Pari truqué [Aerianna]

Je penchais la tête en arrière et réprimait un bâillement. Tellement ennuyeux….
J’écoutais à moitié l’homme qui parlait tout seul depuis cinq longues minutes. J’étais marchand, les négociations je connaissais. Mais lui en face de moi, il avait l’art de m’endormir avec son argumentaire, s’en était affligeant.

Il occupait une parcelle de terrain entre Thaar et Baaz’hima que je trouvais fort intéressante. Des terres qui,bien gérées, pouvaient sans doute générer d’immenses profits. Seulement cet idiot y avait installé ce qui semblait être une auberge, une bicoque branlante qui ne tenait encore que par miracle. Personne ou presque ne devait s’aventurer dans ce bouge et c’était un gâchis inimaginable.

J’essayais depuis maintenant de longues heures de le convaincre de me vendre ce fichu terrain pour une petite somme qui me semblait déjà faramineuse mais il n’en démordait pas. Vexé, il s’était mis à faire la liste de ses ancêtres pour me prouver que son établissement moribond était dans sa famille depuis l’aube des temps, qu’il ne le vendrait pas contre tout l’or du monde etc etc…

Sauf que je m’en fichais. Ce terrain, je le voulais, je l’aurais. Seulement, pour nous deux, l'option pacifique était la meilleure. ça ne tenait qu'a lui.

Pris d’une impulsion, je l’interrompis soudain d’une voix forte.

-Et vos enfants, n’en ont-ils pas assez de manger à peine à leur faim ? Il me semble que vous avez une fille. Je crois qu’elle préférerait largement être parée d’or et d’argent que de boue… Soit vous gardez vos terre et vous regardez votre lignée péricliter, soit vous laissez des plus compétent prendre les choses en main.J'étais agacé.  Et agacé je n’allais pas continuer ce bras de fer inutile. Je me levais de mon siège. Vous avez jusqu’à demain soir pour décider. J’ajoutais ensuite dans un soupir. Le palais de Baaz’hima se tient à votre disposition jusque-là…

Je fis un geste, des esclaves virent s’occuper du marchand. Moi je ne lui prêtais plus aucune attention.

Je partais me détendre pendant un heure ou deux dans mes termes. Je pris cependant soin avant cela d'envoyer Elsbeth chercher Aerianna pour lui proposer de dîner avec moi ce soir. Je n'avais pas encore vue mon invitée aujourd'hui...

La vie de palais avait tout de la vie de palais, où que ce palais se trouve, et quand je n’étais pas avec Ethirëlon je m’ennuyais particulièrement. Les thermes, les jardins, une chambre, un salon, les jardins, les thermes, un salon, une chambre, un salon, les jardins… parfois les chambres et les salons n'étaient pas les mêmes, d’ailleurs. Il y avait les esclaves aussi, que j’ignorais la plupart du temps, surtout quand je n’avais pas d’idée d’ordre à leur donner. Mais au moins cet ennui était nouveau, au moins je pouvais encore me perdre dans un couloir et me demander où menait cette porte là, cet escalier ci… et il n’y avait pas le risque de tomber sur ce regard qui ne reflétait qu’une honte intense au détour d’un couloir, ou cet être argenté qui suggérait une nouvelle séance de soins odieux, sous la surveillance d’une assemblée qui ne venait sûrement pas que pour que je me remette.

La décision avait été la bonne, vraiment.

J’avais croisé l’homme qu’Ethirëlon recevait à cet instant, il s’était comporté comme la plus important des personnes qui avait mis les pieds dans ce palais depuis Ethirëlon lui-même, et il m’avait prise pour autre chose que ce que j’étais. Il avait fière allure, mais je savais qu’il n’avait aucune chance, sans même savoir ce qui serait discuté, sans même savoir pourquoi Ethirëlon lui donnait une entrevue, car il était loin d’être fait du même bois, et s’il possédait quelque chose que le Prince de Baaz’Hima désirait, il le perdrait simplement. Ce n’était pas ce que mes mots reflétaient quand je lui avais adressé la parole, je lui avais même souhaité bonne chance, et il avait souri. Je m’étais repliée dans mes quartiers, alors, pour une toute autre chose. J’essayais, de temps en temps, je continuais d’essayer, avec un peu d’espoir, pas beaucoup. Mais même si tout venait à changer, même si ça fonctionnait à nouveau, je n’étais pas sûre de vouloir quitter ce palais.

