Ruthger de Lourmel
Humain
Nombre de messages : 50 Âge : 29 Date d'inscription : 18/12/2016
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 32 ans Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: La pierre fendue [Solo] Sam 4 Jan 2020 - 11:10 | |
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Troisième ennéade de Barkios, An 17 du XIème Cycle, Château de Lourmel
Après une journée d’entraînement dédiée à l’art militaire, Ruthger trouvait de bon ton de finir sur une note plus légère et travailler la poésie et la musique avec son nouveau pupille, Sulpice. Bien que ce dernier fit montre de plus d’assiduité à l’épée qu’à la plume, son style proche du médiocre s’améliorait de jour en jour, de même que ses doigts gourds parvenaient à produire des notes correctes sur le luth de son parrain patient et passionné.
Mais les jeunes gens de son âge, accablés par trop d’entraînements, finissaient toujours par tomber de sommeil une fois devant des activités plus calmes. Sulpice, parti dans le royaume des songes, avait laissé son maître finir seul sa soirée dans son officine d’écriture, une espèce de petit bureau dans lequel il rédigeait tous ses poèmes épiques et amoureux. Le dernier en date, toujours en cours de rédaction, était celui qui contait la fameuse aventure qu’il avait menée dans les bois d’Hedda en compagnie du comte d’Odélian.
Qui vilaisne teste avoit visé
« Oui ! Non. Quelle horrible métrique. »
Qui vilaisne teste...
« Vilaisne teste... »
L’on frappa à la porte. Ruthger sursauta, puis maugréa :
« Je n’aime point les destorbages de telle sorte ! »
Une voix étouffée lui répondit :
« C’est moi, Gontran ! Je souhaite vous parler, messire ! »
Ruthger soupira, mais accepta qu’il entre. Le chevalier-paysan pénétra dans le petit office, l’air grave. Apparemment, il avait quelque chose d’important à dire. Malheureusement, Ruthger était retourné au vélin sur lequel il gribouillait ses vers. Gontran se racla la gorge. Le seigneur daigna lever le menton.
« Messire… Cela fait longtemps que je voulais vous parler de ceci, mais je n’avais jamais pu vous voir seul. »
Ruthger fronça les sourcils, et se redressa sur sa cathèdre, lorgnant son vassal. Celui-ci continua :
« Je vous ai toujours soutenu, seigneur. Quand nous étions encore gamins, et que vous vous entraîniez sur moi pour devenir chevalier, pendant la campagne oësgardienne aussi, et pendant celle du Médian, quand vous m’avez adoubé. Malgré nos rangs opposés, vous m’avez toujours traité différemment des autres serfs. Comme… un ami. »
Ruthger roula des yeux.
« Mais tu estois mien compaing, palsambleu ! Si tu estois venu céans por me huiler les oreilles, va prestement, car je compose ! »
Devant ces paroles, Gontran trouva le courage de continuer.
« Si je suis votre ami, alors je dois vous le dire avec franchise : votre comportement m’est insoutenable. »
Le seigneur de Lourmel fit une énorme rature sur son vélin. Il releva la tête, décontenancé.
« Comment ? »
Gontran n’était plus du tout recroquevillé. Il se tenait droit, la tête haute.
« Depuis que vous êtes parti affronter les Drows dans cette foutue campagne au bout du monde, votre soi-disant légende n’a cessé de vous monter de plus en plus à la tête ! »
Ruthger gobait les mouches, lâchant sa plume. Comment osait-il lui parler ainsi ? Pis encore, il continuait !
« Vous avez attrapé un de ces melons… Vous parlez comme dans les chansons de geste, mais nous savons tous deux que c’est pour vous donner l’air intéressant, alors que ça vous dessert plus qu’autre chose, messire ! »
Le seigneur lourmelois se leva, mains posées contre la table, et tonna :
« Cesse tes pitreries céans, Gontran ! »
« Non ! Si je suis votre ami, alors vous devez m’écouter ! J’ai un poids sur la conscience… un poids que vous avez aussi, mais que votre ego vous empêche de voir. »
Ruthger fit le tour de la table, pour venir se placer devant Gontran. A sa grande surprise, celui-ci ne cilla pas, ni même ne recula. Le paysan craintif de naguère semblait n’avoir jamais existé.
« Vous ne les entendez pas ? Les pleurs des enfants ? »
Ruthger fronça les sourcils.
« Quels enfants ? »
Bottier avait les yeux luisants de tristesse, mais aussi de colère. Il cracha :
« Les enfants ! Ceux que vous aviez capturés dans ce village, à Ancenis… que vous avez revendus à un marchand de Sharas parce que leur seigneur n’a jamais consenti à les rançonner ! Vous vous souvenez de ça ? »
Le seigneur de Lourmel s’en souvenait. Mais il répondit avec verve :
« C’estait la guerre, Gontran ! »
Ce dernier secoua la tête.
