[MdO 2021] Approche tes mains de mon feu voyageur ! | Owen de Villiers

Nehril chevauchait aux côtés de la carriole grinçante qui cahotaient le long des pierres bordant la route. Les roues semblaient prêtes à se déloger au moindre nouvel impact. L’individu qui la conduisait, un imposant fermier au visage affable et arborant une bedaine imposante, lui adressa un nouveau sourire. Le semi-elfe tenta de le lui rendre, mais ne put que grimacer. L’autre ne parut pas s’en rendre compte et reporta son regard le long du chemin terreux.

Voilà des heures que Nehril avait quitté Thaar et qu’il chevauchait au gré des quelques contrats qu’il avait réussi à glaner durant la dernière ennéade. Collecter des taxes, apprendre à un écuyer comment monter à cheval, il avait fait en sorte de choisir des missions qui ne nécessitaient pas de courir en vociférant l’arme au poing. Il pensait être rentré à Thaar avant l’arrivée de la nuit, mais l’apprenti écuyer était si mauvais que Nehril avait dû littéralement le ficeler sur sa monture pour l’empêcher d’y tomber. Avant qu’il ne parvienne à trottiner, aussi à l’aise que s’il chevauchait avec du verre pilé dans le postérieur, la nuit était survenue. D’ordinaire, il n’aurait eu qu’à dresser un camp de fortune sur place et à manger les restes de son repas du matin, mais l’amas brunâtre qui obscurcissait les cieux laissait entrevoir qu’un orage particulièrement teigneux se préparait.

Un éclair déchira à nouveau la nuit, faisant hennir la monture de Nehril. Il lui flatta aussitôt l’encolure pour la calmer et serra ses cuisses pour ne pas chuter lorsqu’elle s’ébroua. Il l’incita ensuite à presser l’allure d’un coup de talons déterminé. Le mercenaire jeta un coup en direction du fermier. Il l’avait rencontré sur la route, se préparant à rentrer chez lui après avoir entassé des légumes sur sa charrette. Il l’avait invité à s’y réfugier avec lui, prétextant qu’il n’aimait guère savoir que d'autres individus restaient seul durant ces tempêtes. Il avait même sous-entendu que d’autres individus les attendaient chez lui, ceux que la pluie ou les aléas du voyage avaient retenus en ce lieu. Nehril espérait seulement qu’il ne s’agissait pas d’autres mercenaires, de politicien véreux ou pire… des ménestrels.

Les premières gouttes de pluie vinrent s’écraser sur le crâne du semi-elfe. Un second éclair retentit. Émergeant de l’obscurité, une solide bâtisse se dressa sur le côté du chemin. Des lueurs incertaines, tels des phares éclairant les âmes en peine, vinrent mettre un baume au cœur de Nehril qui désespérait de voir son refuge avant d’être complètement trempé. Ils étaient finalement arrivés. Du moins l’espérait-il. Les bruits de sabots et de bêlements ne tardèrent pas à retentir lorsqu’ils dépassèrent la clôture délabrée. Une odeur de fumier entêtante vint chatouiller les narines du mercenaire qui souffla plusieurs fois par le nez pour tenter de s’y soustraire. Soulagé de voir qu’il s’agissait bien du logis du fermier, Nehril poussa un long soupir avant de mettre pied à terre dans une large étable. Ses yeux se promenèrent le long des différents animaux qui remplissaient l’espace, jaugeant un bref instant les formidables défenses de sanglier que l’homme avait fait trôner au-dessus des portes.

— M’ssire Nehril, fit soudainement le fermier en surprenant le semi-elfe qui attachait sa monture à un large poteau en bois. Ma femme a dû nous faire un souper, et ptêtre bien que les aut'es sont là. Je vais vous guider…

Le mercenaire hocha la tête puis posa brièvement sa main sur le fourreau de son arme. Par précaution, il l’emporta, l’attachant solidement sur son dos après s’être débarrassé de sa cape de voyage élimée. Les mailles qui recouvraient son armure de cuir noir crissèrent lorsqu’il bascula le pommeau d’Aeris par-dessus son épaule afin de s’assurer de sa bonne prise en main. Remarquant que le fermier avait prit de l’avance, il le rattrapa en quelques foulées.

— J’vous pris m’ssire entrez, lâcha son hôte en retirant son bonnet fripé de son crâne dégarni. Faites pôs gaffe aux marmots, ils sont encore excités à ct'heure. Z'en faites pas, dans quelque temps ils vont piquer un roupillon de t’nerre. Il examina le ciel avec une grimace. On dirait qu’la saucée va tomber d’une m’nute à l’autre.

Nehril opina, ne sachant pas trop quoi répondre. Finalement, il opta pour la gratitude.

— Merci.

Le fermier secoua sa main avec un air gêné.

— J’m’appelle Ernest, et ma fômme Jisa. Entrez donc, le souper doit être servi.

Nehril inclina la tête à nouveau et entra dans la chaumière en prenant garde où il mettait les pieds. Des éclats de voix semblaient provenir du fond de la pièce.

«Regarde le ciel, dont les gouttes tombent,
Une pluie torrentielle, qui atterrissent dans notre monde,
Sais-tu ce que cela signifie ? Que la pluie tombe ?
C'est que cela t'averti, des prochaines heures sombres.»

- Allez, raconte moi tout p'tit.

Le crépuscule avait tombée depuis plusieurs heures de cela et un jeune péninsulaire prénommé Owen qui s'était perdu en cours de route pour se rendre en péninsule et s'était trouvé quelques part dans l'Estrevent, accompagné d'une monture portant le nom de Ténèbre l'accompagnait, l'orage avait forcé le jeune Owen et autres vagabond fuyant eux aussi le mauvais temps à se réfugier et tel le fut le premier endroit dans sa route.

Une chaumière plus ou moins larges, deux grandes défenses de sanglier cloué au dessus de la porte. Par chance la demoiselle les laissa rentré avec joie, Ténèbres fut accroché à un poteau en bois à l'extérieur en renâclant toujours, ce qui aurait tendance à provoquer une crainte chez les personnes croisant le regard de la monture. C'est à la grande surprise du péninsulaire qu'il revit le musicien Velian, dont la carrière était une blague, dans le même établissement. Assis dans le coin de l'étable accompagné seulement d'une pinte, avec un accoutrement reflétant son excentricité et son amour pour les couleurs vifs et coloré et portant toujours son chapeau orné d'une plume argentée.

Rencontré plus tôt lors d'une soirée que le jeune Owen n'oubliera jamais, c'était avec joie qu'il retrouva cet connaissance et enfin avoir une conversation qui se finit bien. De toute façon, ce n'est pas comme si il pouvait faire grand chose d'autre, lorsque le ménestrel tenta de jouer, les râlements du public l'incita à ne rien faire et déposer son luth à ses côtés. Ils discutèrent de tout et de rien,et puis se demandant comment ce jouvenceau a attiré là, lui avait demandé de tout raconté.

