Où l'on chuchota de vilaines choses [Zaahrian]

La 17ème année du 11ème cycle,
Deuxième ennéade de Favrius - automne,
Le neuvième jour...

Le Vît-Révoltant était une galéasse de bonne facture, enregistrée dans les livres d'une compagnie modeste. Amarrée depuis quelques jours à Thaar, son équipage l'avait débarrassée de son chargement de guano en provenance de la côte de sel. A présent chargée d'une cargaison de fruits et légumes - sans qu'il ait paru nécessaire de nettoyer les cales - le navire lèverait l'ancre le lendemain matin, en direction des Sept Monts.

La nuit s'était faite sur Thaar, et si l'orgueilleuse cité, a fortiori son port virevoltant, ne dormaient jamais vraiment, il régnait un calme reposant sur le pont. C'est que l'équipage, lessivé par le déchargement des caisses de fientes d'oiseaux, avait obtenu une permission bienvenue ce soir-là, et s'en était allé faire la bringue dans les nombreux tripots et autres lieux de perdition de la cité marchande. Ne restaient à bord que deux hommes chargés de monter la garde, et qui ne s'étonnèrent nullement, à une heure avancée de la nuit, de voir émerger de la pénombre une silhouette encapuchonnée au pied du navire.

L'inconnu, admis à bord, fut conduit à la cabine du capitaine. La petite pièce était faiblement éclairée par une lampe à pétrole, mais l'individu qui attendait là, assis derrière un bureau, n'avait nullement le faciès rustaud du vieux loup de mer. Les marins fermèrent la porte derrière le visiteur, laissant les deux hommes en tête à tête.

« Vous voilà », dit Ascanio Vossula d'un ton tranquille. « L'humidité de ce rafiot commençait à me donner des fourmis dans les bas-fonds de mon anatomie. Prenez un siège, et, ma foi, faites comme chez vous. Un verre de rhum ? Ces imbéciles n'ont que ça. »

Le premier contact se fit par un message délivré de vive voix. L’homme ne donna que très peu de détail, seulement des instructions et un lieu de rendez-vous. Lorsque Zaahrian lui demanda qui l’envoyait, il répondit simplement : Vossula. Ça promettait d’être intéressant…

Il était tard lorsque Zaahrian arriva au port. Il y avait encore assez de monde dans les parages pour ne pas trop attirer l’attention, mais les marins qui sortaient des tavernes étaient pour la plupart bien imbibés. Un rien suffirait à échauffer les esprits bagarreurs et l’assassin ne pouvait pas se permettre d’être en retard. Il suivait donc les ruelles sombres, caché sous un grand capuchon, le pas aussi silencieux que celui d’un chat. On ne le questionna même pas lorsqu’il s’arrêta devant le navire. Il était attendu. Zaahrian dut se courber pour éviter de se fendre le crâne sur le linteau de la porte. Les navires étaient rarement faits pour des gens aussi grands que lui. Il s’assit devant le bureau et retira son capuchon en déclinant l’offre de Vossula d’un geste de la main.

« Juste à l’heure. » Lui fit remarquer Zaahrian, un sourire dans la voix. « Nous trinquerons lorsque les formalités seront complétées. Après tout, je suis un professionnel. Laissez-moi d’abord vous offrir mes sympathies pour votre père. Sa mort est une tragédie, mais il faut se rappeler qu’elle viendra à nous tous éventuellement et parfois avec un peu d’aide. »

Il n’avait que lui pour parler avec une telle légèreté de ce genre de chose. Zaahrian savait très bien pourquoi il était là. On ne faisait pas autant de secrets pour seulement lui proposer une nuit torride sous les draps. Il lui manquait simplement les détails.

« Du coup, ne faisons pas durer votre inconfort plus longtemps et dites-moi pourquoi je suis ici... »

« Laissons mon père où il est », dit Ascanio en agitant la main comme s'il cherchait à chasser une mouche. « Nous ne sommes pas dans une soirée mondaine, alors soyons honnêtes ; c'était une raclure de la pire espèce. Il m'aura pourri l'existence jusqu'au bout, en étant si lent à crever. »

L'assassin ayant ôté son capuchon, Ascanio reconnaissait sans grande peine cette trogne androgyne qui trahissait son sang elfique. Il l'avait déjà vu, bien sûr ; l'homme avait, quelques années plus tôt, offert ses services à son père Tiberio. Lequel l'avait rembarré en public, le jugeant bien trop peu discret. On pouvait s'étonner, dès lors, qu'Ascanio fasse appel à ses services, mais c'est bien parce que l'idée était invraisemblable qu'elle lui avait paru bonne. Et puis, c'était un énième pied-de-nez à la mémoire du père honni : Ascanio prenait un malin plaisir à faire exactement ce que son géniteur n'aurait pas fait.