« Non, ça ce n’est pas la guerre. C’est… c’est de la cruauté gratuite. Et le pire, c’est que vous ne vous en rendez même pas compte. Ouvrez les yeux, monseigneur ! Mon ami ! Chaque exaction que vous commettez sur le champ de bataille, chaque homme que vous envoyez à la mort pour que resurgisse sur vous la gloire… Vous n’avez aucune pensée pour le mal que vous faites autour de vous ! »
Ruthger envoya une gifle magistrale à Gontran, qui tituba jusqu’à fléchir contre la porte. Se tenant le visage de sa main, il essayait de se redresser tandis que Ruthger venait lui agripper son vêtement, poing levé.
« Ferme-la donc, coquebert ! N’oublie point à qui tu t’adresses céans ! J’estois ton seigneur, et tu me dois respect et silence ! »
Gontran se renfrogna.
« Ha, je ne suis donc plus votre ami ? Moi qui ai partagé toutes vos aventures, et qui n’en ai récolté que des maux, des cauchemars et des fantômes ? Toutes vos horreurs m’ont maculé de sang ! »
Ruthger fracassa Gontran contre la porte, le faisant couiner de douleur. Les yeux du noble étaient fous, exorbités. Personne n’avait eu jusqu’ici l’audace de lui parler sur ce ton, et il ne s’était pas attendu à ce que le gentil Bottier, Gontran le chevalier-paysan, vienne lui dire ainsi ses quatre vérités.
« Faible ! Un faible chouinard ! Voilà qui tu estois, Gontran Lafuite ! Né serf, d’un père serf et d’une mère serve, fruit de générations entières de va-nu-pieds ! Tu n’as point mérite à porter les éperons d’or ! »
Gontran resta silencieux pendant plusieurs secondes. L’atmosphère dans la pièce était lourde. Ruthger, que sa litanie avait légèrement calmé, était tout de même encore sur Bottier, le regard vif. D’une voix brisée, l’ancien serf dit finalement :
« Est-ce donc tout ce que vous pensez de moi ? »
Ruthger le lâcha, reculant d’un pas en s’essuyant la bouche couverte d’une légère écume.
« Cela et rien de plus. Pendard. »
Une larme ruissela sur la joue de Gontran. Des années durant, il n’avait osé se confier à Ruthger, pourtant son plus vieil ami. Mais il semblait que la barrière des rangs et des conditions ne pouvait être entièrement abattue. Il se sentit dupé, roulé dans la farine. Depuis tout ce temps, son amitié n’avait-elle été qu’une chimère ? Ruthger l’avait-il utilisé, comme tant d’autres, pour se mettre en valeur ?
Bottier se redressa en tremblotant. Cependant, lorsqu’il alla saisir ses éperons d’or de chevalier pour les jeter aux pieds de son seigneur, il ne tremblait plus. Sa voix était cassée, ses sanglots n’étaient pas loin.
« Si je n’ai aucun mérite à les porter, alors je vous les rends. Je suis fier de m'en débarrasser. C’est le symbole de toute la malfaisance dont vous pouvez faire preuve, vous autres, chevaliers. Vous cachez vos mensonges sous une couche de plaqué or. »
Ruthger observa ses pieds un instant, puis releva la tête froidement. Son ton, plus glacial encore, était sans appel.
« Je te bannis céans de mon logis, pleutre. Va-t-en d’ici, oncques ne reviens. »
Gontran adressa un dernier regard à Ruthger, par lequel passa toute une nuée d’émotions fortes. Puis il fit volte-face, ouvrant les gonds avec un calme aux antipodes du torrent ayant envahi son cœur. Il ne lui fit même pas un adieu lorsqu’il referma la porte, pas plus lorsqu’il s’éloigna sur son cheval en passant les portes de la forteresse.
Ruthger avait observé la scène depuis la fenêtre de son bureau. Gontran avait disparu dans la nuit noire et gorgée de pluie, avalé par la ville de Lourmel. S’il n’avait pas montré de signe de faiblesse durant leur altercation, le seigneur lourmelois n’en était quand même pas sorti indemne. Les piques de Gontran lui avaient réellement fait du mal.
Et dans toute sa splendeur chevaleresque et héroïque, il avait décidé de tabler sur l’orgueil, tentant d’oublier cette dispute saugrenue plutôt que d’essayer d’en comprendre les raisons.
Il tenta, vraiment.
Mais en vain.
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