Jak’hie et Mic’hel font du tourisme en Ithri’Vaan | Lothaire & Ascanio | Terminé

Avertissement:

Jak’hie et Mic’hel font du tourisme en Ithri’Vaan.

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Au 6ème jour de la 3ème ennéade
Favrius, mois d’automne
An 17 du XIème cycle

- Uuuuuun jouuuuur mon Priiiiince viendraaaaaa
- Pas maintenant P’tit Biscuit.

En route pour rejoindre Thaar, Va’he accompagné de quelques membres de la Compagnie des Renégats, firent halte pour la nuit. La végétation n’était pas aussi dense que dans les forêts et les marais, mais elle suffisait amplement à celui ou ceux sachant s’en accommoder et en tirer les meilleurs bénéfices. Le petit groupe s’était éloigné de la route, trouvant refuge entre quelques arbres. Dormant à même le sol, ils étaient loin du confort de leurs plumards mais pouvaient néanmoins se targuer d’avoir un ciel étoilé et la mer comme vue. Ce qui était en soit plutôt pas mal vu la tronche de certains membres du groupe.

- J’ai la dalle. Qu’est-ce qu’on graille ?
- Ce que tu nous auras rapporté de la chasse.
- Quoi ?! C’est encore à moi d’y aller ?
- T’es le chasseur du groupe, bouffon, c’est logique que ce soit toi qui y aille !
- P’tit biscuit voulu rétorquer mais Va’he le coupa d’un gentil : Vas-y s’il-te-plaît et ne traîne pas en chemin.
- Il fait noir ! Je n’irais pas tout seul !
- Vleyk : va avec lui.

Rechignant, bougonnant, râlant puis insultant, le mercenaire accompagna le petit chasseur dans sa quête du « rapporter à manger ». La réussite de cette quête fut néanmoins… discutable.

- C’t’idiot à fait fuir les plus grosses proies ! Et ça se dit être chasseur !
- Héééé ! J’ai quand même attrapé trois lapins et cueillit pas mal de champignons !
- De quoi nourrir un seul gusse seulement !
- Un seul gusse ?! Tu rigoles ?! Et après tu t’étonnes d’être gras du bide !
- Ça suffit !

La préparation du repas pris le relais à la discussion. Les gros bras du groupe s’étaient attelés à dépecer les gros lapins tandis que le nain (ndlr: humain atteint de nanisme) s’était attelé à préparer les champignons.

- Un jouuuuuuur mon Prince viendraaaaaa
Et c’jour lààààà, il…
- Pas maintenant P’tit Biscuit !

Un soupire, puis un deuxième, puis encore un troisième avant un :

- Je suis décidément… un incompris…

La soirée était bien entamée et ils étaient tous agglutinés autour du feu tandis qu’un des mercenaires du groupe avait pris le relais concernant la ronde de garde. Va’he était restée bien silencieuses et ses rares interventions n’avaient finalement servit qu’à calmer les gamineries qu’il pouvait parfois y avoir.

Étrangement, il y en avait toujours plus lorsque P’tit Biscuit faisait partie de la sauterie.

Mais d’ailleurs, qui est donc P’tit Biscuit ? Il est p’tit, mais n’est plus un enfant pour autant… enfin… sauf dans sa tête. Âgée d’à peine la vingtaine, il en paraissait plutôt douze mais un douze bien marqué. Pourquoi faisait-il donc partie du groupe ? En réalité, personne ne le savait vraiment ; P’tit Biscuit était arrivé un jour et n’était jamais repartit. Il était assez protégé par Armand le Blond et Va’he avait reçu l’ordre de veiller très attentivement sur lui. Cela n’empêchait pas qu’il restait insupportable.

- Un jouuuuuur mon Prince viendraaaaaa
Et c’jour lààààà, il meeeeee suceraaaaa
Dans son Palais,  j’suis touuuuut envieuuuuux
De ceux qui lui lèèèèèchent la queueeeee
- P’tit Biscuit ?
- Ouiiii ?
- La ferme.
- D’akor.

Le repas allait enfin pouvoir être entamé tranquillement sauf que le mercenaire qui avait pour mission de monter la garde revient au campement; une flèche dans le cul.

« On fait quoi, merde ?! »

« En tout cas c’est pas ma faute, vous êtes tous témoins ! »

« Bah… T’as quand même tiré la flèche, Jean... »

« Pour la troisième fois, dans le noir ça ressemblait à un sanglier ! »

« Un gros sanglier alors... »

L’avant-garde était dans de beaux draps. L’agitation régnait quelque peu, et les chefs tentaient de comprendre ce qu’il s’était passé pour faire leur rapport au capitaine Lothaire. Jean Baba, le maître-archer de Hautval, avait été prié par certains de ses hommes de faire une démonstration de la puissance d’un arc long, cette arme péninsulaire qui avait fait la renommée de sa région natale. Comme la troupe avançait lentement, lui et quelques bougres avaient pris de l’avance pour trouver une cible adéquate. Dans la quasi pénombre, Jean Baba avait cru distinguer la forme d’un gros animal, qu’il avait pensé être une espèce de sanglier. Il avait été fort troublé lorsque, sa flèche ayant percuté l’animal, ce furent des jurons qui sortirent en lieu et place des couinements auxquels il s’était attendu.

