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 Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]

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Lothaire
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MessageSujet: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeJeu 28 Nov 2019 - 12:52

Début de la sixième ennéade de Favrius,
An 17 du XIème Cycle,
Dans la campagne septamontaise...



La colonne des troupes de la Vermeille avançait avec précaution à travers la route sinueuse menant à Hanning. A l’avant-garde, les cavaliers légers servaient d’éclaireurs, commandés par Prosper l’Arétan, habitué des escarmouches et du harcèlement – autant à la bataille qu’auprès des femmes. Car, depuis qu’ils avaient passé la frontière des Septmonts, il ne fallait plus rien laisser au hasard. L’échauffourée d’il y a quelques temps, durant laquelle la stupidité l’avait emporté sur la mesure, avait convaincu Lothaire qu’il fallait tempérer les ardeurs du Prince Vossula et garder la tête froide.

Lothaire qui, justement, se trouvait juché sur son nouveau destrier, le troisième en l’espace d’un mois, qui avait appartenu à feu Conrad d’Erbay, une espèce de géant oësgardien qui avait péri durant l’assaut malheureux de la compagnie de Va’he.

Ha, Va’he.

Le capitaine regardait souvent dans sa direction. La nuit, il rêvait d’elle, dévêtue, et la frappait à mort avec un bâton. D’autres nuits encore, elle était attachée au sommet d’une montagne, et forcée de se donner à lui, il finissait par l’achever d’un coup de couteau dans le cœur. Sa rancœur envers elle n’avait fait que s’accroître à mesure du temps passé à la côtoyer, à chevaucher à seulement deux mètres de celle qui avait tenté de le tuer. Il avait gardé tout ce fiel pour lui, il était resté stoïque comme à son habitude. Mais chaque regard qu’il lui lançait avait du mal à cacher cette légère lueur de folie meurtrière qui luisait dans son orbite.

Les deux compagnies s’étaient quant à elles détendues avec le temps. Les premiers contacts avaient été catastrophiques, et plusieurs fois, des esclandres avaient failli éclater, calmés de mal gré par les officiers des deux camps. A présent qu’ils étaient regroupés dans un objectif commun, ils tentaient à laisser les vieilles rancunes de côté pour collaborer, réunis dans leur quête de plus d’or, promis en quantité par leur employeur.

Les Septmonts étaient agités ces temps-ci. Depuis la mort du gouverneur Polycarpe, le trouble s’était abattu sur la principauté. Voir une troupe de mercenaires aussi vaste que l’était la petite armée privée d’Ascanio avait eu de quoi terrifier également les habitants de l’ancien duché, qui observaient à distance cette démonstration de force dont ils ignoraient le but comme la provenance.

Lothaire, qui était à côté du Prince Vossula, lui lança :

« Mon Prince, nous serons bientôt en vue d’Hanning. Nous nous enfonçons de plus en plus… Êtes-vous bien sûr de vous ? »

L’entreprise d’Ascanio lui avait parue hasardeuse. Mais il avait accepté, car celui-ci lui avait promis monts et merveilles. Tous ici étaient présents pour l’or, ou pour plus précieux encore. Cependant, il était encore un mystère planant sur les motivations réelles du Prince, et ce qu’il comptait accomplir dans ce pays en pleine confusion…
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeVen 29 Nov 2019 - 13:29


« Bien sûr que je suis sûr », ricana le Prince, les yeux pétillants de malice, alors qu'il guidait sa monture au travers de la luxuriante campagne septamontaine.

C'était une balade agréable ; Ascanio était détendu, presque aussi détendu que s'il participait à une promenade de santé, ou à des vacances entre amis. A son air guilleret, on peinait à l'imaginer en train de conduire une armée conséquente sur un territoire qui n'était pas le sien. Et puis, le Prince se plaisait dans la compagnie du brave capitaine Lothaire, le vaillant et intrépide chevalier déchu qui commandait la Compagnie Vermeille.

Ah, Lothaire.

Le Prince regardait souvent dans sa direction. La nuit, il rêvait de lui, dévêtu, et le frappait avec un petit fouet pour rigoler. D’autres nuits encore, il était attaché au sommet d'une montagne, et forcé de se donner à lui ; Ascanio finissait par l'achever à l'issue d'une longue passe d'armes où se mêlaient leurs corps musclés et velus. Sa passion pour lui n’avait fait que s’accroître à mesure du temps passé à le côtoyer, à chevaucher à seulement deux mètres de celui qui avait failli se faire tuer par sa faute. Il avait gardé tout ses sentiments pour lui, il était resté stoïque comme à son habitude. Mais chaque regard qu’il lui lançait avait du mal à cacher cette légère étincelle de désir qui luisait dans son orbite.

Normalement, j'aime mieux les femmes, mais il a quand même un sacré petit cul, songeait distraitement le Prince. Il doit faire de la muscu, c'est obligé. Ascanio avait pris conscience de cette attirance lorsqu'il avait vu le capitaine de la Vermeille échanger avec Va'he un long baiser passionné - un baiser qu'Ascanio les avait forcés à échanger. Il en avait d'abord ressenti un brusque élan d'excitation, avant de comprendre qu'il éprouvait pour Va'he de la jalousie.

« Nous sommes ici dans notre bon droit », déclara Ascanio. « Je siège au Conseil de Thaar, seigneur Lothaire. Il est de mon devoir de veiller à maintenir l'ordre, le temps qu'un nouveau gouverneur soit nommé. »

En vérité, Ascanio n'avait nul mandat du Conseil pour agir ; mais par le passé, cet état de fait n'avait jamais empêché certains de ses confrères de prendre d'audacieuses initiatives. Le gouverneur des Sept-Monts, un pion placé là par le Conseil de Thaar depuis la déchéance du duc Kodratos, avait été assassiné deux ennéades plus tôt. L'ancien duché, dont l'attachement à la puissance thaarie avait toujours été vacillant, se retrouvait pour le moment sans tête. La confusion qui en résultait était une porte ouverte à tous les complots. Si l'on n'y mettait pas bon ordre, c'était l'anarchie qui pouvait gagner toute la région.

D'ailleurs, les événements récents ne faisaient que justifier ces craintes. La veille, des rapports alarmants leur étaient parvenus, corroborés par les dires des rares paysans qui osaient répondre à leurs questions. On racontait que des barbares sévissaient dans l'arrière-pays, avec à leur tête le fantôme de Kodratos d'Hanning, le duc déchu des Sept-Monts, revenu pour se venger. Le retour du duc disparu, voilà ce qui se chuchotait dans les chaumières. Vérité ou fable ? Trop tôt pour le dire, mais si peu de temps après la mort du gouverneur, ce ne pouvait être une coïncidence. Une puissante machination était à l'oeuvre. C'étaient les indépendantistes qui avaient fait le coup, cela ne faisait aucun doute.

Parce que le hasard faisait très bien les choses, Ascanio Vossula arrivait donc, fort opportunément, à la tête de la petite armée formée des deux compagnies mercenaires qu'il avait recrutées.

« Tranquillisez-vous », poursuivit Ascanio. « Il est fort possible que nous n'ayons même pas à combattre. Les indépendantistes sévissent dans les campagnes, c'est un fait, mais aux dernières nouvelles, Hanning est à l'abri du chaos. La garde n'a nulle raison de refuser de nous ouvrir les portes. »

Quant à savoir ce qu'ils feraient une fois la ville sous leur contrôle, c'était une autre histoire. Mais pour l'heure, le Prince se sentait d'humeur trop badine pour s'avancer plus avant sur ses projets.

