Bientôt aux Sablons | Pour mon écurie [PV Aerianna]

début de la 6e ennéade de Bàrkios  ~ automne
17e année du XIe Cycle
Quartiers Thaaris de la Princesse Marchande de Geresh

C’était la partie que tu aimais le moins. Ton écurie, Champion, petits noms et bêtes était prête. Tes infrastructures, pour peu que la suite se passe à ton avantage était prête. De ton côté, les fonds étaient débloqués et suffisants, la machine était en place, dans tous les cas, tu ne pourrais jamais que tirer profit de cette aventure… seulement tu ne comptais pas te contenter d’en tirer maigre profit. Il fallait que tu mettes le maximum de variables de ton côté pour permettre à ton commerce d’exploser. D’exploser, et de te propulser à la place qui aurait dû te revenir de droit après que celui dont tu étais l’agent des ombres eut péri. Tu joues pour le contrôle de Qiryah. Et pour ça, tu auras besoin de l’aura des Princes-Marchands. Des véritables Princes-Marchands.

Sauf que les Princes-Marchands, tu n’avais aucune envie de les côtoyer, et encore moins de te présenter devant eux comme un riche mendiant cherchant à leur vendre des rêves. Mais comment faire autrement ? Ces gens-là, il fallait leur flatter l’égo pour qu’ils fassent quoi que ce soit. Ces gens-là, ce ne sont pas les pauvres messages colportés par les crieurs et les affiches qui les attiraient devant les grands événements. Ces gens-là, il fallait les porter aux nues, les brosser dans le sens de la barbe, et leur rappeler qu’ils étaient « quelqu’un ». Ces gens-là, ils n’avaient pas d’autre objectif de vie que de paraître quelqu’un. Eux qui dans la majorité des cas n’étaient personne d’autre que de riches héritiers n’ayant jamais qu’eu la chance de tout obtenir tout cuit dans le bec.

Tu prends une grande inspiration, tu expires tout aussi longuement, tu grognes à l’encontre d’un Fafnir qui s’excitait déjà beaucoup trop à ton goût, et sans quitter le dos de Skree, tu te présentais à la porte de l’étrange Palais-Auberge-Taverne qu’habitait la Princesse de Geresh. Elle était la première à qui tu t’adresserais, et pour le peu que tu savais d’elle, elle serait probablement – en dehors peut-être de cet abruti de Vossula à qui il suffit de présenter une paire de fesses – celle dont tu pourrais obtenir le plus facilement les faveurs.
Alors tu essaies de garder une expression faciale qui puisse te donner l’air le moindre brin avenant. Tu essaieras de ne pas placer un mot de travers, et surtout, tu essaieras de la lire. Elle, si elle n’avait ne serait-ce que porté la moindre attention à ce qu’il était crié partout dans la ville, elle en savait largement assez sur toi.

Un nain. Personne ne s’était attendu à ce qu’un nain vienne demander Aerianna Hiisi de Geresh.

Et elle non plus d’ailleurs, alors que Kamis venait lui dire que c’était un nain qui ne voulait pas se séparer d’un gobelin qui voulait la voir. On pensait qu’elle allait le repousser comme elle le faisait pour la plupart de ceux qui la demandaient, seulement elle n’avait jamais vu de nain. La réalité était bien évidemment plus nuancée, mais si elle disait à son serviteur qu’elle n’avait jamais vu de nain, il n’avait aucun intérêt à chercher à rétablir la vérité. Elle disait n’avoir jamais vu de gobelin non plus, ce qui était tout de suite beaucoup plus plausible. Alors Kamis s’en fut et traversa le palais pour se rendre au nain qui attendait. Kamis dut plus baisser le regard qu’il ne s’y était attendu en le trouvant, il n’avait pas non plus l’habitude de la présence de nains, mais il traita le nain comme il traiterait n’importe qui. « C’est votre jour de chance, Aerianna Hiisi de Geresh souhaite également vous rencontrer. » Il garda une expression de marbre et fit un signe de tête dans la direction de son compagnon. « Vous… et votre gobelin… »

« Suivez-moi. »