On toqua à ma porte, à cet instant, et je tirai une couverture avant de voir Elsbeth apparaître. Je ne la voyais pas beaucoup, elle était l’esclave d’Ethirëlon, et quand elle apparaissait je savais que c’était sous ses ordres directs. « Tu veux peut-être m’aider… » Je plaisantai, avant de repousser la couverture et de me lever pour me poster devant elle sans la moindre pudeur. « Qu’est ce que Prince Ethirëlon veut de moi Elsbeth ? Je vais avoir besoin d’une autre robe ? » Il y avait quelque part dans la chambre celle que j’avais enfilée la première fois, après être passée aux bains, mais il y en avait sûrement un peu partout, des différentes, et peut-être qu’Elsbeth aurait une bonne idée. Ce n’était pas gagné, bien sûr, et ce qui m’intéressait vraiment était ce qu’Ethirëlon me montrerait aujourd’hui. L’ennui n’existait pas à ses côtés, car il avait la même aversion que moi pour ce concept qui était simplement insupportable.

Elsbeth sembla hésiter un instant. Sans doute se demandait-elle si elle avait le droit de faire entendre sa voix. Et puis finalement  elle fini par oser :

-Mon prince souhaite vous inviter à dîner Madame. Fit-elle d'une voix qui, malgré l'avis du maître du palais, n'avait rien de désagréable.

Jusqu’à présent la tête penchée vers ses pieds dans l’attente d’une réaction après qu’elle eut dérangée la dame,  elle releva son visage vers Aerianna. Un sourire éttira ses lèvres alors qu'Aerianna put alors se rendre compte que l’esclave avait la tempe et le bas de sa lèvre tuméfiés.

Elle souriait pourtant. Et après un petit silence elle enchaîna.

-Je suis à votre service. Je doit vous guider jusqu'à la salle où vous sera servit votre repas. Fit-elle avec peux être un peu trop d’entrain. Elle ne semblait pas gênée par la nudité de la princesse. Mais en attendant, je peux vous habiller, vous coiffer, vous tenir compagnie jusqu’au dîner, tout ce que vous désirez. Elle ajouta: Si votre garde-robe ne vous convient pas, je peux m’arranger pour qu’elle soit changée. Cependant nous n’aurons pas le temps de faire venir un tailleur avant le dîner.

Et faire attendre Ethirëlon était une très mauvaise idée. A nouveau elle fixa Aerianna, attendant un ordre , ses fragiles menottes sagement croisées devant elle. Son expression ne changea pas une seconde.

Un dîner, une merveilleuse idée, plus merveilleuse en tout cas que toutes les idées que j’avais eues dans la journée.

Mais la pensée s’envola alors que je vis le visage de la jolie esclave se relever. J’avais choisi la bonne personne, j’avais vraiment choisi la bonne personne, et j’avais envie de sautiller partout comme une gamine. Il y avait une pointe de jalousie, tout de même, mais il y avait aussi l’assurance que ce pouvait être un futur. Elsbeth dut se demander ce qui me rendait si heureuse alors qu’un sourire s’était affiché sur mes traits à peu près en même temps que le sien, mais elle continua de remplir sa tâche admirablement. Enfin, c’était faux, je savais qu’elle était à mon service, je savais ce qu’elle pouvait faire, et je savais que si autre chose m’intéressait je pouvais aussi l’avoir, mais les marques sur son visage m’avaient rendu d’assez bonne humeur pour que je ne lui fasse rien remarquer. Et pour que je ne m’offusque pas d’avoir été prévenue trop tard pour pouvoir avoir accès à toute l’hospitalité des lieux.

