Doux amer

Grand temple de Kiran
Profondeurs
1er jour de la neuvième ennéade de Barkios

Il se faisait tard, ou il se faisait tôt. Elle ne savait plus. Elle ne savait plus le jour que l'on était. Elle ne savait plus ce qui était prévu pour demain. Par contre, elle savait pourquoi elle était là, assise dans son lit, en nage. Ils étaient revenus. Du passé, ils étaient revenus, ces visages aimés et appréciés. Ces visages qu'elle ne reverrait plus, autrement que dans ses cauchemars, mourant, encore et toujours. 

Elle leva une main pour les porter à son visage mais déjà, elle se retrouvait avec un linge humide. C'était froid, humide et désagréable. D'un revers de main rageur, l'étoffe se rependit sur le sol dans un bruit spongieux. 

" Put'Xinel, vas te coucher. Je repars travailler." 

Le novice ne se fit pas prier. Des trois novices que la prêtresse formé, c'était lui qui avait tiré le mauvais numéro. Aujourd'hui, il était chargé de la veiller le peu de temps où elle dormait. Na'ri avait tendance à s'abrutir de travail et s'écroulait un peu n'importe où pour dormir… un temps. Alors, il l'avait ramassé et couché dans l'espoir que cela dure. Mais cela n'était jamais suffisant pour que lui-même profite d'un bon et long sommeil réparateur. Au moins, la Yinvezz lui reconnaissait cela. Cela fait moins d'une ennéade et il en avait déjà marre. Elle leur avait déjà fait le coup avant qu'elle n'aille à Sol'Dorn. Et cette ânerie avait duré des années. Vivement qu'elle s'en aille à Naëlis. 

Dans le dos du novice, elle commença à entonner une prière à Teiweon. 

C'était presque l'heure et pourtant Math'urain cherchait sa référente. Il avait déjà écumé le temple principal, l'office et le dispensaire des esclaves. Et il avait également inspecté les moindres recoins où Na'ri pouvait se caler pour dormir. D'un pas rapide, il rouspétait. Après la prêtresse, un peu. Elle était malade, mais compétente. L'un ne nuisait pas à l'autre mais cela la rendait invivable lors de ses crises. Il râlait surtout après son condisciple qui avait oublié de la prévenir qu'aujourd'hui, le Haut Prêtre tenait une cérémonie pour présenter le nouveau Grand Prêtre des Armées. Il pestait contre le système qui faisait que les novices devaient veiller autant sur leur tuteur que le tuteur sur eux. 

Quand le novice poussa la porte du laboratoire de bactériologie, il ne s'attendait pas à cela. Na'ri était assise sur une chaise. Col'ombin était allongée par terre. Dès que la jeune novice vit son confrère, elle barra d'un doigt ses lèvres charnue pour lui imposer le silence. Pourtant il en avait bien des questions… Pourquoi la prêtresse caressait-elle le ventre de sa consœur du bout des pieds ? 

La prêtresse était extrêmement concentrée sur son sort et elle était bien moins rapide à le tracer. Math'urain s'approcha et la regarda faire. Il y avait des lubies qu'il était plus sage d'ignorer. 

Bientôt, Na'ri se relâcha doucement. 

" Fait tout de même attention, tu peux vraiment avoir des complications. Il peut aller derrière, puis devant, mais, il faut qu'il se lave entre les deux. Tu comprends ? " 

La novice opina vivement de la tête. 

" On parlait d'Orbb'aphyon et de fleur comme en salle, ne va pas t'imaginer des choses Math'..." 
" De flore commensale…" soupira l'enseignante. Puis elle se retourna vers son novice.
" Tu voulais ?
Vous signalez que vous êtes conviée à une cérémonie d'intronisation  prochain Grand Prêtre affilié aux forces armées du Puy. "

La bouche et les yeux s'arrondirent. Il ne fallait pas qu'elle soit en retard.