Il entraîna la longue-barbe à travers les couloirs de marbre d’un Palais qui n’était pas au mieux de sa forme mais essayait difficilement de garder de sa superbe. Kamis était du même avis que sa Princesse, il fallait qu’elle en trouve un autre si elle voulait prétendre à une place au conseil de Thaar. Il accueillait sans peine les nains, les gobelins et autres anciens gladiateurs ou saltimbanques, mais si elle n’y avait jamais reçu personne de vraiment important ce n’était pas pour rien. Il était d’accord mais il ne pouvait vraiment la presser sur ce problème, comme elle il préparait un déplacement si important qu’ils ne pouvaient vraiment entreprendre d’autres projets. Ils passèrent tous trois devant une ouverture sur une de ces nombreuses loges extérieures de laquelle provenaient quelques éclats de rires féminins mais ne s’arrêtèrent pas, Aerianna ayant quitté la pièce depuis un moment pour occuper seule une loge un peu plus éloignée.

***

« Princesse, Telchar… »

Kamis sembla s’arrêter un peu trop tôt, comme s’il aurait préféré associer un titre à ce nom si simple. Il se rapprocha doucement pour me souffler quelques mots à l’oreille avant de se poster à ma droite, faisant face à mon invité. Je le remerciai d’un signe de tête avant de prendre les commandes de l’entrevue en reportant mon regard sur le premier représentant du petit-peuple auquel j’allais accorder mon attention. Je m’étais redressée sur mon divan en le voyant pour la première fois et j’avais laissé un sourire simple s’imposer sur mes traits. Simple comme l’était ma tenue, une éternelle robe blanche qui montrait autant de ma peau qu’elle n’en dissimulait. Il n’y avait qu’une chevelure noire légèrement en désordre pour donner un indice sur ce qu’il avait interrompu en venant à moi. Mais ce n’était pas important, Sashi, Ehni et Llari m’accompagneraient tant de jours loin de tout qu’en être séparée quelques instants ne changerait rien pour personne.

« Bienvenue en la demeure des Hiisi, Telchar. Prenez place, tout ce que vous pouvez voir dans cette pièce est mis à votre entière disposition. » Un seul fauteuil me faisait face à bonne distance, et sur sa droite se trouvait une petite table fournie en alcools de tous les genres sur laquelle on pouvait trouver deux verres. « Je suis désolée de ne pas savoir grand-chose de vous autre que ce que vient de me murmurer Kamis, je viens d’arriver à Thaar. » Heureusement que mon serviteur avait passé beaucoup de temps à Thaar, il me sauvait d’une situation que je n’appréciais guère même si elle était si logique. On connaissait les Princes et Princesses, on connaissait moins les nains. « Mais je suis curieuse de la raison de votre visite, expliquez-moi. » Je levai un doigt comme pour l’interrompre, j’avais autre chose à lui rappeler. « Vous vous souvenez sûrement que j’ai amené Hanegard jusqu’à la finale des Grands Jeux de Thaar aux Sablons, je ne suis pas totalement inconsciente de votre… art ? »

Ton jour de chance… disons qu’il était toujours moins désagréable de parler à quelqu’un qui avait le moins du monde le désir d’interagir avec vous. Ce serait donc probablement la Princesse de Geresh la moins à l’aise de vous deux. Parce que de ton côté, si tu avais pris cette initiative, c’est bien parce que tu t’y sentais forcé. Mais tu gardais le sourire… ou un semblant de fausse bonne humeur du moins. Une fausse bonne humeur qui devenait d’ailleurs un peu plus véritable chaque seconde qu’il t’était donné d’observer l’intérieur plutôt « rustique » - du moins selon les standards des Princes-Marchands – de la demeure. En voilà une qui ne cracherait probablement pas sur l’occasion de mettre quelques sous dans sa poche, et qui par la même occasion te donnerait peut-être l’occasion d’accéder à son cercle.

Et pour peu qu’il soit moitié aussi prestigieux que tu l’espères…

- Enchanté ou presque Mademoiselle Hiisi.

Tu prends place sur le seul fauteuil disponible dans la pièce, Fafnir sautant par la même occasion sur la petite table à ta droite, et commençant par la même occasion à verser un verre de la première boisson à sa portée alors que votre hôte terminait à peine sa déclaration.