Je ne répondis pas tout de suite, trop occuper à la détailler du regard, mais un instant plus tard je me rapprochai d’elle. Une main vint se poser sur sa nuque pour la saisir, une main vint appuyer doucement sur sa tempe, et je lui offris un baiser d’une intensité qu’elle ne devait pas connaître souvent, ne m’interdisant pas de lui mordiller la lèvre là où elle avait reçu un ou plusieurs coups. Je me détachai d’elle, comme si de rien n’était, en murmurant un seul mot. « Merci. » Et après un ou deux pas en arrière je la détaillai à nouveau, fière de mon coup mais déjà passée à autre chose. « Ma garde robe me va, pour l’instant, fais venir le tailleur dans la soirée, tard, je ne sais pas combien de temps durera ce dîner. Et je vais avoir besoin d’être présentable, coiffe-moi mais garde mes cheveux détachés, et ne m’habille pas tout de suite, assieds-toi là, sur le lit, regarde moi simplement. Quand l’heure du dîner sera presque là je t’autoriserais à m’habiller. »

Elle me coiffa puis je ne fis rien de plus que m’allonger sur le lit, à attendre, incertaine d’à quel jeu je jouais.

Je ne sus pas combien de temps l’attente dura, mais elle m’habilla ensuite avant de me guider à travers les couloirs du palais. Elle savait où elle allait, et c’était directement à Ethirëlon qui avait assurément fini son entrevue. Tremblait-elle à l’idée de se retrouver à nouveau en face de lui ? Ou est ce qu’on partageait un certain goût pour ces choses là ? S’il s’avérait que c’était le cas, deviendrait-elle ma compétition ? Non, c’était idiot, elle n’était qu’une esclave. Mais n’étais-ce pas à ça que j’aspirais quasiment ? Une esclave qui n’en avait pas le nom, peut-être était-elle plus intéressante ? Les questions défilaient, si bien que je ne vis rien du voyage. La porte qu’ouvrit Elsbeth était la dernière et je fus la seule à m’avancer dans ce qui devait être une seule de plusieurs salles à manger. Il n’y avait qu’à Geresh qu’on n’en avait qu’une, j’imaginais, habituée à être déçue par chaque comparaison. Autant en inventer de nouvelles, pour m’habituer.

Elsbeth guida Aerianna jusqu'à la salle désignée par son maître. Les yeux rivés au sol, elle tenait difficilement son sourire. Sur son visage se lisait de la honte. Pourtant, il avait suffit qu'elle frappe à la dernière porte pour que cette dite honte soit dissimulée par un air plus neutre.

J’étais perdu dans mes pensées lorsque la porte de la grande salle s’ouvrit. Mon menton quitta soudain l’appui de mon poing alors que je me redressais.

J’aperçus alors la princesse de Geresh. Mon sourire revint bien vite. Je ne l’avais pas attendu bien longtemps, j’étais satisfait de noter cela.

-Aerianna ! La saluais-je avec enthousiasme.

Je me levais et m’approchais d’elle. J’étais véritablement soulagé de l’avoir ici. Elle allait surement trouver un moyen de tromper l’ennui de cette journée horripilante. Elle devait trouver un moyen. Je la voyais comme un divertissement comme un autre. Si ce n’est qu’elle, je n’en avais pas encore épuisé toute les possibilités.

Avec une feinte innocence, ma main alla se poser sur son avant-bras. Il y eut un tout petit moment de flottement avant que je ne recule et ne l’invite à entrer plus avant dans la salle.

-J’espère que tu n’as pas trop abîmé ma servante plus qu’elle ne l’est déjà. Je plaisantais comme si je parlais de la pluie et du beau temps. Il s’avère que cette idiote a fait une mauvaise rencontre en sortant en cachette du palais. Heureusement que ma garde n’était pas loin sinon je ne donnais pas cher de sa peau.

C’était totalement faux. Je me doutais cependant qu’Aerianna avait dû se poser des questions à propos du visage violacé de mon esclave et s’il y avait un risque qu’elle ne me croit pas, je n’avais pas l’intention de lui laisser entendre que j’avais décidé d’envoyer un message clair à mes servants qui se relâchaient un peu trop ces derniers temps. Je n'avais pas l'intention qu'elle me croit violent. Je ne l'était pas au final, je n'avais évidement pas frappé moi même ma servante.