« J'ai un contrat pour vous. Un contrat qui implique des engagements de votre part, bien sûr. Aux yeux du monde, vous êtes sur notre liste noire. J'entends que vous le restiez officiellement, aussi, je vous saurais gré de ne pas mentionner mon nom sur votre curriculum vitae. »

Le regard insistant du Prince darda l'assassin quelques instants, histoire que le message soit bien clair. Après quoi Ascanio prit une profonde inspiration, et livra enfin de quoi satisfaire la curiosité de Zaahrian :

« Il y a quelques années, la principauté des Sept Monts était le domaine d'un petit Despote sans envergure qui s'est senti pousser des ailes. Le bougre, un brin ambitieux, se sentait bridé par le Conseil de Thaar. Il s'est mis à rêver d'indépendance. Il s'en faisait une drôle d'idée, d'ailleurs, puisqu'il semblait prêt à vendre son cul à ses cousins de l'ouest, et faire des Sept Monts le nouvel avant-poste des péninsulaires en Ithri'Vaan. Dans des circonstances que je ne vais pas évoquer, il s'est finalement attiré l'ire du Puy d'Elda, qui a déferlé sur ses domaines comme une bande de satyres sur une jolie pucelle. Il a disparu dans la confusion qui s'en est suivie, et le Conseil de Thaar en a profité pour reprendre la main sur ses domaines. Depuis lors, les Sept Monts sont sous la tutelle d'un gouverneur choisi par Thaar, révocable à tout instant. Un humain du cru, avec un de ces noms invraisemblables qu'ils ont là-bas - il se fait appeler Polycarpe le Vitupérant. Il est tout dévoué au Conseil, et il donne satisfaction, à tel point qu'il y a bien longtemps que les Sept Monts ne sont même plus abordés au cours de nos séances. »

Le Prince esquissa un rictus, alors que ses yeux pétillaient de malice.

« Malheureusement pour lui, Polycarpe doit mourir. »

Sur la liste noire… Pourquoi être aussi dramatique? Il ne s’en était pourtant pas pris à la famille. En tout cas, pas à sa connaissance… À moins que ce soit parce qu’il avait réussi à faire tout seul, ce que les défenses de la ville n’avait pas réussit et il l’avait maintes fois déclaré publiquement... Certes, Zaahrian reconnaissait ses erreurs. Il aurait dû prendre l’argent et disparaître, mais peu de gens savaient à quel point cette période fut particulièrement bordélique pour l’assassin. Maintenant qu’il avait de nouveau l’esprit clair et de sérieux projets devant lui, Zaahrian s’était retiré de la vie publique. Il vivait toujours au même endroit, mais on ne le voyait plus pendant les soirées. Il faudra un certain temps avant qu’il ne parvienne à se faire oublier et peut-être qu’il n’y arrivera jamais, mais il était certain d’une chose: : il ne devait plus s’afficher en public avec les puissants de Thaar. La seule allégeance que Zaahrian avait était envers la sécurité et la stabilité de cette ville. En gros, il voulait éviter que Thaar n’éclate en gros bordel. C’était sa maison, son terrain de jeu et quiconque le menaçant devenait une cible à éliminer. Oui, les drows commençaient à le rendre nerveux.

« Un contrat est un contrat. Il sera exécuté dans les règles avec tout le professionnalisme nécessaire, que je sois sur votre liste ou noire ou non. » Dit-il sur un ton étonnamment froid qui tranchait avec l’attitude nonchalante de son arrivée. « Ne soyez pas berné, je joue l’idiot pour les besoins de la cause. Les gens les négligent trop facilement. Les langues se délient, vous voyez? Cet homme va mourir, vous avez ma parole et je ne prononcerai jamais votre nom à mes clients subséquents comme je ne vous parlerai pas de mes anciens partenaires. Ceci dit, voici mes conditions. J’ai besoin des détails, tout ce dont j’ai besoin de savoir pour bien accomplir ma mission. Naturellement, ce que je vais avoir en retour, montant susceptible de varier selon les risques encourus. Je vous suggère fortement de ne pas me cacher d’informations. » Il appuya bien le mot en fixant le prince dans les yeux. Zaahrian ne rigolait pas. « La moitié est payable avant l’exécution du contrat pour couvrir les dépenses. La balance due sera consignée sur papier avec votre signature et votre sceau. Si vous veniez qu’à briser votre part de l’entente, les conséquences seraient désagréables pour vous. Si vous tentez de me faire éliminer, ce sera la dernière chose que vous ferez de votre vie. Ce ne sont pas des menaces envers vous, mais simplement des faits que j’expose. Ces conditions s’appliquent à tous ceux qui requièrent mes services. Elles sont à la hauteur des risques que je prends. Vous en êtes certainement conscient. »

