[Isgard] Arrivé à bon port (Victoria)

Ainsi donc c'était ça Isgard ...

Après un voyage des plus désagréables, longeant la Sirilya depuis la formidable forteresse de l'Etau afin d'éviter de trop s'enfoncer dans la maudite Aduram, le comte d'Odélian et sa troupe avait pu pénétrer dans l'enclave via l'Orée. Usé par ce détour, Gaubert du se résoudre à poser, pour une nuit, son précieux et délicat céans, dans une taverne miteuse de Fangemorte avant de pouvoir se rendre à destination. Le voyage fut long, mais il permit au comte de réaliser les modifications nécessaires à apporter pour en informer Jocelyn de Buthen, le gouverneur odélian qui avait prit la tête de la seigneurie au nom du comté.

Juché sur Targon, Gaubert arpentait les rues du bourg en direction du port. On l'avait informé à Gauge-de Boue, que le sieur de Buthen s'y trouvait et plutôt que d'attendre, pantouflard, le comte avait pris la décision de l'y rejoindre, se donnant l'occasion de voir la ville de ses propres yeux. N'était-ce pas le but de cette visite, parès tout ?

Depuis l'édit qui avait fait de l'enclave une possession odélianne, la quasi totalité des missédois avaient évacué le territoire. Les terres du fief étaient revenus dans le giron de leur seigneur légitime, peuplées par autre chose que ces singes de suderons. Les patois odélians berçaient les rues populeuses, tandis que, ça et là, résonnaient les chants traditionnels depuis les tavernes.

Flanqué d'une douzaine de gardes panachés de bleu, le comte passa devant une potence où pendait deux corps malingres sous l'oeil avide d'une volée de corbeaux qui semblait se gausser de leur sort. Gaubert se pencha légèrement vers Roland, le sergent.

Qu'est-ce donc que ces deux jambons là ?

Roland haussa les épaules avec toute la bonhommie qui le caractérisait. L'homme était peu loquace, ni très pertinent dans ces interventions, mais il avait le mérite d'être un soldat fidèle et tout à fait capable à l'épée, le comte n'en demandait pas plus à un homme de son rang. Le groupe avançait sous les regards des badauds qui s'écartait du chemin en voyant leur livrée, et bientôt la rue s'ouvrit et donna sur les quais.

Sous les nuages sombres qui dansaient au-dessus de l'Olienne, les silhouettes élancées de navires entraient et sortaient du port. La troupe bifurqua vers la droite et se dirigea vers la capitainerie. Le bâtiment était carré, aux pierres grises et épaisses et trônait entre les quais commerciaux et l'arsenal d'où s'échappait une odeur de goudron chaud. Gaubert observa les manouvriers en plein effort, déchargeant des bariques massives d'une caraque qui arborait un pavillon langecin. Plus loin, un gros bourgeois, coiffé d'une toque à plumes, grattait un vélin de sa plume, l'air renfrogné, tandis qu'il comptait la marchandise. Plus loin encore, on chargeait des sacs de grains dans un navire, où les rameurs s'installaient à leur poste en vue d'un départ qui semblait imminent.

Le comte mit pied à terre, aussitôt imité par Roland et ses hommes. Paulin, le clerc, s'extirpa du groupe et enfila la lanière d'une sacoche en cuir, d'où débordait plusieurs parchemins. Il trottina pour se retrouver un pas derrière Gaubert, qui après avoir laissé les rênes de Targon à un des gardes, monta la volée de marches qui conduisait à l'entrée de la capitainerie, précédé de Roland. Le sergent abattit son poing ganté trois fois contre la porte.

Au nom du comte Gaubert, ouvrez !

Le comte arqua un sourcil face à la vindicte dont faisait preuve le sergent. On aurait pu croire qu'il allait défoncer la porte si on n'obéissait pas à son injonction. La-dite porte s'ouvrit, révélant un jeune homme roux, visiblement surpris du tambourinage intensif qu'avait opéré Roland. Gaubert posa une main sur l'épaule du soldat en signe de paix et s'avança face au rouquin.

Excusez mon homme, il se montre parfois trop enthousiaste.

Il jeta un coup d'oeil vers Roland, lâchant un petit soupir agacé avant de revenir à son interlocuteur.

On nous a dit au château que le seigneur de Buthen était ici et j'aimerai grandement m'entretenir avec lui.
Euh ... Ouais, l'est là, Messire ... Entrez

Le jeune type bafouillait quelque peu, et les effluves de son haleine aux relans de chou moisi sautèrent aux narines de Gaubert avec agressivité. Le comte garda malgré tout sa contenance.

Pouvez-vous m'annoncer à lui ?

Le rouquin opina du chef et laissa entrer les trois hommes avant de se diriger vers une salle, au fond. Quelques instants après, Jocelyn fit son apparition. Le gouverneur était grand et fin, le cheveux court et la moustache épaisse et noire. Il s'inclina devant Gaubert.

Monseigneur, bienvenue en Isgard ! Vous auriez dû me prévenir de votre venue ! j'aurai pris mes dispositions pour vous accueillir au château.
Billevesées ! Une petite promenade dans le bourg ne pouvait me faire que le plus grand bien. Et ne dit-on pas que l'air marin est vivifiant ?
Certes, certes ... Mais entrez donc, je vous en prie

Gaubert avança vers la salle, suivi de Roland et Paulin, le Sieur de Buthen fermant la marche. Ils arrivèrent dans un bureau, à la décoration sommaire. Quelques fauteuils entouraient une table basse laquée et un peu plus loin, un large écritoir encombré de parchemin muni d'un chandelier à quatre branches. Le comte prit place dans un fauteuil tandis que Paulin et Roland restait debout à ses côtés et que Jocelyn s'asseyait face à lui.

Il faut définitivement établir un accès plus direct entre le fief et Odélian, le détour par l'Etau est interminable. Une voie commerciale terrestre est essentielle et ...

