[Mare Noire]Demain à l'Aube | Etat major

7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen
21h00

La foule s'était dispersée mais le camp vibrait des échos de ce qu'il venait de se produire. Les soldats avaient repris leurs rengaine quotidienne avec plus d'entrain qu'ils n'en montraient depuis bien des mois. Chaque membre de l'état major fut prévenu que la dernière réunion stratégique avant l'attaque du lendemain aurait lieu au couché du soleil. Chacun avait donc put profité de sa soirée pour affiner ses recherches, croiser des informations, penser à une stratégie ou prendre ses marques dans son nouveau poste.

Krish, fébrile, avait trouvé un volontaire pour quelques passes d'armes avant d'assister à l'interrogatoire des six Phoenix tombés aux mains de la Doth'Ka. Un passage au temple d'Uriz lui avait permis de donner quelques ordres concernant son second à Sol'Dorn. En suite seulement, elle avait regagné sa tente pour profiter d'une demie-heure de repos pour un repas, une bouteille d'alcool, un peu de fumée et quelques massages offerts par l'esclave envoyé par le Grand Prêtre Sak'Esh Hune'Baenre. Les bandages furent changés, les huiles et les baumes appliqués.

Lorsque le capitaine de la garde d'ébène l'avait prévenue que l'heure du conseil de guerre approchait, elle avait remis à regret ses sandales, son pantalon de cuir noir et une tunique de soie simple pour prendre une fois de plus le chemin de la tente d'état major en espérant que c'était la dernière fois de la journée... Et que tous ceux qui avaient enquêté dans la journée avaient trouvé suffisamment d'information pour que l'attaque ne se transforme pas en un bain de sang sans retour.

Arrivée parmi les premiers, elle salua ses pairs et se pencha sur l'immense carte en relief qui présentait Sol'Dorn et ses alentours et prenait une grande majorité de la grande table. Y avait-il eu du nouveaux ? Certains emplacement d'armée, passages secrets ou points d'intérêts y avaient-ils été ajoutés en son absence ? Elle n'y passa que quelques instants, attendant que les uns et les autres finissent d'arriver au compte goute avant de lancer les hostilités.

- Bien. Nous sommes à peu près tous là. Si certains l'ignore encore, je vous présente Ranaghar, le façonneur qui a quitté le Puy il y a une dizaine d'années, qui été contacté par des mystérieux mages Dorniens pour enquêter sur une magie capable d'absorber de l'énergie pure et qui a décidé de nous prévenir à la place. Je lui ai demandé de venir ce soir pour qu'il partage de plus amples détails sur ce qu'il sait de Sol'Dorn et de ce qui s'y passe. Il y a aussi le sujet de la tête et des enfants ramenés de la ville. L'inondation des sous-sol s'est bien passée cet après-midi et j'en remercie les prêtres de Zakh'Bar ainsi le C'nros. Cela n'a déclencher aucune prise de contact officielle de la part du Conseil de Sol'Dorn. " Elle passa une main dans ses cheveux blancs pour dégager son visage. " Nous déciderons ce soir de la façon dont nous interviendront demain dans Sol'Dorn. Qui veut commencer ? "

J’ai assisté à tout ça, et la scène m’en a rappelé plusieurs autres du précédent cycle sans m’émouvoir, car aucune n’a tenue ses promesses. Et sans émotion particulière il n’est jamais compliqué de passer d’une scène à l’autre.

« Pardonnez-moi de ne pas perdre de temps à féliciter qui que ce soit de ces montées en grade miraculeuses… » Je commence, un sourire légèrement sarcastique flottant sur mes lèvres. « Il n’y a peut-être plus de Conseil de Sol’Dorn à l’heure qu’il est, il n’y en a peut-être plus depuis que celui qui a perdu la tête est venu à nous, il n’y en a peut-être plus depuis que j’ai mis la main sur la tête de pierre. Mais qu’il y ait encore un Conseil de Sol’Dorn ou non, je pense qu’il est dans notre intérêt que la reine du Puy ne devienne pas de pierre elle aussi, et les mots de certains ne permettent pas d’écarter une telle possibilité. La Gardienne ou quelque chose qui se fait passer pour elle a fait tomber un froid qui tue la cité, et ceux qui n’ont pas la chance de mourir les armes à la main face aux créatures qu’elle y a envoyées s’éteignent simplement quand ils ne peuvent fuir. »

« Peut-être que ces affabulations ne sont que des affabulations, peut-être que tout est vrai. Quand on croise ça avec la tête que personne ne peut expliquer autrement que par une magie dont quelqu’un aurait perdu le contrôle, quand on croise ça avec des multitudes des nôtres qui n’ont pu revenir, quand on croise ça avec ce que celle qui a abandonné sa fonction de triumvir a vu, je suppose que ces affabulations se basent sur quelque chose que les armes seules ne pourront vaincre, même si elles sont portées par ceux qui ont hurlé à la gloire de notre Père. Si le bras qui brandit l’épée se fige pour l’éternité avant même d’avoir pu frapper un seul coup… » Je me fige un instant, le bâton levé, avant de tourner ma tête vers deux que je n’ai jamais vu sous cette tente. « Valsrik’Hrae, qui avez retrouvé vos yeux, et Ranaghar, qui avez d’une façon ou d’une autre gagné assez de confiance pour être ici, la tête est vôtre si vous la souhaitez. »

La tête est un sac qui se trouve à mes pieds, un sac que je pousse et qui roule un instant, tantôt sans provoquer le moindre son, tantôt provoquant un son un peu plus étouffé que celui de la pierre qui roule sur la pierre.

Ranaghar ne perd pas de temps, lorsque Krish l’abandonne en fin de matinée, il sait bien que tout ici lui est défavorable, il sait qu’elle n’est déjà plus la Princesse-Marchande à laquelle il est habitué. C’est pas simple à accepter… Mais va bien falloir le temps qu’il faudra pour se tirer de ce guêpier. Des heures perdues dans un monde totalement hostile… Si proche et si loin de ce qui l’attire ici. Une gemme est détournée de son usage premier, une mesure de sécurité contre les fouineurs, qu’ils fussent de la Doth’ka ou du Culte de Tesso. Un miroir est tenu par le gobelin alors qu’il entaille sa peau derrière l’oreille pour y aménager une cache temporaire pour la petite pierre précieuse avant de la refermer avec l’aide de sa gemme de soins des petits bobos… Pas de quoi attirer l’attention du mysticiste qu’on lui a mis sur le dos.