- Rien d'excitant, j'ai été forcé par un mercenaire ou je ne sais son métier à prendre un travail avec la seule chose que je sais faire plus ou moins bien, palefrenier. En le revoyant, j'ai prit peur et je me suis enfui avec son cheval. Une monture des plus dangereuses, parfois je me demande si ce n'est pas lui qui me chevauche. Il ricana nerveusement, avec un léger doute après sa remarque.

- Et bien, il doit bien être effrayant celui là. Bon ! Je me demande quand ce souper va être prêt, je meurs de faim ! Sans être impoli bien sûr.Velian tapota des mains à sa dernière phrase en se tenant droit, tandis que la porte de l'étable s'ouvrit

Deux personnes rentrèrent à quelques minutes de finir trempés, un à l'allure des plus plaisants, la bedaine qui impressionna Owen qui avait les yeux grandes ouverts, et avec crâne dépourvu de cheveux. Quand à l'autre l'accompagnant, il ressemblait à un mercenaire, aux yeux blêmes et dépourvu de vie. Son épée accroché à son dos ne fit qu'affirmer les pensées d'Owen à son sujet.

- Lui Dit le troubadour en chuchotant à Owen et pointant délicatement l'homme au crâne de poussin. C'est lui qui gère cet chaumière. Et l'autre là, je suis persuadé qu'il est du genre grognon et que si on l'accoste. Et quand il va nous répondre avec un regard sombre ou malveillant.

- Comment cela quand il va nous répon.. Mais baisse ta main !

- Cher voyageur ! Je vois que vous êtes fatigué ! Veuillez nous rejoindre à notre table !

Nehril observa l’homme qui venait de prendre la parole en plissant les yeux. Il ne ressemblait guère à un mercenaire ni à un politicien véreux. C’était une bonne chose. Son regard s’attarda également sur le jeune homme qui était assis à ses côtés. Cheveux bouclés et peau mate. Ongles crasseux et mains calleuses. Il s’agissait sans nul doute d’un honnête travailleur. Peut être un peu jeune, mais la vie n’épargnait personne, il ne le savait que trop bien. Ses vêtements un peu trop grands lui donnaient l’air de nager dans un océan de tissu, mais son regard brillait d’intelligence.

Il reporta son attention vers son acolyte élégant. Son sourire était enjôleur et son air particulièrement affable. Toutefois, le mercenaire aux yeux d’argent se méfiait de ceux qui se montraient bien trop sociables. Il s’approcha d’eux et hocha la tête en guise de salutation. Il voulut ajouter quelque chose, mais fut coupé par Ernest.

— Installez-vous messieurs ! lança-t-il en désignant une table anormalement longue pour une pièce aussi étriquée.

Nehril eut l’impression d’être l’elfe s’installant à la table des nains. Ses genoux heurtèrent le bois et il réprima un grognement de douleur. Son épée racla le banc de bois et avec un geste d’excuse en direction d’Ernest, il la retira pour la reposer entre ses jambes. Un brouhaha s’installa en cuisine alors que le mari rejoignait sa femme dans l’arrière-salle et que les enfants sortaient de leur torpeur pour observer les nouveaux arrivants. Le semi-elfe remarqua une jeune fille qui sortait timidement sa tête de sous la table, épiant Oscar avec de grands yeux curieux. Un autre tira énergiquement sur l’épée du mercenaire et ce dernier le repoussa gentiment avec un claquement de langue.

— Alors z'avez fait connaissance ? s’enquit la belle Jisa en émergeant de la cuisine avec une lourde marmite.

Son visage dissimulé derrière ses mèches blondes ne masquait en rien son envoûtante beauté. Des yeux aussi profonds que la nuit, des pommettes hautes et marquées ainsi qu’une peau crémeuse rendait curieuse la raison pour laquelle elle avait choisi un époux comme Ernest. Elle posa son fardeau sur la table qui grinça sous le poids. Nehril craignit qu’elle ne s’effondre et s’écarta prudemment de celle-ci.

— Hum… non, admit le semi-elfe en se tournant vers les autres invités du fermier. Je suis Nehril. Je suis un… hum… voyageur. Je vais là où le vent me porte. Vous aussi la tempête vous a retenu en ces lieux ? Sale temps n'est-ce pas ?

- Est-ce moi ou le vieil homme s'approche ? Dit Velian entre ses dents, toujours avec le sourire mais il n'était pas compliqué de deviner qu'il était mort de trouille.

- Cela t'apprendra à te taire.. Le péninsulaire était bien exaspéré.

Effectivement, l'homme aux yeux albâtres s'approcha vers eux, ce qui évidemment inquiéta Owen et le musicien, bien que ce dernier faisait tout pour ne laisser rien paraître derrière son sourire amical. Owen inspira profondément, en regardant l'homme s'approchait et puis se trouva soulagé lorsque le tenancier de l'étable les demanda de s'installer, Velian fut lui aussi apaisé et la peur se dissipa. Le freluquet expira et puis se leva avec une certaine hâte, le troubadour se leva à son tour de sa chaise en emportant avec lui son luth. Velian posa ses doigts sur les cordes de son instrument, Owen eu les yeux grands ouverts et secoua la tête pour lui dire d'éviter, le ménestrel eu une mine maussade et enleva les doigts du luth.

Ils s'installèrent à une table bien large pour une si petite pièce, Velian et Owen se trouvèrent contraint de serrer les membres de leurs corps pour se faire de l'espace. Les deux se trouvèrent affamé, puisqu'ils n'avaient rien avalé depuis presque une ennéade, bien qu'Owen de son côté à bien mangé une galette d'avoine qui servait de provisions à Ténèbre. Des enfants sortirent sans que le duo ne sache d'où, Velian serra entre ses main son luth pour le protéger des petits, ne voulant en aucun cas que son luth ne soit entre leurs mains. Et puis une demoiselle rentra dans l'étroite pièce muni d'une marmite, une tel beauté que le ménestrel contempla avec splendeur.

- Mais que fait une femme de cet beauté avec ce gros tas ? Velian se pencha vers le jeune homme, qui lui donna un regard étrange.

- Mais pourquoi tu le demande à moi ?

- Tais-toi, répondons en premier. Le troubadour se remit droit et arbora encore son sourire et puis haussa la voix après que le mercenaire aux cheveux clairsemé d'argents Nous commencions ! Je me présente, Velian de Velteroc. Ménestrel voguant dans ces terres. Et oui, la tempête m'a aussi retenue. Alors que je retournais en péninsule, le début d'un orage resurgit et je fut contraint de me réfugier dans ce charmant lieu. Et le jouvenceau à mes côtés est le jeune Owen, vagabond en quête d'un but, qu'il finit par dénicher en me trouvant ! Celui de mon fidèle serviteur qui me sert de témoin pour affirmer mes nombreuses épopée et aventures !

Owen roula dans son coin des yeux.