Les gens qui connaissaient Zaahrian, ceux qui le fréquentaient dans la vie de tous les jours seraient probablement étonnés de le voir aussi sérieux, voire menaçant. Au moment de parler affaires, il ne prenait jamais cela à la légère. Sa réputation en dépendait et il était conscient qu’elle a souffert ces dernières années de ses frasques très publiques. Pour la redorer, il devait forcément se montrer à la hauteur aussi.

« Maintenant, et c’est libre à vous de me le dire ou non, mais qu’espérez-vous obtenir de la mort de cet homme? Sachez ceci, que vous partagiez ou non vos motivations avec moi, cet homme va mourir, mais les conséquences qui suivront ne seront peut-être pas celles que vous attendez. Par expérience, elles le sont rarement. Si vous me le dites, je pourrai peut-être influencer la suite des événements, mais les répercussions seront sur vous uniquement… Sur vous et sur le reste du conseil, je suppose. Le type meurt, j’ai fait mon boulot. Après, si vous êtes dans la merde, je ne serai pas celui qui viendra vous aider. »

Ascanio tenait Zaahrian pour un professionnel. Il était certes un peu trop connu pour un métier qui exigeait avant tout la discrétion, mais enfin, il avait forcément dû mériter sa notoriété. Las, l'assassin s'était lancé dans un discours visiblement bien rôdé, et à mesure qu'il déblatérait ses conditions, Ascanio, s'était mis à douter. Le ton froid, et même carrément condescendant, aurait pu le froisser, mais ce n'était pas là que résidait le problème ; rompu à l'art du commerce, Ascanio savait la propension de certains interlocuteurs à rouler des mécaniques. Bien plus gênantes étaient les conditions imposées par l'assassin. Quel genre d'employeur avait bien pu en accepter de semblables ? C'était à se demander si, au bout du compte, l'homme qui lui faisait face n'était pas un charlatan et un imposteur.

« Vous avez fini ? » demanda-t-il lorsque l'assassin eut achevé sa logorrhée.

Ses doigts tapotaient nerveusement le bord de la table. Considérant le silence de Zaahrian comme un assentiment, il déclara d'un ton sans appel :

« Je ne vous signe rien du tout, et vous devrez vous contenter de ma parole. Elle a toujours suffi, et croyez-moi, je rémunère très bien mes sous-traitants. Si ça ne vous suffit pas, je m'adresserais à quelqu'un d'autre. Dans le cas contraire, je vous livrerais tous les détails dont vous avez besoin. Oh, quant aux raisons qui me motivent, elles ne vous regardent en rien. Vous êtes un outil, Zaahrian, et un marteau n'a pas besoin de savoir pourquoi il lui faut enfoncer un clou. »

Zaahrian plissa les yeux. Si Ascanio n’était pas impressionné, Zaahrian l’était encore moins. Le prince venait de donner le ton sur leur relation d’affaires. Soit, l’assassin pouvait travailler de cette façon. Ce n’était pas l’idéal, car il aimait avoir quelques garanties, mais décider de tourner les talons maintenant serait particulièrement stupide de sa part.

« Un homme peut s’écraser les doigts avec le marteau qu’il manipule, mais soit, vous êtes libre de partager cette information ou non. Je proposais simplement un petit coup de main supplémentaire, sans mauvais jeu de mots... »

Il haussa les épaules tout en époussetant une saleté sur sa cuisse. Même s’il ne paraissait pas affecté, il n’aimait pas être traité de la sorte. Zaahrian a eu toute sorte de clients dans sa vie, des gens désespérés cherchant la justice jusqu’aux puissants qui croient que le monde leur doit tout. Ces deniers sont de loin les plus désagréables à côtoyer, mais c’est aussi eux qui paient le plus pour voir le travail exécuter. Zaahrian avait donc appris à piétiner son orgueil tout en gardant en tête qu’il était tout à fait possible qu’il ait un jour un contrat sur leur tête. C’est déjà arrivé, ça pouvait encore se produire.