Au cours de la journée, il se sera permit quelques menus distractions, comme l’emploi d’un esclave d’Isten - supposément à sa disposition - obligé de masser son ignoble assistant à la peau verdâtre tout en découvrant toute l’étendue des dégâts qu’une existence excessivement sacrifiée à la magie entraîne. A l’occasion d’un bain - pour se détendre, il doit se détendre, il doit ralentir, enfouir au plus profond sa frustration le temps de parvenir à une situation plus propice mais satisfaisante -, l’esclave en question découvre le corps rachitique du Façonneur, si loin du physique ordinaire, couvert de scarifications rituelles à la signification obscure, d’ordinaire soigneusement masqués par le manteau ou les bijoux. Il ne dort pas, son esprit tordant la Trame, sans but, sans créer de véritable structure, il sait que l’autre l’épie, mais c’est sans importance, l’exercice le détend, satisfait la dépendance qui le ronge. Il ne réfléchit pas, il a déjà à l’esprit ses hypothèses, alors il se vide l’esprit à défaut de pouvoir dormir, tout simplement.

Il doit se dominer… Offrir le juste nécessaire, tenir et se retenir quelques heures encore… Une opportunité se présentera… Il pourrait rebrousser chemin, mais sa curiosité le condamne à poursuivre sans se soucier plus que nécessaire du danger et des risques ou même d’imaginer qu’il puisse s’agir d’un piège. Alors il doit se contenir, faire illusion, un petit peu, un tout petit peu, c’est le seul moyen d’atteindre son but.

Quand il se présente, seul, sous escorte, à la tente du Conseil, il a passé l’essentiel du temps immergé dans l’eau, son esprit vagabond plongé dans un état méditatif, faisant et défaisant des idées, des réflexions, détricotant ses propres pensées en laissant loin dans le diffus la présence des autres mages alentours. Ils ne l’intéressent pas, pas là, pas dans l’eau rendu froide. Il se présente donc dans un état second - pour lui - et bien décidé à le conserver, avec l'aide d'une mixture dont on se passera de préciser la nature, à ne pas donner trop de prise à ses véritables idées incompatibles avec les humeurs fanatiques et brutales des autres. Bref… Depuis le référentiel de l’Excentrique, il plane.

“Ça m’embêterait de te priver d’un tel trophée. Se permet-il de plaisanter quand on lui propose une tête de pierre. Tu m’as déjà fourni la seule information qui m’importe. Il retient l’essentiel… Un Froid, comme celui que Viconia perçut dans l’esprit du décapité, qui manifestement solidifie. Des créatures… Illusions ou réels ? Vous avez trouvé des corps mutilés par ces créatures ou c’est une information rapportée ? Plusieurs témoins ont vu la même chose ? Et qu’est-ce qu’ils ont vu, précisément ?” Il a à l’esprit le récit de Viconia et sa propre certitude, à lui, que quelque chose l’a effrayé, quelque chose d’inconnu mais de terrifiant devenue la Colère de Teiweon dans son esprit pieu. Tout cela n’est peut-être qu’illusion. Bon, pas le froid qui transforme en pierre, manifestement, mais c’est là peut-être la manifestation du processus qui absorbe l’énergie, mais les créatures insensibles aux armes, c’est bien possible ! Il ne le saura qu’en observant la Trame.

Bon, il va balancer sa part, sa maigre part, ça sera ça de fait et on le laissera probablement faire son boulot tranquillement ensuite… Non ?

“T’as déjà l’essentiel… Un garçon est venu à ma boutique y a moins d’une dizaine de jours, accompagné de deux brutes dont une au moins avait le sang-mêlé, l’autre, c’est pas clair. J’ai pas retenu leurs noms, je connais déjà pas celui du type qui garde ma boutique, alors des étrangers… Alors bien sûr, ils m’ont proposé leurs services pour la suite, probable qu’ils aient cru y voir une opportunité de s’en mettre plein les fouilles, mais je voulais pas de ces importuns dans mes pattes alors je les ai remercié en leur présentant la porte en laissant le soin à mon type de leur faire comprendre que c’était pas la peine d’insister. Bon, y a pas grand chose de vrai, mais bonne chance pour déceler un mensonge dans son état qui n’a rien de normal. Le message en lui-même était inscrit dans le dos du garçon, et ça je m’en souviens bien, c’est que j’espérais trouver davantage, mais je crois qu’ils craignaient l’interception alors ils ont mis juste ce qu’il faut. En substance, ça disait cela… Et là, il prend son meilleur oliyan sans se soucier un seul instant des éventuels touristes qui ont pas prit soin d’étudier la langue, et sans chercher à remplacer les mots vieillots, désuets ou défraîchis qui se trouve dedans, fallait être plus attentif à l’école ! Cher Mestre des Façons. C’est avec respect et sympathie que nous nous rappelons hui à votre souvenance. Sol'Dorn s’ennuie de vous malgré votre concours lacrymal aux giguedouilles de la fausse maison des ombres. Cette regrettable erreur ne devrait point vous fermer notre huis. Vos bons ouvrages restent en notre mémoire et nous estimons qu’il est temps de les mettre à contribution une fois de plus. Nous avons ici une œuvre de votre branche qui ne manquera pas de vous intéresser. Elle dévore l’énergie de toute chose et tout être mais malgré nos efforts, son utilité réelle reste un mystère. Votre science nous serait un apport précieux. L’occasion vous est offerte. Convoyez par tans, nous vous escomptons. Et il se permet même pas de fanfaroner alors qu’il a tout bien retenu ! Par contre, il est clair qu’il a pas l’intention de faire la traduction en eldéen, par flemme d’une part, et ça casse le caractère authentique de son témoignage, il aurait pas inventé un truc pareil, lui. Et le message était accompagné de glyphes qui appartiennent à un code propre à l’Etude Noire, utilisé pour crypter nos recherches, et ça disait juste qu’il me sera fait bon accueil, mais c’était surtout pour me signifier l’authenticité du message.”