« Je n'ai pu m'empêcher de remarquer que vous étiez en très grande forme, seigneur Lothaire. Vous faites du sport ? Aimez-vous les... duels de gladiateurs ? »


Dernière édition par Ascanio Vossula le Lun 9 Déc 2019 - 11:13, édité 1 fois (Raison : Orthographe septamontain)
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeDim 1 Déc 2019 - 10:34

Le capitaine Lothaire, du haut de son destrier, observait la campagne environnante. A l’affût du moindre signe des éclaireurs qu’il avait dispersé tout autour de la procession, il écoutait d’une oreille semi-attentive le Prince se justifier de leurs actions. Il avait souvent imaginé les membres du Conseil de Thaar comme d’immenses badernes avachies sur des monceaux d’or, comme les dragons des légendes. Des hommes et des femmes obsédés par leur nombril, ne se déplaçant que dans un palanquin, et uniquement pour rejoindre d’ennuyeuses séances de badinage commercial, loin des oreilles indiscrètes.

Or, Ascanio se déplaçait en personne. Les choses étaient peut-être plus grave qu’il ne le laissait entendre. A moins qu’il ait lui-même autre chose en tête. La politique d’Ithri’Vaan lui était encore en bonne partie obscure et absconse. Les marchands faisaient la loi, et pactisaient tout aussi bien avec des Drows capables de les anéantir, qu’avec des royaumes leur étant tout à fait hostiles. Ils géraient des fortunes, mais ces trésors étaient bâtis sur des sables mouvants. Beaucoup l’oubliaient peut-être, mais ces princes ne régnaient que depuis moins de vingt ans.

« Prions les Cinq pour arriver en Hanning avant de rencontrer la moindre bande de guerre. »

Une question saugrenue sortit à nouveau de la bouche d’Ascanio. Le Prince était toujours aussi étrange et badin. Sa vie ne semblait qu’insouciance et émerveillement perpétuel. C’était un enfant découvrant le monde. Parfois, Lothaire en était profondément exaspéré. Tibério, a contrario, avait toujours été un homme stable, mesuré et sain d’esprit. Il en avait espéré de même pour le fils de celui-ci, mais force est de constater qu’il s’était bien trompé.

Il se racla la gorge :

« L’entraînement du chevalier se doit d’être régulier, sire. Ainsi, Othar lui permet de défaire ses ennemis. »

Il hésita avant de répondre :

« Et, non. Je n’ai jamais vu de combat de gladiateurs. »

C’était peut-être un comble pour un personnage ayant évolué ces dernières années en Ithri’Vaan, mais quand bien même il s’agissait de la pure vérité.

Plus loin, un éclaireur revenait en galopant vers la Vermeille en ordre de marche. Lothaire le vit du coin de l’oeil, et l’observa descendre une petite pente dans leur direction. Que pouvait-il bien avoir repéré ?
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeLun 2 Déc 2019 - 21:17


« C'est un sport noble, seigneur Lothaire. Peut-être pas au sens où vous l'entendez, mais vous aimeriez, j'en suis sûr. L'art de la lutte forge le corps et l'esprit. Deux domaines où vous excellez. Un jour, je vous emmènerai voir un de ces combats. »

L'arrivée de l'éclaireur les interrompit. Ce dernier s'en revenait justement d'Hanning, où il était allé s'enquérir de la température de la cité. Comme on pouvait s'y attendre, il régnait en la capitale des Sept Monts un fort climat de défiance. Au départ, la garnison d'Hanning n'avait pas prêté beaucoup de crédit aux rumeurs de retour de l'ancien duc : ce n'étaient probablement que des histoires, et l'assassinat du gouverneur Polycarpe n'était que l’œuvre d'un loup solitaire. Et puis les paysans inquiets avaient commencé à affluer aux portes d'Hanning, et, ironie du sort, certains avaient vu l'armée des mercenaires d'Ascanio sans savoir qui la menait ; dans la confusion, la prétendue armée fantôme de Kodratos avait subitement pris une forme bien réelle. A présent, les portes de la cité d'Hanning étaient closes, et il fallait montrer patte blanche pour espérer franchir les murs, car l'on s'attendait véritablement à subir un siège.

Cet état des lieux ravit le Prince bien plus qu'il ne pouvait l'exprimer devant ses employés. Tout se passe merveilleusement bien. Les choses suivaient leur cours, conformément au plan génial qui était sorti de son cerveau génial - après être d'abord sorti du cerveau du brave Ultuant.

La ville d'Hanning apparut bien assez tôt. L'armée demeura à distance raisonnable, alors qu'Ascanio, accompagné de ses deux compères et de leurs lieutenants respectifs, chevauchait en vue de la grande porte, au-dessus de laquelle les toisaient avec méfiance une cohorte de défenseurs septamontains. Ils s'arrêtèrent à portée de voix et, Ascanio, levant la tête, s'écria :

« Holà, bonnes gens ! Nous venons en paix ! Je suis... il prit une profonde inspiration, avant d'enchaîner d'une traite : Ascanio, Premier de la Maison Vossula, Membre du Conseil de Thaar, Prince Marchand d'Eofel et de Feldorn, Empereur de la Soie, Grand Ordonnateur de Triphallicus le Dieu aux Trois Verges, Grand Vainqueur de la Mérelle d'Ys, Doyen Honoraire de la Confrérie des Plaisirs de Thaar et Sublime Souverain des Débits de Boissons ! *Hhhhhhhh* Il respira un grand coup, son visage tout rouge au bord de l'asphyxie. Puis il reprit : je suis venu porter secours au bon peuple d'Hanning des Sept Monts ! M'ouvrirez-vous les portes ? »

Un silence gêné s'ensuivit, alors que les hommes de la garnison, un brin emmerdés, échangeaient un regard. Avec tous les soucis qu'il leur fallait gérer, la venue de l'abruti d'Eofel n'était pas vraiment le secours qu'ils avaient espéré.

« Je les sens à cran et en plein doute, confia-t-il à ses affidés. Si tu usais de tes charmes, Va'he ? Cela pourrait les amadouer. Qu'est-ce qu'on fait, on prend la ville d'assaut ? Ces septamontains, ils sont tellement cons que ça ne devrait pas être bien dur...
- Je vous signale qu'on entend tout ce que vous dites ! »
s'éleva la voix d'un des gardes en haut du chemin de ronde.



Dernière édition par Ascanio Vossula le Lun 9 Déc 2019 - 11:12, édité 1 fois (Raison : Orthographe septamontain)
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeMer 4 Déc 2019 - 9:21


En arrivant sous les murs de la ville, Lothaire avait senti Ascanio d’humeur fébrile. Il se méfiait encore de la nature exubérante de son employeur, qui l’empêchait de véritablement saisir le personnage, à son plus grand regret. Le capitaine se considérait comme un bon juge des hommes, et croyait en sa capacité à voir avec justesse ce qu’ils étaient derrière leur masque. Avec le Prince Vossula, c’était plus complexe : il n’avait toujours pas décidé s’il faisait exprès de jouer les idiots pour amadouer et ruser, ou s’il était effectivement le plus grand débile sous les ordres duquel Lothaire fut jamais placé.

Les défenseurs d’Hanning n’avaient pas l’air à l’aise, derrière leurs créneaux. Ils se lancèrent tour à tour des regards confus, alors qu’Ascanio leur déblatérait sa litanie de titres tapageurs, une tradition commune aux nobles du Sud de la Péninsule. Apparemment, ils ne s’attendaient pas à ce que le Prince-Marchand lui-même vienne les aider. Le silence qui suivit ne rafraîchit pas l’atmosphère, pesante au possible. Ce fut Ascanio qui brisa encore le silence, avec des paroles fort imprudentes. Lothaire en sourit.