« Très bien, ça me va. Je détesterai m’être déplacé pour rien de toute façon. Donc, si je dois résumer, ce Polycarpe machin doit mourir. Très bien… Quoi d’autre? »

« Polycarpe doit mourir », répéta Ascanio d'une voix tranchante.

S'il était soulagé de ce que l'assassin ait révisé ses conditions, le Prince Marchand n'en montra rien. C'est qu'il eut été dommage de devoir le faire éliminer. Il aurait fallu, pour cela, embaucher un second assassin pour éliminer le premier - et potentiellement en embaucher un troisième pour éliminer le second. Une belle perte de temps, en somme. Et puis, quand bien même sa condescendance lui donnait envie de l'étrangler, Ascanio l'aimait bien, le semi-elfe. Il était divertissant.

« Ce navire lèvera l'ancre à l'aube, à destination de Solon de Trys. Aux yeux de l'équipage, vous êtes un simple passager qui a payé sa traversée. Les deux hommes qui vous ont accueilli sur le pont savent que vous êtes un peu plus que ça, mais ils ignorent mon identité tout comme ils ignorent l'objet de notre entrevue ; n'allez donc pas les leur révéler. »

Ascanio s'abstint de mentionner que le navire en question était la propriété d'une petite compagnie, dont les parts étaient réparties entre trois modestes marchands d'origines diverses. Trois marchands qui, en réalité, n'existaient pas. La compagnie, de fait, était la sienne - et le navire aussi. C'était là un montage fort utile quand il avait besoin de faire transporter des marchandises douteuses. Et un assassin est une marchandise très douteuse.

« Une fois débarqué à Solon de Trys, vous gagnerez la capitale du duché, Hanning, par vos propres moyens. Je compte sur votre discrétion. A partir de là, vous avez carte blanche. Polycarpe réside dans le palais ducal, et l'endroit est bien gardé, mais ma foi, je gage que vous en avez vu d'autres. Si vous pouviez vous faufiler jusqu'aux jardins, ce me semble être l'endroit le plus propice à une élimination discrète : quand le soir tombe, Polycarpe a l'habitude d'y promener son chien. Il est seul, la plupart du temps ; c'est son petit moment d'évasion quotidien. Au besoin, tuez aussi le chien ; cette saleté m'a déjà mordu, une fois. »

Ah, les chiens. Longue histoire.

« Pour la mort, donnez libre court à votre fantaisie. Je n'ai qu'une exigence : cela ne doit pas passer pour un accident. Personne ne doit vous voir, mais ceux qui trouveront le corps ne doivent pas douter une seule seconde qu'il s'agisse bien d'un meurtre. Arrangez-vous pour que cela marque les esprits. »

Heureusement, le Prince semblait avoir déjà bien ficelé les détails de l’expédition. Une fois là-bas, il devra se débrouiller par ses propres moyens, mais ce n’était pas un problème. En effet, tout ce que lui disait Ascanio était du déjà vu. Son expérience lui a appris que les maisons ne sont jamais aussi bien gardées qu’on le dit. Il y a toujours une fenêtre mal surveillée, un garde qui aime faire une petite sieste à l’occasion et, bien sûr, les changements de garde qui laissent toujours la demeure momentanément vulnérable même avec la meilleure organisation possible. Il trouvera le moyen d’y entrer ni vu ni connu et la suggestion d’Ascanio aurait été parfaite s’il n’y avait pas eu de chien. D’ailleurs, il ne cacha pas sa grimace à la mention du cabot. Le problème avec les chiens, c’est qu’ils semblent avoir la capacité surnaturelle de détecter votre présence avant même de vous avoir vu. Ils lancent l’alerte en jappant et toute la maison est soudainement aux aguets. Malheureusement pour lui, il lui restait encore à tomber sur un chien qui viendrait à lui en agitant la queue, tout heureux de le voir plutôt que de se mettre à aboyer comme un possédé. Zaahrian devra donc trouver le moyen de l’éliminer en premier ou de s’assurer que le chien soit très loin au moment de passer à l’acte.