Le rouquin réapparut, l'air ahuri semblait ne jamais quitter son visage.

Navré de vous déranger de nouveau, Messire. Y a encore un monsieur qui d'mande à voir l'responsable !
Eh bien voyez avec l'officier en chef.
L'est pas là. L'est à l'arsenal ...
Mais vous voyez bien que je suis occupé, Renaud !
Allons, Jocelyn, nul besoin de s'énerver. Faites entrer le visiteur, jeune homme.
Bien Monseigneur !

Renaud sortit pour revenir accompagné quelques instants plus tard.

Arrivé à bon port.

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Dimitrio Heraldi

Au 7ème jour de la 3ème ennéade
Favrius, mois d’automne
An 17 du XIème cycle

Dimitrio était un bon vivant. Notable de la cité libre de Tossalia, il avait été désigné comme enquêteur par la Comtesse Victoria di Maldi. Pourtant, enquêteur ne serait pas la fonction exacte qu’on pourrait lui attribuer. Il était parti vers le nord en étant bien plus que cela, et surtout, en ayant d’autres objectifs à atteindre.

Voguant depuis le port de Sybrondil, la cogue commerciale fit voile en longant les côtes sybrondes, scyléennes, mervalloises, langencines, Olyséennes, faisant halte par-ci, par-là pour le ravitaillement. Voilà donc qu’Isgard était bientôt en vue !

- Soit, faisons cela : nous demanderons le droit de passage à L’étau et remonteront le fleuve jusqu’en Oësgard-ville. Nous commencerons pour des salutations au baron et puis, nous mènerons l’enquête ! En attendant, il nous reste une journée à voguer, laissez-moi, j’ai besoin de me reposer.

Il était accompagné de quelques compagnons dont il se serait bien passé. Effectivement : la comtesse avait laissé l’opportunité à chaque investisseur de désigner un représentant de leurs intérêts.
Représentants qui accompagnèrent le bon vieux Dimitrio dans son périple qui le mènerait aussi bien en Oësgard qu’en Estrévent.

- Jules, viens ici.

Pouvait-on entendre le gras parler ainsi à son « serviteur ».

- Où est donc mon poulet ?!
- Nous… n’en avons plus à bord, messire…
- Qu’avons-nous donc encore ?!
- Quelques légumes ou fruits, tout au plus…
- Pfah ! Yark… Qu’on me trouve de la bonne pitance quitte à faire pécher les marins s’il le faut !
- Oui, messire.
- Mais avant cela, petit, viens ici !

Le jeune homme n’était pas si petit que cela et était plutôt âgée de dix-huit ans, mais son corps frêle laisse plutôt entrevoir un gamin de quinze. Le gras s’installa dans son confortable fauteuil, se détroussa légèrement de ses chausses avant d’attraper la tête du gamin pour la plonger entre ses deux jambes. S’en suit une scène qui sera ici, censurée.

Le lendemain :

- ISGARD EN VUE !

Voilà qu’ils y étaient enfin ! Hors de question de trainailler. L’autorisation de franchir l’Etau se devait d’être acquise rapidement et Dimitrio comptait bien l’obtenir avant le lendemain. Paré comme un pan, il marcha dans la petite ville, étant trimballé de gauche à droite comme un vulgaire sac à patates.

- MAIS OU SE TROUVES DONC LE RESPONSABLE ICI ?! JE SUIS LAS DE MARCHER !

C’est là qu’on le conduisit enfin à la capitainerie où un rouquin le fit annoncer. Mais ne fut-il point surpris d’être accueillit non seulement par le responsable de ce bled pourri mais également par le Comte d’Odélian ! Un large sourire aux lèvres, notre très cher Dimitrio n’hésita point à saluer les deux hommes correctement avant de poursuivre avec un :

- Messire le Comte, Votre Grandeur, mais quelle agréable surprise ! J’espère ne point vous avoir dérangé. Je puis repasser ultérieurement si vous le désirez.

Le rouquin était flanqué d'un obèse blond, qui semblait plus poudré et parfumé que sa fille Blandine, et pourtant c'était une précieuse celle-ci. Engoncé dans ses vêtements qui puait la surabondance d'argent autant que la lavande, le gros bonhomme effectua une révérence, un large sourire étirant ses lipes grasses entre ses bajoues brillantes de sueur. Le porc semblait avoir couru.

Messire le Comte, Votre Grandeur, mais quelle agréable surprise ! J’espère ne point vous avoir dérangé. Je puis repasser ultérieurement si vous le désirez.

L'accent était suderon. Comment Gaubert aurait-il pu douter qu'un tel paon vienne d'ailleurs ? Il étrécit les yeux pendant un instant, s'interrogeant sur la présence de cette sinistre et graisseuse engeance sur ces terres. Le Seigneur de Buthen observait son lige, prêt à bondir pour chasser ce gros volatile du bureau. Gaubert l'arrêta en levant la main calmement.

Vous ne nous dérangez point, je viens moi-même d'arriver. Pourrai-je savoir à qui ai-je l'honneur de m'adresser ? Vous m'avez reconnu mais je ne pense pas avoir eu le plaisir de vous rencontrer ... Monsieur ?

Après que le visiteur eut répondut, Gaubert se tourna vers Jocelyn, lui disant tout bas.

Il fait grand soif, mon ami. Avez-vous de quoi désaltérer des voyageurs qui ont enfin atteint leur but ?
Oui-da, Votre Grandeur

Joignant le geste à la parole, il fit mander Renaud le Roux et lui demanda d'apporter une bouteille de vin. Le jeune homme à l'haleine de fer marqua un temps d'arrêt dans l'ombre du gras visiteur, semblant réfléchir à l'ordre, (à moins que ce ne fusse son expression habituel qui sait) puis disparut à nouveau.

Et d'où venez-vous cher Monsieur ? Je reconnais une pointe d'accent du Sud, n'est-ce pas ?