« Pour la surprise, je pense que c’est raté, seigneur. »

Il observa les murailles et la garnison réunie sur le chemin de ronde. La bande de guerre qu’avait réunie l’Empereur de la Soie était peut-être conséquente, mais pas assez pour se permettre un siège d’une place comme celle-ci. Ils avaient sans doute dû se préparer, notamment avec les rumeurs du retour de leur ancien maître et les fameux pillages campagnards. Il objecta :

« Vous l’avez dit vous-même, nous sommes ici pour secourir les Septmonts. Je suggère de leur demander l’hospitalité, afin que nous puissions passer une nuit en sécurité avant de donner la chasse aux mazrouks de Kodratos. »

A voir les visages dubitatifs se regarder comme des truites avariées, Lothaire doutait que la proposition soit unanimement acceptée, voire pas du tout. Ouvrir ses portes à une armée de mercenaires en période de troubles, même si celle-ci était menée par un Prince-Marchand du Conseil, pouvait s’avérer dangereux. Il se tourna et fit signe à Robard de venir le trouver.

Ce dernier accourut tout de suite. Ils échangèrent alors à voix basse :

« Tiens-toi prêt à donner l’ordre de monter le camp. Envoie des cavaliers repérer l’endroit le plus sûr autour d’Hanning, de préférence près de l’eau. »

Le chevalier acquiesça d’un mouvement de tête, avant de repartir en direction de la colonne mêlant la Vermeille et la compagnie de Va’he. Il ne lança même pas un regard à cette dernière, bien qu’il eut encore en tête de sombres pensées, mêlant érotisme et sang versé.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeMer 4 Déc 2019 - 20:51


Et dire qu’elle devrait être en route pour la côte brûlée en ce moment même après avoir amené à Armand les dernières marchandises qu’elle trimbalait. Mais non. Ascanio en avait décidé autrement, Armand en avait décidé autrement. D’ailleurs, il n’avait pas décidé quand chose, si ce n’était d’envoyer Va’he commander à sa place, prétextant une énième affaire urgente.

Va’he commandait ainsi la compagnie des Renégats. Elle était ainsi accompagnée de mercenaires, de maîtres-chiens ainsi que de quelques mages. Les espions de la compagnie, eux, ont été envoyés en amont, plusieurs jours plus tôt, pour ainsi pouvoir prendre la température sur place.

Son cheval avança au même rythme que les autres. Celui-ci était plutôt docile et Va’he pouvait donc sans problèmes se laisser porter tout en laissant son esprit s’évader. Enfin… s’évader était un trop grand espoir lorsqu’on savait qu’elle chevauchait aux côtés de P’tit Biscuit. Ces deux-là s’étaient d’ailleurs un peu éloigné du groupe de tête, restant un peu à l’écart pour se taper une « causette ».


- Je ne comprends pas pourquoi on m’oblige à venir avec.
- Sans doute qu’Armand souhaite t’endurcir.
- Mais je suis déjà tout dur ! Ça te dit qu’on reparle de champis ? J’ai encore trouvé une nouvelle espèce. Et au vu de ses couleurs, je parie qu’elle doit être succulente !
- Un jour tu mourras pour avoir mangé celui qu’il ne fallait pas.
- Oh bah, au moins ma mort aura servi à quelque chose ! On saura tous qu’il ne faut pas bouffer ceux-là.
- Encore faut-il que tu ne meurs pas seul, ce qui risque bien de t’arriver si tu continues de jacter au lieu de la fermer. Mais P’tit Biscuit n’écouta même pas la fin de la phrase de la belle blonde vu qu’il se pencha légèrement en avant, pas du tout discrètement.
- J’crois que t’as une touche.
- Pardon ?
- Bah si, regarde comme le capitaine Lautare te regarde.
- Lothaire. Reprit-elle avant de croiser finalement le regard du principal intéressé.
- J’ai l’impression qu’il y a de l’amour dans l’aiiiiir, ouuuuuuuhouuuuuuh.
- La ferme.

Va’he avait parfaitement interprété le regard que lui avait lancé Lothaire : il voulait sa peau, et non pour la caresser ou l’embrasser mais plutôt pour l’écorcher lentement mais surement. La Vaanie n’y prêta pas attention. Après tout, ce n’était pas le premier à vouloir sa mort et ce ne sera sans doute pas le dernier.

Elle se rappela le baiser échangé, plusieurs ennéades plus tôt et ce connard s’était permis de la mordre. Cela lui avait fait un mal de chien pendant des jours ce qui l’avait empêché de se sustenter correctement. Depuis, la haine qu’elle vouait déjà à ce type suite à la disparition d’Akyla ne fit que se renforcer. Secrètement, elle attendait le bon moment pour le buter. Sans doute profitera-t-elle lors d’une quelconque bataille pour lui asséner une flèche en traitre.

Enfin arrivés devant la cité, Ascanio fit… du pure Ascanio. Va’he quant à elle, ne pipa mot, affichant plutôt un air blasé, comme si elle s’était attendu à un tel discours du Prince. Après tout, elle ne connaissait plutôt bien, pour avoir déambulé pendant plusieurs années dans le palais des Vossula, quand son père était le précepteur des enfants de Tibério. Il ne fallut pas longtemps, à la petite Va’he de six ans, pour comprendre qu’à son âge déjà, elle démontrait plus d’intelligence que celui qui en avait déjà quinze.

- Si tu souhaites absolument que j’use de mes charmes, c’est avec une flèche en pleine tête qu’il finira. Es-tu bien sûr de vouloir ça ?

Elle ne put s’empêcher d’avoir un regard qui se dirigea vers Lothaire, comme si cette menace planait autant sur les gardes qui refusaient de leur ouvrir la porte mais sur lui également.

Suite à sa remarque, Va’he laissa simplement les hommes parler car il fallait l’avouer, elle n’était pas du tout emballée par cette mission.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeJeu 5 Déc 2019 - 0:29


Ascanio aurait sans doute été plus avisé de consulter les deux chefs mercenaires avant d'entamer les pourparlers. Là ! Ce qui est fait est fait. Maintenant, Lothaire se prononçait en faveur d'une chasse aux pillards ; quant à Va'he, elle ne semblait pas d'humeur à montrer ses seins pour amadouer les gardes. Ascanio se renfrogna, agacé par ce contretemps. Il avait espéré que son statut de Prince Marchand de Thaar lui ouvrirait les portes d'Hanning comme un sésame...

« Écoutez, nous sommes là en amis ! Que la cité d'Hanning offre l'hospitalité à mes hommes pour cette nuit. Demain, nous irons donner la chasse aux Mazrouks, et à l'homme qui se prétend duc !
- Comment vous faire confiance ? Il y a deux secondes, vous parliez de prendre la ville d'assaut !
- Oui, non, mais...
- Vous l'avez dit, on vous a entendu !
- Mais c'était pour rire !
- Personne ne rigole. »


Ascanio considéra la rangée de visages taciturnes qui surplombait la muraille. En effet, personne ne rigole. On doit bien s'emmerder dans une garnison pareille, avec cette bande de grincheux.