Il se permet une petite pause après tout ça.

Ce que Kerath n’avait pas anticipé en devenant Karliik Glenn c’était qu’il allait devoir rester au camp sud et n’aller au camp nord qu’en de rares occasions, ce qui n’étaient en réalité pas un gros problème si l’attaque du lendemain se soldait par une victoire car le siège se terminerait et les deux camps n’auraient plus de raison d’être. En attendant, suite à sa discussion avec Valsrik, il convoqua les officiers supérieurs des osts, ce qui incluait son ancien collègue, l’Obok Senger du premier ost, ses streea jabbuks, et les siens évidemment car Kerath n’avait toujours pas nommé de successeur ; ainsi à son cou pendaient un anneau d’onyx et un autre d’or sur lequel trônait une émeraude. Devant les officiers supérieurs des osts rassemblés sous un même toit, qui servait, une heure ou deux auparavant, à l’intendance alors les soldats s’asseyaient sur ce qui se trouvait à portée, une caisse, un tonneau, une table qui n’était pas la grande mise au milieu, certains s’adossaient simplement au mur. Une fois que tous étaient là et plus ou moins installés confortablement, Kerath se racla la gorge avant de commencer.

« Comme vous le savez sûrement nous avons une nouvelle reine. Une reine qui veut prendre Sol’Dorn demain matin. »

Il lança un regard à l’assemblée pour voir si l’un d’eux avait pu, par on ne savait trop quel miracle, échapper à la nouvelle qui avait eu le temps d’embraser la foule et le camp sud. En voyant que ça ne provoquait aucune réaction, le Karliik Glenn poursuivit avec un sourire.

« Bien, au travail. »

Un soldat vint toquer à la porte du bâtiment dans lequel ils s’étaient regroupés, on pouvait sentir l’hésitation du soldat en question dans ses coups alors qu’il entendait la discussion animée à l’intérieur de la pièce. Une aide de camp lui ouvrit, après avoir salué ses supérieurs, le message prévint que la réunion d’Etat-Major allait commencer sous peu. Kerath recula de la table qui était surchargé de rapports, de plans en tous genre, de cartes parfois dessinées rapidement par quelqu’un qui ne s’y connaissait pas vraiment en géographie ou même en dessin ; il s’étira ensuite longuement en poussant un grognement, la douleur se faisant plus vive pendant un instant. Puis il se tourna vers l’Obok Senger du premier ost.

« Finalement je vais m’y rendre, restes-là et commence les préparatifs, j’enverrais des estafettes vous tenir au courant des nouvelles informations. »

Les officiers présents saluèrent son départ puis Kerath ferma la porte derrière lui en se dirigeant vers la tente où il était attendu, suivit par Murrpau, une poignée de membres de la Garde Draconnique et tout un cortège d’aides de camp. Une fois dans ladite tente il salua tout le monde d’un hochement de tête puis il regarda la carte de Sol’Dorn et s’en approcha pendant que Ssol’riss commença à parler, il fit ensuite signe à une des aides de camp l’accompagnant de se pencher sur l’endroit qu’il regardait pour lui dire de le noter et de relayer ce qu’il avait vu aux officiers supérieurs qu’il venait de laisser. Pendant que le haut-prêtre continuait son discours, le Karliik Glenn faisait le tour de la carte pour s’assurer qu’ils n’avaient rien loupé, qu’ils avaient bien tout pris en compte dans leur plan pour prendre la ville. Lorsque c’est à Ranaghar de prendre la parole, Kerath ne put s’empêcher de grogner mais il se remit vite à n’écouter à nouveau que d’une oreille distraite, discutant à voix basse de modification à apporter à leurs plans. Finalement, à la pause du façonneur, le soldat se tourna vers le haut-prêtre de Tesso.

« C’est généreux de ta part d’enfin partager tes trouvailles mais c’est un peu tard. Je ne sais pas si je pourrais monter un assaut fonctionnel en une soirée et ce sans prendre en compte les changements que demanderont de nouvelles découvertes. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? »

Je peux répondre rapidement aux questions du façonneur, mais quand je me rends compte qu’il peut en dire plus je le laisse faire. Et ces informations, elles expliquent sa présence ici, même si elles ne font que peu de sens. Les nôtres, peut-être, sont responsables ? Ceux de Sol’Dorn, peut-être, alors que même en se séparant des leurs ils ont gardé beaucoup de leurs institutions ? Ce n’est pas si important, et c’est moins important en tout cas que ce qui a été mentionné. Dévorer l’énergie de toute chose ? Cela pourrait expliquer le froid ? La pierre ? Peut-être que Sol’Dorn a une arme, finalement ? Mais les affaires de la magie ne sont pas les Tiennes, et maintenant qu’un Prime Sorcier existe, maintenant que l’espace d’un instant une certaine confiance a été établie, je lui lègue volontiers, car il sert ceux que je sers, car il sert celle que je sers.

Ranaghar ne parle plus, et avant de pouvoir finalement répondre Kerath reporte son attention sur ma personne, avec une accusation qui m’étonne assez pour remonter si légèrement mon masque.

« Je ne pensais pas, Karliik Glenn, que vous ayez besoin du haut-prêtre du Menteur pour vous dire que les têtes ne vont pas graduellement et naturellement vers l’état de roche. Je ne pensais pas, Karliik Glenn, que tout ce que vous avez appris avant de le devenir – incluant ce dont je vous ai fait part près de quatre heures plus tôt – a dû être sacrifié sans que le Silencieux n’en soit prévenu. Je ne pensais pas, Karliik Glenn, qu’il n’y a plus rien à décider quant à notre approche sur Sol’Dorn quand notre reine semble avoir exprimé il n’y a que quelques instants que c’est l’objet de cette réunion de l’Etat-Major d’Elda. Je ne pensais pas non plus, Karliik Glenn, qu’avancer à l’aveugle est quelque chose que vous êtes prêt à faire, quand tous ceux qui se revendiquent nos agents au sein de la cité n’ont pas donné un seul autre signe de vie que celle que vous avez prise ce matin. »

Le ton est resté neutre, il n’y a que les mots, rien de plus, alors que mon visage qui ne s’anime que pour les prononcer retrouve une immobilité parfaite. Et comme si de rien n’était, il se tourne vers Ranaghar.

