Saloperie ! (Hendrick)

Début de la deuxième ennéade de Favrius, an 17:XI
Château de Naelis

"Du... BALAIS !"

Suivant ce magnifique mot empli de la plus pure des poésies, le premier objet relativement lourd qui me tomba sous la main finit en subtile - ou pas - saut périlleux en direction du jeune sous-officier qui n'avait pas encore appris à me connaître. Vu qu'il était là, je l'avais missionné pour aller chercher ses pairs plus hauts gradés que lui dans le but de faire un conseil de guerre. Ce petit con avait trouvé moyen de ne pas filer direct et avait malencontreusement commencé à voir ma colère. La mienne, ou celle d'Ust'kor ? Ou la nôtre, peut-être ? Comme souvent en ce moment, je n'arrivais pas à bien cerner quel sentiment voire même quelle pensée appartenait à qui. C'était à la fois dérangeant et non, mais parfois problématique. Car sortir un "nous" au lieu d'un "je" pouvait faire tiquer plus d'une personne me connaissant...

Bref, nous nous asseyions, enfin je m'asseyais, seule dans la salle du conseil, avec notre mauvaise humeur passagère. Saloperie ! Connards ! Ust'kor, merde ! On avait fini par y penser et voilà que ces saligauds avaient fini par ronger bien comme il faut l'Ithri'Vaan... Ils continueraient leur marche vers l'ouest et reprendraient certainement ce qu'ils devaient considérer comme leur. Bref, nous n'étions... oui, nous n'étions pas de grands optimistes sur ce qui risquait d'être la suite de l'avancée drow. Autant j'avais grand désir de trouver moyen de les arrêter avant qu'ils n'atteignent le royaume, ce qui risquait d'être impossible, autant Ust avait envie de se faire quelques ennemis en dérouillage matinal. Puis de courir au loin si ça sentait trop le roussi. Bref, ça allait être la mouise. Il allait sérieusement falloir qu'on trouve une solution rapide, efficace et... et certainement pas celle à laquelle on rêverait volontiers.

Je levais les yeux vers la personne qui entrait dans la salle, prête à l'accueillir comme il se devait. C'est-à-dire avec un délicat lancer de fusain. L'objet en main, je me retenais cependant de passer à l'acte quand je reconnus la personne. Lui, par contre, se retrouva face à une reine aux yeux noirs de colère. Des yeux qui s'adoucirent un peu en le voyant.

"Hendrick ! Cela faisait un moment. Le premier arrivé, ça ne change pas. Que deviens-tu ? Tu as une bonne nouvelle ou... ?"

Comment ça je commençais déjà à nerveusement faire jouer mes ongles sur la table ? Saloperie de Drows !

Sur le champ de tir, aux aurores, Hendrick supervisait déjà l’entraînement d’une sélection de ses archers les plus doués. Debout bras croisés sur la poitrine, il embrassait du regard le long terrain. Du côté des cibles, il avait choisi des gros panneaux montés sur un petit mécanisme réglé comme un métronome. Cela permettait d’observer ce que valaient les archers sur des cibles mouvantes à longue distance. Loin d’être le plus représentatif de ce qu’il se déroulait vraiment sur un champ de bataille, cet entraînement avait le mérite de développer chez les recrues leur sens de la synchronisation, et le choix du bon moment pour lâcher la flèche au bon endroit. Et après tout, en regardant les cibles bouger de droite à gauche, Hendrick se mit finalement à repenser à tous ces crétins qui croyaient que courir en zigzag les protégeait des traits…

Il y avait peu d’Humains sur la ligne de démarcation. La plupart étaient des Elfes, et plus majoritairement, des semi-elfes. Certains faisaient encore l’association de l’arc avec l’habileté des gens de l’Anaëh. Fort heureusement, Hendrick était toujours là pour faire taire les rumeurs selon lesquelles les Humains n’étaient pas fait pour tenir la distance. Ses élèves se débrouillaient bien, mais avant qu’ils n’atteignent son niveau, ils auraient encore quelques exercices vicieux à remporter haut la main.