Les temples de Kiran et de Leetha, déesses jumelles, partageaient des infrastructures communes pour des raisons de commodités. Les deux ailes du complexe religieux jouxtaient les côtés du temple en lui-même qui se voulait plus centre hospitalier et de recherche, la chapelle ne prenant qu'une infime portion de tout cela.
Ce jour, n'était pas un jour ordinaire. L'ordination de grand-prêtre n'était pas une chose commune et pour l'occasion, les torches sacrées furent allumées. Faites de fémurs, elles éclairaient de bleu, les murs et les allées. Un chemin avait été tracé allant d'une fontaine jusqu'à la chapelle. Dans ce lieu, normalement dédié aux repos des corps, aux vermines et aux études, le spectacle était captivant par sa rareté. 

Les deux nommés se regardaient, étonnés de se retrouver, l'un comme l'autre à la fontaine où leurs novices les attendaient pour les laver et les récurer. La propreté de leur corps était primordiale. Puis ils furent oint avec des huiles sacrées. Ce fut dans une effluve capiteuse, qu'ils reçurent chacun un os blanchi des premiers eldéens. 
Alors les candidats mêlèrent leur voix pour chanter les épreuves que les jumelles avaient envoyé aux eldéens. 

Lui, en guise de défi partit vers les graves, elle lui répondit en valorisant les aiguës. De ce bras de fer, la geste gagna en profondeur. Le cortège se mirent en branle au passage concernant le départ des ancêtres. Derrière eux, venaient  les prêtres de Kiran, silencieux.

Les prêtres de Leetha qui assistaient à la cérémonie, leur faisant une haie d'honneur, chantaient pour les Kretoks, ce peuple amphibien qui furent tués, les exterminant presque au passage.

Au bout du chemin, à la chapelle, ils devaient avoir modulé leurs pas pour arriver au moment où les eldéens rentrèrent avec l'arsenal des connaissances que les Déesses leur avaient confié au Puy. A l'intérieur, la chanson se finit sur la promesse des prêtres à s'en servir pour affaiblir leur ennemis, pour se repaitre de la déchéance des vaincus et apprendre aux survivants à ne jamais ignorer la Pestilence. 

A côté de l'autel de pierre noire et froide, le Haut Prêtre les attendait. De son œil d'expert, il évalua les deux daëdhels. La femelle portait plus de cicatrices et de marques du temps que le mâle. Mais là où lui avait des scarifications dont le dessin était très structurées, elle n'avait que le chaos des cicatrices de ses combats et des tatouages. 
Le Haut Prêtre avait dû choisir. Il posa son regard froid et austère sur ses deux prêtres. Et ce ne fut pas facile. 

Il en avait l'habitude cependant, aucun diagnostique n'était accommodant. C'est d'une voix claire mais vide de joie qu'il appela alors le candidat élu. 

" Prêtre S'arg. Êtes vous prêt à ce jour à soigner autant qu'à propager, dans la victoire comme dans la défaite, à mener vos frères sur le front et à participer à l'Eda Vengeur ?" 

Après que le sombre ait approuvé sa toute nouvelle charge tant désirée, un prêtre s'avança et donna une robe de cérémonie bleue foncée à Na'Ri, pour qu'elle en revêtisse le nouveau grand-Prêtre. Un léger sourire de victoire aux lèvres, il la toisa alors avec tout le mépris possible imprimé dans les prunelles carmines tandis qu'elle l'en revêtait selon la tradition.  

Alors que la drow pensait que la cérémonie était finie, elle fut surprise d'être appelée à son tour. Avait elle bien entendu ? 

" Prêtresse Yisfi. Êtes vous prête à ce jour à soigner autant qu'à propager, dans la victoire comme dans la défaite, à organiser le temple de Kiran à Sol'Dorn ? " 

Le coeur battant, elle approuva. Ainsi, aujourd'hui, elle avait été jugée inapte pour être sue les champ de bataille. Elle ne pouvait le nier. Ils avaient jugé qu'elle ne pouvait plus vraiment supporter une autre guerre. Pourtant, ils croyaient suffisamment en elle pour lui confier les clés des portes d'une ville nouvellement acquise. 
Si quand la zone serait vraiment pacifiée, elle avait l'espoir de faire venir son fils auprès d'elle, elle devait renoncer à vivre aux côtés de celui qu'elle aimait depuis un peu plus de trois siècles.