- Je m’en souviens effectivement. maintenant qu’elle le dit C’est d’ailleurs pour cela que j’espérais que d’entre tous, vous soyez celle qui veuille bien entendre mon offre.

Le gobelin sirote quelques gorgées d’alcool, et sourcil froncés, reste là comme attendant qu’il se passe quoi que ce soit. Rien. Absolument rien si ce n’est la chaleur se diffusant dans ta gorge. Alors ton assistant animal te passe le verre tout heureux d’avoir rempli son rôle de goûteur.

- Vous m’excuserez mes manières. tu déclares avec un ton presque trop monotone pour être convaincant L’habitude de me servir moi-même la boisson. tu lèves ton verre devant tes lèvres Si vous me permettez…

Une gorgé, pas plus. Et tu veux bien l’avouer. Si la Princesse-Marchande Geresh a soit trop peu d’argent, soit très mauvais goût en matière de décoration, les alcools avec lesquels elle accueillait ses invités n’étaient pas mauvais. Du moins… celui que tu venais de goûter en tout cas ne l’était pas.

- J’aurais aimé que les Princes l’ayant permise puissent voir la naissance de mon écurie de gladiateurs de leurs propres yeux. tu lèves les sourcils Et j’espérais que les plus passionnés d’entre eux veuillent bien me servir de partenaires privilégiés pour la garder en vie dans les meilleurs conditions possibles. Pour moi ce serait alléger les coûts d’entretien, et pour vous, cela représenterait une bienvenue source d’exposition.

Une source d’exposition qui par la même occasion légitimerait tes poulains aux yeux des spectateurs les moins aguerris. Rien de tel que de porter les lettres du blason d’un Prince-Marchand pour créer des modes et s’attirer la sympathie d’un public pensant naïvement que l’argent ne va jamais que dans la direction de l’excellence.

- Bien sûr, vous êtes libre – invitée même – à d’abord les voir se représenter. Mais en « jeune » entrepreneur, je ne peux me permettre de ne pas vous pousser à réfléchir à tout cela.

Je l’écoutai parler sans l’interrompre même quand il s’essayait à de la politesse, l’observant en ne jetant que de rares regards dans la direction de son gobelin, qui prenait mon offre à la lettre. Ce n’était pas pour la politesse qu’il était venu et ce n’était pas plus pour elle que je l’avais fait entrer. Je n’avait pas tellement d’attentes d’ailleurs en le faisant entrer ici, mais écouter son offre était un moyen satisfaisant de passer le temps. L’écouter me ramenait aux Grands Jeux, évidemment, là où j’avais connu la joie mais aussi la déception profonde, mais cela me ramenait aussi à cette première fois dans cette petite arène. Sauveur. Je ne cherchais plus la même chose qu’à cette époque, trouver un autre Sauveur ne m’intéressait pas, passer le temps en attendant que Père mène ses affaires, en attendant qu’il me trouve quelqu’un à marier… Tout semblait avoir commencé par des arènes et des jeux, voilà qu’on me proposait d’y retourner.

J’aurais pu vouloir me prémunir d’une nouvelle déception de ce genre en l’envoyant de là d’où il venait, mais non.

J’étais attirée par autre chose, la présence d’autres. Son offre avait peut-être atteint d’autres, son offre atteindrait sûrement d’autres. Il parlait de Princes, il ne parlait pas que de moi. Son besoin me semblait bien insignifiant, l’équipement de gladiateurs ne devait pas être bien coûteux, les garder en vie devait s’arrêter à ça et peu d’autres choses, même si je ne pouvais qu’avouer n’y rien connaître. Enfin, Père n’avait jamais commenté les dépenses concernant Hanegard, elles n’avaient jamais dépassé quelque chose d’inacceptable pour quelqu’un d’aussi peu dépensier que lui. Je pouvais répondre oui à ce nain, sur le champ, et si j’en croyais Kamis il faisait parler de lui. J’avais pris des pires décisions en tout cas et c’était parfois suffisant pour me convaincre, même si le potentiel de déception était toujours haut. Je fermai un instant les yeux, me rappelant ma place aux Grands Jeux, l’euphorie, Krish Al’Serat… j’avais regretté ne pas l’avoir embrassée ce jour là, d’ailleurs.

Mais je ne pouvais pas dire oui tout de suite non plus, il fallait qu’il le mérite.

