Le dresseur & l'éleveur

Verimios, première ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Au lendemain du Conseil, Diolando Vega bat le pavé dans les rues blanchies voisinant Les Sablons, tournant et retournant ses idées entre ses tempes. La Chorégraphie qu’il prépare l’obsède, les Semailles Pourpres seront sa plus grande tournée dans l’Ithri’Vaan il en est en convaincu, sa pièce majeure, son apothéose, la plus populaire des créations dans l’arène. C’est alors qu’il reconnaît l’homminet qui se rapproche. Les yeux de velours du grand athlète s’arrondissent et il a une moue enjouée. Telchar ! Ici.

Le fils de Mogar parait moins surpris, il l’a sûrement envisagé avant lui, Diolando se remarque de loin. L’éleveur et le dresseur, deux hommes que tout semble opposer d’abord. A portée de voix, le champion lance. « Ca pour une surprise ! » Le sang-mêlé s’immobilise et ses mains gantées de soie vont aux hanches. Tout à fait amical, il détaille ces traits familiers, ce visage de Qiryah. Dio le trouve beau, cette bête coincée dans le corps d’une créature intelligible. Il respecte son travail même s’il le considère moins noble que le sien et il ne s’embarrasse d’aucune forme avec lui. Dio aime ça, laisser parler son animalité, celle à qui il doit ses titres décrochés au Bae’d, à qui il doit presque tout en définitive. Les deux hommes se tutoient depuis le premier jour. « Où allais-tu ? Moi nulle part, je t’emboîte le pas. »

Dio le flamboyant ignore tout des ambitions du sobre Telchar. Il n’imagine pas à quel point sa nomination aux Comices peut être nuisible aux affaires du nain. Même si la maison Vega est dédiée aux montures et ne fait pas directement concurrence à l’élevage du belluaire, elle a jeté une ombre sur son commerce. Parce que si l’on parle de bêtes racées à Qiryah, c’est le nom des Vega qui vient en premier sur les lèvres, par celui de Sagoram le Barbu. Et Dio est là, dans son manteau d’hermine blanche, affable et toujours aussi distant des considérations commerciales.

Tu étais déjà bougon avant que l’autre m’as-tu vu ne te hèle. Tu serais probablement encore plus bougon pour le reste de la journée. Et pour le reste des ennéades à suivre aussi tant qu’à faire. Parce que depuis ton entrée dans les écuries des Sablons, rien ne va comme tu veux. Parce que oui ! Tu y as quand même inscrit ton écurie à ces fichus Sablons ! C’est qu’elle est doucereusement cruelle la Mamba ! Un écurie sans champion. De jeunes espoirs sans dottore. Tout un travail à refaire. Et en attendant, te voilà forcé de verser des sommes astronomiques – raisonnables en réalité, mais toute somme que tu aurais pu ne pas débourser est astronomique après tout – à tes collègues de là-bas pour qu’ils prennent en charge tes jeunes pousses le temps que tu ne leur trouve un entraîneur à l’image de ce que tu veux faire d’eux… Saleté de Wandrais. Même les runes auront pas suffi pour qu’il survive cet imbécile. Et dire qu’il était censé être l’un des champions du Bae’d…

Tes doigts vont flatter la gorge de la petite bête rougeâtre assise sur ton épaule, puis la fuie pour tapoter le flanc de ta monture reptilienne. Il va bientôt te falloir prendre le risque de monter Durakbar. Si le froid continue de s’asseoir de cette manière, ce pauvre poïkilotherme de Skree ne tiendra pas la route bien longtemps. Eh… ça lui fera un peu de repos mérité à cette bête. Et elle aura intérêt à te le rendre au printemps prochain. Au printemps prochain… avec Skree sur le banc de touche, il te faudrait attendre jusqu’au printemps prochain si tu voulais te présenter toi-même à l’arène…

- Pour être honnête tes sourcils se soulèvent brusquement, ta réponse n’arrivant finalement que trop longtemps après que le Qiryote t’ait emboîté le pas j’aime mieux quand tu te contentes de regarder de loin en plissant le nez comme un peintre à deux sous qui s’apprête à chier un tableau par l’oreille droite.