Un sourire sans chaleur vint étirer les lèvres du mercenaire suite à la réponse de Velian. Il manqua de grimacer lorsque ce dernier fit état de sa profession de ménestrel, mais préféra plutôt lui adresser un signe de tête plus polie. Le regard du semi-elfe s’attarda ensuite sur le jeune homme à ses côtés qui semblait bien exaspéré par les manières de son compagnon.

— Nombreuses épopées et aventures ? releva Nehril en porta à ses lèvres le liquide ambré qui garnissait sa chope en terre cuite. J’aimerais beaucoup en entendre quelques-unes. En prose plus spécifiquement.

Il n’avait guère envie de voir le troubadour se saisir de son instrument à corde pour se mettre à chanter à tue-tête l’une de ces mièvres balades à s’en arracher les tympans. Que les dieux épargnent à ses oreilles un tel supplice c’est tout ce qu’il exigeait à cette heure. Il fut cependant interrompu dans ses demandes silencieuses lorsque leurs deux hôtes émergèrent à nouveau de l’arrière-salle.

Jisa commença à leur servir à souper dans de larges écuelles, si imposante que Nehril pensa un moment qu’elle devait à l’origine servir d’abreuvoir pour les bêtes. Vint ensuite agrémenter leur plat une consistante purée brunâtre accompagné d’une modeste pièce de viande saignante. Un repas somme toute plutôt confortable pour de simples fermiers. Le mercenaire soupçonnait le couple de leur servir leur mets le plus savoureux, peut-être afin de les impressionner. Nehril se contenta de hocher la tête avec un air reconnaissant, préférant ne pas offusquer la cuisinière qui semblait s’être mise en quatre pour les satisfaire.

S’installant finalement avec eux, Jisa et Ernest leur firent signe de commencer le repas. Nehril ne se fit guère prier et avala goulûment le bouillon tout en plongeant de larges morceaux de pain blanc dans son bol. Une fois que la faim s’en fut, il se tourna à nouveau vers ses compagnons de table.

— Vous retournez en Péninsule ? s’enquit-il plus par politesse que par véritable intérêt. Vers quel coin exactement ?

— Oh oui ! lâcha soudainement Jisa en battant des mains, un sourire facétieux aux lèvres. Allez-vous donner quelques réceptions auprès de quelques puissants seigneurs ? Comme j’aimerais y assister une fois !

Ernest se racla la gorge, visiblement mal à l’aise.

— Nous… nous avons du travail ici ma chérie…

- En prose ? Soit. Velian mima un air surpris et un tant décu de ne pas pouvoir user de son luth, puis se racla la gorge. Il commença son récit lorsque que la damoiselle les servit, tout en utilisant des mimiques typique d'un conteur. Je crois savoir lequel raconter ! Le Ménestrel et le Bâtard,une petite pittoresque aventure dans lequel je me retrouva nez à nez avec le fils Bâtard d'un seigneur. Je ne serais dire lequel par contre. C’était le solstice d'automne, je vagabonda le luth à la main en improvisant quelques notes pour une ballade romanesque, dans un sentier sinueux en pleine nature. Idiot que je suis, je m'étais aveuglé du danger présent pour un aventurier solitaire, des bandits rôdent et l'un d'entre eux se dévoila, les dents pourris et les cheveux grassouillets. Et c'est alors que je me rappela de son visage grâce à un portrait que j'avais vu lors d'un banquet, des ennéades plus tôt. Gorlois le Bâtard.

Owen était ailleurs, le récit de Velian ne l'intéressait guère, il en avait entendu de nombreuses comme celle-çi durant la journée et finit même par se dire qu'ils se ressemblaient tous au final. Ce qu'il l'intéressait surtout était pour le voyage de demain et se demandait surtout s'il ferait le chemin avec Velian, voilà à peine une poignée d'heures qu'il se le coltine et l'envie de le faire taire est déjà bien-là.
Velian stoppa net lorsque leurs hôtes firent signe de pouvoir commencer, il se contenta simplement de dire.

- Il serait malpoli de parler durant le repas, avec un charmant sourire.

Le duo dînèrent avec le reste des personnes présents, Velian fut surpris de constater que le repas était bien délicieux pour un repas fait par de simple fermier.

- Ceci est excellent ! Je vois que cet ferme est doté d'une cuisinière hors-pair !

Velian continua de déguster son repas, cela n'avait rien à voir des buffets des nobles de la péninsule, mais il ne s'attendait pas à quand même apprécier cela, surtout venant de simple fermier. Owen ne rajouta rien pour flatter l’ego de Jisa, si ce n'est entre deux bouchées.

Il n'y a pas à dire, c'est bon.

Ils continuèrent de savourer leur purée et leur pains, Velian continua de complimenter la cuisine de la damoiselle et Owen mangea en silence tout en fixant le pain, cela lui rappela le fameux ragoût de sa mère et son goût de bois qui restait collé au bouillon. Il souffla du nez tout en ricanant légèrement, sans trop attirer l'attention sur lui. Son regard le mena vers l'homme aux yeux albâtres et à la barbe charbonneuse qui venait de prendre parole. Velian lui leva la tête qui était plongée vers sa purée. Il fut de suite content de pouvoir prendre parole afin de répondre à la question posée par le mercenaire et celle par Jisa.

- Je me dirige principalement à Velteroc, pour voir s'il y aurait du travail pour moi chez un seigneur ou dans une troupe local, mon acolyte à ma droite lui retourne chez-soi, à Sainte-Berthilde. Thaar est une bien trop grande ville pour ce freluquet j'en ai peur, à moins que les personnes avec lequel il s'est mit en contact lui ont laissé un mauvais souvenir. Le troubadour hocha des épaules tandis qu'Owen eut un léger frisson en se rappelant de l'homme à l’œil vert. Je pourrais très bien prendre un plus long chemin afin de le suivre, et faire la connaissance des gens du Nord, mais j'ai appris plus tôt qu'Owen souhaite emprunter l'Aduram pour retourner à cet cher Péninsule, je ne sais pas ce qu'il lui prend. Je crois qu'il a le mal de mer. Il usa d'une voix un peu moqueur à la fin, rien de bien trop méchant.

— L’Aduram hein ? répéta Nehril avec un air songeur.

Ses pérégrinations dans la forêt maudite lui revenaient en mémoire, ainsi que les dangers qu’il y avait jadis affrontés. L’on disait que le mal avait désormais déserté ce lieu. Qu’il était redevenu praticable. Le mercenaire en éprouvait quelques doutes. Un mal aussi ancien laissait toujours des stigmates, telle la cicatrice douloureuse d’une vieille blessure. Alors que Velian continuait de charmer ses hôtes, Nehril se pencha vers Owen :

— Votre compagnon est… intéressant. À votre mine, sa compagnie doit être des plus pesante ?

Une fois le repas achevé, la table fut promptement débarrassée et on installa les invités sur d’épais fauteuils moelleux. À mesure que les minutes passaient, la vue de Nehril commença à se troubler. Il s’en étonna du fait qu’il n’avait pas beaucoup bu. Les voix de ses hôtes lui parurent plus distantes. Leurs sourires trop grands pour être sincère. Mu par un effroyable pressentiment, le mercenaire saisit gauchement son verre et le renifla. Une décoction… Il tenta de se relever en poussant un grognement, mais ses forces l’avaient quitté. Il vit Owen et Velian qui commençait à tituber également. Que se passait-il ?