Un bruit familier le tira de sa supervision. Il tourna la tête pour voir arriver un jeune sous-officier en armure, soufflant comme un bœuf. Le soldat lui fit un salut, que Hendrick rendit avec un simili sourire. Le pauvre hère essayait de reprendre contrôle de sa respiration, les mains sur les genoux.

« Sergent ? »

Ce dernier leva un doigt en l’air, continuant de reprendre de larges goulées d’air. Finalement, il releva la tête, sa poitrine encore laborieuse, et dit le plus officiellement possible :

« La reine convoque un conseil de guerre. Elle réunit l’état-major. »

Hendrick acquiesça sobrement. Depuis les récents événements, cela n’aurait été qu’une question de temps avant la tenue de pareil conseil. Il congédia le sergent d’un signe de tête, puis se tourna vers ses archers. Ils avaient tous entendu, mais aucun n’avait détourné le regard de l’exercice. Hendrick était très fier de ce qu’il avait accompli pour former son élite…

« Lúsitaín ? »

Une semi-elfe décocha une dernière flèche dans sa cible, puis se présenta devant son capitaine.

« Surveille l’exercice. Quand ils en auront assez marre, passez au tir dans l’anneau. Le meilleur résultat pourra m’affronter. »

Le sang-mêlé fit un grand sourire, salua, puis prit la place de Hendrick tandis que celui-ci se dirigeait vers l’ancien palais des Draycan. Il ne perdit pas de temps, comme à son habitude, pour répondre présent le plus vite possible. C’était en faisant montre de la plus grande assiduité, et une fidélité sans faille, qu’il était parvenu à décrocher ses galons. Il aurait été déplacé de se reposer sur ses lauriers une fois le grade de capitaine obtenu.

Cependant, lorsqu’il pénétra dans la salle, il trouva une reine troublée, et un chandelier qui n’était pas vraiment à sa place par terre. Il y avait sans doute eu du grabuge. Avec une profonde révérence, Hendrick répondit à Glinaina afin de ne pas la mettre davantage en colère :

« Je vais bien, Majesté. Je supervisais l’entraînement des plus grands espoirs de la Légion. Et la bonne nouvelle, c’est qu’ils sont loin de m’avoir encore déçu. »

Il fit un sourire. Peut-être que ce matin, il lui faudrait plus encore caresser la reine dans le sens du poil. Elle avait ses humeurs, depuis quelques temps déjà. Mais avec tous les revers qu’elle avait subi, comment l’en blâmer ?

Hendrick alla s’installer. Il n’avait pas la position hiérarchique pour se mettre à ses côtés, mais n’était pas loin non plus.

Majesté, Majesté... Quand est-ce que les miens m'appelleront par mon prénom, hein ? L'étiquette, le respect, tout ça tout ça... J'avais beau en avoir l'habitude, ce matin cette idiotie m'énervait tout autant que le reste. Ou peut-être moins. Je fis tout même l'effort de sourire au capitaine : au moins essayait-il d'apporter une bonne nouvelle dans cette tempête de colère.

"Nous entendons régulièrement parler des entraînements d'archerie.
Mince, le "nous" est sorti ! Heureusement c'est rattrapable...
- De ce que j'ai cru comprendre les résultats sont prometteurs, cela me ferait plaisir de les voir de plus près un de ces jours."

Et de nous défouler dessus, pensions-nous juste après ces dernières paroles. Enfin, non, là c'était plutôt une pensée d'Ust'kor, mais j'avais également besoin de me défouler un bon coup. Pauvres archers... déjà que là ils devraient connaître la guerre... après ils étaient là pour cela. J'eus des frissons dans le dos en repensant à l'armée drow qui risquait de se mettre en marche sur Naelis. Revoir des drows n'était jamais une partie de plaisir, même si c'était parfois nécessaire. J'avais bien été dans les autres villes d'Ithri'Vaan, notamment Thaar, afin de comprendre avec Ust tout ce que Glenn n'avait pas vu pendant près d'un mois. Et ce n'était pas beau.

