Les prêtres du culte de Meingal maintenaient une permanence 24h sur 24, 9 jours sur 9, car ils savaient les drows joueurs à tout heure du jour et de la nuit. C'est donc sans grande surprise et avec l'impassibilité coutumière à leur charge qu'ils accueillirent les deux prêtres de Kiran. C'était le lot d'un siège, d'exacerber les tensions, de pousser à l'avancement et aux règlements des conflits mineurs qui agrémentaient la vie de tout noir elfe digne de ce nom.
Ces deux là avaient clairement un truc en cours. S'aimaient-ils secrètement ? Cela faisait cinq bonnes minutes qu'ils étaient arrivés, et le mâle énumérait encore tous les griefs qu'il avait accumulé contre sa collègue. Cette dernière attendait fièrement, bras croisés, en tapant du pied, le regard lointain. Lui écoutait en laissant échapper régulièrement une onomatopée signifiant son accord. Il tombait régulièrement sur des drows qui n'étaient d'accord sur rien, et qui semblaient décidés à aller jusqu'au bout du conflit, lequel devait également inclure les modalités de l'ordalie.
Heureusement, ce n'était pas leur cas, et il disposait donc d'une offre clé en main qui conviendrait parfaitement à leur petit conflit.
- Quand? -
Maintenant." Les deux parties venaient d'ouvrir la parole au même instant, du même ton. Et se regardaient maintenant droit dans les yeux.
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"He bien, vous voyez, vous tombez déjà d'accord sur quelque chose. Premier sang? -
Non. -
Oh?" Le prêtre se redressa de son pupitre pour les regarder l'un après l'autre dans les yeux.
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"L'abandon. Nous connaissons tous deux nos limites… Yisfi." Les regards se tournèrent vers la vétérane, qui, sans un mot, d'un geste princier, donna son assentiment.
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"Magie ? -
Interdite, Yisfi." La voix du mâle était tombée comme un couperet cette fois-ci. Lui-même n'était pas mage, et il connaissait les compétences de son adversaire. Toute autre décision aurait été une prise de risque particulièrement idiote. Or S'arg ne l'était pas. Les oreilles de la femelle commencèrent à tiquer. Elle connaissait son nom de famille depuis le temps, le fait qu'il insiste autant commença à vraiment lui taper sur les nerfs.
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"Sans magie. " Un sourire se dessina sur les lèvres de la sombre en approuvant. Elle aurait aimé avoir celui de son très cher pour illustrer son état d'esprit, mais elle n'avait que le sien, doux.
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"D'autres points à évoquer ? "Demanda le prêtre en finissant de noter les demandes de l'étrange couple.
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"Non." Répondirent ils en chœur à nouveau.
Le prêtre de Meingal aimait quand les choses se passaient ainsi. De plus, qu'ils refusent d'utiliser la magie serait un plus indéniable. Il avait entendu parler de duels au premier sang entre mages de vie se terminer en concours de reniflement(1). Fort heureusement jamais en ordalie.
***
La nuit s'était bien avancée, plus que quelques heures et le ciel se teindrait de rose. Plus que quelques heures et la terre se gorgerait de sang.
L'arène était éclairée par quelque torches, éclaboussant d'or le corps de jais de la vétérane qui, en guise de tout vêtement, ne portait que son éternel turban.
Bras croisés, elle attendait son adversaire sous le regard interrogatif des prêtres de Meingal. Lorsque S'arg entra enfin, vêtu de son armure, il posa le regard sur la prêtresse et ferma les yeux un instant avant de prendre une profonde inspiration. Il avait maintenant la certitude qu'elle se moquait de lui. Dégainant son épée d'un geste ample et élégant pour la remettre aux arbitres, il parcouru le corps nu d'un regard froid où nulle concupiscence n'avait sa place. Elle cherchait à le déstabiliser. Ou à avoir une excuse pour son futur échec. C'était stupide. On lui reprocherait de n'avoir pas pris le combat au sérieux. Mais sa victoire en serait elle aussi entachée. Le drow fulminait.
- " Pas d'armes, prêtresse Yisfi ?"
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Non. Posant les yeux sur les nombreuses cicatrices qui zébraient le corps musclé de la sombre, il posa une dernière question.
- "Acceptez vous les conditions de ce combat ?
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Tout à fait."Le prêtre rendit son épée au sombre, puis rappela les enjeux et les termes. L'Ordalie pouvait enfin commencer.
S'arg s'anima, le regard dur, concentré. Souple sur ses appuis, l'épée en garde, il s'avança d'un pas mesuré mais implacable vers la drow dénudée. La brise du désert soulevait sa belle chevelure aussi neigeuse que son âme, le sable se soulevait sous ses pas silencieux. Intérieurement, il hésitait, il calculait, pris entre la prudence devant un possible piège et la nécessité d'en finir rapidement. Na'ri connaissait son adversaire, ils avaient l'habitude de s'affronter lors des entrainements. Défensive, elle l'attendait.
Il tourna autour d'elle, de plus en plus proche, tel un prédateur qui encerclait sa proie. Elle le suivait du regard, concentrée sur chacun de ses gestes, à l'affut de l'inévitable amorce d'un assaut. Il survint brusquement, à l'instant où elle avait du se tourner, à l'instant qu'elle aussi avait anticipé.
L'épée siffla dans l'air, frappant d'estoc, mais Na'ri n'était déjà plus là. L'homme se décala aussitôt et poursuivit l'assaut en prenant garde à ne jamais exposer sa tête nue. La daedhelle évoluait, sous son nez, à la limite de la portée de son épée. Son corps fluide se jouait de lui.
Il la connaissait si bien. Elle le connaissait si bien. L'épée sifflait, valsait, de coup d'estoc en coup de taille, encore et encore, guidée par la fureur du prêtre en fureur. Comme l'épée, la prêtresse s'écoulait, toujours à quelques centimètres de la lame vengeresse. Toujours au-delà, vive, souple comme un ruisseau, vive comme le torrent, son visage un masque de quiétude et de concentration, elle attendait son heure.
Des gouttes vermeilles s'épanouirent sur ses membres nus. Elles soulignaient tous ces moments où elles avaient été un peu trop lente, tous ces moments où elle avait été un peu trop prés. Comme les patiences, pensa-t-elle un instant.
Non, ne pas se déconcentrer.
La rage. La rage bouillait dans le cœur de S'arg. La fureur d'un drow moqué, bafoué. Impossible, insupportable, voilà ce que devenait ce combat qui aurait dû le venger. Une ouverture. Il pouvait en finir. Que risquait-il, elle était à main nue. L'épée s'élança, redoutable, pour frapper d'estoc. La sombre prêtresse jaillit, évita l'acier acéré.
Une jambe nue s'enroula autour de celle du mâle.
Un bras s'empara de l'épaule qui tenait la lame.
Elle chavira. Entrainé par son propre poids, il bascula.
Un nuage de sable. Le genoux appuyé sur le dos de son adversaire, la prêtresse le maintenait au sol sur le ventre. Elle tira son bras, sans expression, sans pitié, encore et encore, jusqu'à ce que la lame tombe finalement au sol.
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"Pouvons dire que le combat est fini ? C'est bientôt l'heure de mettre fin à ce siège. " S'arg réalisa qu'il avait perdu. Le prêtre de Meingal donna le gagnant, donna le jugement. Il avait perdu, contre toute attente.
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"Que je ne vous y reprenne plus." Tonna leur Grand Prêtre furieux, qui venait de pénétrer dans l'arène.
(1): la finesse des capillaires de la cavité nasale en faisait des cibles parfaites pour qui cherchait un sortilège rapide à incanter.