Des gens dans tes affaires, tu n’en as pas besoin. Et surtout pas d’une grande gueule pareille. C’est que si tu le laissais faire, celui-ci te ruinerait le peu de crédibilité qu’il te reste en deux temps trois mouvements. Et il n’aurait même pas honte pour lui-même eh ! Enfin. Après tout, à quoi bon avoir honte. Les frasques du Diolando sont tellement connues maintenant que plus personne ne lui tient rigueur de ses bizarreries. De toute façon, au pire, il a assez d’argent et d’influence pour s’acheter le droit d’être bizarre.

Tous les mêmes. Saletés de Thaaris de tes deux.

Encore que. Peut-être qu’il y aurait quelque chose à obtenir de celui-ci là maintenant. Ou peut-être un peu plus tard. Pourquoi pas ? Quitte à souffrir une compagnie qu’il te forcera même si tu n’en veux pas, autant en tirer parti d’une manière ou d’une autre.

- Mais j’imagine que toi si t’es là c’est la faute aux histoires du Conseil c’est ça ? ta moustache se soulève, trahissant un début de sourire sous ta barbe Paraît qu’elle est pas mal la dernière d’ailleurs.

Tous les mêmes. Saletés de Thaaris de tes deux.

Sa bourse s’est allégée, une hémorragie de sonnante et trébuchante à n’en pas douter. Telchar n’est pas accueillant de nature, mais sa réponse tarde tellement à s’extirper de ses lèvres comprimées. Il est tel le plus constipé des êtres, vraiment pas disposé. Et c’est ainsi qu’il est quand les affaires ne marchent pas fort. Dio a un regard oblique vers la bestiole écarlate qui trône sur son épaule. Il a toujours envie de se méfier de cette saleté. L’homminet lui retourne une question et un large sourire sardonique s’étire sur le visage du bellâtre. « Tu m’aurais vu à leur table ! Imagine-moi au milieu de ces neuf salopes dont j'aurais pu arracher les yeux sans qu’une seule d’entre-elles ne puisse m’échapper. » Il réajuste avec morgue le col de son épaisse cape de fourrure immaculée. Il inspire et expire profondément, caressant le souvenir avec un délice prédateur.

« Vas-tu me répondre Telchar ? Je renifle que ça ne s’emboîte pas comme tu le voudrais. Lâche donc du leste, je t’invite à la fumerie de Zebell si tu veux bien m’y accompagner. C'est tout un monde chez elle, un monde qui te détendrait un peu la nuque. Tu n'es pas obligé d'fumer. » Il pose une main amicale sur l’épaule libre du nain. « Je suis aujourd’hui le prince marchand le plus en vogue, laisse-moi t’en faire profiter vieille crinière avant que la lumière ne retombe. »

L’air roule dans les cloisons de ton nez et de ta gorge, y faisant sonner simultanément de mécontents grognements. Ton regard en au moins aussi long, et la posture ramassé que prend ton corps au même moment, tu l’as adoptée des animaux qui sont ta compagnie la plus fréquente. Tu ne comptais pas participer à quelque événement mondain quand ce qu’il te fallait, c’était continuer de te décarcasser pour obtenir un champion, continuer de te décarcasser pour fouiller le marché des animaux rares – qu’une bête précieuse n’aille pas t’échapper – continuer de te décarcasser pour asseoir ta présence à Thaa…

Imbécile que tu es

Ces événements mondains et autre sauteries autour d’alcool et de calumets… c’est vrai qu’ils étaient importants dans la dynamique qu’entretenaient entre eux les marchands. Les gens apprenaient à se connaître à ce moment. Les visages se découvraient à ce moment. Les affaires naissaient et mourraient autour d’un repas… pas étonnant que ton affaire ne soit jamais restée qu’un marché de niche auprès de fortunés connaisseurs et de grands acheteurs dépendants : tu n’étais pas dawi à te présenter au grand public. Trop de temps passé dans l’ombre du gros Doeben peut-être. C’est qu’en dehors de l’odeur rance de la montagne de gras, l’avoir toujours devant toi pour gérer ces choses était confortable.