« Est-ce ainsi que les Sept Monts accueillent la main tendue d'un homme qui leur veut du bien ? s'indigna-t-il. Je suis venu ici avec mon cœur, messieurs ! Mon cœur qui bat de l'amour que j'éprouve pour la vie, celle qui fait de nous des êtres de chair et de sang, celle qui nous fait aimer, rire et pleurer, celle qui nous fait autant jouir que souffrir ! Car oui, messieurs, c'est bien de la vie que nous parlons ici ! » Un violon, sorti de nulle part, se mit à jouer un air langoureux tandis qu'il déclamait sa tirade. « C'est votre vie que je viens protéger, quand Kodratos le Tyran s'en vient vous la prendre ! Il fut jadis votre sire, mais ce croquant vous affligea de sa méchanceté et de sa cupidité, et aujourd'hui, il brûle vos villages, tue vos femmes et viole vos animaux, alors qu'un bon seigneur devrait protéger ses ouailles ! Aie confiance en moi, Hanning, car je t'offre l'espoir et la paix ! Je ne suis pour toi qu'un Prince Marchand de Thaar, mais le Prince Marchand n'aspire-t-il pas lui-même à aimer ? »

En haut des remparts, la méfiance n'avait pas disparu, mais il y flottait maintenant une atmosphère de sidération palpable.

« Désolé, on n'a absolument rien compris à ce que vous venez de baver, répliqua tout à trac celui qui s'était fait le porte-parole des gardes de la porte. Vous voulez quoi, en fait ?
- Bon, coupons la poire en deux. Mon armée campera aux abords de la cité, afin de ménager la tranquillité de vos concitoyens. Nous protégeons la cité et ses abords de toute vague de maraudeurs ; mais je demande le droit d'être admis en vos murs avec une escorte réduite, et de pouvoir circuler librement et de jouir des prérogatives qui sont les miennes en tant que représentant de la Confédération de Thaar. Est-ce trop demander ?
- Qu'adviendra-t-il si on refuse ?
- Alors nous nous retirerons et laisserons Kodratos le Mangeur d'Enfants semer la terreur dans votre pays.
- On va y réfléchir. »


Tant de contretemps inutiles ! Ascanio enrageait. Alors que les gardes tenaient conciliabule, le Prince Marchand se tourna vers Lothaire et Va'he. « Lui, je vous jure que je cramerai sa famille », promit-il. Après quoi il jeta rapidement un œil en haut de la muraille, s'inquiétant un peu tard de ce qu'on ait pu l'entendre - apparemment non.

Le capitaine de la Vermeille avait déjà pris les devants pour repérer un emplacement favorable où établir le campement. Une initiative utile ; ils risquaient de demeurer là un certain temps.

« Mes amis, j'espère que vous vous sentez prêts à chasser du nomade. La belle campagne qui s'annonce ! Je me sens comme un empereur nisétien sur le sentier de la guerre, avec mes merveilleux généraux. Ah, les nuits blanches que nous allons passer tous les trois, à concocter des plans, à discuter tactique ! J'ai hâte d'y être. » La pupille brillante, il ajouta d'un air innocent : « on risque de passer beaucoup de temps ensemble, il serait peut-être judicieux que nous partagions tous les trois la même tente. »

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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeLun 9 Déc 2019 - 8:43

Lothaire trouvait la proposition d’Ascanio à la fois suspecte et dérangeante. Par instinct, il sut qu’il devait refuser l’offre du Prince. Puis, se retrouver si proche de Va’he n’était peut-être pas la meilleure des choses, s’il voulait que la campagne se déroule sans accrocs.

« J’ai ma propre tente et mes propres effets. Je suis sûr que vous avez la vôtre également. »

Pour changer de sujet, il continua :

« Je doute que l’on nous laisse camper à-mêmes les portes, après votre… petite conversation. Mes éclaireurs vont repérer le meilleur endroit pour passer la nuit. Quand nous serons installés, nous échafauderons un plan pour chasser les Mazrouks. Vos renseignements sur ce type d’unité seront très appréciés, seigneur Ascanio. »

Il fit dériver son regard sur Va’he, mais ne lui dit rien. Il la revit faire claquer la corde de son arc, et sentit le trait lui ouvrir la tempe. La blessure avait été refermée par Fëulaë depuis, mais le souvenir de cette nuit restait vivace. Il fit un signe de tête au prince, avant de faire tourner bride à son cheval, et se diriger vers ses lieutenants, en grande discussion avec les éclaireurs.

Après une rapide reconnaissance, ces derniers avaient trouvé l’endroit parfait pour s’installer, cachés derrière une grosse colline sur laquelle ils pouvaient placer une sentinelle dominant une bonne partie de l’arrière-pays, et proche d’un petit cours d’eau. Une fois informé, Lothaire dirigea sa compagnie vers l’endroit pour y établir son campement. La Vermeille avait monté et démonté ses tentes des centaines de fois, et savaient depuis belle lurette comment et où creuser les tranchées faisant office de latrines. Leurs nombreuses campagnes les avaient habitués à la vie extérieure, et certains préféraient même passer une bonne soirée autour d’un feu de camp que dormir dans une caserne insalubre.

Comme toujours, la tâche ingrate des latrines incombait à Prosper, mais après tout, ne venait-il pas d’un pays boueux et merdique ? L’Arétan ne s’en formalisait pas. Il pouvait ainsi promptement baptiser les lieux, et se venger par la même de tous ceux qui passeraient après lui.

Lothaire organisa les relais pour les sentinelles, et leurs emplacements, aidé dans cette tâche par Robard et les éclaireurs. Hassar Mérohès rapporta que certains hommes dans la troupe craignaient que les gens d’Hanning ne fassent une sortie pour les massacrer pendant la nuit ; le capitaine lui demanda de les rassurer. Lorsque l’ombre de la nuit tomba sur la campagne septamontaise, que la brise apporta les relents des cuissons à-même la braise, le bivouac était établi.

Sous sa tente, Lothaire était assis en tailleur sur sa couche de fortune, aiguisant sa lame dans un silence religieux. Chaque soir, c’était ainsi qu’il se détendait. Il marmonnait une prière à Othar, tandis qu’il acérait sa lame pour sa prochaine victime. Depuis quelques années, Lothaire ne faisait plus beaucoup d’insomnies. Milon y était sans doute pour quelque chose, mais il aimait aussi à penser que les dieux avaient fini par lui sourire ; tourner leur regard vers lui.

Une tête dépassa du pan de sa tente. C’était Mâchicoulis.

« Le Prince souhaite discuter stratégie. »

Lothaire soupira. Peut-être avait-il tort. Après tout, il voyageait en compagnie d’Ascanio Vossula…
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeLun 9 Déc 2019 - 11:05


Lieutenants et capitaines trouvèrent le Prince agenouillé sous sa tente, buste incliné face à une bien étrange effigie. On eut dit une sorte d'arbre à trois branches qui aurait poussé sur deux étranges et énormes bulbes. Guère perturbé par l'irruption de ses visiteurs, Ascanio psalmodiait une prière :

Ô Prodigues Appendices, Lumière des Lumières
Feu fertile irriguant le Ciel et la Terre
Diurne moiteur sur le sable des Dunes
Ardeur humide ruisselant des deux Lunes
Ô Tri-Unique, confère-moi ta Vigueur
Prête-moi ta Force, Divin Ensemenceur.

La prière achevée, Ascanio se redressa et fit face à son auditoire. Il était vêtu d'un long peignoir de soie de qualité qu'il n'avait pas pris la peine de refermer. Dans son élan, les pans s'échappèrent en révélant son torse velu, et ne laissant guère de doute sur le fait que le Prince, contrairement au dieu qu'il vénérait, était normalement constitué.