D’ailleurs la principale intéressée était toujours là. Sagement rangée dans un coin dans l’attente d’un nouvel ordre. Je me demandais un instant si elle n’était pas aussi bonne menteuse que moi… Il ne suffit qu’un geste pour qu’elle s’en aille en direction des cuisines.

-Comment se passe ton séjour ?

Comme si de rien n’était je retournais prendre ma place et l’invitait à en prendre une non loin. Ma question je la posais machinalement. C’était devenu un réflexe à chaque fois que je la croisais pour ce genre d’occasion.

-Ma journée à moi à surement été bien moins agréable que la tienne je le déplore...Lâchait-je dans un soupir.

« Prince Ethirëlon. » J’inclinai la tête respectueusement en m’approchant de lui.

« Non, elle va bien. » Le regard que je lançai alors à Elsbeth était particulièrement chaleureux, le sourire plein d’affection, profitant sûrement du malaise qui l’habitait et que je n’avais pas loupé avant d’entrer dans cette pièce. « Et puis, je n’aime pas faire de mal à qui que ce soit, elle n’a jamais rien risqué en venant me voir. » C’était dit sur le ton de la plaisanterie, alors qu’intérieurement je déplorais un peu cette explication, j’aurais tellement aimé qu’elle soit fausse. Je n’avais pas tellement de raison de le croire, mais je n’en avais pas non plus de ne pas lui faire confiance… Je saurais bien assez tôt, je pensai, et s’il fallait sortir en cachette de son palais au plus fort de son influence sur moi, j’essaierais sûrement. Mais il fallait encore que l’influence existe, que l’influence s’installe, et on était encore loin de tout ça. J’eus d’ailleurs une idée, une petite idée qui pouvait arranger tout le monde.

Mais je n’étais pas pressée, et la politesse n’attendait pas.

« Bien. » Je répondis simplement à sa question, avant de trouver un moyen de ne pas le satisfaire pleinement. « Votre palais est toujours aussi splendide et tellement mieux habité que le mien… je dois juste avouer que la mer Olienne me manque un peu. » Et ça, il ne pouvait rien y faire. « Geresh est sûrement le meilleur endroit pour l’admirer, ce n’est pas comme à Thaar, il y a tellement de bois qui y flotte qu’on ne la voit même plus. » Et consciente que j’appuyais plus que de raison sur ce point là je m’en écartai avec un sourire. « C’est ce marchand ? Je l’ai croisé et j’ai instantanément compris qu’il ne ferait pas le poids… Mais il n’a vraiment rien apporté à vos discussions qui n’ait une quelconque valeur ? » Ceux qui étaient les plus agréables à regarder n’étaient pas les plus intéressants, donc. Ce n’était pas une nouvelle leçon, il y en avait eu beaucoup de ce genre, ils ne devaient pas avoir de raison d’être hargneux, j’imaginai.

Je pris lentement place en face d’Ethirëlon, pour ne pas rater une miette de ses réactions, pour ne pas louper une occasion de faire avancer mes envies, et aussi parce qu’il restait agréable à regarder. Je repris alors la parole sur le ton de la discussion, sans changer de sujet. « Peut-être que vous devriez m’inviter lors de votre prochaine rencontre, vous pensez qu’il survivrait ? Il vous voulait quoi ? »

Je me crispais au fur et à mesure qu’Aerianna parlais de son palais à elle. Ça m’agaçait fortement de l’entendre parler de Geresh alors qu’elle était gracieusement logée chez moi. N’avait-elle aucune notion de savoir vivre ? Je lui demandait des nouvelles de son séjour pas de sa principauté.

Ma main se mit à pianoter sur la table alors que mon invitée changeait de sujet pour un non pas moins désagréable. Où était donc passé le crin d’écume amusant ?
J’affichais une moue renfrognée.

-Il veut quelque chose que je veux aussi. Tout simplement. Et il cédera avant demain soir si il à un tant soit peu de bon sens. Mais je ne crois pas t’avoir demandé de venir ici pour parler affaire...

