claquement de langue irrité, elle fait tourner Varg de l'autre côté, le faisant tourner autour d'elle dans l'autre sens. Trouvant un certain réconfort dans la mouvance des muscles de l'animal, de sa simplicité, de sa fourrure couleur de terre cuite et de ses cicatrices soulignant son corp massif.

- "TOC TOC TOC " Faute de porte à laquelle toquer, il fallait trouver des alternatives et en plusieurs siècles de vie sous les toiles de tente, c'était ce qui s'était avéré le plus efficace.
Le prêtre attendit une petite poignée de secondes et pénétra dans la tente obscure. Ses subalternes, ayant reconnu sa voix le saluèrent silencieusement et lui indiquèrent le lit sur lequel reposait leur patiente.  Le chien-ours releva quand à lui la tête pour suivre le nouveau venu du regard, ses orbes dorées attentives.

C'était inhabituel. Il avait pour habitude de traiter indifféremment tout les grades que l'armée pouvait contenir. Mais aujourd'hui, sa patiente était unique. C'était une première. Sa patiente était une ancienne triumvir. Il avait assisté à beaucoup de choses aujourd'hui qui avait affecté le camp, mais pas à la destitution. A moins d'être un chat, nul ne tombait de si haut sans se faire mal. Et encore, certains chats en mourraient.

Prenant ses précautions pour ne pas buter contre des meubles, il s'avança et s'assit par terre.  
- "Bonsoir. Est-ce que vous dormez, Lle'warin ? J'aimerai vous écouter, souhaiteriez vous me parler d'aujourd'hui ? De vos projets d'avenir ? "

Il y eut un moment où il n’y eut aucun mouvement. Peut-être que s’il la pensait endormie qu’il allait s’en aller ? Pourtant il attendit. Pour sa patiente la plus coriace, il avait dû attendre onze ans avant qu'elle ne parle enfin. Si ce n'était pas ce soir, ce n'était pas grave, il reviendrait encore et encore.
Viconia se morigéna aussitôt. Elle avait promis de collaborer... se relevant doucement sur le coté de sa couche, se retenant des deux mains, l’arcaniste se tourna vers celui qu’elle se rappelait être prêtre de Kiran. Les prunelles d'émeraudes rougeoyantes étaient visibles dans la pénombre de la tente tandis que leur parvenaient en sourdine, l'agitation qui balayait le camp.  Pendant un moment, elle fixa la silhouette dans la pénombre.  La phrase que Krish lui avait dite plus tôt dans la journée lui rappela alors que toutes ses paroles seraient sûrement rapportées et déformées. Aussi décida t'elle de jouer la prudence. C'est d'une voix de velours qu'elle lui répondit alors.

- J’aimerais bien grand-prêtre. Mais je ne suis pas apte à prendre quelque décision que ce soit en se moment…

L'obscurité cacha le haussement de sourcil. C'est vrai que pour la protéger, elle avait été jugée inapte. Mais l'était elle vraiment?

-" Pas même une envie particulière ? Revenir au Puy ou partir étudier à la surface comme votre Haut Prêtre ? Des envies de partir... définitivement ?" Sa voix était restée neutre, comme si la mort était une possibilité valable, pourtant condamnable.

Un sourcil fin se haussa, parfait miroir de celui qui lui faisait face. Un sursaut d’humeur la secoua alors. Sérieusement?Il voulait lui faire dire quoi exactement? Qu’elle s’arracherait effectivement les veines sous l’opprobre, le déshonneur? Même si c'était vrai, il n’en saurait rien. Rejeter le don de Teiweon de ce matin serait se condamner à pire que les Pleiks… Elle avait des souvenirs flous de pleins de choses de ce matin, mais la caresse du Voile de la déesse sur son visage n'en faisait pas parti. Elle s’en rappelait chaque détail.  La voix mélodieuse s’éleva  doucement dans l’air.  

"Teiweon a caressé ma joue ce matin. Rejeter son don serait un pur blasphème.  

- Bien. Tant mieux. Donc il reste les deux premières solutions. A moins que vous n’envisagiez une troisième voie. " Le Grand Prêtre était de ceux qui prévoyait le pire afin que se produise le meilleur. Ainsi, pour le moment, la jeune femme voulait tenir. Comme il lui avait dit, c'était une bonne nouvelle. Viconia raffermit son assise sur le bord de la couche, ne se fiant pas sur ses oreilles pour deviner son vis à vis. Elle ne se fiait plus sur grand chose, plus sur sa magie et encore moins sur les gens autours d'elle… Les mélodies qu'elle connaissaient lui avaient été arrachées.

Au moins ne parle t’il pas de ses sentiments actuels. Pensa t'elle…  Ça serait un comble... Elle repoussa alors une mèche vagabonde  derrière son oreille. Et le prit de face. Parce qu’elle ne savait pas qui il était, hormis son titre de grand-prêtre…Elle eu un léger reniflement.