La troupe principale arrivait déjà, escortant le Prince Vossula. Lothaire bavardait avec celui-ci, tandis que Jean Baba, se grattant frénétiquement la paume de la main, marchait en direction du convoi pour aller rendre compte du petit incident. Le capitaine le toisa un instant, remarquant la présence de l’archer replet.

« Hé bien, Jean. Parle. »

Le mercenaire soupira, visiblement gêné.

« Bah, c’est que… On a cru apercevoir du gibier, sire. Alors, on a voulu le tirer. Sauf que c’était pas un animal qu’on a touché. Plutôt un homme, ou en tout cas un truc avec deux jambes et une gueule pour nous insulter. »

Lothaire fronça les sourcils.

« Vers où courait cet homme ? »

Jean Baba désigna un petit bosquet clairsemé, où la lueur d’un feu se réverbérait contre l’écorce des arbres. Jean Baba avança :

« Sans doute un type qui posait une pêche. »

Lothaire secoua la tête.

« Plutôt une sentinelle. Je ne veux pas risquer de négliger une cache de bandits qui pourrait nous harasser à revers. Et puis, il fait presque nuit. Il faudra bien monter le campement quelque part. Prenons une vingtaine d’hommes et allons étudier celui-là de plus près. »

Il ne demanda pas au Prince Vossula s’il souhaitait se joindre à l’expédition. Lothaire avait toujours pensé que ce genre d’homme aux mains d’or pur avait sans doute bien trop peur de se mettre en danger pour tenter quoi que ce soit d’un tant soit peu courageux. Aussi, il sélectionna une vingtaine d’hommes, des chevaliers péninsulaires comme des cavaliers légers venus de Valmar, pour se permettre une fuite rapide au cas où les choses tourneraient au vinaigre.

Le Prince, lui, était pris d'un fou rire depuis que le trop adroit maître archer avait rapporté l'incident. Il avait laissé Lothaire réunir sa troupe de cavaliers, tandis qu'il peinait à respirer, se poilant à en frôler l'asphyxie.

« Une flèche dans le cul ! Hahaha ! Une flèche dans le cul ! S'il ressemblait à un sanglier, m'est avis qu'on va bientôt le prendre pour un porc-épic. Une flèche dans le cul ! Tordant ! »

Il se calma peu à peu, le visage aussi rouge que le pourpoint écarlate qu'il portait. La quantité de vin qu'il avait ingurgitée pendant la chevauchée y était aussi pour quelque chose. Juché sur un magnifique cheval blanc immaculé, le Prince jeta un œil pétillant au capitaine qui se préparait à partir, avec ses cavaliers, pour une reconnaissance sur les lieux de l'incident. Le cocasse de la situation ayant éveillé sa curiosité, Ascanio ne put résister.

« Je viens avec vous, capitaine Lothaire. Je veux absolument voir ce sanglier à deux pattes, et la jolie queue qui lui est poussée sous le trou de balle. »

Et, sans attendre du capitaine la moindre réponse, il éperonna sa monture, s'élançant en direction de la lueur suspecte, faisant fi de tout danger. C'est que la compagnie de tous ces chevaliers péninsulaires lui donnait l'impression d'en être un, de chevalier, et qu'un chevalier n'a jamais peur ; fort de son audace, il fonce tout droit jusqu'à la mort. Qu'il rencontre, généralement.

« Une flèche dans le cul ! » riait-il encore lorsqu'il déboula entre les arbres, et son cheval se cabra, sans doute surpris de se retrouver au beau milieu d'un campement rempli d'hommes.

- Bouge pas !
Mais arrêtes !
Viens ici !
Arrêtes !
Bouge plus !
J’vais t’aider, viens ici !
Mais qu’est-ce que tu fous ?!

La scène était cocasse. Le garde blessé et P’tit Biscuit ne cessèrent de tourner autour du feu. Dès qu’il était de retour au camp, beuglant par la même occasion l’alerte, P’tit Biscuit n’avait cessé de lui courir après pour lui retirer cette flèche planté au beau milieu de sa fesse droite.

- Jamais, au grand JAMAIS, je ne t’autoriserais à t’approcher d’moi ! Je préfère encore crever à cause d’une flèche dans le cul plutôt que de prendre le risque qu’on sache que t’as pu y toucher, à mon cul !

- Mais taisez-vous bordel ! On s’est…

Mais n’eut-elle pas le temps de terminer qu’une belle bête apparût au milieu de camp -et on parlait bien ici du cheval et non de son cavalier -.

- Ascanio ?! Mais qu’est-ce que tu fous là ?!

Puis, un bruit se fit entendre, un bruit sourd que Va’he et ses compagnons reconnurent tout de suite : celui d’une charge.

- Protégez le Prince !

Beugla-t-elle soudainement alors que la horde n’était plus qu’à quelques mètres. Il va de soi qu’il y avait là une incompréhension totale. Les évènements qui s’étaient rapidement enchaînés avaient embrumé l’esprit de la belle. Elle en était venue à croire que le Prince s’était une fois de plus trouvé dans une situation de danger. Et cette fois-ci, sans doute que l’idiot s’était mis à dos tout un tas de brigands qui voulaient l’embrocher par derrière, sauf que ces cons s’étaient trompés de cible.