Dans l'assistance, de nombreuses paires d'yeux avait suivi la cérémonie. Mais elle n'était pas encore terminée, un second prêtre s'avançait à côté de S'arg et lui tendait les étoffes riches de la charge de grand-prêtre de Na'ri, attendant avec une inquiétude de plus en plus grandissante qu'il se décide à la prendre pour en revêtir la Sombre. Droit, magnifique dans les robes de sa nouvelle charge, le drow posait un regard hautain sur la prêtresse. Nul besoin de mots Il était satisfait,  Il avait été choisi le premier… il tenait la nomination de sa collègue entre ses mains. Un sourire amusé occupait son visage, il savourait cet instant comme un délice roulant sur sa langue.
 
Pourtant, il finit par prendre la robe. Avec une nonchalance feinte à laquelle la nouvelle grande-prêtresse ne preta pas plus attention que cela, il la revêtit des symboles de sa charge. Ensuite, la prenant par la main, son sourire plein d'orgueil, il la fit se retourner vers leur Haut-Prêtre d'abord pour s'incliner devant ce dernier, avant de faire volte face pour offrir son mérite au regard des servants de Kiran, alors que les chants sacrés de célébrations résonnaient et se répercutaient sur les parois intérieures du Vatna, leur donnant ferveur et puissance. 

Le message a été plié pour prendre la forme d'une enveloppe. Il est tenu fermé par un ruban rouge.

Pour un coeur qui meure d'envie

A l'eldéen que j'aime. 

Je me permets une dernière fois de t'écrire pour t'inviter à célébrer ensemble la Belle Dame en ce premier jour de la dernière semaine de Barkios. Je voudrais la prier avec toi pour la remercier des titres présents, pour l'inviter à se pencher sur tes entreprises futures, mais la raison qui me tient le plus à coeur est de pouvoir tout simplement t'aimer. 

Je t'attendrais ce soir au Haut Temple d'Isten, et j'espère t'y voir avant le départ. 

Na'ri

L'écriture est fine mais, pour une fois, l'auteur avait vraiment pris le temps de bien former ses lettres. Ce n'est pas encore avec des belles boucles, avec des pleins et des déliés, mais c'est vraiment lisible. 


***

La pièce que la culte d'Isten avait mis à disposition était généreusement pourvue en diverses banquettes et en recoins dû à la forme en U. Dans la partie intérieure et inaccessible aux participants, un orchestre jouait différents airs, tantôt lancinant, tantôt entrainant.  Le plafond en avait était poli pour refléter tout ce qu'il se passait en dessous. Le tout était baigné dans une atmosphère chaleureuse et tamisée.

Les participants avaient déjà pris possession des lieux en s'étaient éparpillés dans la salle. Des premiers couples s'embrassaient déjà, mais sinon la majorité discutait. Les esclaves d'Isten, aux corps mis en valeur par diverses huiles et bijoux, distribuaient à qui en voulait boissons et objets aux formes étranges mais étudiées pour honorer la Sulfureuse.
S'arg, en héros du jour, était déjà allongé sur le flanc, un bel éphèbe à sa hanche et une demoiselle nubile et déjà nue à ses pieds. Face à lui, d'autres prétendant-e-s se faisaient évaluer leurs arguments pour passer la soirée avec l'auguste personne qu'il était devenu.

Assise du bout des fesses sur le rembourrage moelleux, la cambrant légèrement en mettant en valeur son buste, Na'ri bavardait distraitement avec un collègue, un verre, toujours plein, à la main. Elle regardait régulièrement la porte d’entrée dans l'attente d'y voir apparaitre un sombre, bien particulier. Elle portait toujours la robe de cérémonie des Grands Prêtres et ses cheveux, redevenus long, cascadaient dans son dos. La seule chose qu'elle avait enlevé avant de venir était sa bague de cuivre.
Bien qu'elle se sentait vulnérable et complètement nue, elle avait laissé son focalisateur dans sa cellule. Elle n'avait pas oublié sa menace et, ce soir en particulier, même s'il ne portait pas le titre de Triumvir, elle ne se voulait pas menaçante.