— Dormez, chantonnait doucement la voix de Jisa en découvrant ses dents. Cessez de lutter. Votre repos n’en sera que plus doux.

- L'Aduram, oui. Hocha le troubadour.

Velian eut un fin sourire, il cessa de parler afin de finir son repas avec hâte, faisant bien attention de ne pas tâcher son joli pourpoint neuve. Le jouvenceau à ses côtés fut en quelque sorte soulagé de voir son compagnon se taire. Ce qu'on raconte de l'Aduram, Owen n'en avait que peu de connaissance en ce sujet et le peu qu'il en savait ne semblait pas le faire vouloir rebrousser chemin. Le vieux semi-elfe s'adressa à lui, il se tourna vers ce dernier et puis répondit a ses interrogations avec une voix basse. Mais dans le ton de sa voix, on décelait une certaine réticence et crainte.

- Il y a des personnes que je préfère moins côtoyer, je crois être assez fortuné.

Répliqua t'il en songeant à quelques bon gens en particulier. Lorsque le repas fut fini, Owen n'en avait mangé que la moitié du contenue. La nourriture de l'Éstrevent ne l'avais jamais enchanté guère. Il s'installa au côté du ménestrel sur l'un des fauteuils vacants, se plaignant en silence d'entendre les tours de charme de Velian envers Jisa. Mais quelque chose d'autre le dérangea encore plus, sa vue se brouilla. La voix de Velian était faible à l'oreille d'Owen et ce dernier semblait bien moins bavard.

- Je crois avoir trop bu..
- Je ne..

Le doux chant de la femme troubla Owen, ainsi que Velian.

- Maudite catin...

Velian tomba sur le fauteil, comme faible sous le regard perturbé d'Owen. Quelques secondes plus tard pour lui, il trébucha aussi près de Velian et ferma doucement les yeux.

Nehril ouvrit les yeux subitement. Il était attaché solidement par des liens épais et adossé contre un arbre. Il distingua la présence d’Owen et de Velian à ses côtés. La pluie tombait avec force autour d’eux. Même abrités sous l’épais feuillage, les trois hommes n’en étaient pas pour autant épargné. Le semi-elfe n’arrivait pas à voir à plus de quelques mètres. L’eau obstruait sa vision.

— Owen ! Velian ! Vous m’entendez ! Il faut foutre le camp d’ici !

Des chants se firent entendre non loin. Nehril se tordit le cou pour voir dans quelle direction ils s’élevaient. À une dizaine de mètres, il aperçut des silhouettes enveloppées dans d’amples manteaux noirs qui psalmodiaient. De longs coutelas pendaient à leurs ceintures.

— Regarde l’offrande que nous vous faisons ! Trois êtres purs !

Nehril se débattit avec force. Hors de question qu’il succombe de la main de ces pouilleux pour d’obscure raison. Mais il s’agitait en vain : ses liens étaient trop serrés.

— Owen ! Velian ! s’écria-t-il pour se faire entendre sous les trombes d’eau. Vous arrivez à vous dégager ?

Owen se réveilla en ouvrant délicatement des yeux, il poussa un râle et la voix de Velian était la première chose qu'il entendit, le ménestrel criait et ne faisait que se plaindre et insulter la belle Jisa de tout les noms. Lorsqu'il essaya de bouger, il remarqua rapidement qu'il était attaché contre un arbre. Lorsqu'il leva la tête, il remarqua la pluie coulait sur eux. Le mercenaire aux yeux albâtres était là lui aussi, mais encore inconscient. Se débattant avec le son des complaintes de Velian, Owen soupira et baissa la tête. Il se secoua rempli de colère, bougeant dans tout les sens ses jambes et le haut de son corps, la scène prenait un tournant ridicule.

« — Maudit sois-tu Jisa, toi et ton gros porc de mari ! Je suis Velian ! Le poète ! Et vous allez payer pour m'avoir fait traîné dans la boue ! Mon pourpoint, mon beau pourpoint, tout fripé ! Cela m'avait coûté une fortune ! Que voulez-vous !? Gémit le troubadour.
Tais-toi, bon sang !
— Ma belle plume ! Cet plume vient d'un mirage d'argent ! Un silm'Aiwë ! Un précieux cadeau des elfes, maintenant tout trempé par votre faute ! Et mon luth ! Qu'avez-vous fait de mon précieux luth !? Cadeau de Sa Majesté lui-même ! Elle est beaucoup plus jolie que ton minois de truie, Jisa !
— Calme-toi, pour l'amour de Néera, calme toi !
— Laisse les dieux en dehors de cela ! Ils ne les prient pas de toute façon par ici.
— Je tiens à vivre, alors boucle là !»

Velian feigna avoir entendu Owen, le jouvenceau continua de paniquer jusqu'au réveil de Nehril. Croyant que le mercenaire est leur dernière espoir, il tordit son cou pour regarder dans sa direction, Velian lui continuait toujours de chouiner, il n'aidait pas du tout.

« — Nerhil ! Je vous entend ! Nous ne trouvons aucun moyen de nous échapper !»

Alors que le son d'un chant se fit entendre, Owen regarda à cet direction mais la pluie l’empêchait de voir plus loin que ses pieds. Velian raidit complètement, arrêta d'hurler, les lèvres tremblantes. Owen gloussa. Le saltimbanque et le palefrenier se débâtir dans tout les sens avec le son de la pluie les accompagnant dans leur désespoir.

Nehril secoua ses bras de plus en plus fort, s’arc-boutant et grognant sous l’effort pour se libérer. Mais les liens restaient solides. Les silhouettes qui se découpaient dans la pénombre, scandant d’une voix de ténor sous la pluie diluvienne, devinrent progressivement silencieuses. Des éclats argentés brillèrent soudainement entre leurs mains informes, signe qu’ils venaient de tirer leurs armes. D’un pas lent et rituel, ils se dirigèrent vers eux.

Le mercenaire découvrit ses dents dans un rictus de rage. Il en appela au pouvoir qui sommeillait en lui, et après un moment, parvint à matérialiser une flammèche entre ses poings. La maintenir sous la pluie n’était pas une mince affaire, d’autant plus que Nehril était légèrement désorienté par les effets de la drogue et par l’eau qui ruisselait abondamment sur son visage. Malgré tout, il parvint à entamer suffisamment les liens pour qu’il puisse les briser d’une torsion d’épaule.

Il bondit aussitôt sur ses pieds et se pencha vers ses camarades pour les délivrer de leurs entraves.

— Nous devons emprunter ces bois ! lâcha le mercenaire d’une voix rauque en leur désignant la forêt qui s’étendait derrière eux. Nous ne…

— Ils s’enfuient ! s’exclama l’une des silhouettes en se précipitant sur eux.