Accent que certain disait mélodieux, Gaubert lui, avait la sensation qu'un troubadour maladroit faisait rimailler chacun de ces mots avec force insistance. Qui pouvait-il ce gros plein de soupe, si il y était né, il ne se rendait probablment pas compte de sa diction de pisse-froid.

Et que venez-vous faire en Odélian, cher ami ?

En réalité, le "cher ami" était plutôt en faveur du rouquin qui revenait avec une grosse bouteille verdâtre, scellée par de la cire et quelques larges gobelets en métal poli. Un petit sourire se dessina sous la barbe du Comte, comme à chaque fois qu'une promesse d'alcool était honorée.

Dimitrio Heraldi

Aaaah, à boire… Mais quelle excellente idée ! Dimitrio ne put que remercier le Comte de lui proposer une désaltération plus que méritée - mais surtout nécessaire -, lui qui avait fouillé le port de fond en comble pour trouver celui qu’il cherchait. Sa couche de gras, fort bien présente, ne l’avait en rien aidé à rendre cette balade agréable, bien à contraire. Peu habité à l’art de l’exercice physique, son corps n’en avait réagi autrement que par la prolifération d’une sueur nauséabonde qui, couplée à l’odeur de son surplus de parfum, rendait le mélange assez piquant aux narines de ceux point habitués.

- De Sybrondil, Messire le Comte. Nous venons de Sybrondil. De la cité libre de Tosalia, plus précisément, enfin… pour ma part.

Quant à la raison de sa venue… Il était clair que la comtesse ne serait point mentionnée ici. Même si c’était elle qui l’avait mandatée pour une enquête, la demande initiale venait des investisseurs assez inquiets des résultats qu’apportait l’Oësgardie. Celle-ci n’hésita donc point à exiger certaines choses de la part de Dimitrio; dont notamment le fait de taire son nom lorsqu'il le jugeait nécessaire.

- Nous nous rendons au pays de l’Oësgardie Messire le Comte. Et nous souhaiterions pour cela pouvoir remonter la Sirilya. Nous venons donc demander un droit de passage.

Sans doute allaient-il leur demander ce qu’ils allaient foutre là-bas, et même si Dimitrio estimait que cela ne les regardaient point, allait-il néanmoins avoir le choix ? Sa seconde interrogation se portait également sur la taxe que prévoit généralement l’Etau. Allaient-ils devoir s’en acquitter sachant qu’ils n’avaient aucune marchandise à bord ? Allaient-ils monter à bord du vaisseau et le fouiller de fond en comble ? Le Sybrond espérait que non. Après tout, il ne voulait pas que les hommes du Comte tombent sur ses chausses puantes.

De Sybrondil, Messire le Comte. Nous venons de Sybrondil. De la cité libre de Tosalia, plus précisément, enfin… pour ma part.

Ces suderons et leur suffisance qui supposait que dans le Nord on connaissait et avait quelque chose à faire de leur géographie ridicule. "Cité-libre", quelle appellation ridicule. Libre de verser des litres de parfum sur les bourrelets pour cacher l'odeur âcre de la sueur probablement. Au moins le comte savait où était Sybrondil et le moins qu'on puisse dire c'est que ce n'était pas la porte à côté. Un sacré périple qu'avait menait cet adipeux personnage.

Nous nous rendons au pays de l’Oësgardie Messire le Comte. Et nous souhaiterions pour cela pouvoir remonter la Sirilya. Nous venons donc demander un droit de passage.

Jocelyn servait les verres de vin, tandis que le sybron répondait à la question de Gaubert. Il avait beau être vêtu de riches atours et puer la violette, le gueux n'avait même pas prit la peine de se présenter. L'argent n'achetaient pas les bonnes manières, même au Sud qu'on disait aussi corrompus que l'Estrevent. Le comte se saisit de sa coupe et montra un siège vide au gros.

Allons, Monsieur, ne restez pas debout ! Je vous en prie, asseyez-vous.

Il charria dans son sillage des effluves aussi faisandées que florales, un mélange aussi désagréable que le faciès transpirant qui lui tenait lieu de masque. Lorsqu'il posa son large postérieur, il y eut comme un appel d'air qui envoya une nouvelle vague pestilante jusqu'aux narines de Gaubert. Il garda la face en se couvrant le nez de sa coupe, avalant une gorgée de vin pour ne pas garder l'odeur immonde sur la langue.

Puis-je vous demander ce que vous allez faire en Oesgard ? J'ignorai que les barons du Grand Nord avait des accords avec le comté des di Maldi.

Sale engeance que ces péquenauds à ce qu'on lui en avait dit. Comme tous suderons pourrait rétorquer l'érudit et il aurait sans doute raison.

Et pour le droit de passage, tout dépend de la teneur de votre commerce. Elle sera plus élevé sur un produit de luxe, surtout si vous n'avez aucun accord avec mes marchands. Isgard est un lieu de passage important aujourd'hui et j'ai décidé d'y faire développer les échanges pour servir la prospérité de mes terres.

Il but une nouvelle rasade de vin en observant le suintant bonhomme.

J'ai l'avantage de pouvoir fournir de quoi nourrir un bon tiers du royaume à moi seul.

Il avait peut-être un peu gonflé les chiffres dans son orgueil, mais ne parlait-on pas du Nord comme du grenier à blé de la Péninsule ?

Dimitrio Heraldi

Était-ce là une mauvaise compréhension ou le Comte d’Odelian essayait de la leur faire à l’envers tout en leurs adressant le plus beau des sourires ?

- Allons, Messire le Comte. Nous nous sommes mal comprit. Je me suis très certainement mal exprimé. Laissez-moi donc éclaircir tout cela !

Des explications étaient de mises, certes, mais après avoir vidé complètement la coupe de vin qu’on lui avait servi. Il avait soif bon sang !

- Je suis Dimitrio Heraldi, ambassadeur de sa grandeur Victoria di Maldi. Nous nous rendons en Oësgard pour raison politique, non point en tant que marchands souhaitant commercer !  