Sagar avait, durant toute sa vie, ignoré le clergé d’Isten, il trouvait ce dont il avait besoin dans les osts alors à quoi bon chercher ailleurs ? L’écrasante majorité de ses compagnons et compagnes avaient été, d’une façon ou d’une autre, liés aux sphères militaires. Alors le mot de Na’ri l’avait laissé circonspect. Déjà parce qu’ils ne s’étaient pas vraiment quittés en bon termes la dernière fois qu’ils s’étaient vus, mais surtout parce qu’il avait l’impression que se rendre à cette soirée reviendrait à s’aventurer sur un terrain glissant et ce à plusieurs égards. Toutefois lorsque ses esclaves l’aidèrent à retirer son armure, une fois de retour dans sa chambre, il lança un regard au pli que la prêtresse lui avait envoyé, posé sur une table à côté de l’autel avec les deux carreaux d’arbalète. Après une rapide prière il se releva et décida de finalement de sortir. Il se contenta de dire aux gardes draconniques qu’il voulait être seul et qu’ils pouvaient rentrer à la forteresse du second ost pour profiter de leur soirée. L’idée d’en revoir à la cérémonie à laquelle lui-même se rendait l’amusa un peu mais ses pensées retournèrent bien vite se concentrer sur Na’ri sans qu’il ne le veuille d’ailleurs.

Le général attendit au pied des marches du temple, regardant les quelques eldéens qui se rendaient encore à ladite soirée, se demandant s’ils devait les rejoindre ou retourner dans ses appartements. Il décida finalement de mettre le pied sur une des marches de pierre et maintenant qu’il avait fait le premier pas il ne pouvait plus vraiment revenir en arrière alors, mécaniquement, il monta. Une fois au sommet un esclave l’accueillit en lui proposant de prendre l’anneau qu’il portait toujours autour du cou, ces petits bijoux pouvant facilement se perdre, mais il refusa d’un geste rapide, agacé, de la main.

Lorsqu’il pénétra enfin dans le temple, une ilythiiri passa à côté de lui en faisant glisser une de ses mains sur le tissu épais de sa tunique avec un sourire mutin accroché aux lèvres alors qu’un de ses doigts vint faire tinter l’anneau d’onyx. Il décida de l’ignorer superbement et fit un nouveau pas mais alors qu’il allait en faire un second, il sentit quelque chose, ou du moins quelqu’un, lui attraper le pied. Sur sa gauche, un drow avait attrapé la cheville du colosse comme s’il s’agissait du pied d’une table afin de se stabiliser et son amant lui en fut reconnaissant mais ce n’était pas vraiment le cas de Sagar qui s’en débarrassa d’un mouvement vif ; il ne s’arrêta pas pour s’amuser des conséquences de son acte ni même pour s’excuser auprès du prêtre d’Isten qui avait vu sa pyramide s’effondrer. Outre les efforts ruinés, ce n’était pas bien grave, Kiel n’était-elle pas très proche de la Belle ?

Sagar n’eut pas de mal à trouver celle qu’il cherchait, après tout combien restaient assis et immobiles dans cette pièce ? Alors qu’il se dirigeait vers elle il tourna la tête, il lui semblait avoir attendu un nom qu’il connaissait bien et, surtout, qu’il n’avait pas entendu depuis fort longtemps mais il ne s’attarda pas dessus et, à la place, se présenta devant Na’ri en lançant un regard noir à quiconque était resté à côté d’elle. Afin d'accueillir, la prêtresse se leva, le coeur en émois et un large sourire.

« J’admets que c’était audacieux de m’écrire. »

"Merci beaucoup d'avoir pris de ton temps pour venir." Il était là. Juste devant elle. Elle savait pas trop comment réagir. Les battements de son coeur lui tambourinait la poitrine. Elle avait envie de l'étreindre, de l'embrasser, mais elle redoutait un refus. Alors, elle regarda ses mains, si nues, si inutiles. Comme elle.

" "T'écrire m'avait semblé surtout être le plus simple." Déclara t'elle légèrement rougissante. Puis elle releva les yeux. Je pars demain avec la délégation diplomatique pour Thaar. Quand cela sera finit, je prendrais mes fonctions à Sol'Dorn. En tant que Grande Prêtresse. Mais assez parlé de moi… " contrairement au souhait de la prêtresse, il comptait bien poursuivre à parler d’elle, simplement parce qu’il avait une question. En réalité il en avait plusieurs mais pour le moment une seule suffirait, il aurait sans doute tout le temps pour poser les autres. De plus ce n’était pas une soirée dédiée à Tesso alors à quoi bon parler plus que de raisons ?