J’aurais peut-être put. Mais le sujet précédent m’avait mis de mauvaise humeur. J’avais envie de me divertir et pas de penser à l’autre idiot, sinon je l’aurais invité à ma table plutôt qu’Aerianna…

Je ne crois pas que tu veuille t'ennuyer dans ce genre de chose. Ajoutais-je. J'imagine que tu sais déjà à quoi ça ressemble des négociations.

Je n’étais pas vraiment malheureuse de le voir se crisper de cette façon, et le voir s’activer de cette façon était la confirmation que ce n’était pas si compliqué de jouer avec lui. C’était peut-être dangereux, mais ce danger n’était-il pas ce que je cherchais depuis mon arrivée ici ? Ma voix claire alla totalement dans son sens, elle ne pouvait faire autrement, alors que discuter de ça risquait effectivement d’être le plus ennuyeux des sujets de conversation. « Vous avez raison, bien sûr, je sais ce que c’est, et je sais à quel point c’est ennuyeux quand on a à négocier avec quelqu’un qui est son inférieur et de si loin. » Mais c’était trop simple de conclure que parce qu’en discuter de manière traditionnelle était ennuyeux il fallait à tout prix éviter le sujet, et il fallait que je le convainque qu’il voyait les choses de manière trop linéaire. « Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut s’en amuser, c’est la seule raison de pourquoi je vous en demande tant, je ne veux clairement pas négocier à votre place. »

Une idée s’était formée dans mon esprit en trois segments, d’abord en rencontrant le marchand, puis alors qu’Elsbeth m’observait, puis en apprenant qu’Ethirëlon attendait une réponse pour le lendemain soir. Le jeu, toujours le jeu, un jeu à peu près similaire de celui auquel j’avais joué en mettant les pieds à Baaz’Hima sans escorte, sans délégation, juste comme ça, dans l’attente de me trouver piéger. Je souris avant de porter mon regard jusque dans le sien, une nouvelle fois. « J’ai une simple proposition, juste pour ça, juste pour s’amuser. Parlez moi du sujet de ces négociations, laissez moi en deviner l’issue même si je n’y ai pas participé, et je vous laisserais ensuite décider de ce qui sera mis en jeu avec ce pari. » Etais-je particulièrement téméraire ? Particulièrement sûre de pouvoir cerner le marchand ? Particulièrement idiote ? Je ne pouvais rien gagner de plus qu’Ethirëlon m’offrirait dans un tel pari, et je perdrais ce qu’il voulait que je perde, mais n’était-ce pas exactement ce que je cherchais ?

C’était exactement ça, et je réajustai ma position dans ma chaise en me trémoussant avant de le regarder intensément.

Sans vraiment y prêter attention, je me redressais un peu lorsqu’elle expliqua penser pouvoir s’en amuser. Les quelques serviteurs qui apparurent et déposèrent nombre de mets sur la table dans une organisation quasi chorégraphique me laissèrent le temps de toiser Aerianna avec attention et de réfléchir à ses paroles.

- Un pari donc ?

Ma bouche se plissa dans un rictus un peu moins exaspéré qu’avant. Je devais avouer que l’idée qu’Aerianna me donne sa parole de ne faire je ne savais quoi encore attisait ma curiosité comme une bûche attise les braises. A nouveau mon poing vint soutenir mon menton alors que je ne lâchais pas mon invitée du regard, sans encore prêter attention aux mets fumants entre nous.

-Il faudrait un bien joli enjeux pour que j’accepte de livrer un secret aussi important que le sujet de négociation d’un prince marchand…Exagérais-je volontairement alors que je savais qu’elle se doutais que ladite négociation ne devais pas non plus être capitale sans quoi elle n’en aurais pas eu vent.

Elle avait encore quelque chose en tête que je n’arrivais pas à saisir, aussi voulais-je la pousser à se révéler ne serait-ce qu’un peu.

-Qu’es-tu prête à mettre en jeux que je n’ai pas encore Aerianna ?

Et qu'oserais-t-elle me demander en cas de sa victoire plus qu'improbable ?