Ah, d'autres arrivaient. Bien, ils ne perdaient pas de temps pour venir au conseil. Si je ne me trompais pas il manquerait l'un d'entre eux car il est parti vérifier un problème non loin de la cité mais à part cela tous devaient être présents. Et tous étaient présents. Bien ! Après les avoir tous salués avec le moins d'énervement possible, j'attendis que tous se soient installés et que le silence règne dans la pièce. Une fois que ce fut le cas, ce qui ne prit pas longtemps, je me levais, droite et assurée, pour prendre la parole d'une voix forte et posée. Ce conseil serait un peu particulier...

"Soyez tous les bienvenus à ce conseil d'Etat-Major. Je suppose que chacun parmi a entendu parler de ce qui s'est déroulé en fin d'ennéade dernière à Sol'dorn, je ne reviendrai donc pas dessus. Les précisions quant à la prise de la cité seront apportées ultérieurement. Non là, si je vous ai fait venir, c'est parce qu'il va nous falloir prendre une décision radicale concernant le devenir de notre royaume, et je ne ferai pas comme les seigneurs péninsulaires imposant leur voix à leur peuple sans rien demander aux intéressés. Je ne peux demander à tous les naelisiens leur avis sur la question, ce qu'ils souhaitent... aussi c'est à vous que je m'adresse, vous les gardiens de Naelis et de son peuple, chargés de la protection du royaume. Parlez en votre nom propre ou selon ce que vous avez pu entendre de vos soldats ainsi que des civils qui vous sont proches, faites comme vous le sentez. Mais je vous le demande : comment voyez-vous Naelis ? Alors que vous vous doutez que l'armée eldéenne ne s'arrêtera pas à Sol'dorn et continuera sa conquête de l'Ithri'Vaan, comment l'imaginez-vous se battre, ou au contraire déposer les armes ? Souhaitez-vous la voir garder son indépendance et à quel prix ? Vers qui vous tourneriez-vous si vous deviez demander de l'aide ?"

Je laissais volontairement un silence pesant s'installer dans la salle, alors que je posais un regard ferme sur la petite assemblée. Plus d'un était gêné par cette série de question, ne s'attendant pas à ce que je présente le problème ainsi et se demandant si je ne les posais pas parce que je perdais les pieds à l'idée de devoir défendre militairement la cité. Ce n'était pas le cas des plus vieux, que l'on retrouvait étrangement dans le conseil restreint. Eux me connaissaient bien et se doutaient de l'une des raisons pour lesquelles je faisais cette demande. Aussi, afin de calmer un peu cette atmosphère, je posais les mains sur la table et repris d'une voix plus douce.

"A toutes ces questions, j'ai déjà mes propres réponses. Mais votre avis m'importe. J'attends vos réponses, officiers, et j'aimerais que les membres du conseil restreint parlent en dernier afin que les dirigeants habituels n'influencent en rien vos opinions."

Désormais, place au moment de vérités.

Entouré par la fine fleur de la caste militaire de Naelis, Hendrick avait souvent dû désapprendre à tenir sa langue et à rester dans l’ombre, car ici, il avait bien vite découvert qu’il avait voix au chapitre. Peut-être n’avait-il pas la même aura ni le même rang que son mentor Malfer, mais sa reine requérait de lui qu’il l’ouvre tout de même de temps à autres, ne serait-ce que pour justifier sa place autour de la table.