« Les monstres n’ont pas été vus, ils ont été perçus de la même façon que le froid a été perçu, ils ont été perçus de la même façon que la mort a été perçue, ils ont été perçus de la même façon que la chair transformée en roche a été perçue. Ce ne serait pas la première fois que Tesso joue avec les nôtres, mais Sol’Dorn est devenue bien puissante si elle peut à la fois nous priver de tous nos yeux et oreilles et à la fois simuler une catastrophe de cette ampleur. »

Kerath cherchait la confrontation, ça, il ne pouvait pas dire le contraire, enfin si il pouvait mais ça serait mentir et il laissait cet art complexe au daedhel à qui il avait posé une question. Alors la réponse du haut-prêtre de Tesso l’interessa, l’amusa aussi, le fit presque sourire. C’était bienvenu. C’était inattendu. Le souvenir de Ssol’riss qu’il avait ne collait pas avec le drow qu’il avait en face de lui et même s’il ne haussa pas un sourcil il se demanda une seconde ce qui avait bien pu changer dans la tête du prêtre. Mais il abandonna rapidement la question, la réponse n’importait que bien peu, seul le résultat importait.

« A ta place je ne me moquerais, haut-prêtre. »

Gronda le Karliik Glenn qui venait de tourner l’entièreté de son attention vers Ssol’riss, reléguant l’arithmétique guerrier qui l’occupait jusque là au second plan alors qu’il croisait les bras sur son torse pour éviter de frapper quelqu’un.

« Tu as gardé la tête toute la journée. Si j’ai bien compris ce qu’a dit notre reine nous sommes là pour ces découvertes alors où sont-elles ? J’avance à l’aveugle quand je n’ai pas le choix, haut-prêtre. Et si j’étais toi je ne me vanterais pas de ce que tu m’as dit il y a quatre heures, un serviteur de Tesso qui n’arrive pas à obtenir les noms de deux enfants apeurés, ça se passe de commentaire. Les monstres ils ont été vus, le froid aussi, la mort aussi. Les monstres sont noirs, le froid pétrifie quant à la mort… j’imagine que c’est toujours la même chose. »

Au bout de la table, Krish s'était servit un verre de liqueur. Elle écoutait. Ranaghar puis le menteur et le guerrier. Elle les regarda s'asticoter et se chercher une fois de plus, attendant sûrement qu'elle tranche pour ensuite lui renvoyer une mandale dans la gueule. Le charme d'un tel procédé perdait vite de son effet...

L'alcool roula sur ses papilles et réchauffa sa gorge puis elle s'étira comme un chat sans que personne ne lui prête grande attention. N'émette un avis constructif ou ne lui donne un conseil pour le lendemain. Aucun ne semblait s'opposer au fait qu'elle ne leur laisse à tous que quelques heures pour planifier une mission avec si peu de faits et tant de dangers.

Ssol'riss et Kerath s'amusaient de nouveau à jouer au ping-pong. Alors, profitant d'un creux, elle se laissa aller à un bâillement et les interrompit en levant la main.

- Bon ? " Elle finit son verre d'un trait. " Continuez à vous quereller en toute tranquillité, moi je m'ennuie, je vais diner au mess. Débrouillez-vous pour me pondre un plan correct d'ici minuit. Je le validerai ou le refuserai. Dans le second cas, j'entrerai seule à l'aube avec mes prêtres et mes Repentis et vous perdrez tous un doigt pour votre incompétence. "

Puis elle se tourna vers Ranaghar pour lui tendre la main. Le reflet d'or de ses iris semblait luire plus intensément.

- Avant j'ai juste une formalité à accomplir. Ranaghar, je vois que tu n'as pas pris la peine de passer par l'écrit comme je l'avais demandé, alors j'ai doublement besoin de t'entendre, comme promis. Ment et ta Flamme en sera marquée et enchainée aux P'leiks. Jures-tu, sur ta Flamme, devant les dieux et devant le Feu du Père, que tout ce que tu as dis depuis ton entrée dans cette tente et tout ce que tu diras jusqu'à ta sortie est uniquement la vérité ?

C’est pas qu’il n’a pas prit la peine de le rédiger, ça, non… Enfin, ça aurait pu, mais non, pas cette fois… Réfléchir à ce que révèle le prêtre du menteur, réfléchir à ce qu’il doit dire, ça mobilise déjà toute la concentration disponible à l’instant, alors nécessairement, y a des choses qui lui échappent, faut pas lui en vouloir. Aussi, quand Krish lui fait la remarque, il sursaute légèrement.

“Ah oui, c’est vrai !” Et le voilà inspectant ses poches jusqu’à en tirer un petit parchemin enroulé avant de faire quelques pas pour le tendre à la reine puis reculer pour revenir à sa place. “Voilà.”

Sur le parchemin, rien de plus, rien de moins que ce qu’il venait de dire, la forme y est plus synthétique, évidemment, mêlant eldéen, oliyan et faisant apparaître les fameux glyphes de l’Etude Noire - tout du moins, ceux qui indiquent qu’il lui serait fait bon accueil, la précision supplémentaire y est absente -

“Par contre, je peux pas faire un tel serment… On se calme, et on le laisse s’exprimer, il est pas méchant, il est juste trop honnête, voyons ! Voyez vous-même ! Enfin, dans les grandes lignes, oui, mais si je dois formuler des hypothèses sur le phénomène ou sur ce que vous avez découvert, je sais que ça sera ce que je pense, mais je ne peux pas être certain que c’est bien la réalité… Ça compte pas, hein ? On est d’accord ? Voyez, il veut pas qu’une hypothèse invalide le condamne, c’est tout ! Et c’est légitime de sa part si on lui demande son avis sur ce qu’il se passe !
- Si on s’entend là-dessus, je jure sur ma flamme, devant les dieux, la Chimère et le Feu du Père que tout ce que j’ai dis depuis mon entrée sous cette tente et tout ce que je dirais jusqu'à en sortir sera la vérité.”