Le Comte avait parlé de vente de produits de luxe, comme si l’Oësgardie pouvait se permettre d’acheter d’aussi belles choses. Dimitrio en ria intérieurement mais il ne valait mieux pas qu’il exprime cette pensée à haute voix. Après tout : on disait sans cesse que les nordiens étaient si proches qu’ils en venaient à coucher entre fratrie. Peut-être que l’Odelian allait mal prendre qu’il se foute de la gueule de ces Oësgardiens.

- Nous souhaitons remonter la Sirilya pour pouvoir gagner un temps précieux. Ce droit de passage ne concerne donc qu’un simple aller-retour et n’est en rien une demande permanente.  

Le bougre s’était enfoncé aussi profondément qu’il essaya de s’extirper comme il le pouvait de ces sables mouvants.

- Point de commerce de produits de luxe avec l’Oësgardie Messire le Comte.  

Ce n’était point un mensonge, mais cela lui permettait d’éviter de dire la vérité.

Allons, Messire le Comte. Nous nous sommes mal comprit. Je me suis très certainement mal exprimé. Laissez-moi donc éclaircir tout cela ! Je suis Dimitrio Heraldi, ambassadeur de sa grandeur Victoria di Maldi. Nous nous rendons en Oësgard pour raison politique, non point en tant que marchands souhaitant commercer !

Gaubert haussa un sourcil, incrédule. Ce paon parfumé avait pourtant tout d'un marchand. Double menton du bourgeois qui s'enrichissait, soieries ostentatoires et fanfreluches autour du gloître et plus de bagues que de doigts. Le comte avait toujours trouvé que ces caractéristiques, qui témoignaient un goût douteux était l'apanage des riches commerçants du Sud.

Nous souhaitons remonter la Sirilya pour pouvoir gagner un temps précieux. Ce droit de passage ne concerne donc qu’un simple aller-retour et n’est en rien une demande permanente. Point de commerce de produits de luxe avec l’Oësgardie Messire le Comte.

Peut-être était-ce juste une impression, mais Prademont se dit que le gros Dimitrio ne lui disait pas tout. L'obèse siffla son vin en une fois, comme mal à l'aise. Ou bien avait-il le gosier sec à cause de l'effort que lui demandait de parler. C'est qu'avec le bon quintal qu'il trimballait sur le dos, le moindre geste pouvait lui valoir un accès de transpiration. Gaubert posa calmement sa coupe devant lui et fit un signe de la tête vers Jocelyn, pour qu'il la lui remplisse à nouveau. Il se gratta la barbe sous le menton, l'air pensif.

Etonnante histoire.

La coupe remplit, il la saisit en soutenant le regard porcin du sybron. Même si le pachyderme disait vrai, le comte se sentait d'humeur taquine avec le suderon.

Entreprendre un si long voyage par la mer pour régler des affaires courantes alors qu'une lettre officielle suffirait, cela me laisse perplexe.

Il sirota son vin lentement avant de reprendre, l'air légèrement accusateur.

Vous ne chercheriez tout de même pas à me tromper, Monsieur Heraldi ?

Tu bluffes, Heraldi.

Je suis sûr que vous comprenez mon scepticisme. Imaginez si j'arrivais face à votre suzeraine et que je lui disais "Oh je ne fais que passer vers Ydril".

Il but le reste de sa coupe d'une traite et la fit claquer sur la table.

J'aimerai inspecter votre navire ! Histoire de lever ce doute pernicieux. Et puis, on m'a dit que les bâteaux suderons étaient des merveilles d'ingénierie ! D'une pierre, deux coups !

Il se tourna brièvement vers les odélians qui l'accompagnaient.

Allons-y, messieurs. L'air marin nous fera grand bien ! Jocelyn, je vous retrouverai plus tard, nous pourrons finir notre discussion, je vous laisse travailler en paix.

Il se dirigea vers la sortie, lançant par-dessus son épaule.

Roland, faites que vos hommes se tiennent prêts !

Il jeta un regard vers Dimitrio, l'oeil rieur. Allez mon gros, on va marcher le long des quais !

Dimitrio Heraldi

Mais qu’est-ce que cela pouvait bien lui foutre, au p’tit Comte, ce que Sybrondil allait faire en Oësgard ?! Si jusque-là, Dimitrio s’était montré calme, enjoué, rieur et plus que jovial, c’était une tête toute autre qu’il affichait dorénavant : celui du suderon outré (attention, marque déposée).

Mais que pouvait-il bien faire d’autre que tirer la gueule ?! C’était le Comte pardi ! Et ils étaient sur ses terres ! C’était le Comte, bon sang ! Et s’était son Etau qu’ils voulaient passer !

- Si ma parole ne vous suffit donc pas, Messire le Comte, alors soit ! Allons donc fouiller mon navire !

Avait-il lâché sur un ton bien plus sérieux. Sa voix s’était faite plus grave et moins empreint à la sympathie. Le Comte pouvait aisément comprendre que cela ne l’amusait guère. Mais il n’avait d’autre choix que de le suivre jusqu’aux quais : encore de l’exercice ! Décidément, Néera elle-même semblait s’être liguée avec ce baronnet de service pour que ce gros porc perde un peu de sa réserve de graisse !

Et au plus l’effort était de mise, au plus Dimitrio tirait la gueule...

- S’pèce de merdaille, d’chiabrena, d’enflure, d’sac à vin, d’boursemolle, d’truandaille de première et puis merde à tous ces nordiens !  Se mit-il à penser sans émettre un seul son d’entre ses lippes.

Les voilà enfin arrivés au navire !

Et quel navire parbleu !

Une perle Sybronde !

Un bijou de technologie !

Dimitrio avait ainsi la joie de présenter à Messire le p'tit Comte une… petite fuste.