L’ouverture de Glinaina donnait le ton. Pour elle, les Drows avaient déjà en tête de revenir hanter la cité. Elle livrait cette idée comme s’il s’agissait d’un fait, alors qu’ils étaient encore bien loin des frontières du pays. Le sombre passif entre l’Elda et Naelis avait laissé dans les cœurs des habitants une rancœur tenace avec les Daedhels, et les guetteurs n’avaient cessé de regarder vers l’orient. Le jour où le lever du soleil coïnciderait avec la levée des bannières du Puy était le cauchemar récurent des hommes et des femmes de Naelis. Leur liberté était à jamais menacée par un fantôme, un esprit frappeur qui ne leur laissait aucun répit.

L’arme favorite des Drows ne tranchait ni ne brisait. Elle angoissait, elle terrifiait. La Peur.

Au moment de prendre la parole, Hendrick sut déjà ce qu’il allait dire. Encore fallait-il qu’il trouve les mots pour l’exprimer, et surtout, le courage de parler devant ses supérieurs. Les habitudes avaient la vie dure, et malgré ses efforts colossaux, le Nordien avait encore du mal à se considérer comme l’égal des autres assis à cette table. L’humilité pouvait s’avérer être une vertu comme un problème.

Il se leva doucement, et prit le temps de mesurer ses paroles.

« Contrairement à beaucoup de monde ici, je n’ai pas souvent affronté les Drows. Mais je sais quel genre de ravages ils peuvent faire s’abattre sur les cités qui leur tiennent tête. On dit que de leur passage par Amblère et Nebelheim, il n’est resté qu’une nuée de cadavres ambulants et de porteurs de peste et d’infections. J’imagine sans mal que le jour où ils reprendront Naelis, un tel sort attendrait notre cité. »

Il s’humecta les lèvres.

« Si nous déposions les armes devant les Sombres, ils ne nous épargneraient pas. On serait obligés de se battre. Il n’est pas dans leur nature d’être cléments, ou miséricordieux. »

Il se gratta la barbe, dans laquelle quelques fils d’argent avaient trouvé leur juste place, à l’aube de ses quarante ans.

« En revanche, si on se bat seuls, c’est la mort assurée. Il nous faut des alliés, comme la dernière fois que nous avons repoussé les Drows. Sans le royaume pentien, sans l’Anaëh, je ne donne pas cher de notre peau face à ce que peut déchaîner Elda. »

Ils avaient beau avoir de la ressource et avoir plus de résolution que n’importe quelle autre cité du monde, face à l’empire noirelfe, ils n’étaient qu’un moustique. Sans personne pour leur venir en aide, ils étaient condamnés.

Je m'assis doucement sur le fauteuil, me mettant en position d'écoute pour ne pas intimider les moins habitués à parler. Pendant le court temps de silence qui s'ensuivit, je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il n'y avait pratiquement aucune femme autour de la table. Tradition ou volonté des femmes de rester auprès de leurs enfants ? Ou bien peut-être que le domaine militaire restait l'apanage des hommes ? Quoi qu'il en soit, j'étais en train de me dire que ce devait faire étrange à ces messieurs d'être présidés par une femme. La gente féminine traditionnellement représentée par la douceur et l'obéissance se fait ici force et fermeté... c'est amusant. Cela me renvoie à l'Anaëh et la mentalité différente qui s'y trouve, à mon sens bien plus saine pour tous.

Je relevais la tête pour regarder celui qui avait osé être le premier à prendre la parole : Hendrick. Dans ce silence toujours aussi pesant il parla de son vécu ainsi de ce qui adviendrait selon lui si jamais on décidait de ne pas se battre. Dans le fond j'étais d'accord avec lui, même si du peu que j'en savais leur réaction risquerait d'être différente du fait de la honte et du mépris de ne même pas avoir accepté le combat. Si nous nous battions suffisamment bien, peut-être aurait-on la chance d'avoir un minimum de considération de leur part. Mourir honorablement ou devenir esclaves, à savoir. Mais de ces réflexions, je n'en montrais rien. Je fis juste un signe de tête au jeune capitaine pour le remercier de sa prise de parole puis regardais le reste des personnes présentes. Les dires étaient sensés et plus d'une personne devait être d'accord avec, ou peut-être complètement contre. Quoi qu'il en soit l'effet donné fut le bon, la prise de parole la plus difficile étant toujours la première.