Il se montrait aussi solennel que possible dans le ton qu’il prend, il n’hésite pas, ne tremble pas. Il n’a pas besoin de s’obliger, il ne craint pas la condamnation qu’on lui promet, une créature aussi grotesque, on l’avait maintes et maintes fois déjà, depuis des siècles, promis aux ordures et à rien d’autres, alors il n’y a rien de nouveau ici. Les dieux décideront, jugeront l’importance qu’il faut accorder à cet instant… Non les créatures qui rampent ici-bas.

Les oreilles du Karliik Glenn se dressèrent aux mots de la reine, il ne répondit rien tout de suite mais il se tourna tout de même vers elle. Il ne savait pas pourquoi la reine faisait jurer quoi que ce soit à un hérétique, surtout sur les dieux, quel était l’intérêt ? Un hérétique n’a que faire des dieux. Mais soit, peut-être sa parole avait une quelconque valeur, ce dont Kerath doutait fortement. Toutefois une fois, lorsque le façonneur eut terminé, le soldat fronça les sourcils en regardant à nouveau Krish.

« Si c’est un plan que tu veux, j’en ai un mais à quoi bon ? Tu as l’air d’en avoir déjà un. Est-ce beaucoup demander que tu le partages avec nous vu qu’en plus de nous imposer une tâche aussi difficile tu nous menaces ? »

Son regard s’était durcis, ses muscles s’étaient contractés et ses ongles se plantaient dans ses bras, mettant à l’épreuve la résistance du tissus qui séparait ses doigts de sa peau. Toutefois il abandonna bien vite ce genre de question, ça ne servait qu’à lui rappeler pourquoi il n’aimait pas ça alors autant être direct.

« Tu as mis plus d’un an avant d’ordonner un assaut, tu as permis à la situation d’empirer à ce point, en plus de ça tu le demandes la veille pour le lendemain et ensuite tu te casses comme ça ? Si tu pars pour manger parce que tu t’emmerdes je sais pas pourquoi je reste au lieu de bosser sur ton assaut. »

Un ou plusieurs prêtres de Tesso qui avaient pour mission de rapporter ce qu’il se disait dans cette tente auront droit à quelques remontrances, même si les noms sont parvenus à mes oreilles. Mais au lieu de m’offusquer des mots de Kerath j’acquiesce doucement, ne m’avouant pas pour autant vaincu. Les aveux ne sont pas mon genre, après tout. Et puis, concernant la tête, je suis peut-être aussi déçu que lui, même si ma déception est reportée sur le meilleur que le Puy a pu emmener à Sol’Dorn. Le meilleur qui n’a pu m’apporter quoique ce soit que je ne sache moi-même avec un seul coup d’œil sur la tête. Les théories de ce que ce n’est pas avaient étaient beaucoup trop nombreuses d’ailleurs. Le sujet reste en suspens alors que je ne le relève pas et Krish Al’Serat, qui pense sûrement que je n’en ai pas fini, s’engouffre dans la situation, ne récoltant au passage qu’une alliance silencieuse qui n’a pas besoin de mots.

L’affaire avec Ranaghar, au moment où elle apparaît, ne m’intéresse pas, alors que jouer avec le mensonge et la vérité n’est que normalité, et que ceux qui jurent devant les dieux ne sont pas plus honnêtes.

Attendant que le Karliik Glenn au-dessus de toutes nos armées s’exprime et termine, je m’impatiente presque. Pour une fois que les discussions – un peu ridicules pour certaines, certes – apportent quelque chose. Pour une fois qu’entre les piques les informations circulent et que les connaissances des uns et des autres s’uniformisent. La Reine s’ennuie. Peut-être qu’elle attend autre chose de son royaume que ce qu’elle a, mais n’est-ce pas un peu tôt, pour s’ennuyer ? Surtout quand ceux qui l’entourent ne changent pas, surtout quand elle signale avec ses promotions qu’elle est satisfaite. Les mots sont exprimés d’une voix qui ne fait pas que s’ennuyer, d’une voix qui incarne l’ennui, même si les mots ne semblent pas exprimer la même chose. « Une statuette pour vous divertir, ma Reine, Kel’zo peut-être ? Peut-être est-ce plus important que de partager des informations dont vous et vos prêtres et vos repentis pouvez avoir besoin ? Ou bien les avez-vous toutes et ne sommes-nous vraiment qu’ici pour vous divertir ? » Mes traits s’assagissent. « S’il faut passer par quelques querelles pour être certains de ne rien manquer, est-ce un mal, partagerez-vous les vôtres avec nous ? »

Essayer de comprendre quelle magie est à l’œuvre à l’intérieur de Sol’Dorn. Il n’y a finalement que cela qui te préoccupe. Certes, l’assaut est important. Certes, les vies des combattants Eldéens sont importantes. Guerriers comme mages, ce n’est pas en envoyant les précieuses forces du Puy à l’abattoir que vous ferez avancer l’Eda Vengeur, mais la stratégie militaire n’est pas ton fort. Ce qu’il faut pour mener à bien un assaut, tu n’en as pas la moindre idée. La manière dont ils pourraient organiser les troupes non plus, tu n’en as pas la moindre idée, alors tu te concentres sur la contribution à ta portée. Une simple hypothèse de ta part pourrait bien être la différence entre une victoire et une écrasante victoire.

Les jeux de devinettes du Haut-Prêtre du Menteur te passent au-dessus de la tête. Les affabulations de Ranaghar, tu les aurais peut-être crues, si seulement on ne lui avait rien fait jurer sur un Uriz dont il n’avait rien à faire, et si ta maîtrise de l’Oliyan était suffisante à suivre des paroles rapportées dont tu n’auras finalement pu arracher que quelques mots. Les accusations du Karliik t’agacent sans plus. La réaction de Krish, sans la cautionner tu la comprends. Mais la situation s’enlise et vous arrêtez d’avancer, tout ça parce que l’excellence se refuse à mettre de côté son égo.

Tu peux les comprendre. Tu n’es pas le moins du monde moins fier qu’eux. Juste trop fatigué pour participer à leurs chicaneries.