« Ce qui s'est produit aujourd'hui est un contretemps regrettable », expliqua Ascanio tout en refermant son peignoir. « Mais qu'importe ! Nous sommes venus pacifier ce pays, et c'est ce que nous allons faire. Vous me demandiez, capitaine Lothaire, de vous en dire un peu plus sur les Mazrouks. Ce sont des cavaliers nomades, qui aiment vendre leur cul au plus offrant et qui tiennent rarement parole. Des mercenaires, en somme. » Il jeta un regard à Lothaire et Va'he, avant d'ajouter précipitamment : « mais des pas-comme-vous, bien sûr ! Vous, c'est différent. Et c'est pourquoi vous allez vaincre, car vous êtes tout ce qu'ils ne sont pas : vous connaissez la discipline, la coordination, toutes ces choses qui permettent d'éviter des incidents inutiles. » Il repensa à l'incident de la clairière et douta de la pertinence de ses mots, mais ce qui était dit était dit. « L'ennui avec ces oiseaux-là, c'est qu'ils savent se déplacer rapidement et discrètement, et disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus. Il faudrait trouver le moyen de les attirer dans un piège. » Son regard s'illumina aussitôt. « J'ai une idée ! On construit une grande sculpture de bois, en forme de taureau par exemple, et on se cache tous dedans. Les Mazrouks la trouvent au milieu de la plaine, croyant qu'il s'agit d'une offrande, et ils s'approcheront sans méfiance. Et là, on les défonce ! Sacrée idée, pas vrai ? Par contre, faut pas faire de bruit à l'intérieur ; le premier qui lâchera une caisse prendra ma main dans la figure. »
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeLun 16 Déc 2019 - 8:55

A la vue de ce qui les attendaient dans la tente, beaucoup avaient exprimé leur malaise, d’abord devant l’idole aux formes biscornues, et ensuite devant l’absence totale de gêne de la part de leur employeur. Mais si Lothaire s’était contenté de plisser les yeux et de marmonner quelques jurons en patois nordien, Prosper était quant à lui en train de s’esclaffer en se tenant la bouche devant l’autel ithyphallique qui trônait derrière Ascanio. Les tentatives du reître pour rester discret étaient vaines, car maintenant que le prince était retourné, il pouvait clairement voir l’Arétan en train de se foutre de la gueule de sa religion.

Alain d’Alonna ne tempéra même pas ses ardeurs, et murmura laconiquement :

« Ces Estréventins sont décadents. »

Lothaire n’avait plus entendu quelque chose d’aussi sensé depuis des ennéades… Il attendit qu’Ascanio noue son espèce de peignoir avant de répondre aux affres et plans foireux de son pourvoyeur de fonds.

« Une idée intéressante, mon Prince. Malheureusement, le temps nous manque, et je pense qu’il est préférable de les attirer autrement. »

Parfois, Lothaire se demandait s’il avait bien fait de rejoindre le service d’un homme aussi démesuré qu’il était dément et éloigné de la réalité des choses. Mais tant que son or payait ses troupes, le capitaine de la Vermeille pouvait bien supporter cela. Il continua sur une esquisse de plan qu’il avait déjà un peu potassée durant le voyage avec ses lieutenants, sur les informations qu’ils avaient pu glaner sur ce qu’étaient les Mazrouks.

« Nos ennemis sont des cavaliers légers, sire. Ce qui veut dire qu’à part nous harceler, ils ne feront pas grand-chose contre nous, car notre troupe est trop conséquente pour qu’ils l’attaquent comme ils le feraient avec un village de paysans. Si j’en crois vos dires et ceux de mes gens, nos ennemis sont rapides et agiles. Notre cavalerie légère n’est pas assez nombreuse pour qu’on les engage contre eux, et nos chevaliers sont trop pesants pour les rattraper. »

Il se racla la gorge, et Alain sortit de la tente. Lothaire sourit.

« Fort heureusement, j’ai réfléchi à un moyen de supprimer leur avantage, en nous servant de ce qui font leur renommée. »

Lorsque l’Alonnan revint dans la tente, il portait un tas de gros tissus de la même couleur brun délavé qu’il jeta aux pieds d’Ascanio. Lothaire croisa alors les bras, se rapprocha, et indiqua les frusques d’un geste du menton.

« Votre idée de les attirer était ingénieuse, seigneur Ascanio. Je vous propose de nous accorder sur votre plan, mais de manière plus rapide et moins coûteuse. »

L’énorme tas n’était pas vraiment qu’un amas de tissus. Il s’agissait en fait de vêtements sales et dépareillés. Des vêtements de roturiers, de mendiants… ou de paysans.

Prosper s'était mis en retrait des autres officiers, pour essayer de se calmer en se tenant les côtes, toujours parcourus de spasmes de rire.

« Ils vénèrent des bites ! Des bites ! »
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeMer 18 Déc 2019 - 15:41


Ascanio acquiesça aux paroles du brave et preux Lothaire ; son regard pétillait de malice alors qu'il songeait à la stratégie qu'ils s'apprêtaient à déployer. C'était beau. C'était fort. C'était ingénieux. Un plan digne de moi, songea le Prince, avant de s'approcher du capitaine de la Vermeille et de glisser un bras autour de ses puissantes épaules, comme il l'eut fait d'un frère - ou d'un amant.

« Très juste, seigneur Lothaire. Voyez-vous, nos ennemis sont des cavaliers légers, tout juste bons à nous harceler. L'idée du taureau en bois était bonne, mais j'ai une meilleure idée : je propose que certains d'entre nous se griment en clodos pour leur servir d'appât. »

Il sourit de toutes ses dents, comme si personne dans l'assistance n'allait remarquer qu'il venait de s'approprier la stratégie de Lothaire. Le sourire s'effaça bien vite, toutefois ; les yeux du Prince se posèrent sur le persifleur malelandois, ce reître arétan qui ricanait sans vergogne en se moquant ouvertement de son dieu.

« Je vous aime bien, Lothaire », souffla-t-il à l'oreille du capitaine, se tenant assez proche de lui pour que ce dernier sente son souffle sur sa joue. « Mais je vous suggère de discipliner vos hommes, car le prochain qui se moquera de mon dieu affrontera mon courroux. Et je peux être très méchant, sachez-le. »
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeJeu 19 Déc 2019 - 10:07

Lothaire était exaspéré par le comportement du Prince. Cependant, cette fois-ci, il n’était pas le seul. Toutes les personnes sous la tente purent constater avec une certaine gêne que leur employeur n’avait aucun sens des réalités. Un trait de caractère plutôt dangereux dans une situation comme la leur, lâchés en pleine campagne septamontaise, à la trousse d’ennemis dangereux et sans aucun allié pour les y aider.

La proximité d’Ascanio avec lui mettait Lothaire mal à l’aise, surtout après avoir découvert qu’il s’agenouillait régulièrement devant une idole faite de phallus, le tout à peignoir ouvert… Il chercha à se défaire gentiment de l’emprise du Prince, mais force était de constater qu’il avait le grappin facile, et entraîné à ne pas lâcher ses proies si facilement. Il se retint même de lui faire manger son poing lorsqu’il approcha son visage de son oreille. L’eut-il embrassé qu’il n’aurait plus répondu de rien, cependant…

Lothaire regarda Prosper. C’était assez étrange à réaliser, mais l’Arétan était soudain devenu sa seule échappatoire. Aussi, il se dégagea promptement de l’emprise d’Ascanio avec un sourire affable et diplomate, faisant une légère révérence du chef avant de poursuivre :

« Sans aucun souci, monseigneur. Je vais avoir une petite discussion avec mon lieutenant de ce pas. En attendant, je ne saurais trop vous conseiller de vous reposer. La nuit porte conseil... »

Il s’empressa alors de sortir de la tente en saisissant Prosper par le bras. Ce dernier n’avait pas vraiment compris tout ce qu’il se passait, et ne s’était pas arrêté de rire avant que sa peau n’entre en contact avec la fraîcheur de l’air du soir. Une fois qu’ils furent isolés des autres lieutenants, qui regagnaient leurs tentes, Lothaire lâcha Prosper, qui se pétrit le bras.