Nehril jura et accueillit le nouveau venu d’un coup de poing qui le projeta en arrière. Il se pencha pour ramasser son arme et récupéra un coutelas sur son corps inerte avant de l’envoyer à Owen.

Des cris retentirent derrière eux. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres.

— Courrez !

Velian, le ménestrel, ne cessait de se secouer et de s'agiter dans tout les sens essayant en vain de s'extirper des liens qui l'abritait, ses cheveux devenus trempé par la pluie et, honteusement, par sa propre sueur. Ce qui laissait présumer que ce que l'on souligne souvent à propos des musiciens et rhapsodes, disant qu'ils sont tous gens de petites natures et qui n'ont jamais tenu l'arme à la main, serait vrai. Mais il en l'air d'être autant vrai pour les jouvenceaux imberbe, Owen frappait le sol avec son talon à chacun de ses coups de pied en l'air. Si ce n'était pas pour le froid et rustre Nehril, ce mercenaire impartial et avide d'or, ils seraient sûrement à cette heure six pieds sous terre. Ou probablement pire.

C'était de justesse. L'homme aux cheveux clairsemés d'argents vint les libérer, ce fut Owen qui fut le premier et ensuite au tour de Velian, qui gémissait ses plaintes et empressements vers leur sauveur. Owen aida le poète couard à se relever, ce dernier avait son pantalon tâché et sale, mais il n'y porta — surprennement pour un homme comme lui — guère attention. Owen retourna la tête vers Nehril qui venait de projeter au sol un des hommes en capuche. Il sursauta sur le moment, effrayé par le fait que les silhouettes s'étaient radicalement approché. Nehril lui envoya le coutelas que l'homme avait sur lui et maladroit comme il l'est, se mit à jongler bêtement quelques secondes avant de l'avoir enfin en main de façon adroit. Owen s'apprêta à courir pour suivre le mercenaire vers la forêt. Mais quelque chose le retint.

Velian ne voulait pas bouger. Le poète s'écria avec colère et insouciant à la situation vers les présumables cultistes, les pointant d'une main tremblante et plus autant propre qu'au début de la soirée.

« — Redonnez moi mon luth tout de suite ! Et que ça saute !
— Cours, imbécile, cours ! »

Owen le prit par le bras pour le traîner de force, mais Velian pour seulement deux secondes s'abrutissait à rester sur place. Ils étaient trop proches d'eux, Owen brandit le coutelas qu'il portait en main vers l'une des silhouettes capuchonnés et porta un coup. Le sang gicla, sur les vêtements du barde et sur la joue d'Owen. Velian reprit conscience du danger et accourut en direction de la forêt. Owen le suivit sans se soucier, l'ignorant, du sang sur sa joue. Venait-il de le tuer ? Non, il l'avait à peine effleuré, juste assez pour faire saigner. Mais là n'était pas le moment de penser, c'était le moment de fuir.

Surveillant qu’Owen et le troubadour le suivent bien, Nehril courait à en perdre haleine. Le chemin était jonché d’obstacle, de racines épaisses et noueuses, ainsi que de féroces bosquets qui l’égratignaient à chaque fois qu’il les traversait d’un bond.

La nuit était épaisse et noire. Et la pluie avait rendu l’herbe qu’ils foulaient particulièrement glissante. La boue qui recouvrait le sol ne tarda guère à maculer les jambes du mercenaire, mais ce dernier ne ralentissait pas l’allure. Il manqua de déraper plusieurs fois avant de finalement s’étaler le long du sol, qu’il racla sur plusieurs mètres avant de se remettre en mouvement d’un bond agile.

Les bruits des pas de leurs poursuivants se faisaient de plus en plus distants, mais Nehril ne voulait pas prendre de risque. Il insista pour qu’ils parcourent encore une cinquantaine de mètres avant qu’il ne lève la main en direction de ses compagnons pour leur signifier de s’arrêter.

— Vous… vous n’avez… rien ? peina à articuler le semi-elfe en clopinant dans leur direction.

Il marqua un temps d’arrêt avant de vérifier les alentours.

— Je pense que nous sommes…

— Ils sont là !

— … sauf ?

L’homme qui venait d’émerger des bois était seul. Il n’y avait aucun autre individu dans les parages. Nehril devina qu’il ne s’agissait que d’un retardataire. À cette distance les autres ne pouvaient pas l’entendre. Du moins, pour l’instant. Tournant la tête derrière lui, leur poursuivant pensa la même chose. Il brandit son épée mollement avant de lentement reculer.

Nehril se tourna vers Owen.

— Sur lui ! lança-t-il en se précipitant sur l’individu.

Sa charge fut belle et elle l’envoya l’homme virevolter dans les airs avant de s’effondrer au sol. Il se releva toutefois bien trop vite et tint le mercenaire à distance avec son épée. Mais il ne tenait pas compte du fait qu’il exposait son dos à Owen et Velian...

Owen avait fini par dépasser dans sa course le poète, qui était très lent dans sa cadence, sûrement dû au fait que son pourpoint n'était sûrement pas adapté à la course, il crut même avoir entendu le fil du vêtement se déchirer à certain moment. Owen n'était donc plus le retardataire, le terme n'est d'ailleurs peut-être pas juste puisque c'était seulement certaine distance séparé lui et Nehril, il n'était guère éloigné mais il ne le collait pas. Velian transpirait de tout part, les traces de sueur était cependant masquée par la pluie battant sur eux, ses cheveux en étaient trempé et ceux devant était collé sur son front. Le ménestrel avait vu des jours meilleurs, il aura au moins un sujet pour sa prochaine ballade. Il enjolivera les choses et sera le héro de la situation, évidemment. Songea Owen en regardant par dessus son épaule.

Ils étaient assez loin des assaillants, Velian était couvert de boues après avoir glissé plus d'une fois, étrangement, Owen s'était étalé la tête première sur la terre glissante qu'une unique fois. Owen en avait oublié la tâche de sang maculant sa joue, il y passa le revers de sa main sans savoir que cela allait étaler encore plus, mais se rendit vite compte que le sang avait disparu sous la pluie, ou soit mélangé avec la boue qui s'était éclaboussée sûr. L'ancien palefrenier courba son dos et posa ses mains sur ses cuisses, il retrouva un rythme normal dans sa respiration, puis se mit à vomir en regardant la lame de son coutelas. Ce devait être la première personne à lequel il a fait coulé le sang. Velian lui reprit sa respiration et avait les mains posé sur ses hanches. Il peinait à parler sans prendre de grande bouffé d'air.

— On a rien ? Mais... regardez mon habit ! Je suis un... poète, pas un... vulgaire gueux !
— On va bien... oui.