- Nous y voilà Messire ! Si vous vous attendiez à de l’extravagance, point ici ! Répliqua-t-il en invitant sa grandeur à montrer à bord. Voici le pont ! Et là, mes appartements privés ! Et si vous souhaitez inspecter la cale, c’est par-là ! Faites attention à ne point glisser ! Sottard ! Voulait-il ajouter, mais il s’abstint de le faire.

Dimitrio laissa ainsi le bon soin au p'tit Comte de fouiller le navire tandis qu'il tirait toujours autant la gueule.

En avant toute ! Gaubert, suivi de Roland et ses gardes, ainsi que de Paulin son clerc, marchait sous les embruns et le ciel gris d'Isgard en compagnie de l'ambassadeur sybron. Le gros lard semblait contri de devoir déplacer sa lourde caracasse mais le comte, lui, savourait cette petite balade le long des quais. Frégates et cogues s'alignaient calmement en faisant clapoter l'eau salée contre leurs coques. Ils dépassèrent divers équipages, venant de toute la Péninsule et d'Estrevent, pour arriver enfin face à ce que Gaubert avait appelé plus tôt "une merveille d'ingénierie".

Une fuste moisie. Certes le pont était impeccablement ciré, les voiles soigneusement pliées autour du mat et les rames relevées et rentrées dans leurs écoutilles, mais on était loin de la prestance de la caraque qu'il s'était imaginé. Il ne s'attendait franchement à rien, mais il était tout de même déçu. Vu le faste pompeux qu'arborait le goret parfumé, cette coquille de noix était une drôle de monture. Un chevalier en armure chevauchant un mulet. Ne laissant rien transparaître, il se tourna vers Dimitrio lorsque celui-ci s'exclama.

Nous y voilà Messire ! Si vous vous attendiez à de l’extravagance, point ici !

Il jaugea le gros bonhomme de la tête aux pieds, les sourcils levés. L'extravagant c'était lui, pas besoin de la chercher. Les odélians montèrent à bord, tandis que le sybron poursuivaient la visite.

Voici le pont ! Et là, mes appartements privés ! Et si vous souhaitez inspecter la cale, c’est par-là ! Faites attention à ne point glisser !

Il fit un geste de la main vers Roland, qui envoya des gardes dans la cale, inspectant le fond du navire à la recherche de quelques denrées que ce soit. Le gros tas semblait confiant, peut-être n'avait-il réellement rien à bord de son bateau. Où alors dans sa cabine ? Il ouvrit la porte des appartements privés.

Oh par Tyra !

Il reclaqua la porte vivement. Par les Cinq, la pièce sentait littéralement le cul. Le céans, le fion, la raie et un peu le foutre. La piaule daubait à un niveau qui aurait pu vous déchausser les dents tellement cela vous agressez les narines. Les porcs massèrent dans une fange odorante, Dimitrio ne faisait visiblement pas exception. Même rapide, le coup d'oeil qu'il put glisser ne lui avait révélé qu'une cabine relativement normale, hormis une grande table à manger qui pouvait dissimuler la bedaine de la baleine en collants. Le comte comprit alors l'excès de parfum que le sybron aspergeait sur ses bourrelets.

Roland remonta le petit escalier, flanqué de deux de ses guerriers.

Rien à part un peu de nourriture, Monseigneur.

Gaubert opina du chef, le sybron avait dit vrai. Gras mais pas menteur, un genre rare en Odélian. Il toisa le sieur Heraldi, qui se tamponnait les tempes qui suintaient. Il avait envie de continuer à s'amuser avec le ventripotent, comme la petite brute dans la cour d'école qui harcèle le petit gros. Il vint lui mettre une tape sur l'épaule, un grand sourire sous la barbe.

Ma foi, Monsieur. Veuillez excuser ma méfiance à votre égard ! J'espère que vous ne m'en voulez pas !

Il regarda sa main, moite d'avoir touché les habits du gras double et poursuivit en la secouant discrètement.

Laissez-moi organiser votre ravitaillement en nourriture pour me faire pardonner. Paulin ?!
Oui, Messire.
Il y a bien un grenier sur le port ?
Oh oui, par là, à quelques minutes de marche ...
Parfait !! Allons-y

Il prit Dimitrio par le bras et l'emmena sur la rampe qui menait à la fuste pour retrouver la terre ferme. Le contact du sybron était répugnant tant les vêtements collés à une peau grasse et humide, mais Gaubert était prêt à faire ce sacrifice.

D'ailleurs tant que nous y sommes, peut-être pourrions-nous évoquer un accord commercial entre nos deux comtés. On m'a vanté vos perles et la finesse de votre huile !

Allez bouffi, on va te faire perdre un peu de couenne ! Et si son coeur de goret ne lâchait pas, la discussion tournant autour d'un accord commercial juteux pouvait aboutir à une belle somme d'argent. La journée s'annonçait amusante.

Dimitrio Heraldi

Ah le voilà donc bien mal le p’tit Comte ! A avoir ainsi contraint à une fouille alors que la parole aurait simplement suffit ! Le voilà dorénavant avec les narines défectueuses et Dimitrio en aurait bien rit jusqu’à la mort si cela n’aurait pas entraîné un incident diplomatique !

- Ça t’apprendra coquebert ! Pensa-t-il alors qu’il afficha un large sourire lorsque le Comte vint à s’excuser.

Il n’espérait plus qu’une chose maintenant : qu’il lui souhaite bon vent en lui fournissant un papier précieux pour son passage à l’Etau. Mais que nenni ! Le voilà qu’il voulait déjà l’emmener ailleurs ! Alors qu’il n’eut même point le temps de reprendre son souffle, ce bougre !

Cependant, l’énonciation d’un grenier rempli de denrées autres que des fruits et légumes en vint à donner suffisamment de courage au gros lard pour se bouger encore un minimum.

- Jules ! Tu m’accompagnes ! Les autres, attendez-moi ici.