« Capitaine, j’voulais pas… enfin, avouez que c’est tordant non ? »

Lothaire frissonna rien qu’à l’idée.

« Ho que non, ce n’est pas amusant du tout. Nous sommes en campagne dans l’endroit le plus minable du monde, et sous les ordres d’un pervers hérétique. »

L’Arétan pouffa, puis retrouva bien vite son sérieux en voyant la mine de Lothaire se froncer.

« Mes excuses, seigneur… J’le referai plus. Comme disait mon frère Quintus, motus et bouche ton cul ! »

Le capitaine de la Vermeille observa un instant la tente de commandement, avant de se tourner vers Prosper et de lui murmurer :

« Ne te moque plus de ses idoles païennes. Plus pour le moment… »

Sur cette dernière phrase lancée d’un ton sibyllin, Lothaire fit volte-face, soulevant une légère pellicule de poussière du sol alors qu’il regagnait son abri, dont il faisait garder l’entrée de tout intrus… même des plus puissants.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeJeu 19 Déc 2019 - 12:43


Neuvième ennéade de Favrius,
le cinquième jour...


Le soleil mourant s'échappait à l'horizon, nimbant le ciel d'un crépuscule rouge sang, tel un voile sinistre survolant le village de Foquiou-Mozhères. Il régnait là le pesant silence qui précède les désastres, ponctué de temps à autre par le cri d'un oiseau de proie ; c'est que les bêtes de charognes savaient faire preuve d'un opportunisme clairvoyant lorsqu'elles devinaient, dans la tension ambiante, les prémices d'un drame à venir.

En un clignement de cil, un tertre qui s'élevait non loin de là se trouva subitement envahi de silhouettes menaçantes. Des hommes à cheval, encore invisibles quelques instants plus tôt, se tenaient là immobiles, lorgnant le petit village isolé comme un prédateur lorgne sa proie.

Du haut de son cheval, Jamshid esquissa un sourire carnassier. Un vent léger agita les longs cheveux d'un noir de jais qui descendaient sur ses puissantes épaules, voilant en partie son visage mat couturé de cicatrices. Le Mazrouk dégaina son cimeterre, pointa celui-ci en direction de leur cible, et poussa un cri lugubre, bientôt repris en cœur par toute la bande. Le tertre résonna de leurs rugissements sauvages, alors que le ciel n'en finissait pas de rougir.

Les Mazrouks dévalèrent la pente et fondirent en direction du lieu de leur prochain pillage, emplissant le pays rouge de leurs hurlements guerriers.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeJeu 19 Déc 2019 - 13:22

« Cette jute me gratte les... »

« Chhht Yabbad ! Et regarde plutôt ! »

Hassar Merohès et le Croc s’étaient immobilisés dans le soleil couchant. Au sein du village de Foquiou-Mozhères régnait une atmosphère tendue et silencieuse. Les habitants, vêtus de haillons, toisaient dans l’horizon sanglante une masse de cavaliers renégats, tout droit sortis des tréfonds du royaume de Tyra. Ombres se découpant dans le soleil mourant, ils lâchèrent un cri de guerre à en faire frémir les lâches.

Fort heureusement, dans ce hameau, nul lâche pour frissonner, que des braves pour s’en gausser.

Yabbad le Croc eut un sourire mauvais, qu’il communiqua à son ami Hassar. Les deux hommes se comprirent d’un regard, et Yabbad lança soudain comme un acteur de théâtre :

« Au secours ! Alerte ! A moi ! Les horribles Mazrouks attaquent le village ! »

Merohès ricana, le trouvant très convaincant. C’était le premier signal. Les hommes déguisés en paysans se mirent à courir dans tous les sens, donnant l’illusion d’un chaos sans nom se propageant entre les maisons aux toits de chaume et aux murs de torchis. Les appâts, cependant, ne se dirigeaient pas à l’aveuglette vers des cachette ordinaires. La nuit précédente, des armes avaient été dissimulées sous différents draps posés à-même le sol. Ils couraient dans leur direction, afin de se préparer à la seconde phase du plan.

Les cavaliers étaient rapides et vifs. La charge ne mit que peu de temps à faire passer les portes du village aux pillards, qui ralentirent leur allure afin de s’immiscer entre les maisons, à la poursuite de leurs futures victimes. Au son de l’hallali, ils se mirent en chasse pour débusquer leurs proies favorites : les pauvres cultivateurs sans défense. Malheureusement pour eux, le forhu n’avait pas encore été donné qu’ils s’étaient eux-mêmes condamnés.

Hassar Merohès, que deux cavaliers prenaient pour cible, s’abaissa pour en sortir une pique et la présenter aux chevaux, qui hennirent de peur et se cabrèrent en faisant vider les étriers à leurs propriétaires. Tous les hommes autour des hussards répétèrent le mouvement, prenant par surprise les Mazrouks hébétés qui s’attendaient à bien moins de résistance.

La surprise passée, les cavaliers orientaux auraient pu se ressaisir, après tout ils avaient l’avantage du nombre. Et quand l’échauffourée commença entre les faux-gueux et les pillards désorganisés, Hassar y vit le moment tant attendu pour donner le second signal :

« Rouge Sang ! »

Dans la cohue et la cacophonie des cris et des armes s’entrechoquant, le cri se perdit, et le lieutenant estréventin dut s’y reprendre à deux fois avec ses hommes pour relancer le signal. Mais lorsqu’ils parvinrent à le beugler assez fort pour passer les bruits de la mêlée, le burin se trouva soudain un marteau pour frapper : des masures grotesques du village sortirent des hommes en armes, hurlant leur envie d’en découdre. Sur les toits, des archers grimpaient pour venir prendre position au-dessus de la mêlée, devenant le plus dangereux des escadrons embarqués dans cette chevauchée qui tournait au vinaigre. Jean Baba, avec ses tireurs péninsulaires et estréventins, allait faire un ravage chez les Mazrouks.

Le dieu de la guerre flottait au-dessus de la mêlée, dont les premières victimes abreuvaient déjà le sol de leur sang. La terre sèche s’humidifiait de cette offrande au Père des Batailles, qui ferait se coucher le soleil sur un océan vermeil, aux couleurs de son fils favori.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeVen 20 Déc 2019 - 0:50


Sonné, Jamshid relevait lentement la tête. Comme nombre de ses hommes, sa monture l'avait jeté à terre avant de se carapater. A moitié assommé dans sa chute, il n'émergeait des ténèbres que pour découvrir le chaos environnant : une pluie de flèches s'abattait sur les siens, lesquels tombaient comme des mouches. La panique s'était emparée de ses frères de sang - quel comble ! Eux qui ignoraient la peur, ils la découvraient cette nuit, se trouvant incapables d'y faire face.