Le froid. Le noir. Les créatures intangibles. La terreur inexpliquée et inexplicable. Le visage de la mort. Le froid. L’apparente punition de la Gardienne… tout ça n’est pour toi qu’un souvenir beaucoup trop proche. Mais de quoi exactement ? La morsure du noir. L’obscurité du froid. Pourchassé par des bêtes cauchemardesques que tu savais ne rien pouvoir contre toi. Quand ? Où ? Comment ? Ce jour-là… Tu attrapes ta baguette, la pointe en direction de la tête, et lentement, plus précautionneusement qu’à ton habitude, la dirige vers toi. Là, personnage secondaire devant l’intrigue en jeu, tu explores comme tu n’as pas pu explorer avant. Plus rapidement cependant que tu ne le voudrais bien, car tu n’as pas le temps de te laisser aller à la recherche de détails qu’ils ne te laisseraient pas le temps de trouver avant que la situation n’ait explosé.

- Les ombres. la main levée, tu interviens, le ton égal et sans plus d’attention que cela pour ce qui aura été dit avant L’obscurité, le froid, la peur, la sensation d’être lentement aspiré… j’ai vécu la même chose lors de l’assaut de l’Etat-Major en Elda, lorsque j’ai été emporté par les marchombres. S’ils en ont de plus puissants à Sol’Dorn, qui sait à l’origine de quels rituels étranges ils ont pu être ? Je pense que nous sommes assez à nous souvenir du dernier Baenfere pour imaginer ce que ça pourrait vouloir dire. tu lèves la tête devant ton oreille à bout de doigts Ça n’expliquerait pas directement la tête, mais après tout, il suffit d’un rituel d’échappé pour que tout le reste de la trame s’écroule sur lui-même. Tu soupires Sauf que dans ce cas-là, ça voudrait dire qu’en plus de ne pas savoir grand-chose sur ces « créatures », l’assaut de demain devrait se faire sans magie de notre part.

Et pour autant tu sais l’armée Eldéenne suffisante à écraser les rebelles Dorniens, autant se priver d’une telle force de frappe serait bien triste.

Le Prime Sorcier se lance, et si son hypothèse tient à peu près la route, pour le Façonneur, son raisonnement comporte un sérieux problème… Comme les autres, il part du principe qu’il y a là forcément l’oeuvre d’un collectif de mage dornien qui ont produit une chose qui leur échappe. C’est possible, hein, mais trop se reposer dessus, c’est écarté d’emblée d’autres pistes… Or, il devrait savoir que certains phénomènes ne sont pas si évident… L’Oeil de Valas n’est pas une création artificielle, à leurs connaissances, il existe néanmoins. De nombreux phénomènes se produisirent aux cours des dernières années, plus particulièrement lors du passage du Voile, défiant de loin, si on en croit les témoignages, ce qu’un groupe de mages peuvent parvenir à produire. Et puis, y a une autre chose en particulier qui chagrine le Façonneur et qui chasse de son esprit la thèse de l’arme magique qui fout le bordel.

“Intéressant, mais l’association d’illusions, qu’elles affectent les sens ou les esprits, avec suffisamment d’intensité, peut produire un résultat comparable, et même offrir en prime des créatures de cauchemars. Ça n’explique pas non plus la tête, mais comme tu l’as dis, nous sommes peut-être en présence d’effets secondaires provoqués par une instabilité ou une perte de contrôle.
- Mais c’est s’arrêter à l’idée que ça soit le produit de mages dorniens… Que ce soit une arme qui aurait dérapé… Mais quel intérêt aurait-elle eu, déclenché si tôt ? Pourquoi ne pas avoir attendu que vous soyez rentrés avec vos forces, que vous ayez pris vos aises, si certains de la réussite de votre prise, pour vous prendre dedans si c’est là l’ultime coup qu’ils possèdent ? Et pourquoi m’avoir contacté, surtout ? Ils savent très bien ma position. Et là, il jette un oeil à Krish, car elle la connaît fort bien.
- Ils savent mes frasques d’avec la Seconde Doth’ka, qui, quelques années auparavant, pour ceux qui l’ignorent, me proposa d’associer mon Don d’Imprégnation à l’industrie de la Corporation d’Argent pour produire des armes magiques. Ils savent que je l’ai envoyé paître en lui signifiant très clairement mon désintérêt pour ce genre de projet. Ils savent, ils l’évoquent, aussi n’auraient-ils pas cherché mon assistance dans un tel projet si ça avait été une arme car j’aurais refusé. Et je doute qu’ils soient assez bête pour me tendre un piège et m’utiliser comme otage. Ma vie ne leur aurait pas apporté le moindre sursis, vous en conviendrez. C’est donc qu’ils avaient une vraie bonne raison de m’appeler… Ça parait con, comme ça, mais il a eu le temps d’y réfléchir tout au long de cette journée, et cette question demeure… Si c’est une arme, qu’est-ce qu’il fiche ici ? On l’aurait pas appelé pour essuyer un refus, et un doeben, même aussi précieux que lui, n’aurait pas suffit à retenir des fanatiques. Il y a donc forcément là-bas un mystère qui requiert son expertise. Il finit par répondre à sa façon à la crainte du Prime Sorcier, avec un intérêt évident mais également du bon sens.
- Les mages de guerre seront peut-être inutile, mais pas les mysticistes capable de percevoir plus précisément ce qu’il s’y passe, que ce soit dans sa nature autant que dans son étendue, sa zone d’influence supposée… Pour comprendre autant que pour épargner à vos troupes de se retrouver engluer dedans.”

Krish laissa le mage relâcher sa main noire sans se formaliser des râleries de Kerath. Son sourire s'était fait mutin en sentant l'intensité du Brasier en elle croitre et vaciller. Sous la chemise de Ranaghar, à l'emplacement de son cœur, une sensation de chaleur s'est logé durant les longues minutes, montant en intensité. La chaleur devint brûlure, et la brûlure douleur atroce. Un feu blanc rongeait sa chair pour y encrer la forme d'un soleil dont les rayons dardaient depuis le centre. Un soleil en cage. Une marque de bien mauvais augure.

Comme si un feu liquide s'était glissé sous sa peau, la plaie boursoufflée gondolait et gonflait de seconde en seconde. Puis, une fois installée, la brûlure redevint visiblement ce qu'elle était : une brûlure. A un détail près : elle ne pouvait pas être soignée par magie. Le Père seul savait comment elle tournerait avec le temps.