Les quelques gusses autour du feu ne perdirent pas de temps et se faufilèrent chacun derrière un arbre ou un buisson. Vint le moment où les chevaux arrivèrent au campement. Un sifflement se fit alors entendre de la part des lippes de la jolie blonde. La réaction des montures ne se firent pas attendre : ils cabrèrent, quasiment tous, puis furent prit de panique et ce fut justifié : entre leurs jambes grognaient un ennemi invisible… la menace de crocs acérés au pelage d’un noir intense. Le loup sema la panique, ce qui profita grandement au groupe.

Ascanio fut rapidement trimbalé par le nain qui le tira par ses vêtements non sans une certaine violence.

- V’nez m’sieur l’Prince ! Je vais vous protéger moi !

En préparant son équipée pour aller observer de plus près ce campement perdu en pleine campagne, Lothaire avait retenu ses commentaires. Supporter les remarques et caprices de son Prince, que le vin rendait imbuvable, était un exercice auquel il se pliait avec une rigueur qui laissait supposer qu’il n’était pas le premier homme désagréable qu’il devait se coltiner sans broncher. Le capitaine sélectionna vingt-quatre cavaliers, de lourds chevaliers péninsulaires comme de plus légers tirailleurs estréventins, afin d’avoir à sa disposition des troupes polyvalentes. Il ne souhaitait rien laisser au hasard.

Pourtant, ce fut le hasard qui le devança, lorsque Jean Baba beugla un juron qui attira les esgourdes de Lothaire, qui donnait ses ordres finaux. Il soupira :

« Quoi encore, Jean ? »

Le Hautvalois avait l’air tout horrifié, et montrait la direction du camp :

« Seigneur ! C’est le Prince ! Il charge tout seul ! »

Lothaire écarquilla les yeux.

« Quoi ?! »

Il perdait rarement son calme. Irrité tout au plus, il leva un poing en l’air, attrapant l’attention de tous ses hommes, puis dégaina son épée, agrippant avidement la bride de son destrier de guerre.

« Tous avec moi ! Protégez le Prince ! »

Les mercenaires défouraillèrent, et se jetèrent à la suite de Lothaire dans un cri de guerre, éperonnant leurs montures. La cavalcade tentait de rattraper le cheval blanc de leur patron, qui trottait devant un léger nuage de poussière vers les quelques arbres éclairés à la lueur d’un brasier. Ils étaient presque sur lui lorsque ce dernier pénétrait dans le camp ennemi, et tombait de son cheval. Les cavaliers ralentirent un peu, et Lothaire beugla un ordre.

En croissant de lune, ils pénétrèrent dans le campement avec force grondements d’intimidation et tournoiements de lames. Lothaire scrutait l’endroit, qui à leur grande surprise, était presque vide. C’était comme si tous s’étaient enfuis dans sa charge, hormis une demoiselle, le Prince vautré par terre, et un étrange petit individu. Sentant l’attrape, il hurla à ses hommes :

« C’est un piège, vigilance ! »

A l'instant même, l’étrange femme siffla. Quelque chose sembla se mouvoir dans les ombres. Les chevaux se mirent à ruer, certains hommes peinant à rester sur le dos de leurs montures. Rossecaboche pesta :

« Sorcellerie ! Nigromancie ! »

Lothaire vit le démon agripper l’encolure de l’un des chevaux paniqués, et lui ouvrir la chair à coups de crocs. Partout, la confusion régnait. Des hommes venaient de réapparaître, prêts à en découdre. Le bruit du fer retentissait déjà, lorsque Lothaire éperonna son destrier, et se hissa à la hauteur de l’horrible monstre aux poils couleur de nuit sans lune. Il donna un vif coup de glaive, qui répandit le sang de la bête, la faisant hurler à la mort.

Plus loin, Prosper Estranglepoulet, à la lame déjà souillée de sang, s’était suffisamment rapproché du Prince pour le voir se faire traîner dans les buissons par un petit nabot gras du bide. Il sauta avec aisance de son cheval, épée au clair, et se mit à essayer de mettre la main sur le petit homme.

« Reviens ici, espèce de gremlin ! Lâche le Prince céans, ou je me fais un collier de tes tripes ! »

La situation était chaotique, et déjà les premiers blessés lâchaient leurs râles. Lothaire, après avoir frappé le loup démoniaque, s’était dirigé vers la sorcière aux cheveux blonds qui avait invoqué la bête, prêt à lui faire subir le même sort…

Va'he ? Ascanio avait à peine reconnu la jolie blonde, avec-laquelle il avait deux trois souvenirs vraiment pas dégueulasses, que tout s'était subitement mis à partir en cacahuètes. La Compagnie Vermeille, croyant son employeur tombé en embuscade, s'était mise à charger ! Avant qu'il n'ait pu lever le petit doigt, on le tirait à l'abri, le laissant impuissant face à ce désastreux quiproquo.

Ascanio étouffait. C'est que le nabot tirait sur le col de sa chemise pour le traîner au sol. Finalement, sous la menace de l'Estranglepoulet, le nain lâcha prise ; Ascanio mit un certain temps à retrouver son souffle, et son visage passa du cramoisi au blanc livide. Finalement, et alors qu'on frisait vraiment la catastrophe, le Prince trouva assez d'air dans ses poumons pour éructer :

« ARRÊTEZ ! Arr... kof! RRÊTEZ ! »

Le temps d'échapper à la prise du nabot, Ascanio accourut au beau milieu de la clairière, afin de calmer tout ce beau monde. C'est là qu'il vit le loup blessé tourner sa gueule dans sa direction, et qu'une peur plus profonde encore déchira son âme. Ses rencontres avec des chiens se passaient mal, en général.