Ses dieux l'avaient-ils abandonné ? L'idée le gagnait peu à peu, alors que les hurlements des siens emplissaient les lieux et que des sillons de sang se formaient sur le sol poussiéreux, irriguant la terre meuble. Il relâcha la tête et se laissa tomber sur le dos, les yeux rivés vers ce maudit ciel rouge. Il avait mal interprété les présages ; la carnation de ce crépuscule pourpre annonçait leur perte. Il ferma les paupières, et attendit son heure, tandis que ses frères mouraient autour de lui et que bientôt viendrait son tour. Des piquiers marchaient entre les cadavres, il les entendait ; il entendait leurs piques pénétrer les chairs, et les cris rauques et secs des mourants qu'on achevait. Les pas étaient de plus en plus proches. A tâtons, Jamshid chercha son cimeterre ; il devait mourir l'arme à la main. Ses doigts se refermèrent sur la garde, et il resserra sur elle son emprise. Combien d'existences avait-il fauché avec cette arme ! Quelle pitié qu'il lui faille mourir cette nuit, de si vile manière ; il avait été un grand guerrier. Il se remémora ses faits d'armes, mais le souffle haletant d'Ehsan l'empêchait de se concentrer : ce dernier ne pouvait agoniser en silence, et il semblait si terrorisé qu'il était probablement en train de se chier dessus. Ses plaintes s'interrompirent subitement, alors qu'il émettait un borborygme immonde. Jamshid ouvrit les paupières. La silhouette d'un homme le surplombait de toute sa hauteur ; celui-ci retirait une longue pique du corps mutilé d'Ehsan.

Mû d'une inspiration soudaine, Jamshid roula sur le côté avant de se relever, et fondit sur le piquier. D'un formidable coup de taille, il ouvrit l'infortuné du flanc à l'abdomen ; une flèche le frôla alors, manquant d'un cheveu sa cible, et Jamshid prit conscience que la mort le fuyait ; les dieux n'en avaient pas terminé avec lui. Il n'était pas fini. Ce n'était pas fini.

Alors le chef mazrouk hurla son cri de guerre, se rappelant à tous ceux des siens qui se tenaient encore debout et luttaient contre ces hommes armés qui avaient surgi des masures. Et il se rua au contact, ferraillant avec une frénésie démoniaque et contagieuse, crachant à la gueule des visages pâles qui tuaient ses frères, se moquant de la pluie de traits qui continuaient à percer les siens. Les Mazrouks se jetaient dans la mêlée avec une pression redoublée. Il était le héraut de la mort ; ces chiens regretteraient le jour où ils s'étaient mis sur sa route. Les visages implorants des victimes qu'il avait semées pendant toute une vie de pillages lui revinrent en mémoire, et Jamshid sourit ; et il éclata d'un grand rire sardonique alors qu'il se rappelait tous ces vieillards et ces enfants qu'il avait massacrés sans état d'âme, et toutes ces femmes qu'il avait violées et égorgées ; ceux-là attendaient fébrilement, dans quelque outre-monde, qu'on leur fasse justice. A la pensée qu'ils pourraient l'attendre encore longtemps, Jamshid rit de plus belle, et son rire retentit dans la nuit rouge, plus fort que les chocs de l'acier contre les armures et la chair, plus fort que les cris. Sa bouche se mit à baver du sang, et cela le fit encore rire un peu plus car ça n'avait aucune espèce de sens, pas plus qu'il ne comprenait pourquoi il ressentait tout à coup une douleur aigûe dans le bide. Le monde s'assombrit peu à peu autour de lui, les visages se firent troubles, les bruits s'éloignèrent petit à petit, comme si la bataille perdait en intensité, comme si l'ennemi reculait. Jamshid sentit la fatigue le gagner, mais il n'était pas temps d'arrêter ; il avait encore trop d'ennemis à faucher. Il agitait son cimeterre en tous sens, et il réalisa bientôt qu'il n'avait plus son cimeterre dans la main, si tant est qu'il ait encore une main ; son bras pissait le sang, et ses yeux n'en distinguaient même plus le bout.

« Arghblm ghug bltblgurg », cracha Jamshid avant de vomir un flot de sang épais, titubant mais toujours vivant, rassurez-vous, toujours la banane, toujours debout.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeVen 20 Déc 2019 - 9:08

Partout où les regards se posaient sur le champ de bataille, les cavaliers étaient aux prises avec des hommes armés de lances, quand ils ne luttaient pas pour éviter les flèches pleuvant du dessous, ou qu’ils n’avaient tout simplement pas vidé les étriers. L’échauffourée entre les maisons commençait à tourner largement en défaveur des Mazrouks ; tous leurs avantages leur avaient été retirés.

Plus loin, Hassar Merohès observait un homme désarçonné qui combattait comme un beau diable. Le baroudeur était percé de traits, mais continuait à faucher les guerriers de la Vermeille et des Renégats assez fous pour s’approcher et tenter leur chance. Hassar se délia les épaules de quelques mouvements, puis se saisit d’un javelot planté dans le sol qu’il propulsa dans le ventre du forcené. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il constata que cela ne lui avait rien fait, et qu’il continuait de semer la mort avec un rire dément.

Yabbad lui était tombé sur le dos avec un surin, mais là encore, le berserk n’avait eu qu’à s’ébrouer pour faire tomber le Croc par terre. Sa lame continuait de bouger, menaçante, alors que son propriétaire gloussait tout son sang. Soudain, un homme arriva par le flanc et lui trancha sa main d’arme, que le Mazrouk se mit à faire tournoyer comme si elle était encore là. Peu à peu, la bête féroce perdait son énergie, et elle finit bien vite sur ses genoux à fixer de ses yeux embrumés la silhouette de l’homme qui lui avait ôté sa main. Un gargouillis infâme s’échappa de sa gorge, et tous furent déçus qu’il s’agisse là de ses dernières paroles.

Lothaire, qui lui avait déjà tranché la poigne, décapita finalement sa victime. Son corps gesticula encore quelques secondes, avant de tomber sur le côté. La tête roula sur le sol, jusqu’à cogner contre la botte de son bourreau. Yabbad, en se relevant et en s’époussetant, observa la scène.

« Je m’demande combien de vies ça peut avoir, un Mazrouk. »

Lothaire planta la tête sur une pique, puis se fit laconique :

« Une seule. »

Tout autour de lui, c’était la débandade. Devant la mort de leur chef et le capharnaüm qui régnait dans le village, nombre de cavaliers avaient entamé une retraite désordonnée. Les Mazrouks étaient doués pour se désengager, mais en général, ils ne devaient pas le faire dans le chaos d’une bataille. Une petite partie de la troupe de pillards parvint à fuir le hameau, tandis que les autres, laissés à leur destin, se rendirent tant bien que mal à leurs ennemis victorieux. Cependant, Lothaire ne pouvait laisser s’enfuir ces pillards aux dents longues.

Il se saisit d’une corne, et sonna la charge. C’était la troisième partie du plan, celle qui devait lui assurer une victoire écrasante. Les Mazrouks étaient en pleine débâcle de Foquiou-Mozhères, et le son du cor leur indiquait qu’on leur donnait la chasse. Ils tentèrent donc de mettre le plus de distance que possible entre les mercenaires et leurs montures, cravachant ces dernières à leur en ouvrir les jarrets. Mais ce n’était pas les piétons du village qu’ils devaient craindre…

Depuis les flancs d’une petite colline, les reîtres des deux compagnies d’aventure avaient entendu le son du clairon et se préparaient à engager leurs chevaux frais dans la bataille. A leur tête, Prosper Estranglepoulet, qui faisait tournoyer son fauchon et frappait les flancs de son roncin pour couper toute retraite aux hommes en déroute. Démoralisés, exténués et pris entre deux feux, les cavaliers firent volte-face, avant de constater par eux-mêmes que la situation était perdue. Ils se séparèrent en petits groupes, certains filant vers l’ouest, d’autres vers l’est, tentant d’échapper à leurs poursuivants. D’autres menèrent un dernier baroud d’honneur, une charge censée laver l’affront qu’ils avaient fait aujourd’hui à toute leur tribu dans la honte de la défaite. Et alors que les derniers combattants se faisaient tailler en pièce par leur ennemi supérieur en nombre, les quelques indécis restants déposèrent les armes.