"Je vais être franche. Je n’envisage rien du tout. Je suis incapable de me propulser autre que dans les secondes immédiates en ce moment. Tu en demande énormément.... je ne me rappelle pas ton nom... Qui t’envoie d’ailleurs ?"

L'oreille du Grand Prêtre fut prit d'un léger tic qui eut pour effet de faire cliqueter très légèrement les pendeloques de sa longue boucle d'oreille.
-" Je suis celui qui s'occupe de votre cas. Dites moi, pourquoi devrais-je vous donner mon nom si vous n'envisagez rien ? "
Un mince sourire étira ses lèvres. Un sourire qu'elle ne lui retourna pas.

- "Je n'ai aucune raison d'envisager quoi que ce soit... Mes échecs sont trop nombreux pour être énumérés et ma faiblesse est flagrante... Peu importe où j'irai et ce que je ferai, je serai une paria… "

L'Eda Vengeur lui aura coûté plus que la vie au final... Même sa musique, elle ne se fiait  plus dessus. Elle se savait déséquilibrée, désarçonnée… Entre autre chose. Pleins d'autres choses.

- "Vous avez démissionné de votre ancien poste. Cela ne fait pas de vous une paria. Un paria ce serait... un drow en fuite suite à une trahison. Un eldéen rejeté  de tous. Or vous avez une place dans notre société. Plus en tant que Triumvir, certes, mais au moins en tant que prêtresse. Mais avec votre expérience et vos savoirs en tant qu'ancienne du gouvernement, vous pouvez également nous apporter quelque chose. Pas forcément tout de suite, là, maintenant. Mais prenez votre temps. Et vous n'êtes pas une paria."

Ah non ? Se demande Viconia. Le croit il vraiment ce qu’il dit ? Sa Flamme avait peut-être été altérée. Quelle place y avait il dans cette société pour ces cas de figure ? Instable, dangereux.  Qu’est ce qu’il pouvait bien en savoir ?
Le Grand Prêtre se leva et poursuivi, profitant de toute sa taille pour la regarder de haut. Redressant la tête, Viconia suivit le mouvement .
-" Vous pouvez continuer à vous considérer comme tel. Poursuivez et je vous envoie aux prêtres de Kiel. Quitte à vous faire du mal, autant offrir cette souffrance en offrande. "
Puis, il se rassit comme si de rien n'était. Impassible, Viconia le regarde dans le pénombre de Sa tente. Dehors, l’atmosphère surexcitée fait un etrange contrepoint au silence des lieux. S’étirant le bras, la spiritiste alluma une petite lampe tempête au verre coloré. Elle voulait le voir convenablement. Il servait dans l'armée depuis un bon bout de temps maintenant, trois siècles environ et un en tant que Grand Prêtre. Il considérait qu'il était important d'écouter, mais que l'abattement n'avait pas sa place dans un coeur brûlant. Viconia avait le droit de ne pas savoir quoi faire, mais elle n'avait pas le droit de se flageller. Pas comme ça.
-" Des erreurs. Qui n'en fait pas ? Et alors. Seriez vous paralysée d'en faire de nouvelles ? Vivre c'est aller de l'avant. Même une limace avance. Vous n'êtes pas obligée de bondir et courir, juste d'avancer pour vivre. Je vous laisse réfléchir encore. Que voulez vous faire ? "

Paralysée de faire des erreurs? Ce qu'elle voulait faire? La vérité c’est qu’elle n’en avait aucune idée pour chacun des deux points soulevés. C’est lui qui avait son ticket de sortie, si tout cela n’était pas une vulgaire farce. Qui disait que le grand-prêtre n’était pas un envoyé de la Doth’Ka? Ce fut d'une allure régalienne qu’elle se leva pour regarder l’envoyé de Kiran. Son visage était classique cependant il était éclairé par ses yeux lie de vin. Tout comme ses différents bijoux qui striaient la peau d'ardoise, son crâne, rasé de frais, reflétait la lueur chaleureuse de la chandelle.

- " Vous êtes au courant que mes pairs m’ont enlevé absolument tout et même encore plus que ce que j’ai gagné par un siècle de travail acharné grand-prêtre? Mes recherches sont toutes perdues, mais pour ne citer personne ce n’est pas grave, il n’y avait rien de « révolutionnaire »... "

Dit elle en singeant un peu Valsrik et son obsession du dit savoir révolutionnaire. Il l'a assez bassinée avec cela. Viconia  ne savait pas qu’il était désormais Prime Sorcier... la drow renifla dédaigneusement. Il secoua négativement la tête, faisant à nouveau tinter les pendeloques de sa boucle d'oreille aux couleurs des Jumelles. Cependant, il sourit, amusé au geste qu'il ne put attribuer.