Sans se préoccuper du mage, de sa réaction ou de son inaction, un éclat de rire lui échappa au quelques mots de Ssol'riss après les accusations de Kerath.

- Merci mais il faudra plus que quelques statuettes, Ssol'riss. Et fait à ta guise, Kerath. Tu as déjà commencé en faisant un conseil de guerre à part... Mais as-tu prévenu les Haut-Prêtres pour qu'ils viennent t'y conseiller ? Part ou reste. Écoute ou entête-toi. Je te donne l'occasion de prendre Sol'Dorn et tu m'accuses une fois de plus d'avoir nourrit le brasier que nous affronterons demain. Et si c'était volontaire ? L'épreuve te semble-t-elle trop insurmontable, cher Carnage Mortel ? " sourit-elle, joueuse. Son pas félin remontait le long de la table, s'approchant tout à la fois de Ssol'riss, Kerath et de l'ouverture permettant de sortir. " Je n'ai aucune information supplémentaire puisque c'est à vous que j'ai confié l'enquête. Mais je sais que le Père aura les yeux rivés sur moi lorsque j'entrerai dans la cité à l'aube. Et je survivrai, à ça comme à tout le reste. Si vous voulez vous battre à mes côtés, arrêter de chouiner, de chercher des coupables et mettez vous au boulot. Vous savez désormais le chemin que je compte prendre. C'est à chaque Eldéen de montrer qu'il mérite l'attention des Dieux, pas à la Prime Flamme de vous tenir la main vers la reconnaissance du Père. " Prenant un dernier moment pour se tourner vers Valsrik'Hrae, elle lui lança avec enthousiasme. " Ce que dit Ranaghar sur les mysticistes est pertinent et ton hypothèse est sacrément intéressante. D'ailleurs, en parlant d'Haldren, il était capable de manifester des ombres tangibles. Elles sont froides au touché et peuvent trancher la matière comme des lames de rasoir, mais elles ne sont pas glaçantes. Si c'est lui qui se trouve dans la Cité, j'en ferais mon affaire, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Aux dernières nouvelles il était en Anaëh. J'ai hâte de voir ce que vous allez nous concocter. "

Sur un dernier signe de main nonchalant, elle quitta la tente.

« C’est justement le défis qui me pousse à tenter au lieu de te dire de repousser l’assaut. »

Gronda-t-il comme seule réponse à la question qui lui était posée, dans le vent sembla-t-il. Il la suivait du regard s’en aller et une colère qu’il avait du mal à contenir, celles qui avaient participé à la démocratisation de son surnom, lui faisait serrer les mâchoires, et les poings autour de ses bras d’autant plus, au point d’en devenir douloureux. Finalement la seule chose qui l’apaisait c’était la possibilité d’enfin rentrer dans Sol’Dorn pour s’y battre le lendemain et que, s’il se jetait sur l’avatar du Père, il ne serait probablement pas en état de frapper un quelconque dornien à l’aube.

« A moins que tu nous caches quelque chose nos options sont limités. » Lança-t-il à Krish d’une voix encore tremblante de colère alors que cette dernière sortait de la tente d’Etat-Major. « Faire s’effondrer les murs, ouvrir les portes de l’intérieur ou repousser l’assaut. Sauf que sans magie ni agents de la Doth’ka ou prêtres de Tesso dans la ville, le choix est vite fait. Si j’ai convoqué les officiers des osts c’est pour savoir ce que nous pouvons préparer en quelques heures. »

Sans attendre de voir si ses mots avaient été suffisants pour que la reine daigne les gratifier de sa présence il se tourna vers les autres membres de cette jolie réunion qui avaient, au moins, la décence d’y rester. Alors certes parmi eux se trouvait quelqu’un qui n’avait rien à faire là et il y restait sans doute parce qu’il n’avait pas le choix mais bon, lui au moins, il restait, tout hérétique qu’il était.

« Si quelqu’un trouve un moyen de nous faire rentrer je peux avoir entre trois et six mille soldats prêts à l’aube devant n’importe quelle section des remparts de Sol’Dorn. »

Ceux qui viennent murmurer à mon oreille le sont rarement mais cette fois le prêtre de Tesso est masqué. Le masque est blanc et percé de trois trous ronds servant d’ouvertures pour les yeux et pour la bouche, tandis que le reste de sa tenue est d’un tissu noir recousu par endroits qui lui colle à la peau et trace autant ses muscles que quelques os. Le Somnolent délivre son message et disparaît dans le même temps que l’échange entre Kerath et Krish a lieu, comme s’il s’est glissé dans l’ombre de cette dernière pour ne plus être dans la tente. Le message apporté est important, le message apporté aurait dû arriver plus tôt, le message apporté me met légèrement en colère, mais tu apparais après une longue absence et murmure quelques mots que j’écoute. Les informations vont servir, c’est un fait, et alors que Krish a fui une nouvelle fois une tente qu’elle doit diriger, je ne me disperse pas.

Et d’ailleurs, elles correspondent à ce que Kerath demande à ceux qui sont encore là.

« Karlik Glenn. Le Silencieux nous porte des nouvelles qui peuvent servir à prendre exactement cette décision. Les murailles ont été désertées et l’attaque des monstres sur la ville ne semble pas avoir été définitive. En dehors des bandes armées de Dorniens qui accueillent quiconque foulerait le sol de la cité avec agressivité et qui empêchent les prêtres de progresser en son sein, il semblerait que des groupes de civils restent particulièrement calmes dans les rues. Si nous décidons de passer par les remparts il n’est nul doute que ceux de Tesso qui sont restés pourront nous apprendre une dernière information avant un assaut, par leur présence, leur absence, ou leur trépas. » Ma bouche se tord alors que je m’apprête à écarter d’une main une des nombreuses critiques que l’on peut faire à mon intervention, et je n’espère même pas que Kerath résiste à une autre des siennes. « Bien sûr, je ne puis vous assurer que les murs resteront vides, mais si cela venait à changer j’en serais prévenu et vous aussi. »

Kerath laisse son regard parcourir l’assembler alors qu’il réfléchissait à la façon la plus efficace d’agencer ses troupes en vue d’une attaque à l’aube, dans l’espoir que lever les yeux de la carte de Sol’Dorn serait salutaire. Ce qui était somme toute assez improbable car ça ne répondrait nullement à ses questions. Il ignora le prêtre de Tesso venant informer son haut-prêtre de quelque chose dont, finalement, le Karliik Glenn se moquait car si Ssol’riss se décidait à partager sa trouvaille, ce dont ledit Karliik Glenn doutait, l’information serait très probablement tronquée. Ce qui commençait à profondément l’énerver, il ne pouvait pas se permettre d’établir une tactique, et encore moins une stratégie, sur des informations lacunaires concédées par un haut-prêtre mercuriel.