Zaahrian n’était pas cruel dans ses exécutions. Il s’arrangeait pour faire ça proprement et le plus efficacement possible. Le bougre devait déjà mourir, inutile d’en ajouter inutilement. Il avait vu des assassins faire des mises en scène effroyables. Sa propre tante avait été poussée à faire ce genre de chose. Ascanio voulait que cette mort frappe l’imaginaire. Il n’était pas le premier à lui faire cette demande, mais il devait garder en tête que plus Zaahrian s’attardait sur les lieux, plus il risquait de se faire prendre et si ça arrivait, c’est là que s’arrêtait sa loyauté envers son employeur. Donc non, il n’allait pas disposer le corps de façon grotesque. Au mieux, il allait lui laisser une dague plantée dans la poitrine. Oui, voilà, il allait faire ça.

« Bon, je sais comment je vais m’y rendre. J’ai déjà une vague idée de ce que je vais faire là-bas, mais vous n’avez pas encore abordé la question de mon retour. Je ne devrais pas me faire prendre, mais ça ne veut pas dire que j’aime traîner sur les lieux de mon crime, surtout que ça risque de créer un sacré bordel lorsqu’on découvrira qu’il a été assassiné. »

Plus Zaahrian parlait et plus le Prince Vossula avait le sentiment d'avoir affaire à une diva. Non content de se voir offrir la traversée tous frais payés, l'assassin demandait maintenant qu'on lui organise le voyage de retour ! Vous ne voulez pas non plus que je tue Polycarpe à votre place ? aurait-il pu lui rétorquer. Sa demande, toutefois, n'était pas dénuée d'une certaine logique. Il fallait couvrir ses arrières et assurer son extraction dans les meilleures conditions ; c'était leur intérêt à tous les deux.

« Lorsque vous aurez accompli votre mission, le Vît-Révoltant aura déjà levé l'ancre. Je compte sur vous pour ne pas vous attarder à Hanning ; vous partirez vers le sud, vers les terres cette fois-ci, en suivant la route d'Hainaia et Essalem. Je vous donnerai de quoi vous acheter un cheval. En poussant bien, vous devriez gagner assez vite la cité d'Eofel. Il est fort possible que je m'y trouve en personne ; vous ne vous présenterez pas au palais, mais au tenancier du Candélabre Bleu, un bordel que je suis en train de racheter. Vous lui demanderez un voyage en terre jaune, il saura de quoi vous parlez. Je vous remettrai alors le reste des gains. »

Sur ces mots, le Prince déposa sur le bureau deux énormes bourses pleines. Ce n'étaient pas là les Saintes Bourses de Triphallicus, mais le son des pièces d'or qu'elles contenaient n'en était pas moins agréable.

« La moitié des gains en avance, comme convenu. Avec de quoi couvrir vos frais. Qu'en dites-vous, Zaahrian ? On fait affaire ? »

Zaahrian regarda les deux bourses posées devant lui et acquiesça d’un signe de tête. « C’est un plaisir de faire des affaires avec vous. »

Il voyait bien qu’il agaçait le prince, mais Zaahrian faisait le même effet chez la plupart de ses clients jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’il faisait vraiment bien son boulot et qu’il était fiable. Avec un peu de chance le prince viendra qu’à l’aimer lui aussi, mais pas trop quand même, car il n’était pas vraiment son type non plus. Bref, il avait encore quelques heures devant lui pour se préparer avant que le navire ne lève l’ancre. Ce n’était pas la première fois qu’il devait partir sur un délai aussi court, mais rassembler ses choses ne serait pas un problème. Le plus compliqué sera de faire comprendre à Guilin qu’il n’était pas en état pour l’accompagner. Le moment viendra, mais dans l’immédiat, il devait rester derrière. De toute façon, ça ne pouvait pas faire de mal d’avoir quelqu’un qui sait où il est parti et qui pourra faire quelque chose si jamais ça tournait mal, ne serait-ce que pour ramener son corps. Sans lui donner les détails, il lui demanda de garder l’oeil ouvert et d’être attentif aux rumeurs. Guilin lui répondit simplement de tâcher de rester en vie.

L’assassin réapparu peu avant le départ avec un sac de toile jeté sur l’épaule. Il n’avait pas dormi de la nuit et l’excitation était trop grande pour espérer pouvoir le faire maintenant. Sur le pont, il regarda Thaar disparaître peu à peu alors que le navire s’éloignait dans la lumière naissante du jour. Comme à chaque fois qu’il partait en mission hors de la ville, il se fit la promesse d’y revenir.