« Félicitation mais pourquoi as-tu choisi Isten pour célébrer ton nouveau poste ? »

Il délia ses bras restés jusqu’à présents croisés sur son torse pour attraper une des mains de Na’ri afin de tirer celle-ci contre lui. Il se retint de l’embrasser, il fallait bien qu’elle puisse réponde. Dans les bras de son amant, elle frissonna. Contre sa joue, elle sentait le souffle doux de Sagar.

"Pour la remercier tout simplement. J'ai ambitionné le poste de Grande Prêtresse pour accompagner les armées afin de… " Sa voix baissa. " ...de continuer à travailler à tes côtés." Dans un sourire, elle poursuivit sur le même ton, puisqu'il était inutile de crier quand les oreilles étaient si proches. " Finalement c'est Sol'Dorn. Je me dois d'honorer aussi l'Ambitieuse. " Comme si elle avait pu oublier de remercier les autres Dieux avant cette sauterie.
" Et… je… désolée mon amour pour t'avoir blessé. " Sa voix n'était qu'un souffle. Alors, avec une lenteur calculée pour laisser croire aux autres qu'il n'y avait qu'entre eux, un jeu, la prêtresse s'agenouilla. Sa main était restée dans celle plus rude par le maniement des armes. Cela aussi, était une chose qu'elle seule pouvait dire, et qu'elle avait souhaité prononcer avant de partir.

« C’est trop facile de demander pardon. » Ce qui n’était pas forcément vrai mais ça il s’en moquait bien. Tenant toujours les mains de la prêtresse il tira dessus pour la forcer à se relever avant de l’embrasser. Lorsqu’il brisa leur baiser il tira sur la lèvre inférieure de Na’ri en reculant la tête un instant avant de la lâcher. Toutefois il ne s’éloigna que de quelques centimètres pour plonger son regard dans le sien. Un regard qui était composé de plus de jaune que du rouge rubis typique de leur race. Deux nœuds se nouèrent chez la sombre.

« Qu’est-ce qu’il te fait penser que j’ai envie de continuer à travailler à tes côtés ? »

Mais Sagar ne lui laissa pas le temps de répondre, la réduisant au silence d’un nouveau baiser. Si au début, elle avait opposé une certaine résistance, maintenant elle se laissa faire. Elle embrassa aussi au rythme qu'il semblait vouloir lui imposer.
Quand, enfin, il se détacha, la sombre glissa son visage dans le cou. Elle mordilla légèrement la peau grise et burinée en remontant vers l'oreille. Là, elle lui glissa.

"Voici une raison supplémentaire à remercier la Belle Dame. "

Passant sa main de libre sur la nuque de Sagar, elle l'embrassa à nouveau, caressant les lèvres légèrement entrouvertes et enfin la langue ainsi offerte. En miroir, elle répondait, à son amant.

Après avoir apporté en offrande à la Déesse, leur souffle, leur chant et leur plaisir, les deux eldéens profitèrent séparément du moment si particulier d'après l'effort.

Son torse se soulevait lentement avant de redescendre à la même vitesse. Il tentait de forcer son corps à se calmer. Sagar était assis sur l’un des nombreux divans, nu, le dos courbé, les coudes posés sur ses genoux, il regardait le sol. Il leva finalement la tête, posant son regard quelques instants sur chacun des corps étendus devant lui, il cru reconnaître l’eldéen qui s’était assoupi, adossé au divan mais avec un visage à moitié caché sous la cascade de cheveux blancs n’aidait pas vraiment. Il essuya une goutte de sueur qui commençait à rouler le long de sa joue puis il se tourna vers la prêtresse qui était la cause de sa venue ici. Couchée sur l'assise de la banquette, elle balançait doucement ses pieds pendant. Une main posée sur la cicatrice de son sein droit, elle la caressait avec volupté sans y prêter attention.

