La flamme du silence

Premier jour de la neuvième ennéade de Barkios de 17:XI
Temple de Teiweon
Après l'entrevue avec Kerath

La prêtresse était arrivée en courant chez son amant et elle en ressortait de même. Elle voulait fuir. Fuir le temps qui passe. Fuir les mots. Fuir… Et s'enfuir… Mais pour aller où ?
Par Isten, pourquoi Amours et Ambition apportent elles autant de frustration ?
Pourquoi fallait il qu'il monte si haut ?
Qu'y trouvera t'il ? Les ors ou la destruction ?

Faute de réponses qui la satisfasse, elle courrait. A en perdre haleine. Pour ne pas hurler. Pour ne pas penser. Pour ne pas pleurer.

Pleurer.

Sentir cette eau venue de nulle part s'épanchait dans ses yeux. Sentir cette goutte qui grossit, grossit tellement à rendre sa vision floue. Sentir qu'elle éclate et dévale sa joue.

Pleurer.

Libérer cette nouvelle source qui ne demandait qu'à jaillir. Que simple ruisseau devienne un torrent. Que coule cette eau. Libre, qu'elle dévale le visage, joue et sillonne chaque cicatrices, chaque recoin. Et que d'autres larmes la rejoignent, encore et encore.

Elle avait envie de les goûter pour y frotter à leur sel son amertume. Elle voulait y noyer son aigreur dans l'espoir d'atténuer le fiel du destin.
Elle avait envie de libérer ses pleurs pour évacuer ses sentiments. Les laisser l'envahir et déborder. Y perdre son souffle. Hoqueter.
Elle avait envie de laver son esprit. Que les larmes évacuent ce trop plein de peine, de frustration et de douleur.
Elle avait envie d'avoir des caresses comme autant de promesses de réconfort. A défaut qu'une main tendre ne se pose sur sa joue, ses larmes humides. Et tièdes.
Elle avait envie de s'épuiser dans ce débordement pour qu'enfin, elle puisse relever la tête. Et regarder ce qui l'entoure d'un œil nouveau.
Elle avait envie de trouver de nouvelles raisons d'avancer. D'autres personnes à aimer. Que les couleurs délavées redeviennent éclatantes.
Elle avait envie de pleurer. Mais ses yeux restaient secs et sa gorge nouée.

Elle n'y arrivait pas.

Pas après pas, foulée après foulée, elle s'orientait vers la demeure de la Gardienne. Elle voulait voir la Reine. Elle lui en voulait. Que s'était il passé… vraiment.

Le grand Temple de Teiweon avait été bâti à même la roche. Il n'avait rien à envier à celui du Grand Temple d'Uriz. Si ce n'est qu'il y émanait de son sein plus de calme et de froideur par rapport à celui du Père. Maintenant, la servante de Kiran longeait très lentement un des canaux en attendant qu'un prêtre donne suite à sa requête. Elle ne savait pas si elle pourrait revenir dans la chambre magmatique après cette nuit. Et pourtant, elle voulait rendre un dernier hommage à celle qui fut la Flamme d'Uriz.

La prêtresse attendait en se tenant accroupit au bord du canal. Elle se mordait les lèvres. Elle avait laissé son flot de paroles filer comme de l'eau. Et maintenant, elle le regrettait… elle avait agit en eldéen avant d'agir en amante. Elle n'avait pas écouté. Elle avait jugé. Elle avait menacé.
Trop tard pour se morfondre.
C'est fait. Elle devait faire avec. Même si ce n'était pas prévu.

Du bout des doigts, presque machinalement, la servante de Kiran caressa l'eau. L'onde était devenue frissonnante. Après avoir suffisamment jouer du désir, elle y trempa délicatement la main et la retira avec délice. Elle regardait les gouttes perlaient quand un prêtre de la Gardienne posa sa lourde paluche sur son épaule.

"Veuillez vous relever, je vous prie. Un seul cela suffit."
Selon l'injonction, elle se redressa avec souplesse. " Un seul de quoi ? " demanda t'elle.
"Noyé." La  réponse était tombée comme un couperet. Elle en aurait douché plus d'un. Puis il posa ses yeux sur la prêtresse et remarqua qu'elle portait une robe noire. Comme lui et le noyé. Il ne l'avait pas reconnu parmi les siens, pourtant il se targuait de connaitre son monde… Il pesa rapidement le pour et le contre à montrer ce corps si silencieux. Mais au final, si la servante de Kiran ne le connaissait pas, qu'avait il a y perdre ?
"Suivez moi." Habitué à être obéi, le prêtre avait fait volt face et s'était déjà avancé vers une alcôve. Interrogative, Na'ri le suivi avec quelques pas de retard.

Derrière un rideau en voile de soie noire, reposait un corps.
Mais la première chose que le medecin vit c'était le coeur. Déjà sombre il attendait l'office sur un linge prévu à cet effet. Mais pour cela il fallait au moins un nom, au moins un grade. Pour rendre hommage. Pour que la flamme ne se perde pas. Pour ne pas qu'elle soit reléguée aux Mannes Errantes.
Poursuivant son avancée, les yeux de grenat se posèrent sur l'étoffe obscure de la tenue de prêtre. Comme la sienne, elle servirait probablement de linceul. Du bout des doigts, le drap fut étudié.
" La robe est celle d'un serviteur de la Dame aux Ombres. "

Avec beaucoup d'appréhension Na'ri remonta jusqu'au visage de celui qui reposait. Ayant passé un peu de temps dans l'eau celui-ci s'était légèrement gonflé. La peau cendrée tirait sur le violacé, encadrée de cheveux laiteux. Un cercle noir ornait le front haut et volontaire. Ne le reconnaissant pas en l'état, elle se remit à respirer.
" Non. Il ne fait pas parti de ceux que je connais."

Le prêtre de Teiweon émis en grognement. "Plus qu'à demander à la Dot'ka et au culte de Tesso… Merci. Vous pouvez y aller." D'un mouvement de main, il indiqua la sortie.
" Me permettriez vous d'essayer quelque chose ? De rendre son visage plus… reconnaissable ? " Elle ne savait pas pourquoi, mais elle éprouvait de la compassion pour celui qui semblait avoir menti en portant des attributs qui ne lui appartenait pas.

Sa requête acceptée, elle se jeta dans la pratique de son art, comme un drogué sur sa dose. Faire quelque chose pour quelqu'un. Le faire bien. S'oublier. Oublier. Elle n'attendait plus de remerciements depuis longtemps, et celui-ci en était bien incapable de toute façon.

Au bout d'un certain temps, le visage prit une forme plus naturelle. Il était très élancé et anguleux. Na'ri se demanda si elle n'avait pas enlevé trop d'eau en regardant une nouvelle fois les joues légèrement creusées.
Fatiguée, elle ferma alors les yeux. Mais le sommeil ne venait pas. Un air, une prière trottait dans son esprit. Pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ? Il n'était ni le plus mélodieux, ni le plus courant. Il parlait de la traversée des Ombres. Elle se mit donc à chanter, à prier pour cet inconnu.

A la lisière de ses cils, une goutte se forma. Plus la prière avançait, plus elle grossissait jusqu'au moment où elle se libéra et dévala. Quand la prière s'acheva, elle se mit alors à chuchoter au creux de l'oreille ses secrets, ses joies et ses peines. Ses peurs et ses espérances.

Sa requête de se recueillir auprès de la Reine avait échouée, mais cela lui importait peu, car quand elle quitta le temple, il lui sembla qu'elle avait passé du temps avec un ami.