« Que tout le monde se calme ! Va'he, RAPPELLE TON CLÉBARD AVANT QU'IL ME MORDE LES... »

La mauvaise compréhension et la mêlée qui s’en suivait avait foutu une sacrée merde. Va’he entourée de quelques-uns de ses sbires vidait son carquois de ses flèches jusqu’au moment où elle l’entendit hurler…

Akyla, sa louve qui l’accompagnait maintenant depuis plusieurs années venait de se prendre un coup d’épée qui lui avait complètement déchirée la gueule. La mercenaire regarda un instant le visage de l’homme qui avait porté ce coup quasiment fatal.

« ARRÊTEZ ! Arr... kof! RRÊTEZ ! » Entendit-on ensuite beugler de la part de l’autre con, affalé à terre à moitié endormi, sans aucun doute saoul, comme si on avait que ça à foutre dans un moment pareille.

Mais Va’he n’entendit rien, elle resta concentrée sur sa louve blessée, la suivant du regard pour tâcher de juger de l’état de santé de celle-ci. Les évènements s’enchaînait trop vite et la blessure avait retiré toute notion de dressage, rendant l’animal on ne peut plus sauvage. Blessée, elle démontra de plus en plus un comportement agressif et pas envers n’importe qui…

« Que tout le monde se calme ! Va'he, RAPPELLE TON CLÉBARD AVANT QU'IL ME MORDE LES... »

Va’he était subitement tétanisée en voyant Akyla prendre pour cible Ascanio. La belle n’avait donc décidément plus le choix : elle devait agir. Empoignant en toute vitesse une flèche dans son carquois alors que la louve commença à charger le prince affalé ; elle tira. Sa cible n’était autre que la tête de sa louve qui n’était plus qu’à quelques centimètres de l'entrejambe du Prince.

Littéralement sous le choc d’avoir ainsi dû abattre son propre compagnon, Va’he resta un instant immobile, le regard dans le vide. Elle regarda le corps d’Akyla gisant entre les jambes du Prince qu’elle n’entendait même plus geindre. Celui-ci avait certainement dû faire dans son froc d’ailleurs vu l'odeur qui se répandait.

Une folle tristesse s’empara ensuite de la belle, tristesse qui se changea rapidement en colère et en haine. Elle empoigna subitement une autre flèche et ne tarda pas à prendre pour cible le destrier de l’homme qui avait assené le coup d’épée à sa louve. La flèche vint se planter entre les deux yeux du cheval, faisant chuter son cavalier. Rapidement, Va’he tira une seconde flèche, cette fois-ci en direction de la tête de cet homme abjecte.

Celui-ci eut néanmoins beaucoup de chance, car la flèche ne fit que frôler son visage, laissant au passage une légère plaie ouverte. S’en était néanmoins pas terminé, car Va’he s’apprêtait déjà à en enchainer une nouvelle lorsqu’elle se fit une nouvelle fois interpeller par le Prince. La belle blonde n’en démordait pas pour autant et resta en position, bandant son arc armé.

- J'espère que tu me seras reconnaissant d'avoir sauvé tes couilles en or, Ascanio.

Elle n’était point seule à avoir pris pour cible le meurtrier de sa louve vu que P’tit Biscuit s’était rapproché petit à petit pour se positionner quelques pas devant Va’he, lui aussi armé de son arc. Échangeant un regard en chien de faïence avec ce qui semblait servir de chef à la bande rivale, Va’he n’arrivait cependant pas à se calmer, tandis que P’tit Biscuit n’eut autre idée que de lâcher un :

- Gremlin vous mêm’ d’akor ?!

La mêlée tournait au vinaigre. Les chevaliers, armés de pied en cap, chargeaient sans retenue les archers et autres menaces qu’ils trouvaient sur leurs chemins. Les cavaliers estréventins, moins lourds, tentaient les tactiques de harcèlement et de tiraillement, se faisant tour à tour aiguillon de scorpion et cible mouvante. Tout autour du camp déjà, il y avait des blessés et des cadavres. Les éclaireurs s’étaient faits baroudeurs, souillant de sang et de bile le campement naguère calme qu’ils avaient trouvé.

Dans la confusion, Ascanio tenta un retour au calme, en beuglant comme une truie qu’on égorge. Le cri seul n’aurait pas suffit à calmer la bataille, mais en s’agitant dans tous les sens et en se faisant voir de tous, les combats se faisaient plus sporadiques, la rage s’estompait. Même Lothaire, à la lame encore carmine, s’arrêta pour jeter un regard mauvais à son employeur. Il ne vit la tête du loup s’approcher du Prince que lorsque la flèche la transperça, l’envoyant valdinguer sur la gauche. Jetant un coup d’œil en direction du tir, il écarquilla les yeux.

« Chiabrena ! »

Une gerbe de sang éclata juste devant le nez de Lothaire. Son eraçon lâcha un hennissement strident, avant de s’effondrer sur le côté. Lothaire dégagea sa jambe rapidement, afin qu’elle ne soit pas écrasée sous le poids de l’animal, et tomba à terre avec fracas en perdant son casque mal attaché. Tout autour, il entendit une rumeur, et sentit un nouvel aiguillon lui frôler la tête. Comme s’il s’était agi d’une piqûre de rappel, il se releva avec tonus, pour placer son bouclier de gueules devant lui. Il l’avait échappé belle, et à présent, si l’archère voulait lui envoyer un autre trait, elle aurait de plus hautes chances de rater. Cela, avant qu’un autre tireur ne fasse son entrée.