Alors Kerath regardait la ville, du moins la maquette en se posant une question capitale qui fut bien vite répondue par Ssol’riss. Ce fut donc avec une certaine surprise que le colosse se tourna vers lui. Une agréable surprise mais une surprise tout de même. En guise de remerciement il hocha la tête.

« Et je n’en attends pas moins de toi, de vous, car nous servons tous les dieux et n’avons qu’un objectif final en tête : accomplir l’Eda Vengeur. N’est-ce pas ? »

Il n’attendit pas de réponse, il ne doutait de toute façon pas des réponses des gens rassemblées, du moins de tous sauf d’un et si cette personne voulait garder sa tête il ferait mieux d’acquiescer ou de se taire ; Kerath n’avait pas son épée dédiée à la mise à mort de traîtres, hérétiques et blasphémateurs en tous genre, ça n’était pas un problème, Ranagar ne méritait pas de souiller cette lame.

« Donc les monstres vont et viennent. Les prêtres semblent divisés, on peut donc supposer que le conseil n’est plus mais ça implique que les endroits d’importances restent, jusqu’à preuve du contraire, des objectifs prioritaires. Il nous faudra donc sécuriser, le bâtiment qui accueillait le conseil théocratique en session, les hauts temples, les greniers et citernes ainsi que le Baed pour annoncer à la population notre victoire. Et la citadelle si elle est en mesure de nous résister, si je ne me trompe pas cette dernière n’était pas sous le contrôle d’un clergé particulier il y a de cela un mois. Au vu de ce que tu dis Ssol’riss, les clergés en question sont cette fois ouvertement divisés du coup il y a fort à parier que la citadelle est le théâtre de querelles, probablement sanglantes, si ce n’est de réels combats. Elle peut soutenir un assaut, à condition que les dorniens mettent de côté leurs querelles. » Le général lança un regard à une aide de camp qui venait de noter rapidement ce qu’il venait de dire puis partis au pas de course après un bref salut. Il se tourna donc vers les deux mages. « Si l’usage de magie est à proscrire, elle l’est sans doute aussi pour les dorniens vu qu’ils ne les contrôlent pas, ou plus, ces créatures. Mais supposons que ce n’est pas le cas, quelles sont les capacités magiques de nos ennemis dans le pire des cas, c’est-à-dire avec un clergé unifié ? Sans prendre en compte l’hypothétique capacité magique des monstres. »

Oh, mais il ne va pas contester quoique ce soit, hein, il se retient d’émettre le moindre son alors qu’un taquin inconnu s’amuse à le marquer dans sa chair ! Il morfle, c’est sûr, mais silencieusement ! Faudrait pas qu’un de ses cinglés le tue pour une connerie pareille ! Le Guerrier ? La Chimère ? Un autre trublion ? C’est sans importance pour l’instant, il aura bien l’occasion plus tard de creuser le sujet, mais jusqu’à lors, ça ne serait qu’une marque de plus sur sa peau déjà constellée et quand bien même la chose a un rapport avec le serment qu’il vient de prononcer, ça le trouble pas plus que ça…
C’est que pour admettre le concept de parjure, il faut déjà avoir celui d’honneur ! Or, à ses yeux, un serment quel qu’il soit, est même en prenant les dieux à témoins, est dépourvus de sens dans une société qui déifie le mensonge et la trahison ! Qui ne la condamne que quand elle va à contresens des intérêts de ceux qui gouvernent ! On peut lui promettre les pires horreurs dans ce qui suivra sa mort, il n’en est pas moins convaincu qu’un parjure, même aux yeux des dieux, n’est pas une catastrophe en elle-même si il sert finalement un dessein plus important, on laisse tomber ! Or c’est bien le cas ! Alors voilà, on le marque mais personne ne le saura et d’ici à ce qu’il claque, il aura bien eu l’occasion de démontrer que ce parjure aura servi un intérêt supérieur, n’est ce pas ?

Bref, il continue d’écouter, et il a beau ne pas y connaître grand chose, c’est tout de même bien curieux, l’indécision ! Ils ont la trouille ou quoi ? Il va pas le suggérer évidemment, mais il ne croit pas aux monstres… Pas physiquement en tout cas. Mais même l’illusion peut provoquer des séquelles bien réelles, il en est bien conscient, voyez-vous ! Mais c’est alors de l’ordre de la magie et c’est dans ses cordes.

“Si la magie est à proscrire, elle ne l’est pas nécessairement pour les dorniens, non. En supposant que ça soit bien un sort massif parti en vrille et devenu incontrôlable, tout ce que ça signifie en réalité, c’est que le risque augmente de payer un lourd tribut en voulant se lancer… Mais ça veut pas dire que c’est impossible pour autant ! Un type totalement acculé et désespéré ou bien déterminé, il a tout à gagner et plus grand chose à perdre à prendre un tel risque… A voir si vous en ferez autant. En tout cas, moi, j’irai ! C’est ce que Valas attend de moi et j’ai pas l’intention de le décevoir !”

Et il a pas l’intention d’attendre l’avis de ces idiots, et surtout pas de cet imbécile de nouvellement promu Prime Sorcier. Rien à foutre de l’autorité d’un parvenu ! Il n’est rien à ses yeux pour prétendre à la moindre légitimité sur ce qui à trait à la magie ! Alors probable qu’il soit préférable pour lui de se coller dans le sillage de Krish qui a l’air d’être la plus déterminée à y foutre les pieds, sans se soucier plus que ça des monstres et autres manifestations.