-"Ils sont venus chercher les objets de culte de Valas Talberith... je ne sais plus trop quand. Qui a ordonné cela m’indiffère, je les ai laissé faire, ils ont raison. Personne de mes confrères n’est resté après... C’est le principe. J’ai eu un accident, et on se dispute mes morceaux. Prenez les tous. Tant que le don de Teiweon me reste…"

Se détournant, l’arcaniste alla dans le coin coussin, pour aller chercher l’alcool le plus fort qu’elle avait. Et pendant qu’elle cherchait, elle demanda d’un ton détaché.

 - "Vous ô Grand Prêtre, vous penseriez quoi pendant que ceux qui fussent vos pairs vous arracheraient tout ce que vous fûtes et vous fîtes pour eux et la gloire de l’Eda Vengeur, vous dépouilleraient et cracheraient sur vous ? Vous prêtant des intentions et des traits de caractère qui ne furent jamais les vôtre ? Ne répondez pas.... Je m’emporte et je m’égare, ce sont les contrecoups... Ignorez mes paroles.

 - Ce que j'en penserais… Je pense que quelque part, je serai heureux. " Le sourire qui se dessina sur ses lèvres était quelque peu rêveur.   " J'en serai heureux d'en finir enfin avec ces gens qui ne me connaissaient point et j'en serai heureux d'apprendre que ma dépouille pas encore froide soit aussi intéressante à détrousser. En effet, ils auraient vu de la richesse et de l'importance là où je ne les avait pas vu. Mais je suis juste Grand Prêtre."
 
Elle revint alors, reprit sa place sur le lit en déposant son butin au sol, entre eux et lui tendit un verre qu'il prit.

- " Je crois que j’ai le droit de penser que je n’ai pas le recul nécessaire pour me projeter dans l’avenir aujourd’hui. Demain, il va faire clair et, à moins que ma vie ne soit menacée dans l’immédiat, je pensais prendre le temps de me remettre. Parce que je ne veux être guidée ni par la colère ni par la vengeance. "

Je n’ai pas ma place ici même si j’ai travaillé à cette journée pensa t’elle amèrement. S’ils n’avaient manqué de rien, si rien ne fut détourné ou presque, ce fut grâce à elle. Tout le monde s’était empressé de l’oublier. Mais elle se tut tandis que le Grand Prêtre semblait satisfait de la réponse de la belle sombre.

La main douloureuse de Viconia se posa entre ses seins. Prenant le gobelet sur sa table, l'arcaniste s’enfila une bonne rasade d’alcool, puis une autre. Quiconque la connaissait savait qu’elle ne buvait presque jamais. Et pourtant elle enfila les deux verres avec la prestesse d’un soldat.

Etonné, il la laissa faire tandis qu'il faisait tourner l'alcool dans son verre en vue d'humer les effluves.  A un moment il eut l'envie de récupérer la bouteille mais il n'avait aucune envie de faire parti de ceux qui s'étaient comportés comme des vautours.

-" Merci. Nous nous reverrons demain alors pour en discuter. Je dois malheureusement vous quitter. Un conseil m'attend. Puis-je vous demander un service, pouvez vous boire mon verre pour tout ce qui ce finit et pour tout ce qui commence ? " A ces mots, il lui tendit le dit-ustensile.

Immobile, les prunelles incandescentes d'un feu vert sous la lueur de la bougie, Viconia s'interrogea. Boire son verre? Pourquoi elle boirait son verre? Le breuvage aurait il été empoisonné? bah, elle en avait déjà but deux, un troisième ne pourrait pas faire plus de mal. Les yeux plissés, elle se pencha vers le grand-prêtre dont elle ne savait toujours pas le nom. Les yeux dans les yeux, elle prit délicatement le verre  et le porta lentement à ses lèvres. Puis l'enfila comme les deux précédents. La chaleur du breuvage lui embrasa le ventre et lui monta aux joues. Elle n'avait rien à perdre.  

- Merci ! " dit-il en riant. Il se leva et s'inclina pour la saluer.  " Je ne pouvais refuser une si gentille attention mais le travail m'attend encore. Je vous offrirai une bouteille dès que le siège sera levé. Elle ne sera surement pas aussi bonne que la vôtre, je le crains. "

Le sombre visage se fendit d'un sourire qui ne se rendit pas aux yeux. .

Merci mais ce n'est pas la peine. Je n'aime pas boire... A demain donc, l'Eda Vengeur a besoin de vous.  

- C'est une chose que je n'aurais pas parié... vous n'avez pas la main leste. A demain. " Il se retourna après un dernier salut et sortit de la tente. La toile n'eut pas le temps de se stabiliser à nouveau que sa tête fit à nouveau son apparition, Viconia tourna la tête vers l'individu, un sourcil interrogateur se leva .

 -" Reibe Gre'as'anto. " Puis il disparu à nouveau dans les ténèbres extérieures.

La spiritiste regarda les pans de tissus encore longtemps après qu'ils ne se furent immobilisés.