Tout autour, l’agitation avait repris. Les chevaliers s’étaient regroupés, et avaient mis pied à terre pour menacer les mercenaires adverses, prêts à en découdre dans l’optique où leur chef soit mutilé sous leurs yeux. Le dieu Othar s’était soudainement retiré du champ de bataille, mais la tension qui régnait en ces lieux annonçait qu’il le surplombait encore, et l’embrassait toujours de son regard de feu. Les hostilités pouvaient reprendre à n’importe quel instant. Une flèche pouvait partir, une charge pouvait reprendre.

Prosper Estranglepoulet, que le petit gremlin avait oublié derrière lui, en profita pour rajouter encore plus de raideur à cette corde déjà sur le point de rompre. Va’he put sentir la lame froide d’un couteau contre sa jugulaire, et l’haleine infecte de son porteur.

« Lâche ton trait ma jolie, et tu l’auras profondément dans la gorge. »

Lothaire sentait la sueur de sa tempe picoter sa nouvelle plaie. Tous ses muscles étaient bandés, prêts à s’élancer.

Lorsque la louve s'abattit, morte, les crocs à deux centimètres de son service trois pièces, Ascanio ressentit la nécessité impérieuse de changer de pantalon. Il souffla, soulagé - à plus d'un titre - conscient d'avoir échappé de peu à quelque chose de bien pire que la mort.

Lorsqu'il put reprendre ses esprits, il sembla que les choses se calmaient peu à peu. Bon, en fait, pas du tout, c'était vraiment la merde : Va'he avait eu la riche idée d'abattre le destrier du capitaine Lothaire, et dans le regard de ce dernier, Ascanio crut discerner une lueur qui le fit frémir. Une étincelle démoniaque, monstrueuse, le regard assassin de celui qui va vous cramer toute votre famille. Il me faut vraiment, vraiment un autre pantalon, pensa le Prince. Mais pour l'heure, les mercenaires des deux camps se défiaient du regard plus qu'ils ne se battaient ; il fallait absolument profiter de cette brève accalmie.

« TOUT LE MONDE BAISSE SON ARME, BANDE DE TARÉS ! » gueula-t-il en agitant les bras et les jambes en tous sens, ce qui donnait l'étrange impression qu'il pratiquait une espèce de danse tribale. « ON EST TOUS DANS LE MÊME C... »

Hélas ! L'un des lieutenants de la Compagnie Vermeille avait réussi à contourner Va'he, et glissait un couteau sous la gorge de la jolie blonde. Qu'il se décide à l'égorger, et Ascanio ne répondait plus de rien.

« Par les trois verges du Dieu aux Trois Verges, il suffit ! » Ascanio pointa un doigt accusateur en direction de Prosper Estranglepoulet. « Rangez cette lame, sire Étrangemouflet ! Lâchez-la immédiatement ! »

« TOUT LE MONDE BAISSE SON ARME, BANDE DE TARÉS ! »

Le Prince tenta une nouvelle fois de calmer la situation, en vain. Va’he n’eut aucun regard à son encontre, si bien qu’elle loupa son petit déhanché. L’arc bandé, armé d’une flèche qui n’attendait qu’à se planter dans le crâne de son adversaire, Va’he était trop éprise de colère pour faire un tant soit peu attention à ce qui l’entourait, perdant ainsi toute capacité à se défendre. La lame glaciale qui vint se poser sur sa gorge ne fit que lui rappeler cet état de fait. Mais malgré cette menace d’une gorge tranchée, Va’he ne désarma point son arc. Son souffle ne faisait que s’accentuer et cette menace qui se trouvait dans son dos ne faisait que la mettre davantage en colère.

« Rangez cette lame, sire Étrangemouflet ! Lâchez-la immédiatement ! »

Voilà que cette lame quitta soudainement la gorge de la jeune femme. Ainsi, ces hommes étaient-ils bien sous le commandement d’Ascanio ? Va’he s’en étonna. Elle avait plus l’habitude de sortir ce cul doré de dangereuses situations que de le retrouver escorté ainsi. En même temps : quelle idée débile d’avoir chargé tout seul sur un campement.

La jeune femme jeta rapidement un coup d’œil autour d’elle puis décida enfin de baisser son arc. Il y avait des blessés et quelques morts, dans un camp comme dans l’autre, ce qui n’aide pas à faire sourire la vaanie qui tirait toujours la gueule.

- P’tit Biscuit, va chercher les autres et occupez-vous d’enterrer les morts et de soigner les blessés. Elle fit une pause puis enchaîna : seulement les nôtres.

Sa flèche rangée, elle posa son carquois et son arc à terre tandis que le semi homme s’attelait à la tâche. De son côté, elle s’approcha d’un pas décidé vers Ascanio puis s’attela à agripper les pattes arrière d’Akyla, le tirant ainsi à plusieurs mètres du campement. Elle aussi aurait droit à être enterrée et il valait mieux que personne ne vienne déranger la blondinette pendant qu’elle s’y attelait, sous peine d’être enterré avec.

Au campement, alors que les gens s’amassaient pour s'occuper de leurs morts et blessés. P'tit biscuit ne pu s'empêcher d’émettre sur un ton inapproprié :

-  Si vous avez faim mes amis, j'ai assez de champignons pour tout le monde!