« Tu penses que l’Ambitieuse t’as entendue ? »
" Pourquoi ce ne serait pas le cas ? " Elle embrassait du regard le plafond et dans un sourire, elle contemplait l'extase de ses semblables. Il aurait bien répondu ce qu’il pensait mais il avait retenu la leçon. De plus ce n’était pas vraiment une réponse à donner dans un lieu public.

« On ne sait jamais avec les dieux… » il embrassa la pièce du regard pour trouver ses vêtements sans y parvenir mais il ne s’inquiéta pas outre mesure, les chances que qui que ce soit fasse son gabarit étaient assez basses. « Nous pourrions demander aux prêtres. » Elle répondit par une grimace puis elle poursuivit sa contemplation jusqu'à ce qu'elle croise un regard de grenat. Le sien. Etonnée, elle se regarda. C'était donc ça. Ce à quoi elle ressemblait ?

Il tendit son bras en direction d’un des esclaves qui passaient entre leurs maîtres pour vérifier qu’aucun n’ait besoin d’aide médicale et en profita pour attraper une coupe dont il n’avait aucune idée du contenu mais tant que c’était liquide ça lui allait très bien. Il avala d’une traite ce qui se trouvait dedans, remerciant pour une fois que ses papilles ne fonctionnaient plus et jeta la coupe sur le côté avant que ça curiosité ne prenne le dessus. Rester ignorant permettait d’éviter bien des problèmes.

« Pourquoi avoir choisi Sol’Dorn? Pourquoi ne pas rester avec les osts ? »

" Je n'ai pas eut à choisir. Les Osts me sont interdits, le Haut Prêtre veut pouvoir dormir tranquillement et mon médecin est à Sol'dorn. Dans les rapports, ma participation et mes prises de risque ont dû être exagérée..." Son médecin… Ils s'étaient quittés sur une dispute. Finalement, il était peut être temps qu'elle suive les recommandations médicales. Elle ne savait pas trop si la daëdhelle au plafond lui plaisait ou non. Elle ne savait pas trop quoi penser d'elle.

" Inversons les rôles. Maintenant ce sera à moi de venir à toi. " Quand elle avait eu besoin d'aide, il était venu. Quand elle demandait à le voir, il venait. Plus le temps passait, plus il était froid et acide. Peut être qu'elle en avait demandé trop. Peut être qu'elle en avait attendu trop. Peut être. Mais une chose dont elle était certaine, c'était qu'elle était bien incapable de le protéger contre lui-même. Pour la simple et bonne raison, qu'il ne semblait pas le vouloir. Il ne répondit rien pendant un long moment. A la place il s’étira, tentant de lutter contre la stupeur qui s’installait doucement et qui émoussait son envie, son besoin, de bouger. Il allait ouvrir la bouche mais se ravisa. Il laissa son regard vagabonder une dernière fois dans la salle avant de se lever.

« Bonne chance à Sol’Dorn. »
"Bonne chance à Naëlis." Répondit elle au tac-o-tac. Reste en vie. Prends soin de toi… Ces mots auraient été bien trop cruels à ses lèvres. Elle ne pouvait pas être là, pour lui permettre de rester en vie, pour prendre soin de lui. Alors, ces cinq petits mots, elle les enferma dans son coeur.

Sagar chercha ensuite où pouvaient bien être passés ses vêtements et les retrouva bien vite : il fallait dire qu’ils n’avaient pas beaucoup bougé durant la soirée. Toujours regardant son plafond, la prêtresse le vit partir comme il était venu. Un demi sourire sans joie étira ses lèvres, Isten était bien là, de la même façon qu'elle était dans le désir, le plaisir, elle était aussi dans l'insatisfaction, l'ambition et la corruption. La Déesse arborait des traits remarquablement beaux, mais n'était-ce pas pour cacher un intérieur plus abimé et ravagé ?

Lentement le nœud au fond de son ventre se dénoua tandis que celui au coeur se resserra d'autant. L'un comme l'autre n'avaient rien dit, si ce n'était "Bonne chance...". La chance n'avait rien à voir dans leur nouvelle histoire. Tout comme lui, elle n'en avait pas particulièrement besoin. Mais que dire d'autre ? Aurevoir ? Adieu ?