Voilà qu’il suivi à nouveau le comte, à ses dépens : il avait déjà sué comme un gros porc, voilà maintenant qu’on le ferait suer comme un kerkand.

- On vous a bien vanté Messire le Comte ! Nos perles sont les plus belles d’entre toutes. Les plus nobles dames se les arrachent. Tandis que notre huile donnera un goût de soleil à vos plats même si… je dois vous faire une confidence : je préfère largement le beurre nordien.  

Voilà qu’il tapa la causette au Comte tout au long de la promenade. Vantant les deux produits évoqués, racontant leurs histoires mais aussi quelques aspects techniques de récolte sans pourtant en révéler tous les secrets : après tout, il fallait rester prudent !

Au plus la destination approchait, au plus Dimitrio semblait manquer de souffler. Lorsqu’on lui proposera de faire un arrêt pour souffler, il se releva soudainement et afficha un air tout à fait serein, tâchant de cacher au mieux le fait qu’il était littéralement en train de manquer d’air.

Jules quant à lui, traînait à l’arrière du groupe, à une bonne vingtaine de mètres, suffisamment proche pour entendre le moindre ordre de son maître mais suffisamment loin pour laisser de l’espace à ces grands hommes.

Voilà le grenier à denrées enfin atteint ! Le large sourire qu’afficha Dimitrio semblait être à moitié crispé. Puis, il vint poser une main sur l’épaule du Comte avant de tenter d’y prendre appui, sentant ses jambes le lâcher. Il tomba net aux pieds de Gaubert.

Son cœur ne battait plus.

Jules, toujours à distance, vit la scène et se mit à pâlir en voyant les hommes s’afférer autour du gros lard qui ne bougeait plus. Ses yeux se mirent à s’embrumer puis il hurla :

- SIGNIORE ? SIGNIORE ?? SIGNIOREEE !

Il en fallait pas plus pour qu’il prenne ses jambes à son cou. L’on avait jamais vu telle gazelle, détalant comme jamais pour rejoindre le bateau suderon.

- MORTO ! È MORTO !

Les autres Sybronds, restés sur le bateau, le virent arriver de loin, courant à toute allure. Lorsqu’il arriva à leur hauteur, montant à bord, on lui coupa la route.

- Ola petit, calme-toi ! Que se passe-t-il ?
- Le signiore… Le Signiore… morto…

Il n’en fallu pas plus pour que les Suderons se mettent sur le qui-vive et sortes leurs épées de leurs fourreaux, prêts à en découdre si jamais on venait leurs chercher des noises. Que pouvaient-ils bien faire d'autre? Le Seigneur était parti sans son escorte, faisant ainsi totalement confiance à son hôte; le Comte. Et voilà qu'on l’annonçât mort, et la trouille que démontrait ce pauvre petit Jules laissa penser à une attaque...

- Préparez-vous à lever le voile, Capitano !

Les voilà partis, bras dessus, bras dessous, le Cygne et le Gras-Double, devisant des produits de Sybrondil comme deux compères aux visages amicaux.

On vous a bien vanté Messire le Comte ! Nos perles sont les plus belles d’entre toutes. Les plus nobles dames se les arrachent. Tandis que notre huile donnera un goût de soleil à vos plats même si… je dois vous faire une confidence : je préfère largement le beurre nordien

Un petit rire résonna de sous la barbe du comte. Le regard complice, il tapota doucement du coude dans les bourrelets de Dimitrio.

Il faut que vous goûtiez nos fromages alors. Nous avons quelques fromagers capables de faire merveille avec le lait !

Ah ça ! Il fallait avouer qu'avec la quantité de lait que les vaches odéliannes donnaient, les gueux avaient réussi à se perfectionner dans diverses techniques d'affinage. Et même si certains sentait au moins autant que la cabine du sybron, la majorité valait le détour pour quelques papilles curieuses et expertes. Et vu le tour de ventre du bonhomme, ses papilles devaient faire la taille d'un poing fermé. Gaubert était sûr qu'il apprécierait.

La silhouette massive du grenier leur faisait face lorsque le gros puant parfumé posa une main légèrement crispé sur l'épaule du comte. Il avait le teint livide, même pour un cachalot. Il sentit la masse s'affesser sur lui et dans un réflexe dû à son instinct de survie, il fit un pas en arrière pour ne pas être écraser sous le poids de la barrique. Et le voilà, face contre terre, le cul en l'air. Qu'est-ce que foutait ce gros tas ? C'était bien le moment de faire le mariole ! Gaubert observa l'image un instant, circonspect.

Avez-vous trébuché, Monsieur ?

Gaubert tâta du pied la baleine échouée sur le pavé, tandis que les gardes se rassemblaient autour de lui. Le petit bonhomme qui les avait accompagné se mit à beugler dans son patois ridicule de sudron, visiblement paniqué par la farce.

SIGNIORE ? SIGNIORE ?? SIGNIOREEE ! MORTO ! È MORTO !

Et il détala comme un fou, en beuglant ses inepties. Comment ça "morto" ? Il était pas morto du tout, ce gros machin. Il tourna le regard vers ses gardes.

Retournez-le.

Les soldats du comte le regardèrent, visiblement sceptique sur la méthode à suivre pour retourner une vache sur le flanc.

Eh bah ... Mettez-vous à plusieurs. Retournez-le !

Six ! Ils s'y mirent à six, faisant rouler Dimitrio sur le dos. Ah bah il était peut-être morto le con ... Gaubert eut envie d'exploser de rire. Ils avaient marcher quatre à cinq minutes à plat, et le gras du bide en avait claqué. Par la Damedieu, quelle farce digne des meilleures comédies de Poquelère ! Au loin, on entendait encore le sybron beuglait. Aussi cocasse que pouvait être la situation, il y avait peut-être encore un moyen de sauver Heraldi. Le comte mit un genou en terre et se pencha au-dessus du sybron inanimé. Il passa sa main sous le nez, constatant que l'air ne sortait plus du groin. Il posa deux doigts sur la carrotide, les enfoncant dans la graisse en charchant vainement un pouls. Sale merdaille. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, puis il redressa la tête vers Roland.