« Vous le savez depuis le début, Prince Ethirëlon. »

J’avais répondu rapidement, en un sourire. Ne m’étais-je pas annoncée comme un petit animal qui aurait bien voulu être ajouté à l’enclos de ceux qu’il gardait près de lui ? Je ne voulais pas le lui répéter, pas si explicitement. Il y avait cette idée de perte de contrôle, cette idée de captivité, cette idée de privation de choix, cette idée d’humiliation… Il était des rares à ne pas se saisir instinctivement de ma personne, en tout cas, même après que j’essaie de la lui tendre de si nombreuses manières. C’était un peu frustrant, d’ailleurs, mais il rendait aussi ça plus amusant, et le succès n’en serait que plus appréciable. En attendant, je réfléchis, un moment, parce que ce n’était que le début, ou en tout cas, particulièrement loin de la fin. J’étais là depuis une ennéade, deux ? Et si tout fonctionnait, à la fin… Oui, tout pouvait fonctionner, tout devait fonctionner, et tout fonctionnerait.

« Vous savez au moins que je ne suis pas venue avec tant de choses qui peuvent vous intéresser. » Le jeu continuait en même temps que mon sourire disparaissait. « Tout est resté à Geresh, à part des vêtements de voyage qui s’ils étaient agréables à porter n’étaient pas à ma hauteur… » Le sourire revint. « Et à part moi. » Il ne m’était pas accessible à cause de cette table qui s’était fournie pendant la conversation, aussi devais-je me contenter des mots. Des mots qui devaient être assez clairs, maintenant, et que finalement, prise par l’élan, je clarifiai encore plus. « Je peux mettre tout ça en jeu. » J’étais honnête, au moins, même si sûrement trop. « J’aimerais simplement qu’en dehors de ce palais et de nous deux personne ne soit impliqué. C’est plus excitant, de faire comme si personne d’autre n’existait. » Je gloussai doucement avant de me pencher vers lui et d’ajouter quelque chose à voix basse. « Et puis, si par chance je gagne… ça n’aura pas besoin de se savoir… »

Je me redressai, avant de jeter un regard au contenu de la table et de le ramener dans le sien. « Mais je ne peux pas vous demander de décider tout de suite, j’ai déjà l’avantage de choisir la première, c’est presque trop. Attendez de m’en avoir dit plus, si ça vous intéresse toujours. »

Elle n’avait pas eut à lâcher plus d’un phrase pour que mon visage affiche un rictus amusé.  J’avais des idées oui, mais était-ce ce qu’avait réellement la jeune femme en tête, cela restait  à voir. Je lui avais dit quelque temps plus tôt qu’il ne valait mieux pas pour elle qu’elle connaisse l’étendue de mes pensées. Ce moment en était un subtil exemple.

J’avais porté un verre d’alcool à mes lèvres sans jamais la lâcher de ce regard amusé alors qu’elle explicitait, peux être un peu trop, sa propre pensée.

Savait-elle vraiment ce qu’elle faisait la malheureuse ? J’en doutais parfois. Aerianna était ainsi faite. Parfois elle faisait mine d’une candeur incroyable, presque effrayante tandis que l’instant suivant elle semblait tout a fait maîtresse de son petit jeu…Quoi qu’il en était, je ne comptais pas m’épargner le jeu que nous avions lancé quand bien même n’en était-elle qu’a moitié  consciente.
Je me mis à rire, d’un rire léger.

-J’ai attendu toute la journée qu’un idiot se décide à faire un choix évident Aerianna. Je ne désirais pas attendre. Je n’aimais pas attendre.. Je ne serais pas cet idiot ce soir. Ton pari m’intéresse… à une condition.

Il me fallut reprendre une gorgée du liquide carmin au gout particulièrement épicé avant de continuer, laissant dramatiquement un instant de silence.

-Une fois que je t’aurais dit sur quoi nous parions vraiment, pas de retour arrière, tu t'engage à jouer , somme-nous d'accords ?

-Absolument, Prince Ethirëlon.

Elle me répondit avec un sourire égal au mien. Sans m’en rendre compte je me reculais un peu, m’adossant légèrement contre mon siège. satisfait.