Puis un de leur assaillant les retrouva. Le dit poète sursauta en tremblant alors qu'il glissait sur le sol coulissant, ce fut le mercenaire qui réagit en premier en s’élançant vers le bandit, incitant d’ailleurs Owen à faire de même. Mais alors qu'il se précipita à sauter sur l'homme, Owen se retint d'avancer encore plus et laissa Nehril faire, ayant en tête l'autre fanatique qu'il avait fait saigné plus tôt. Certains hommes ne sont juste pas à l'aise avec la violence, même un nordien péninsulaire comme Owen. Mais c'est Velian qui réagit, révélant au passage une forme de courage plutôt surprenant, en bondissant par derrière vers l'homme seul et le prit par le cou, se débattant dans tout le sens pour maintenir l'homme et ainsi, laisser le champ libre à leur camarade de fortune d'achever leur récent prisonnier, à moins qu'il ne préfère le garder vivant, mais il faut peu pour garder une personne en vie...

« — Cesse de... gigoter, malandrin ! Allez-y... Nerhil, achevez... ce fils de putain ! Par Tyra... Il est plus fort que prévu..!

Nehril observa d’un air ahuri le troubadour qui se jetait à l’assaut du fanatique. Surpris qu’il fasse preuve d’un tel courage alors qu’il ne faisait que se plaindre quelques instants plus tôt, le mercenaire mit un certain moment avant de réagir. Il s’approcha lentement du fanatique qui agitait son épée dans tout les sens en essayant vainement de trancher celui qui était sur son dos. Le semi-elfe tenta de se rapprocher plus avant, mais faillit se prendre les bottes de Velian dans le visage. Il grogna et fit un pas en arrière.

— Dégage… de… là ! vociféra le fanatique en essayant désormais de mordre le bras du musicien.

Nehril guetta un moment d’inattention de l’homme et brandit l’épée qu’il avait récupérée plus tôt. Essayer de ne pas blesser Velian était bien plus compliqué. Le fanatique ne cessait de s’agiter dans tous les sens, renâclant et vociférant comme un cheval récalcitrant.

— Velian baissez votre tête ! l’averti Nehril en abattant son épée.

La première chose qu'il fera sûrement après tout cela, c'est d'allé vers la cité la plus proche et voir un bon tailleur. Ses cheveux fouettaient l'air et ne cessèrent de virevolter tandis qu'il retenait fermement avec ses bras le dit malandrin. Le poète grognait et ronchonnait alors que ses pieds peinaient à rester collé au sol. D'ailleurs, il faillit frapper au visage Nehril avec son talon. Owen restait en arrière, les jambes fléchit, ne sachant quoi faire pour aider, puis un peu éberlué par la situation. Les grommellements de Velian n'avait pas prit fin, il finit par articuler des mots compréhensibles en répondant puérilement.

« — Non ! Je vais pas te... lâcher ! Sale fanatique..! Qu'attendez-vous, Nehril !? »

Le poète n'était pas un professionnel ni un expert dans le domaine du combat. Ses bras certes fermes, étaient par contre très mal positionné. Le fanatique réussit à lui mordre l'avant-bras et l'homme poussa un cri aigu avant de serrer les dents, mieux vaut ne pas avertir les autres. Mais le ménestrel tenait bon, sauf que ce n'était qu'une question avant qu'il ne retire son emprise du captif. Velian obéit rapidement à l'avertissement du mercenaire aigri, puis baissa la tête, fermant ses paupières.

Le sang gicle. La tête du fanatique virevolte dans les airs alors que la lame de Nehril brille dans la nuit. Finalement quelques étoiles ont fini par se montrer. Le chemin auparavant brumeux se fait légèrement plus clair. Le corps du fanatique bascule, s’effondrant sur le sol tel une marionnette désarticulée.

Nehril se précipita vers Velian, s’assurant que ce dernier n’était pas blessé. Soulagé face à l’absence apparente de dégât sur le barde, il l’aida à se remettre debout.

— Vous avez fait preuve d’un grand courage, ménestrel, commenta le semi-elfe en lui flanquant une tape sur les épaules. Et vous êtes toujours en un seul morceau. Si vous voulez mon avis, vous avez là de quoi composer une belle chanson.

Si nous nous en sortons en vie…

Avec le retour de la lumière, et ce malgré la pluie qui tombait toujours drue sur lui, Nehril parvint à reconnaître l’endroit où il se trouvait. Ils s’étaient arrêtés dans une clairière qui jouxtait la route de terre qui menait à une bourgade dont il avait oublié le nom. Mais non loin de leur position, le mercenaire savait que la ferme d’Ernest et de Jisa n’était pas bien loin. Et il ne comptait pas partir sans leur rendre une petite visite.

— Owen, Velian, les appela-t-il en passant une main dans ses cheveux trempés, je dois récupérer mes affaires chez Ernest et Jisa. Leur ferme n’est pas loin d’ici. Restez près de moi.

Sans attendre leur réponse, Nehril s’élança sur la route, le corps légèrement baissé pour ne pas être repéré. Sa main droite serrait toujours l’épée de mauvaise qualité qu’il avait récupérée, et il regrettait de ne pas avoir Aeris en main.

Après un moment à lutter contre le chemin boueux, les trois hommes distinguèrent la chaumière de leur précédent hôte. Nehril eut une grimace. Il y avait deux entrées, si l’on ne comptait pas les fenêtres. De la lumière jaillissait des ouvertures, signe que le couple n’était toujours pas couché. Le cheval de Nehril était toujours attelé non loin, mais sa selle n’était plus sur lui.

— Bien, chuchota le semi-elfe en se penchant vers Owen et Velian, je vais faire le tour et entrer par la porte de derrière. Dès que vous aurez entendu le craquement de la porte, vous pénétrerez par celle de devant. Il ne faut pas laisser la possibilité à ces bâtards de s’échapper. Vous m’avez compris ?

Son ton était froid et déterminé. Il attendit leur réponse avant de s’éclipser dans la nuit.

C'était au tour du poète de vomir le souper préparé par la belle Jisa en posant ses mains sur ses cuisses, le sang qui gicla et qui jaillit du cou tranché se répandit rapidement sur son pourpoint et son visage. Owen qui assista impuissant à la scène tremblait des jambes, les petites natures de nos jours...

« — Une belle ballade, louant les louanges du poète Velian et de l’épée-loué Nehril ! Il me faudra un nom ou surnom plus éloquent et qui inspire la crainte. Pupilles-Argentés ? Non, c'est tout bonnement ridicule... Je ne souhaite manquer aucunement de respect, mais le nom Nehril est d'une banalité ! Auriez-vous un sobriquet à nous transmettre ?»

Velian avait vite reprit ses habitudes de bavard intarissable, malgré les effusions de sang qui l'avait pourtant mit dans tout ses états. Il préfère juste ne plus y penser, songea Owen en reprenant la route et suivit le mercenaire aux cheveux clairsemé d'argent. Ténèbres attendait là-bas et rien que l'idée de se faire chasser par lui jusqu'au bout du monde pour avoir laissé son cheval aux mains de ses fanatiques lu fit frissonner. Le poète était à l'arrière de la marche et trottina pour rejoindre Owen. Ils avaient tous deux une envie de discuter le temps qu'ils retournent à la chaumière de leur assaillants.