Allez quérir un médecin, vite ! Et rattraper l'autre sagouin qui hurle comme une pucelle là !
Seigneur Gaubert, il y a peut-être un moyen ...
Paulin ?
J'ai un frère qui est médecin, il a étudié à Serramire pendant huit ans, à l'académie de médecine ...
LES FAITS PAULIN !
Oui, Messire, mes excuses ... Il disait qu'on pouvait faire repartir un coeur si on le stimulait en frappant sur le sternum d'une personne.

Le comte arquait un sourcil, peu convaincu.

Vous vous foutez de moi !
Je vous assure, votre Grandeur ! Il faut frapper là.

Toujours pas convaincu par le clerc, Gaubert tourna les yeux vers Dimitrio, le teint blême. Après tout, ça ne pouvait pas être pire. Il ferma le poing et tapa à l'endroit qu'indiquait Paulin. Il n'y eut d'autres effets que de faire balloter les seins d'homme du gros sybron. Les sillons de graisses qui ondulaient ressemblaient aux ronds dans l'eau lorsqu'on y jette un caillou.

Marche pas vot'truc.
Plus fort, Messire, plus fort !

Il frappa à nouveau. Rien. Puis une troisième fois, y mettant plus de force que les deux fois précédentes. Le comte inspecta autour de lui, il n'y avait toujours pas de médecin en vue. Il donna une nouveau coup dans le plexus, si ça ne marchait pas, il aurait un cadavre sybron sur les bras ...

L’agitation était de mise sur le bateau. Chacun s’affairait à lever l’ancre le plus vite possible tandis qu’Alessandro poussa Jules contre le mat principal, le tenant fermement contre celui-ci.

- PARLES ! Que s’est-il passé ?!
- Je… je… je sais plus…
- Souviens-toi !

Autour d’eux, les marins connaissaient une certaine cohue mais personne jusqu’à présent ne s’étaient encore bousculé. Les cordages filaient, les voiles tombaient, tout était mis en œuvre pour un départ rapide.

- On allait vers la réserve de nourriture… on… marchait vite puis devant l’entrée, j’ai vu… j’ai vu…
- Tu as vu quoi ?!
- Le Signiore… il s’est approché du Comte et… et…
- ET ?!
- Il est tombé net, je n’ai rien vu. Un coup de poignard ou que sais-je mais il est tombé net aux pieds du comte.
- Pourquoi ne l’as-tu pas défendu ?!
- Je… je ne savais pas… j’ai eu peur… j’ai couru aussi vite que j’ai pu…
- VILE !

Les yeux du domestique s’étaient embrumés tant la peur l’avait prise aux tripes. Voilà qu’Alessandro avait une idée de la situation… mais quelle situation au juste ? Le gamin les avait prévenus de la mort de Dimitrio mais il ne savait donner aucun détail de plus. Était-il bien mort d’ailleurs ? Un type qui tombe net ne voulait pas forcément dire qu’il était bon à enterrer. Voilà que le doute commença à embrumer son esprit, lui qui était initialement chargé de la protection de ce seigneur, voilà qu’il avait échoué à sa tâche, tout ça parce que ce gros lard faisait trop confiance à ce pédérastre de nordien.

Que devait-il faire maintenant ? Était-il mort ? Était-il vivant ? Était-il peut-être même prisonnier ? Le royaume était en paix depuis bon nombre d’années mais on pouvait s’attendre à tout de ces nordiens.

Pendant ce temps, à plusieurs minutes de là se trouvait Dimitrio, allongé au sol, le bide tourné vers le ciel. On pouvait se demander s’il n’était pas en train d’affronter une tempête tant sa masse grasse ondulait sous les assauts du Comte.

- Marche pas vot'truc.
- Plus fort, Messire, plus fort !

Malgré les assauts de Gaubert, Dimitrio ne démontra aucun signe de vie.

- Le médecin ! Il est là !

Un homme habillé pauvrement arriva avec une petite male qui contena tout un tas de fioles remplies d’herbes.

- Expliquez-moi ce qui s’est passé.
- Il est tombé, soudainement.
- Il est énorme…
- Je vois que vous avez une bonne vue ! Pouvez-vous faire quelque chose ?!
- Je vais essayer.

Et l’homme s’affaira à reproduire les mêmes gestes que pratiquaient le comte tout en faisant avaler on ne sait quel liquide au Suderon qui resta toujours immobile. Après une bonne dizaine de minutes à s’acharner, le verdict tomba :

- Je n’ai rien pu faire. Il est mort.

Au port, l’ancre était prête à être levée. Alessandro jeta un œil au quai et se demandait encore s’il était en train de prendre la bonne décision.

Le médecin arriva enfin, courant derrière deux des gardes du Cygne, portant une mallette en cuir usé. Le gros lard restait étendu, visage et bedaine vers le ciel, les yeux clos. À peine arrivé, l'apothicaire s'agenouilla près du corps bouffi en échangeant avec Paulin pour savoir les circonstances de l'incident. Gaubert le vit alors reproduire les mêmes gestes qu'il avait prodigué quelques instants plus tôt, avec tout de même une plus grande délicatesse pour la cage thoracique du sybron. Le comte avait tambourinné comme un sourd, voyant que la manoeuvre ne donnait rien. L'homme entrecoupait les coup sur le plexus par le versement de fioles au liquide trouble dans le gosier volumineux de Dimitrio qui continuait de rester affalé sans vie sur les pavés qui faisaient face au grenier. Les badauds s'arrêtaient autour d'eux pour observer le spectacle, curieux comme des pies.

Eparpillez-moi ces abrutis.

Le comte avait murmuré les mots à l'intention de Roland, qui après avoir hoché la tête envoya ses hommes disperser la foule. Le médecin se redressa alors, la mine grave.