Au fur et à mesure que les uns et les autres se levaient pour donner leur point de vue, je glissais quelques regards aux membres du conseil restreint : Trimack Malfer le Commandant de l'armée de Naelis, Letwyn Deresne le Maître des Espions (enfin officiellement le bras droit de Trimack), Myriam Dorval l'Arcaniste, Carmin le Haut-Prêtre d'Arcam, et Imrân Lesrod le Conseiller politique. Tous avaient leur importance, tous ne faisaient pas partie du conseil restreint depuis sa création, Myriam ayant notamment succédé à l'ancien Arcaniste étant malheureusement mort dans les catacombes de Naelis. Imrân est le petit jeune du groupe, là depuis seulement deux ans. Nous évitons malgré nous de trop nous rapprocher de Myriam comme de Carmin, à la fois parce qu'Ust'kor comme moi sommes tout aussi gênés par la magie que par ce qui s'est passé dans le temple d'Arcam lorsque le haut-prêtre a décidé d'y faire danser l'un de ses avatars. Et pourtant, sans eux, une partie significative du royaume ne serait pas représentée...

Je revenais aux discours des uns et des autres. Déposer les armes ? Tout le monde était d'accord sur le fait qu'on ne pouvait se résoudre à un tel acte de couardise. Nous avions un peuple ayant lourdement subi de collaborateurs des Drows à protéger. Et donc pour rien au monde nous ne laisserions les Noirelfes à nouveau s'en prendre à lui. Naelis l'indépendante resterait ce qu'elle est actuellement, et pour cela elle aurait besoin d'alliés... car seule elle se ferait juste écraser par l'armée puysarde. J'entendis la majorité des officiers proposer un rapprochement avec la Péninsule, ce qui ne me plut pas mais que je ne pouvais que comprendre. Je ne leur parlerai que plus tard de ma volonté de me rapprocher de l'Anaëh. Peu semblaient avoir la même, ou peut-être par défaut, certainement par méconnaissance de ce peuple pourtant bien plus respectueux que la Couronne péninsulaire. Comment se battrait Naelis ? Avec sa hargne habituelle, ce qui est en ses moyens, le terrain que ses officiers militaires connaissent et pouvant être un avantage certain lors d'une bataille. Et avec l'aide qui lui sera fournie, si jamais elle a la chance d'en avoir. Bien, très bien. Nous étions sur la même longueur d'onde, certains plus assurés que d'autres - ce que je notais dans un coin de ma tête. Cependant avant que Trimack et Erestor ne prennent la parole je les regardais, leur demandant silencieusement d'attendre encore un peu. Je repris alors la parole, sans me lever mais regardant tous ceux que je pouvais considérer comme des frères ou cousins.

"N... J'entends vos avis mais, tous, vous n'avez aucunement répondu à l'une de mes questions : jusqu'où seriez-vous prêts à aller, chacun d'entre vous, dans cette guerre ?"

Voilà une question qui pouvait faire froid dans le dos.

Jusqu’où étaient-ils prêts à aller ?

Certains tremblaient à l’ombre de la mort. D’autres étaient terrifiés à l’idée de voir des chaînes garnir leur collerette, ou celles de leurs enfants.Ils refuseraient sans doute d’imaginer une seule seconde seconde la ville en proie aux flammes, ou leur logis détruit et souillé par la vermine. Malheureusement, ces pires cauchemars pouvaient bien devenir réalité, si face à la puissance eldéenne ils décidaient de faire front. Les Sombres étaient capables de tout. Nisétis, ravagée par les Drows, était la frissonnante épitaphe qu’ils avaient laissé d’un empire à l’agonie, et qu’ils avaient violemment achevé dans un déluge de barbarie.