« — Tu étais d'un tel courage contre cet homme.
— Épargne moi ton sarcasme, Owen, veux-tu ? Bien. Nous allons revoir cette catin de Jisa et son porc de mari ! Et j'espère qu'ils payeront pour m'avoir privé de ma fille ! Mon luth dans les mains de fanatiques, tu t'en rend compte ? Et regarde l'état de mes vêtements !
— Tu es toujours en vie.
— Oui, c'est tout à fait vrai. En revanche, je ne peux en dire autant pour le sort que ce mercenaire leur réserve. Je frémis rien que de penser les entendre supplier et gémir en rampant sur le sol...
— Il veut simplement récupérer son épée, pourquoi s'attarderait-il sur ces fermiers ?
— Et bien ! Je ne m'attendais pas à une telle puérilité de ta part ! Mieux vaut que tu pars dès que tu récupéra ton cheval. Ce qui va arriver par la suite ne te plaira pas. »

Owen s'arrêta un instant, Velian haussa des épaules et lui jeta un regard rempli de désinvolture et d'une pointe de pitié. Le jouvenceau ne comprenait pas ce qu'il souhaitait dire, mais ce ne devait pas être si important. Le jour se levait poétiquement, mais la nuit enveloppait toujours leur périple. Il reprit la route pour rejoindre les deux autres et admirer le taudis que le couple appelait maison. Nehril disparut après avoir donné des indications et ordres. Le poète ne pipait plus un mot, s’accroupissant, il incita Owen à faire de même. Il obéit. Les deux avancèrent sur le genou vers la porte d'entrée. Le jouvenceau remarqua Ténèbres près de la monture du mercenaire, lui aussi dépourvu de sa selle. Velian regarda Owen puis le cheval, comme pour l'inciter à partir maintenant et ne plus revenir.

Owen resta.

Tous deux sur le seuil de la porte, Owen tenait fermement la poignée de son coutelas de mauvaise facture dans sa main, son partenaire lui s'était muni de l'épée du corps gisant dont il s'était occupé avec Nehril, il tenait par contre maladroitement la poigne, ce qui fit pousser un soupir au jouvenceau. Ce devait être la première fois que le poète tenait une arme dans sa main. Velian leva les yeux vers lui. Le poète et le palefrenier se jaugèrent, puis échangèrent d'arme.

Le fracas de la porte surgit à l'arrière, Velian et Owen inspirèrent et cachèrent leur peur sous une bonne dose d'adrénaline, les deux posèrent leur épaule contre la porte de l'avant afin d'empêcher les fermier de s'enfuir par l'entrée. Des cris et des supplices furent poussés à l'intérieur, à maintes reprises ils entendirent le sifflement d'une lame. Le fracas de meuble résonnèrent même vers l'extérieur et firent grincer les compères. Après un certain moment, le poète regarda alors sur la fente d'une des vitres et arbora de suite un air horrifié. Ce fut Owen qui poussa la porte. Sur le seuil de la porte, le palefrenier laissa tomber de sa main son épée, ses lèvres tremblotants, il prononça une simple phrase en manquant de vomir encore.

« — Qu'avez-vous fait ? »

Les cadavres de deux hommes gisaient sur le côté. Ils serraient encore leur fourche entre leur doigt rougi par leur propre sang. Nehril pointait Aeris, son épée retrouvée, dans la direction de Jisa et Ernest qui, recroquevillés dans un coin de la pièce, poussaient des piaillements indignés.

Sanglotant et levant les bras d'un air implorant, le fermier obèse glapit d’une voix aiguë :

— Ne… ne nous tuez pas ! Vos… vos affaires sont là, sur… sur la table !

Le semi-elfe découvrit ses dents.

— Parle, paysan, cingla la voix froide de Nehril. Pourquoi nous droguer ?  

Ernest secoua sa lourde tête, faisant trembler son double menton. Son front était humide et ses lèvres minces, plissées.

— Je… je ne sais pas ! répondit-il en agitant ses mains. Ils vont ont vu arriver, vous, le gamin et le barde ! Ils nous ont obligés ! Je le jure devant les dieux !

— Ce n’est pas de tes dieux dont tu dois craindre le courroux, fermier, lança le semi-elfe en plissant ses yeux argentés, mais de moi. Ces hommes, que sais-tu d’eux ?

Le fermier ouvrit la bouche, mais fut interrompu par une flèche qui vint s’infiltrer entre les deux battants de bois qui obstruaient les fenêtres. Cette dernière finit sa course dans la jambe d'Ernest. Il poussa un cri de douleur. Sous le choc et la peur, sa femme Jisa se mit à hurler à plein poumon.

Nehril renversa une table et se jeta derrière alors qu’une seconde flèche venait se ficher dans le bois.

— Owen, Velian ! les avertit-il en désignant l’abri de fortune.

Plusieurs autres flèches vinrent cribler la table. Lorsque les impacts cessèrent, le mercenaire osa jeter un œil par dessus. Ce qu’il y vit le fit grincer des dents.

— Malédiction…

Son juron aurait très bien pu concerner les corps sans vie de Jisa et d’Ernest qui gisaient non loin, mais il n’en était rien. Le regard voilé du mercenaire fixait un point plus lointain. Un point qui regroupait une dizaine d’hommes qui les attendait dehors, l’arme au poing…

Owen restait éberlué face à la scène, il ne daigner bougeait d'un cil alors qu'il regardait Nehril menacer avec la pointe de sa lame les deux fermiers. Il ne savait pas du tout quoi penser, entre savoir s'ils mentaient ou disaient la vérité, c'était légèrement compliqué pour lui. Velian se décida à rentrer, jusqu'à présent, il était en train de regarder par l'extérieur à travers une fente. Lorsqu'il rentra dans la cahute, il aurait juré qu'une flèche avait frôlé sa tempe. Owen avait à peine eut le temps de prendre la selle de Ténèbres et son épée que les hommes encapuchonnées étaient de retour. Le palefrenier sauta derrière la table renversé qui leur servirait d'abri le temps qu'ils réfléchissent que faire.

Les flèches fendirent l'air à maintes reprises, Owen avait posé ses mains sur le dessus de sa tête comme vaine défense, sa tête était enfoui entre ses épaules tout tremblotant. C'était effrayant, jamais il n'avait été dans une situation similaire dans le passé, un angoisse profond lui avait envahit par la gorge tandis qu'il se mit dans sa bulle. Le poète lui s'était hurré de sauter par dessus la table renversé, n'ayant eu le temps de reprendre son tendre luth. Il secoua par les épaules Owen pour le faire sortir de sa torpeur, sûrement car il voyait en lui leur moyen de s'enfuir, sauf qu'il y avait une boite à idée beaucoup plus efficace à ses côtés ; Nehril. Velian restait à bonne distance de la surface de la table, la pointe des flèches traversaient le bois.

« — Nehril ! Nehril ! Mon luth ! Il faut sauver mon luth ! Que faire !?