« Vous parlez d’autres… Princes… » Ma voix claire s’éleva doucement. « Nous parlons bien entendu d’une offre exclusive ? J’aurais du mal à accepter n’importe quelle exposition si je savais qu’un autre venait à profitait de la même, vous devez vous en douter. » Je souris. « Normalement, la prochaine choses que vous devez me dire est qu’ils se bousculent à votre porte, que plus j’attends plus je prends de risques, que peut-être d’autres seront là pour observer votre prochaine représentation… » Je jouais dans son jeu, j’imaginais, mais pourquoi pas ? J’abandonnai cette ligne de pensée avant de partir sur une autre. « Votre écurie de gladiateurs, parlez-en moi, s’il vous plaît. » Je me penchai légèrement en avant, comme pour entendre de lui une confidence. « Avez vous aussi excitant que le Tueur de Rois ? Aussi excitant que ce Wandrais devenu noble, là-bas en Péninsule ? Aussi excitant et noble que quelqu’un qui voulait gagner aux Sablons la dot de sa fille pour lui promettre un futur radieux ? »

Ces Princes-Marchands… toujours tous en quêtes d’exclusivité, alors qu’ils savent tous pertinemment l’exclusivité ne pas exister dans ce monde de requins. Pourquoi elle et pas un autre quand tout ce qui compte c’est l’argent ? Pourquoi elle et pas un autre si un autre acceptait de payer plus. Dans son cas il y avait peut-être une raison. Une et une seule, mais une qui pâlissait en comparaison du pouvoir qui lui manquait devant les magnats du Conseil de Thaar.

- Vous dire que je cracherais sur l’argent d’autres Princes serait mentir… demi-vérité, demi-mensonge, il te fallait une accroche dans la réalité …mais quitte à ce que mon écurie soit associé à un autre visage j’aime autant que ce soit le vôtre. tu lèves un sourcil et sirotes une gorgée de plus Vos collègues ne m’ont pas l’air du genre à apprécier un combat à sa juste valeur.

Incapables d’apprécier l’effort derrière une bête bien élevée. Incapables d’apprécier à sa juste valeur la qualité d’une armure, et la finesse de l’apparât. Incapables d’apprécier le spectacle du sang et de la sueur pour toutes les métaphores qui s’y cachent. Juste des bêtes sauvages avec plus d’argent qu’il n’en faut pour pouvoir se faire appeler créature pensante. Juste des bêtes imbéciles bavant devant le moindre bout de chair, car tous les excès les excitent.

- Et mes combattants sont du genre à ne pas apprécier qu’on les déprécie. un rire retenu racle dans ta gorge Je n’ai peut-être pas de profil avec une histoire aussi larmoyante que celle de votre Tueur de Roi, mais mes poulains sont doués, hargneux, et leur histoire ne demande qu’à être écrite. tes yeux se braquent sur un Fafnir apparemment excité à la vision de l’alcool, que tu autorises finalement du menton à s’en servir un dé Mon champion n’est peut-être pas noble de sang, mais il l’est d’esprit. Le bougre a réussi à tirer pas mal d’anciens esclaves du Bae’d alors que Sol’Dorn était assiégée par les drows. Depuis il se veut libérateur. Du coup aucun de mes gus ne m’appartient. Tous des hommes libres qui se battent pour leur renommée, leur gloire, et leur argent. Et croyez-moi, personne ne lutte aussi fort que quelqu’un qui a choisi de lutter.

Tu souris dans ta barbe, déposes ton verre et croises les bras. Tes gus oui, tu n’étais pas peu fier des jeunes talents que tu avais réussi à dénicher dans les arènes des principautés. Mais ils n’étaient pas ton attraction principale. Du moins, à part Uthred, il t’était bien moins satisfaisant de voir des gus au combat que de voir tes bêtes.

- Mais à vrai dire je suis avant tout un éleveur. tu claques dans tes doigts, et Fafnir lâche son dé d’alcool pour se placer devant toi J’ai les meilleures bêtes sur le marché. Et disons que certaines sont même plus formidables que des gladiateurs.