Dès lors que la situation se désamorçait, les hommes se détendaient peu à peu. Ils étaient encore sur leurs gardes, mais la tension était encore palpable dans les rangs de la Vermeille, comme dans ceux de la compagnie adverse. Lothaire calmait la sourde rage qui lui vrillait les entrailles et battait ses tympans. La garce avait mis à mort un bel étalon d’Erac, qui lui avait coûté presque un bras. Les yeux meurtriers de l’archère s’étaient imprimés dans son esprit. Il aurait un jour sa vengeance. Il ne savait ni quand, ni comment. Mais cette femme était à présent en sursis.

Tout autour, on faisait le compte des morts et des blessés. Prosper, qui avait rangé son couteau après avoir failli donner une tape sur les fesses de celle qu’il avait menacée, se porta à la hauteur de son capitaine, qui passait une main distraite à l’endroit où il était ouvert. Le reître se racla la gorge :

« Avec les gars on a fait le compte. En tout, on a perdu sept types. Deux chevaliers, cinq Estréventins. On a aussi cinq blessés. J’fais chercher les autres, et le semi-elfe ? »

Lothaire acquiesça doucement. Son regard n’avait pas quitté l’archère qui traînait son loup mort à l’écart.

« Oui, fais venir tout le monde. Je veux qu’elle ait peur. »

Prosper fit une grimace.

« Ça va être difficile de remplacer les chevaliers… Mais les cavaliers légers, ça se trouve facilement par ici. »

Le capitaine regarda le champ de bataille. Il vit alors l’un des chevaliers morts : sire Agénor, un ancien banneret d’Erac. Un rapide coup d’œil à son destrier, et il sut qu’il allait le prendre au mort. Celui-ci n’en avait plus besoin.

« On monte le camp en leur compagnie. Et que chacun se tienne sur ses gardes. A la moindre incartade, je veux qu’on puisse repeindre les arbres à nos couleurs. »

L’Estranglepoulet fit un mauvais rictus, avant de s’éloigner et d’enfourcher son roncin, dont il fit claquer la bride. Lothaire put alors se concentrer sur un dernier détail, et pas des moindres : son insouciant d’employeur. Il marcha dans sa direction d’un pas déterminé. Une fois devant lui, avec le sang qui lui coulait de la tempe, il n’avait pas l’air de vouloir jouer aux cartes.

« Prince Vossula… Je suis sous votre commandement car c’est votre or qui nous paye tous. Mais la prochaine fois que vous me mettrez moi et mes hommes en danger comme ce soir, nulle promesse d’argent ne préviendra des conséquences. »

Le ton employé n’était nullement agressif. Lothaire ne voulait pas se mettre Ascanio à dos, bien au contraire. Cependant, s’il fallait l’empêcher de nuire à la Vermeille par son extravagance, il n’hésiterait pas. Après un léger signe de tête, à mi-chemin entre une révérence et un acquiescement, Lothaire fit volte-face, afin d’organiser le retrait des blessés, l’enterrement des morts, et la venue en masse des autres mercenaires de la compagnie, qui auraient sans nul doute été breffés par Prosper...

Le capitaine de la Vermeille s'en était retourné sans attendre un mot de son employeur, le plantant là sans façon. Ascanio n'en prit pas ombrage : les péninsulaires sont des gens quelque peu soupe-au-lait, se dit-il avec sagesse. Ça lui passerait. Le Prince en faisait régulièrement l'expérience, lui qui était marié à une femme de ce peuple farouche et fier. Caley s'emportait contre lui parfois, mais elle lui pardonnait toujours. Le seigneur Lothaire en ferait autant. Espérons que la réconciliation sur l'oreiller ne soit pas nécessaire dans ce cas-ci. Remarque, toute expérience est bonne à prendre.

Autour d'eux, les hommes de la Compagnie Vermeille s'affairaient à dresser leur camp. C'était une drôle de situation pour eux que de partager la clairière avec ceux qu'ils combattaient encore quelques instants plus tôt. Il régnait une douce atmosphère de défiance, une menace latente de carnage... rien qui puisse troubler la quiétude du Prince, qui ne semblait guère se rendre compte que sa propre personne cristallisait toutes les colères. Des hommes étaient morts pour rien aujourd'hui, parce qu'il avait fait l'imbécile. Et lui, il souriait et sifflait, totalement indifférent.

« Vous, là, dit-il à l'être de petite taille qui semblait être l'aide de camp de Va'he, laissez là ces champignons, ils me donnent des gaz. Venez plutôt m'aider à changer de pantalon ! »

D'ordinaire, Ascanio pouvait compter sur ses domestiques, mais il ne les avait pas emmenés avec lui. Qu'à cela ne tienne, l'homme-nain ferait l'affaire ! Il avait eu un bon feeling avec lui tout à l'heure.

*  *  *

Un peu plus tard, quoiqu'il fut encore bien tôt pour espérer que les esprits se soient calmés, Ascanio réunit le capitaine Lothaire ainsi que Va'he, à l'écart des yeux et des oreilles. Ils étaient là, tous les trois, sous les frondaisons d'un gros arbre noueux bordant la clairière, la lune éclairant à peine leurs visages dans le sous-bois.