S’ils levaient leurs boucliers face à l’engeance du Puy, leur cité finirait-elle ainsi ? Une ruine entourée de terres rendues stériles par le sel ? Ou serait-elle la nouvelle Sol’dorn, bastion prêt à déferler sur les forêts elfiques et les plaines d’Odélian ? Tous à cette table s’imaginaient bien des choses. Mais la plupart des hommes ici étaient des soldats. La reine elle-même avait d’abord porté les armes avant de porter la couronne. Hendrick sut ce qu’il avait à dire.

« J’ai crevé pour venir ici. »

C’était la vérité. Il avait traîné dans un chariot branlant ce qu’il restait des membres de sa famille, dont certains étaient ravagés par la peste. Il avait traversé la Péninsule, pris un bateau qui l’avait emmené vers Thaar, où il avait passé des ennéades à mendier et à trimer pour rester en vie. Ironiquement, c’est grâce à une Drow qu’il avait réussi à atteindre Naelis. Les dieux avaient un sens de l’humour très particulier.

« Ma maison, autrefois, c’était Oësgard. La guerre et la peste l’ont ravagée, et beaucoup en sont morts. Demandez à n’importe quel Nordien expatrié ici, il vous dira la même chose : on a fui les Drows et les champs de bataille. »

Il se renfonça dans sa chaise. Être le centre de l’attention dans ce genre de réunion ne lui plaisait guère.

« Aujourd’hui, je sais qu’on ne peut pas fuir les Drows éternellement. Un jour ou l’autre, ils finissent par revenir. Cette fois-ci, s’ils marchent vers nous, je les accueillerai comme il se doit : la tête haute et une arme à la main. Et je resterai jusqu’à la fin. »

Naelis était son royaume, à présent. Il y avait une sœur, des neveux, une jolie maisonnée… Un homme qui se battait pour tout cela pouvait bien être le plus pauvre des paysans, il se changeait instantanément en le plus féroce des lions. Hendrick se battrait jusqu’au bout.

"Bien..."

Etrangement, à cette question, tous n'avaient pas la même réponse ni la même détermination. Pas étonnant, dans le fond, quand il s'agit de répondre sincèrement à l'idée de mourir pour une bataille qui peut se révéler veine. La mort fait peur, notamment aux Humains à cause de leur mortalité fort rapide. Je me rappelle à côté de cela Mera et tous ses habitants, ainsi que ceux d'Ardamir. La mort faisait peur surtout aux jeunes là-bas, puis finalement elle devenait une libération des siècles plus tard. Mais pour pas mal de taledhels, Tari ne finit par prendre des Souffles que lorsqu'il est temps pour eux de quitter cette vie... une confiance en l'existence que nombre d'humains ne possèdent pas. Sagesse elfique ou résignation ? Bonne question... Avant de me perdre dans mes réflexions philosophiques sur le consentement de la mort, je regarde Trimack pour l'inviter à prendre la parole. J'avais parlé que les membres du conseil restreint pourraient prendre la parole, non ? Le commandant échangea deux mots à voix basse avec son second puis se leva de toute sa stature, visiblement prêt à donner son avis... ou celui d'eux deux.

"Votre Majesté, je vais parler en mon nom ainsi que de mon confrère ici présent."

Il posa rapidement ses yeux pour faire comprendre qu'il s'agissait tout bêtement de son bras droit. Je lui accordais un signe de tête afin de lui signifier que cela me convenait... en même temps, normal que Letwyn ne souhaite pas faire entendre sa voix à tous les officiers.