Tu regardes le gobelin rouge, soulève un sourcil, soulève l’autre, et là le gobelin s’exécute. Les flammes dansent autour de ses paumes, se condensent face à lui, dansent autour de lui, et grossissent, jusqu’à finalement devenir un brin menaçantes. Juste ce qu’il faut.

Pas de promesse, je ne m’attendais de toute façon pas à mieux, et l’entendre répondre à ce commentaire sur l’histoire de mon Tueur de Rois me fit rire de ce petit rire cristallin tel qu’on n’en avait pas tant entendu en provenance de ma gorge ces dernières ennéades. Sa réponse était parfaite et en phase avec ce que je voulais entendre. Au début. Car il se trouva tout de même forcé à essayer de valoriser son champion avec une de ces causes nobles dont je n’avais que faire. Je n’en avais pas vraiment que faire car cela m’apportait une information qui serait finalement très importante quand viendrait l’heure de discuter des sommes concernées, ils étaient libres, alors certainement plus coûteux, alors certainement moins fiables que ceux qui n’avaient aucune liberté. Pas forcément moins fiable en vérité, mais il faudrait que je m’assure qu’ils l’étaient, car ma seule expérience d’un gladiateur libéré était… particulière. Je savais que jamais il ne voudrait combattre à nouveau dans une arène, même s’il résistait encore à se laisser libérer des autres chaînes qui le maintenaient en place. Mais je n’étais pas là pour lui, vraiment pas.

J’avais tendu un piège à Telchar et il était tombé dedans, c’était frustrant, j’aurais préféré qu’il tienne sa position…

« Non, gardez les histoires de noblesse pour vous, elles ne m’intéressent pas vraiment. Je ne l’avais pas choisi pour ça, je l’avais choisi parce que je le pensais meilleur qu’il ne l’était. Je pensais qu’il irait au bout, c’est tout, je me foutais de sa fille. »

Il fallut que je me tienne pour ne pas montrer l’immense déception, et j’échouai en partie avant de retrouver un sourire aimable. Je ne savais pas vraiment si c’était sa défaite qui m’avait déplu ou si c’étaient ses attentions envers Krish Al’Serat, j’avais pris sa loyauté comme acquise et quand il s’était détourné de moi il avait perdu. Il m’avait plongé de lui-même dans cette profonde vulnérabilité et il n’y avait eu que l’effervescence autour de la gagnante pour me protéger de l’humiliation. Je ne pensais pas me laisser secouer par de bénignes comparaisons à ce que j’avais connu des gladiateurs mais finalement le piège que je lui avais tendu s’était retourné contre moi. Heureusement, l’entrevue n’était pas terminée et Telchar avait exactement ce qu’il me fallait pour que je cesse de penser à toutes ces histoires de loyauté. Il y avait une catégorie de combattants qui ne se prenaient pas à rêver de liberté, les bêtes, et il semblait être fier des siennes.

En amenant mon attention sur le gobelin qui commençait son tour j’eus un mouvement de recul dans mon fauteuil. Je ne m’attendais pas à des flammes et encore moins provenant de la bête que le nain avait traînée avec lui. Mais en réaction au mouvement de recul l’inverse se produisit. Kamis qui s’était inquiété un instant me vit me lever et m’approcher juste assez du gobelin pour que les langues de flammes ne laissent pas ma robe s’embraser. Je n’avais pas peur, j’avais vécu pire avec le feu – d’un tout autre genre de gobelin même si je l’ignorais – j’étais surtout intriguée et émoustillée par le spectacle. Il avait des bêtes, et ses bêtes faisaient de la magie ? C’était beaucoup mieux que ce que j’avais imaginé en entendant parler de ses bêtes, surtout quand on était fascinée comme je l’étais par la magie. Peut-être même y avait-il de plus rares bêtes qu’un gobelin doué de magie dans ce qu’il pouvait me proposer ? C’était peut-être moins intéressant pour les publics intéressés par le sentimental mais j’avais hâte de les voir à l’œuvre, il ne fallait juste pas que je le dise trop fort.

« Je veux voir tout ce que vous avez, avant, pendant et après le prochain combat. »

Je l’avais dit trop fort.