Je n’ai rien pu faire. Il est mort.

Gaubert se frappa le front avant d'exploser de rire.

HAHAHAHAHAHA ... Par le con de la Damedieu ! HAHAHAHAHAHAHA !

Il était morto le gros finalement. Incroyable, personne ne le croirait lorsqu'il raconterait la fable du sybron obèse, mort d'avoir marché. Des larmes naquirent aux coins de ses yeux, tellemnt le fou rire l'emportait et le faisait se plier en deux. Il lui fallu une bonne minute pour réussir à reprendre contenance, même si un ricanement incontrôlable le faisait trésailllir tandis qu'il observait le corps blafard du marchand ventripotent. Tyra lui avait joué une bien vilaine farce, mais Gaubert avait envie d'applaudir tellement le comique de la situation était inattendu. Le comte s'essuya une larme qui perlait sur sa joue avant de se tourner vers le médecin.

Merci de vous être déplacer, Monsieur ... huhu ... Pourriez-vous osculter le corps afin de dire comment est mort ce ... huhuhu ... brave marchahaha ...
Euh ... Oui votre grandeur, mais il faudrait le transporter jusqu'à chez moi ... Et vu son envergure je ...

Un quinte de rire reprit le comte, arrachant même un sourire au médecin qui lui aussi goutait la cocasserie de la situation. Il retrouva bien vite un visage de marbre, l'air grave, ce qui amusa encore plus  le comte qui luttait pour ne pas exploser d'un nouveau rire tonitruant. Il se tourna vers Roland et pointa le grenier du doigt.

Allez me chercher un chariot à bras ou une brouhéhéhétte ... Il faut transporter le malheureux chez le méhéhédecin

Et puis, l'image du petit bonhomme qui avait hurlé avec sa voix de castrat à la mort dans les rues qui menaient au port revint en tête de Prademont. Si l'éphèbe, probablement sodomite au vu de la façon qu'il avait de remuer du croupion lorsqu'il marchait, avait atteint son rafiot et qu'ils avaient levés l'ancre, Sybrondil pourrait bien prendre la mouche en s'imaginant que la mort du gros puant était de son fait.

Roland ! Je compte sur vous pour amener l'équipage jusqu'au corps de leur héhéhé défunt capitaine. Faites vite, ils ne doivent pas prendre la mer ! Laissez-moi quatre ou cinq gardes et occupez-vous en en personne ! Allez !!

Et Roland se précipita, flanqué de trois de ses hommes jusqu'au port, espérant pouvoir retenir l'équipage sybron qui devait déjà s'être mis en branle. Pendant ce temps, Paulin revint du grenier avec les gardes chargés de ramener de quoi transporter l'énorme corps inerte. Le clerc poussait une large brouette à fond plat et à la roue épaisse et cerclé de fer. Un nouveau ricanement résonna sous la barbe du comte, avant d'essayer de donner ses ordres.

Messieurs ... Il va falloir être coordonnés héhé ... Au compte de trois, nous levons bras, jambes et tête en même temps et vous Paulin, vous glissez héhéhé la brouette sous le corps.

Gaubert attribua à ses gardes et au médecin quelle partie du corps lui était attribué et se saisit d'un bras. Par les Cinq, quel jambon !

Tout le monde est prêt ? Un, deux, trois !!

À grands renforts de cris pour se donner du courage, le groupe réussit à soulever le cachalot échoué dans la rue pour le mettre dans la brouette. L'essieur grinça au moment où ils le lachèrent, mais il tint bon. C'est donc en roulant que Dimitrio effectua son dernier voyage jusque chez le médecin.

- JAMAIS ! Pouvait-on entendre crier un Sybrond présent sur le bateau, prêt à en découdre s’il le fallait.
- Calmez-vous donc ! Rétorqua Alessandro.
- Messieurs. Je me dois de vous rappeler que nous ne sommes pas ennemis. Je suis envoyé par le Comte lui-même pour tâcher qu’aucun départ précipité ne soit dû à un quelconque malentendu.
- Un malentendu ?! Notre Sire est mort ! Vous appelez cela un « quelconque malentendu » ?!
- Sa mort n’est pas de notre fait, croyez m’en !
- Je l’ai vu s’écrouler aux pieds de votre Comte alors qu’il s’est était approché ! Rien ne nous prouve le contraire !
- Et rien ne prouve notre culpabilité ! Faites donc attention à vos mots, jeune homme ! Vous êtes en train d'accuser le Comte d'Odélian!
- MENSONGE !
- Calmes-toi Jules ! Tout de suite ! Que proposez-vous donc pour nous prouver l’inverse ?
- Venez récupérer le corps de votre défunt. Ramenez-le auprès de sa famille et des siens et faites le examiner.

Un silence s’installa puis Alessandro s’empressa de marmonner quelques ordres puis descendit du bateau accompagné de quelques gardes.

- Nous vous suivons.

La marche fut courte jusqu’à l’endroit où le Comte avait décidé de faire reposer le corps. Une fois face à lui, la première réaction d’Alessandro aura été de réciter une rapide prière avant d’examiner de plus près le gros tas qui gisait devant lui. Aucune blessure ayant entrainé une coulée de sang, aucun signe d’empoisonnement… soit ces nordiens étaient vraiment fort au jeu du meurtre sans laisser de traces, soit effectivement, la mort venait d’ailleurs. Malheureusement, Alessandro n’était point médecin, encore moins prêtre de Néera possédant un don. La seule chose qu’il pouvait donc faire était de préparer le corps à un long voyage et le ramener en bon port.

- Nous allons donc l’emporter et nous ferons part de nos observations ainsi que du drame à sa Grandeur. Vous aurez très certainement des nouvelles de sa part très bientôt.

Les Sybronds repartirent alors avec le corps du Sieur, à l’aide d’un chariot qu’ils embarquèrent sur le bateau qui fit bientôt voile vers le sud.

Fin du RP