« Je vous dois des excuses pour le regrettable incident de tout à l'heure, déclara le Prince d'un ton plein de miel. Il est vrai que mon cheval s'est un peu emballé. Empereur Condylome est un peu comme moi : il est fougueux et peine à réfréner ses ardeurs. Cela vous a causé du tort, à vous deux et à vos hommes, aussi suis-je prêt à vous offrir sa tête en réparation. On la coupera en deux pour que vous en gardiez chacun un morceau. » Il n'attendit point que l'un ou l'autre réagisse à ce bien curieux marché, et embraya sur un tout autre sujet : « puisque vos deux compagnies sont ici, j'aimerais que vous travailliez tous deux pour moi sur une mission de la plus haute importance. Je ne vous ai pas vraiment recruté pour aller lever des fonds à Feldorn, capitaine Lothaire. Je vais avoir besoin de vos deux compagnies, mais vous ne pourrez me servir si vous êtes à couteaux tirés. Je veux m'assurer que les choses iront mieux entre vous. Alors, mettons le passé de côté et faites-vous un bisou, pour commencer. »

Non… Était-ce donc là un cadeau d’Arcam lui-même ?! Le Prince avait-il bien demandé à P’tit Biscuit de l’aider à changer de pantalon ?! Non… cela ne se pouvait. Cela ne pouvait être vrai ! Tant de questions traversaient l’esprit de ce pauvre petit qui, en l’espace de quelques secondes en vint à changer totalement d’expression faciale. Lui qui était si enjoué et pressé de faire goûter ses beaux et délicieux champignons, voilà qu’il affichait un air mélangeant surprise et quelque chose de plus… malsain.

C’est à petits sauts qu’il suivi le Prince vers un endroit plus discret, affichant un sourire niais tout en laissant pendre une partie de sa langue.

- Q…q…que doiiii doiiiiis-jjjjje faiiii, faiiiire, vo o o o ‘tre a a a altess ss sse ? Bégaya-t-il maladroitement, rouge de gêne, non d’assister au changement de froc d’Ascanio mais plutôt gêné par l’espoir qu’il ressentait d’apercevoir ne serait-ce qu’un instant, avec beaucoup de chance, une infime partie de ce qui lui faisait tant envie chez le Prince.

De retour au campement, l’un de ses compagnons de voyage ne put s’empêcher d’arrêter de creuser pour jeter un œil à l’étrange créature qui revenait.

- Ben alors P’tit Biscuit ? Y t’arrives quoi, t’es tout blanc ?
- J’suis… amoureux. Il… Il est si beau…
- Et si tu nous aidais à creuser plutôt que de dire des conneries.
- Oui… Oui… si vous voulez… Beau… qu’est-ce qu’il est beau… Oui…

De son côté, Va’he s’était attelé à le creuser elle-même, son trou. Du moins, celui qui lui servirait à enterrer son compagnon depuis plusieurs années : Akyla. Au plus elle creusait et au plus la rage ne fit que s’emparer d’elle. La belle blonde ne put s’empêcher d’exprimer celle-ci en beuglant des insultes toutes plus incompréhensibles que d’autres tandis que ses mains et ses bras frappaient le sol comme si celui-ci venait d’afficher la tête du capitaine. Il lui faudrait sans doute du temps, beaucoup de temps, avant d’accepter de pardonner.

Elle eut à peine terminée qu’on vint déjà lui signaler que le Prince la mandait auprès de lui. Espérant sérieusement que c’était pour une bonne raison et non pas juste une envie de se vider les couilles, Va’he se rendit à sa hauteur jusqu’à ce qu’elle se rende compte de la présence de Lothaire, puis jusqu’à ce qu’Ascanio décide d’ouvrir la bouche…

Là… finalement… elle aurait largement préférée une partie de jambes en l’air sur la tombe encore toute fraiche d’Akyla plutôt que… ça.

Un cheval coupé en deux… Voilà bien le genre d’idée que seul Ascanio pouvait avoir. Mais un bisous ?! Un Bisous ?!!

Va’he ne savait pas ce qui était le pire… le fait qu’Ascanio utilise le terme « bisous » ou le fait qu’elle soit obligé de le faire à ce gars-là…. !

- Allons, Ascanio. Un demi-cheval chacun ne nous servirait à rien. Donne donc ma part au Capitaine, et laisse-lui le cheval en entier.  Trop de nos compagnons sont morts ce soir, quels qu’ils soient.  

Pour ce qui est du bisou en revanche… Va’he voyait bien au regard d’Ascanio qu’il patientait impatiemment. Là, elle en eu assez et se mit à soupire fortement avant de se tourner vers Lothaire, de lui agripper fermement la nuque puis de lui rouler une énorme galoche aussi sensuelle que possible durant le temps que Lothaire lui accorderait, ce qui ça, était une autre histoire.

Oui, bon… Ascanio avait dit un « bisou » mais eh ? Ne sommes-nous pas en Ithri’Vaan ?

Je crois que j’aurais préféré la tête de cheval.

Lothaire était sidéré par les affres d’Ascanio, dont il n’avait même pas encore effleuré le plein potentiel. Il avait les yeux braqués sur le Prince, la bouche légèrement entrouverte. C’était l’une de ces rares situations, qui se comptaient sur les doigts d’une seule main, où il se sentait complètement désarçonné. Mais le pire restait à venir.

Plongeant contre son visage, Va’he vint lui administrer le baiser le plus passionné et le plus langoureux qu’il reçut jamais. Pendant une demi-seconde, son esprit put qu’accuser le coup. Leurs langues se mêlèrent dans une étreinte érotique, et Lothaire se sentit tout à la fois grisé et impuissant. Il devait reprendre le contrôle.