Les arcanistes gobelins… d’où tu viens ils ne sont pas plus rares parmi les leurs que ne le sont les arcanistes parmi les races pensantes. Pourtant, le spectacle du gobelin rouge faisait toujours son petit effet sur les badauds, qu’ils soient de riches marchands ou des sans-le-sou te mendiant un bout de pain dans les rues mal fâmées des principautés. Aerianna serait-elle donc nigaude ? Ou au contraire réalisait-elle le minutieux travail de sélection derrière les capacités de Fafnir ?
Ce second choix, tu en doutes fortement, mais parce que tu préfères ne pas cracher sur la main qui te nourrit, tu mettras le premier de côté – pour l’instant. Il ne fait de toute façon pas bon minimiser l’intelligence d’une personne ayant réussi à vous faire tenir un discours qui ne l’intéressait pas le moins du monde. Même lorsque vous avez conscience de ne pas être le plus grand orateur qu’ait connu cette terre.

- Il faudrait plus qu’une vie humaine pour voir tout ce que j’ai. tu souffles des nasaux dans ta barbe Après tout, j’ai un peu plus chaque jour.

Et tu auras d’autant plus et plus vite que la popularité montera, que tes soutiens se multiplieront et que tes accès à la faune sauvage se déploieront de plus en plus loin à travers l’intégralité du monde connu. Et des bêtes tu en auras toujours plus, de plus en plus puissantes. Et la puissance de tes bêtes deviendra la tienne. Et les bêtes que tu dompteras seront preuve et vecteur de ta force. Et quand ta force sera indéniable alors tu prendras ta revanche sur les tiens. Lorsque les tiens seront forcés de reconnaître à quel point ta pugnacité est précieuse, et à quel point tenter de te contenir fut une erreur.

- Mais c’est avec plaisir que je vous en donnerais un aperçu.

Fafnir frappe dans ses mains, et les flammes qu’il avait invoquées s’éteignent brutalement. Toi tu te lèves, et penches la tête sur le côté.

- Que diriez-vous de passer visiter les écuries demain ?

Le feu n’était plus aussi excitant une fois passée la surprise, aussi je me rassis au moment qu’il choisit pour mentionner à quel point la vie humaine était courte. Jusqu’il y a peu je n’y avais pas trop réfléchi, jusqu’il y a peu j’avais une figure immortelle dans ma vie à défaut d’être une figure paternelle, jusqu’il y a peu je n’étais même pas convaincue de vouloir vivre longtemps. Mais tout avait changé, petit à petit, avec cette vie qui avait failli provenir de moi, avec ce père qui s’était éteint, avec ce corps qui s’était réparé et ce Sauveur retrouvé. Je mis tout de côté aisément, il n’y avait aucune raison que cela vienne perturber la discussion avait le nain. Tout cela viendrait après, quand je l’aurais congédié, et je resterais plantée là trop longtemps pour que personne ne s’en inquiète. Et quand on me demanderait ce qui n’allait pas je répondrais que tout allait bien, parce que c’était la réponse la plus simple, en toute circonstance.

Le feu s’éteignit et le nain sembla en avoir fini, alors je me levai à mon tour pour m’approcher de lui.

« Demain, c’est entendu. » Mon sourire s’étendit un peu alors qu’une lueur étrange occupait mon regard. « Cela fait longtemps que je n’ai pas mis les pieds dans une arène, Telchar. Elles m’ont plutôt réussi jusque là… » Mon sourire perdit en intensité un instant alors que je pensais à Hanegard. « Enfin… Sauf pour cette finale. » Mais tout ça était derrière nous et beaucoup de ses combattants à lui ne détourneraient pas leur tête comme l’humain l’avait fait. « J’espère que cette nouvelle fois nous réussira à tous les deux. » Il n’y avait pas de raison, vraiment, je n’avais rien à démontrer aujourd’hui, tout le monde oublierait tout d’une telle affaire qui ne menait à rien, même ceux qui veillaient à ce que les comptes des… de la Hiisi… soient bien tenus. Le moulin tournait toujours aussi vite et continuerait de tourner, les dépenses devraient être beaucoup trop grandes pour qu’il se retrouve désaxé. « Au revoir, Telchar. » Je dis simplement pour conclure l’entrevue.

Je croisai le regard de Kamis en retournant m’asseoir.

« Raccompagne-le à la sortie, veille à ce que je sache où je dois aller demain, et quand. »