Le poète leva la tête pour apercevoir la troupe de plausible fanatiques venir vers eux. Ils devaient agir vite, mais les moyens de s'enfuir étaient presque inexistant. Presque. Owen finit par prononcer quelques paroles, tandis que ses lèvres tremblotaient toujours.

« — Brûler la... La ferme ! Vous êtes un mage de feu, non ? Provoqué un incendie et rampons jusqu'à la sortie arrière et ils vont croire qu'on a brûlé avec le reste..!
— Et mon luth !? On ne va pas le laisser derrière, non ?
— Tu n'aura qu'à ton payer un autre !

Owen inspira, Velian grommela des mots affligeants et s'allongea sur le sol. Le palefrenier se tourna vers le mercenaire, il était intimidant, menaçant et puait la méchanceté. Mais depuis le début de cette soirée, il s'était révélé utile et moins mauvais qu'il en avait l'air, si l'on ne prend pas en compte l'incident avec Jisa et Ernest. Il ne restait plus qu'à espérer que le plan qu'il avait concocté serait suffisant...

Nehril baissa la tête, évitant un autre trait mortel qui fusait dans sa direction. L’idée d’Owen était séduisante, mais… un incendie ? N'était-ce pas trop excessif ? Une seconde flèche vint cribler le bois, mettant fin à son hésitation.

— Dès qu’il y aura suffisamment de fumée, ramper vers la porte arrière ! leur lança le mercenaire en jetant par dessus son épaule des flacons d’alcool qui se brisèrent.

Il ne savait pas ce qu’ils contenaient, mais il s’en moquait. Plusieurs flèches vinrent percuter les flacons en volent, venant recouvrir les trois personnages d’un liquide poisseux. Nehril l’identifia comme étant un mélange d’huile de poisson et de citron. Cela lui picota les yeux pendant un moment avant que la sensation ne disparaisse.

Finalement satisfait de tout ce qu’il avait jeté en direction de l’entrée, Nehril chercha des yeux un quelconque combustible afin d’embraser le tout… et tomba sur le luth de Velian. Il échangea un regard avec le barde avant que celui-ci ne comprenne ce qu’il avait derrière la tête.

— Désolé Velian, mais crever ici avec ce luth ne fait pas partie de mes projets, lâcha-t-il en saisissant l’instrument et en le tenant hors de sa portée.

Il se concentra quelques instants, réveillant le pouvoir qui sommeillait en lui afin de créer une flamme sur l’objet. Puis lorsque ce dernier se rependit sur la partie inférieure, il le jeta en direction du liquide qui recouvrait l’entrée de la chaumière. Aussitôt un feulement sauvage retentit, et une bouffée de chaleur plaqua les trois compagnons au sol alors que de gigantesques flammes verdâtres s’élevaient devant eux.

— Qu’est-ce que c’est que ce bord…, commença Nehril avant de voir que les flammes envahissaient désormais toute la demeure avec une vivacité effroyable.

Qu’y avait-il dans ces bocaux ?

Le mercenaire croisa le regard d’Owen et de Velian et se mit à hurler :

— Sortons !

Il saisit Velian par le collet et Owen par le bras et les guida à travers le feu verdâtre. Ils finirent bloqués par un imposant mur de flammes, qui vint rugir devant leur visage recouvert de suie. Nehril ne perdit pas de temps, se saisit d’un baquet qui reposait non loin, le renversa sur Owen et Velian sans se rendre compte qu’il s’agissait là du pot de chambre des fermiers, avant de les recouvrir d’un drap et de les jeter tous deux à travers les flammes. Il ne tarda pas à les suivre alors que la bâtisse craquait et s’effondrait sur elle-même.

Recouverts de déjections et d’urine, les trois compagnons s’en étaient sorti de peu. Mais les fanatiques étaient toujours de l’autre côté de la demeure. Nehril repéra les trois montures qui s’étaient détachées sous la déflagration, et fit signe à Owen et Velian de les rattraper.

Une fois tous en selle, ils chevauchèrent comme s’ils avaient Tari après eux, soulevant un imposant nuage de poussière dans leur hâte de s'éloigner de leurs poursuivants.

L'idée d'Owen avait fait mouche. Certes, c'était un poil exagéré mais au point où ils sont... N'importe quel idée aurait été digne d'un tacticien de renom. Velian arborait un air désolée, voyant que le destin de sa fille — le luth — était compté et leur retrouvaille fut brève, trop brève à son goût. Jamais il n'aurait cru devoir se séparer de l'être qui lui était le plus cher en ce terrible monde. Ô quel malheur ! Un sort si triste ! Le poète jura par tout les dieux, faisant sourciller le péninsulaire qu'était Owen, — à l'instant même où les flammes étaient en train d'entièrement consumer la demeure et qu'ils allaient probablement se retrouver engouffrer et mourir étouffé par les flammes sans aucun moyen de s'enfuir — existant en ce continent, qu'il écrira la plus belle ballade qui existe en l'honneur de sa fille. Sa fille fut, selon ses dires, un cadeau donné par les elfes d'Anaëh et qui fut forgé par les meilleurs artisans de la cité de Thanor ! Même si les artisans de Thanor n'était pas reconnu pour construire des luth en bois et qui ressemblent étrangement à ce que font les humains.

Son vœu ne fut pas exaucé. Quelques ennéades plus tard suite à cette incident et fournit d'un instrument neuf, Velian composa cette ballade nommé Ma fille adorée. Mais elle n'avait pas reçu le succès attendu, c'était un échec cuisant et qui irritait même les chèvres. Les dieux n'appréciaient sûrement pas que l'on jure sur eux pour une chose aussi stupide qu'un luth.

Par contre, son autre morceau intitulé La Ballade du Poète à la Rescousse de Yeux-d'Argents avait fait fortune et fut un immense succès, allez savoir pourquoi.

La peur et l'angoisse avait envahir de plus belle Owen qui se retrouva à trembler comme une feuille, tandis que les débris de la ferme tombèrent lourdement grâce au feu grandiose et verdâtre. Si ce n'était pas pour le sauvetage de Nehril qui était pour être tout à fait honnête celui qui faisait tout le travail, il n'aurait sûrement pas réussi à s'en sortir seul. Le palefrenier tenait la selle de son cheval au dessus de sa tête s'en servant de protection de fortune, sortit de la ferme en feu avec le poète et le mercenaire et se dépêcha pour rattacher la selle sur Ténèbres qui hennit violemment, répandant son souffle chaud et claquant les sabots. Une vrai bête, un peu comme son ancien propriétaire. Owen galopa et fila contre le vent, la tête enfoui contre le cou de Ténèbres. Velian lui avait une monture gris pommelé et docile, mais paresseux. Ils étaient des rescapés de la mort. Mais la mort était orgueilleuse, alors elle recouvra les compères d'un odeur pestant, qu'ils devront porter sans pouvoir s'y échapper durant maintes ennéades.

Owen regarda par dessus son épaule après un long moment à galoper, pour s'assurer qu'ils s'étaient belle et bien enfui de ces fanatiques.