Je lui expliquais alors la situation. Cet homme qui ne voulais pas lâcher ses fichues terres alors qu’il n’en tirerait rien. Mon propre désir de les voir prospérer, quitte à arranger je ne savais quoi avec ses enfants. Son refus aussi stupide qu’agaçant. Et ma décision d’obtenir une réponse le lendemain soir dernier délais.

-Il n’y a vraisemblablement que peux de chance pour qu’il reste sur ses positions après avoir séjourné dans un tel lieu. Conclu-je en désignant la salle dans laquelle nous nous trouvions. Ou alors il sera plus stupide encore qu’il ne le semble… Crois-tu qu’il le soit ?

Elle était allée trop loin pour reculer et j’étais certain de gagner n’importe quel pari dans ce palais. J’y étais maître après tout. Intérieurement je jubilait alors que je n'avait même pas exposé l'idée de ce que je voulais gagner -car il n'était évidement pas question de perdre-...ou plutôt de la forme que je voulais donner à ce qu'elle me proposait déjà.

Bien sûr qu’il allait céder, si ce n’était vraiment qu’une question d’un lopin de terre qu’Ethirëlon pouvait s’acheter à un prix qu’aucun autre ne pouvait mettre. Il faisait l’intéressant, il faisait semblant de pouvoir s’opposer à un Prince Marchand, et peut-être même se vanterait-il auprès d’autres que les négociations s’étaient étendues d’une journée de plus, alors que seul son génie pouvait pousser le Prince de Baaz’Hima à l’inviter en sa demeure. Et peut-être avait-il raison de faire les choses de cette façon, peut-être qu’il l’aurait, sa renommée, même s’il perdait dans tous les cas son lopin de terre. J’étais soulagée, finalement, car même sans le pousser à faire quoi que ce soit l’issue était certaine, c’était plus facile que ce que j’avais pensé, vraiment. Je n’avais qu’à faire la téméraire, je n’avais qu’à parier contre les prédictions de mon hôte, et j’aurais ce que je voulais. Se rendrait-il compte ? Sûrement pas, et c’en était plus excitant.

« Il n’y aurait aucun jeu à m’aligner sur vos prédictions, Prince Ethirëlon, bien sûr que je pense qu’il sera assez stupide, et je suis prête à mettre en jeu tout ce dont je vous ai parlé sur sa stupidité. » Je baissai la tête, comme si je regrettais un de mes mots, ou plusieurs. « Ou du moins, ce que vous voudrez que je mette en jeu, je n’oserais présumer de vos envies. Et puis, je suis sérieuse quand je dis vous céder la totalité de mes droits quant au choix du pari. » Il ne fallait pas que je le laisse croire un instant que c’était une façade, il ne fallait pas un instant qu’il croie que je reculerais une fois son choix fait. C’était peut-être la première fois que j’explicitais lui remettre toutes ces clés qui lui permettraient d’accéder à ce qu’il voulait de ma personne, et dans une feinte maladresse j’en rajoutai une couche après un silence un peu trop long. « Alors, que jouerons nous, Prince Ethirëlon ? »

***

La réponse fut presque inconséquente, j’avais déjà décidé que c’était un pari que j’allais perdre après tout.

Pour être sûre de le perdre, d’ailleurs, sans me soucier des regards indiscrets des légions loyales à Ethirëlon, je rendis une petite visite nocturne au marchand, pour lui donner toutes les raisons du monde de renforcer sa décision et de ne pas se laisser attirer par une autre. Ce n’était pas la Princesse de Geresh qui faisait ce déplacement, c’était celle qui avait envie de servir son maître et qui ne reculait devant rien pour le faire, et l’autre n’avait aucune raison de douter de sa bonne volonté. L’autre lui susurra à l’oreille qu’elle faisait bien, qu’elle l’avait finalement persuadé, et qu’il reviendrait peut-être négocier avec le Prince Ethirëlon plus souvent. C’était une promesse facile à faire, plus difficile à tenir, alors que rien de ce qu’il allait proposer dans le futur n’intéresserait jamais le Prince Marchand de Baaz’Hima qui n’avait de toute façon jamais été qu’intéressé par autre chose que ce lopin de terre.

Le pari, je l’avais perdu.