La bataille de Foquiou-Mozhères, après seulement une heure, était terminée.

Lothaire était assis sur une pile de sacs de grains, tenant la pique garnie d’une tête entre ses mains. Ses hommes avaient à peine achevé les blessés et mis des fers aux prisonniers qu’ils s’étaient jetés sur les cadavres comme la misère sur le pauvre monde, à la recherche d’objets de valeur à piller sur les immondes carcasses d’ennemis ou d’alliés. Le capitaine observait les traits déformés de son formidable adversaire.

« Oh, je sais. La vie est injuste. Tu aurais peut-être dû rester chez toi. Mais à en juger par tes vilaines cicatrices, tu avais la bougeotte… »

Alain d’Alonna, dont le visage était barré d’une nouvelle estafilade, se présenta devant Lothaire.

« Prosper donne la chasse aux groupes de Mazrouks qui se sont désolidarisés du corps principal. Mais je doute qu’il parvienne à les rattraper tous... »

Le capitaine acquiesça.

« Qu’importe… Ils sont trop peu nombreux et trop désorganisés pour constituer une menace. Bien joué. C’était une très belle bataille. »

Il offrit un sourire sincère à l’Alonnan, qui le lui rendit et hocha la tête. Il essuya sa joue rougie de sang d’un revers de la main, puis partit superviser le pillage, qui pouvait tourner lui aussi au vinaigre si un Vermeil et un Renégat se mettaient à convoiter le même cadavre. Lothaire, quant à lui, enfourcha son cheval de guerre et galopa jusqu’à la colline depuis laquelle Ascanio avait pu observer le massacre sans être inquiété. Il espérait y être avant Va’he, afin de s’approprier tous les lauriers. Une fois parvenu au sommet de la colline, il brandit la pique dans l’air assombri du soir, et l’abaissa vers le Prince afin qu’il puisse voir les traits figés de son ennemi vaincu.

« Tyra a eu son dû. La Vermeille a vaincu vos ennemis, monseigneur. »

Il passa sous silence le fait que des Renégats avaient également participé à l’escarmouche. Élever les rivaux n’était pas du genre de la maison…
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Ascanio Vossula
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeVen 20 Déc 2019 - 14:20


« Dieux, qu'il est laid », soupira Ascanio à la vue du vilain barbare dont la tête tranchée le toisait du haut de sa pique. « C'était une affaire rondement menée, capitaine Lothaire. J'ai presque envie de composer un chant sur vos prouesses. La Chevauchée de Foquiou-Mozhères, voilà un titre des plus inspirés, n'est-il pas ? Vous avez mérité votre salaire. Vous avez fait preuve de dureté, de fermeté ; j'aime ça chez un homme. »

Il sourit, dévoilant au capitaine une impeccable rangée de dents d'un blanc parfait, tout en songeant à un moyen de récompenser Lothaire comme il se devait. L'argent, c'était une chose, et sa compagnie en aurait à foison ; mais pour Lothaire, le Prince voulait quelque chose de plus spécifique. Quelque chose qui lui ouvrirait son cœur, car le mercenaire occidental continuait de se montrer froid et distant. Ascanio ne s'en formalisait pas ; il prenait son mal en patience, confiant en ses chances de dérider le bougre. Sous cette carapace de guerrier se cachait forcément un être doté d'une grande sensibilité.

« Toutefois, il reste un détail qui me chagrine », nuança le Prince avant de pointer du doigt la tête du Mazrouk et de faire la grimace. « C'est la tête de Kodratos d'Hanning qu'il me faut, et ce métèque ne lui ressemble nullement. Notre victoire est vaine si ce forban nous a glissé entre les doigts ; tant que ce scélérat vit et respire, il représentera toujours une menace. Cela m'arrangerait beaucoup que l'un de vos hommes le trouve. »


*


La chevauchée de Prosper Estranglepoulet laissait de nombreuses victimes dans son sillage carmin. Des chevaux sans maître se cabraient et hennissaient, pris d'effroi ; nombre des bêtes viendraient grossir le butin de guerre des deux compagnies qui risquaient de se disputer âprement la répartition des richesses. Outre les nombreux morts qu'on s'affairait pieusement à déposséder de leurs possessions terrestres, un spectacle étrange attendait les mercenaires, si tant est que leur chevauchée les menât au tertre d'où étaient apparus les Mazrouks une heure plus tôt.

Au sommet de celui-ci, l'on avait fiché en terre un grossier poteau de bois contre-lequel était ligoté un homme revêtu de beaux habits, quoique maculés de poussière et de sang. Grand et large d'épaules, il avait jadis été fort, mais le destin l'avait rendu malingre et ses cheveux blonds s'étaient ternis de gris. Penché en avant, retenu par les cordes, il semblait dormir paisiblement. Du moins, on aurait pu le croire s'il n'y avait eu les deux corbeaux affairés à lui becqueter les yeux. Dissimulée par son menton baissé, une coupure longue et nette traversait sa gorge, et le sang encore frais ruisselait sous ses vêtements. On l'avait probablement égorgé juste après le départ des Mazrouks, comme si quelqu'un parmi eux avait prévu la défaite.
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MessageSujet: Re: Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he]   Le fumier de la gloire [Ascanio & Va'he] I_icon_minitimeSam 21 Déc 2019 - 12:12

Prosper observait le corps sans vie du pauvre hère se faisant boulotter par les corbeaux. Attaché à un poteau dans des habits somptueux, voilà un spectacle que l’Arétan n’avait pas l’habitude de voir, du moins pas avec un type mieux habillé que lui. Il avait les bras croisés et la mine renfrognée de celui qui réfléchit, mais qui n’est pas non plus une lumière. Les autres cavaliers tout autour poursuivaient les Mazrouks, mais certains étaient à côté de lui, dévisageant leur lieutenant. Ce dernier dit soudain :

« C’est pas normal. »

L’un de ses soldats haussa les épaules.

« Ils ont vu que le vent tournait pour nous, alors ils l’ont tué ? »

Estranglepoulet avait toujours ses prunelles braquées sur le cadavre malheureux. Il ne pouvait pas expliquer avoir un mauvais pressentiment, une espèce de picotement dans la nuque comme il en avait à chaque fois que quelque chose n’allait pas. Souvent, il passait à côté d’un détail, mais se doutait que quelque chose ne tournait pas rond. Prosper finit par hausser les épaules, décroiser les bras et monter sur son roncin au poil tâché de sang.

« Boarf, peut-être bien… Bon, retournons leur frictionner les boursettes ! »

Le reître accompagna à nouveau ses hommes dans leur chasse aux fuyards. Dans un coin de son esprit, cependant, restait un léger doute. Lorsqu’il en aurait marre de poursuivre les Mazrouks à travers la campagne septamontaise, il viendrait parler à Lothaire de ce mystérieux homme égorgé et attaché à un mât. Ce dernier aurait peut-être une explication, lui…
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