Il ne tarda pas à se ressaisir. Sa main semblait venir caresser la clavicule de Va’he, il la fit serpenter le long de son cou, avant de s’en saisir violemment, et de mordre sa langue, mettant un terme à leur baiser torride. D’une pression du bras tenant la gorge de la mercenaire, il envoya celle-ci tituber vers l’arrière, alors qu’il crachait par terre pour faire bonne mesure.

Ses yeux étaient froids, mais il était échaudé. Une sensation agréable parcourait encore ses lèvres, et il avait encore le goût de cette femme dans la bouche. Il ne l’en désira que davantage… et ne l’en détesta que davantage. Se tournant vers Ascanio, il annonça :

« Tant que cette mégère se tiendra loin de ma bouche, croyez-moi que tout ira bien entre nous. Quant à votre cheval, Prince, gardez-le. Et ne refaites plus jamais ça. »

Lothaire en oubliait presque la déférence qu’il devait à son employeur. Cette journée avait boulotté ses nerfs. Il jeta un coup d’oeil à Va’he, puis à Ascanio, avant de dire plus calmement :

« Puis-je au moins savoir vers où nous mène cette route commune ? Je me doutais fort bien que nous n’allions pas seulement récupérer quelques sacs d’or, mais je subodore qu’il s’agit de quelque chose de plus gros. Et donc de plus dangereux. »

Ses bras barrèrent son poitrail.

« Je serais bien plus efficace dans la gestion de notre petite escapade, si vous conveniez de m’en indiquer la nature, et le but. »

Une plaisante érection s'était emparée du Prince, dressant une protubérance bien nette sous sa ceinture. Là où Lothaire manifestait rage et sauvagerie, Ascanio ne voyait qu'une nouvelle pulsion de désir. On eut dit qu'il allait casser en deux la jolie Va'he ! Or, celle-ci pouvait se révéler bien farouche ; Ascanio en avait fait l'expérience. Il aurait volontiers poursuivi les choses plus loin, mais il ne les payait pas vraiment pour ça. Et puis, le capitaine de la Vermeille semblait plus soucieux de la suite de leur mission que de laisser libre cours à son animalité. Quel homme, pensa Ascanio, admiratif devant la maîtrise de soi que manifestait le chevalier péninsulaire.

« Une fois collectées les taxes, nous ne descendrons point à Thaar, déclara le Prince. Je veux rester dans le nord, car j'ai de bonnes raisons de penser qu'on pourrait avoir besoin de nous là-bas. Mes domaines sont sur la route des Sept Monts, et j'y ai entendu de bien vilaines rumeurs ; on vit des temps troublés, capitaine Lothaire. Je veux simplement parer à toutes les éventualités. »

Sur ces mots sibyllins, le Prince prit congé, non sans avoir jeté un regard appuyé au chevalier. La nuit se passa sans heurt, en dépit de toutes les raisons qui pouvaient pousser les deux compagnies à se jeter l'une sur l'autre ; Ascanio, lui, se laissa entraîner dans un sommeil agréable, rêvant plutôt de voir Lothaire et Va'he se jeter l'un sur l'autre.

*  *  *

La nouvelle leur parvint quelques jours plus tard, alors que le Prince collectait les taxes de Feldorn. Fort de la présence de ses mercenaires, Ascanio n'eut pas à subir l'habituelle mauvaise foi des petits bourgeois qui rechignaient à s'acquitter de leurs dettes. Le trésor ainsi collecté devait fournir à la Vermeille et aux Renégats des gages suffisants pour une nouvelle campagne ; l'ennui, c'est qu'avec leur employeur actuel, ils ne savaient jamais vraiment quel ennemi il leur fallait affronter - quand il ne les amenait pas à s'affronter entre eux.

La nouvelle leur parvint, donc, alors qu'ils achevaient le partage. Elle avait fait le tour de la ville, et elle se répandrait par la route et par la mer, à Thaar et au-delà. Polycarpe le Vitupérant, l'homme qui gouvernait les Sept Monts au nom du Conseil de Thaar, avait été assassiné ; des villages flambaient dans l'arrière-pays septmontain, et la rumeur voulait que Kodratos d'Hanning, le duc déchu, soit ressurgi du néant où il se cachait depuis des années.

« Voyez, j'avais vu juste ! s'exclama un Ascanio drôlement enthousiaste devant Va'he et Lothaire, « j'étais certain que ça finirait par péter ! » Comment le Prince l'avait-il deviné à l'avance, ça relevait du mystère ; soit il était très bien informé, soit il disposait d'un don certain pour prédire l'avenir. « Le temps que le Conseil se réunisse pour désigner un nouveau gouverneur, c'est le chaos qui pourrait s'emparer de l'ancien duché, murmura-t-il, pensif, comme s'il réalisait cela juste à l'instant. Et si on laisse la merde s'étendre, mes domaines d'Eofel et de Feldorn seraient touchés eux aussi. Cela, je ne le permettrai pas. Et puis... Naelis, la péninsule, le puy d'Elda... tous ces vautours vont flairer la belle occasion d'annexer un tel morceau. Cela non plus, je ne le permettrai pas. Allez dire à vos lieutenants qu'ils prennent leurs dispositions ; nous partons pour les Sept Monts. »