"Nous sommes d'accord sur plusieurs points avec l'ensemble des officiers. Si les Noirelfes du volcan se sont attaqués à Sol'dorn, nul doute qu'ils continueront jusqu'à ce qu'ils soient arrêtés. Ce ne serait pas la première fois que cette race souhaiterait acquérir notre royaume. Ce dernier constitue une zone qui freine certains ennemis d'aller se chercher plus de noises qu'ils ne le font déjà, et ce pour la simple raison qu'il y a un intermédiaire en plus de l'Aduram. Et nous aurions tout intérêt à jouer sur ce rôle à l'avenir, même à l'intensifier. Et pour cela, il faut que Naelis reste indépendant et uni. Nous comptons prendre part à la guerre, ne serait-ce qu'en défendant le royaume. Mais pour survivre, car la volonté d'aller jusqu'au bout des nôtres ne fait malheureusement pas tout, face au Puy nous allons devoir trouver des alliés. La Couronne péninsulaire sera certainement heureuse de lutter contre les Noirelfes en-dehors de son propre territoire mais par souci d'indépendance, il faudra trouver une autre aide extérieure. Si les Elfes voient encore un intérêt à nous aider, la leur demander serait certainement l'une des meilleures chose à faire."

Il se rassit alors, sans plus rien rajouter. Dans son regard se lisait l'envie d'en découdre avec l'ennemi et de leur faire passer une bonne fois pour toute l'envie de revenir. Myriam puis Imrân prirent la parole, Carmin ne faisant jusque là qu'être témoin des passions militaires des officiers présents.

"La Tour sombre se joindra bien entendu au combat. Nous devrions aussi faire appel au Firmament. Pour ceux qui l'ignorent, c'est la confrérie de magie qui s'est installée dans le vieux château de l'Aurore, avec l'archimage Nakor.
Un archimage comme allié... les quelques méconnaisseurs de ce fait avaient de quoi être agréablement surpris.
- Il faudra trouver un juste milieu entre ce que nous souhaitons rester et les attentes de ceux qui accepteront de nous aider à défendre le royaume. La Couronne voudra à terme très certainement faire en sorte que Naelis devienne l'un de ses propres territoires. Pour les Elfes, je ne connais que trop peu ce royaume pour avoir une idée de ce qu'il demanderait en échange."

Je regardais les uns et les autres, me demandant si quelqu'un allait rajouter quelque chose. Non, visiblement, tout semblait avoir été dit. Si jamais quelqu'un pensait aux Nains comme du temps de l'Alliance ou Coalition de la Lumière je ne pourrais que répondre qu'ils se sont tellement refermé sur eux-mêmes qu'il était inutile de les contacter pour cela. Qu'ils règlent leurs propres problèmes avant, du peu que j'en savais. Je me levais donc, afin de prendre la parole à mon tour.

"Je vois que nous avons tous une même idée de la situation et une nouvelle fois, je suis heureuse de pouvoir compter sur vous tous pour faire avancer notre royaume et le protéger. Suite à vos paroles, il me semble évident qu'il faudra dès aujourd'hui se préparer à la guerre en prévoyant quels lieux nous pourrions utiliser pour une bataille et aussi comment nous pourrions contrer un siège sur la cité. Dès que nous aurons une bonne idée des ressources que nous possédons de ce côté-là je prendrai contact avec les royaumes de la Péninsule et d'Anaëh ainsi qu'avec le Firmament, à moins que vous ne préfériez le faire pour ce dernier Myriam. Il se posera alors la question des délégations, car je puis deviner que des deux côtés ils préfèreront que les discussions se fassent chez eux. Pour l'Anaëh, il faudra que la délégation soit restreinte et ne soit composée que de personnes à l'aise en forêt. Pour la Péninsule, le meilleur moyen de voyage sera le bateau donc les militaires accompagnant le noyau politique pourront être plus nombreux. Des personnes intéressées pour participer à l'une ou l'autre des expéditions, en connaissance de cause ? Ou autre chose à dire ? Sachant qu'il y a encore le temps et que je ferai appel à certains d'entre vous uniquement le moment venu."