Sagoram le Barbu se satisfaisait d’être un esclave indispensable

Telchar par contre ne pouvait plus se contenter de tirer les ficelles dans l’ombre. Alors peut-être… peut-être…

- Tant que c’est toi qui paie.

Tu n’as pas l’air excité le moins du monde à l’idée de suivre le bellâtre, mais que tu acceptes une proposition de ce genre n’était déjà pas rien. La Voix de Qiryah saurait cependant certainement deviner qu’au vu de tes habitudes, il y ait peu de chance que te voir finalement lui emboîter le pas vienne de ta part sans motifs ultérieurs.

A la bonne heure, Telchar accepte ! Et c’est donc aux soieries qu’ils s’acheminent. On se retourne à leur passage. C’est que le contraste entre ces deux-là est détonant. Dio se tait, il sait parfaitement le faire et a pleinement conscience que son hôte apprécie son silence. Arrivés devant la villa Zebell, ils contournent l’entrée publique de la fumerie et franchissent le portail côté jardin. Un esclave incline la nuque à leur passage. C’est l’hiver et les plantes ont perdu leur superbe, mais le mignon qui les accueille est d’une beauté rare. Zebell a toujours su s’entourer. Dio pousse la porte double et ils pénètrent dans l’aile résidentielle.

La température grimpe et le grand quitte son pardessus qu’il laisse choir négligemment sur le mobilier. Ici l’indécence se déploie sous toutes ses formes, de la plus sophistiquée à la plus brute. Les lumières chaudes et les volutes jaunes rehaussent le sentiment d’être au cœur d’un cocon. Le parfum des muscs se mêlent à celui des substances que l’on absorbe. Les voix sont tamisées, peu de gens parlent d’ailleurs. On préfère s’échanger murmures et caresses. Un homme pourtant vient troubler l’ondoiement doux des vapeurs. Il est en sueur. « Maître vous voilà ! La première comman… » Dio a levé l’index et lui fait les yeux ronds. « Pas maintenant, j’ai un invité. » L’autre avale sa salive, hésite, mais n’en peut plus. « Mais maître, des invités vous en avez à toutes les heures ! Votre regard sur ces costumes ne peut plus attendre si nous voulons être dans les délais. Je vous en conjure maître. » L’Étoile Pourpre hausse les sourcils et se tourne vers l’homminet. « Par ici Telchar. » Ils quittent cette antichambre, franchissent un rideau surpiqué d’or et passent dans une autre pièce, plus intime, où tout est en place pour se soulager du poids de son corps. Vautrée lascivement, une étrange femme lève difficilement les yeux vers eux.

« Ola ma belle. » Doucement, le visage de la brune va de l’hybride au nain. Dio désigne son hôte avec révérence. « Telchar, Qiryote de prime qualité. Un insoumis tel que tu les aimes. » Il le regarde avec bienveillance et l’invite à prendre place. « Installe-toi mon ami, je te présente Zebell, ma logeuse et tellement plus encore. » Le Prince Marchand exécute alors un pas de côté et se dérobe. « Je reviens dans une minute, le temps de rasséréner mes assistants. » Et il disparait.

Les yeux vitreux de cette femme sans âge se posent tranquillement sur le barbu. Derrière elle et protecteur, un homme massif à la peau d’ébène, le corps huilé et le regard vide, dos à la cloison et immobile. La tête de Zebell se penche lentement à gauche. Puis à droite, comme pour étier sa nuque. Ses traits ne délivrent pas la moindre émotion et il semble que tout peut lui glisser dessus. Elle ouvre finalement ses lèvres charnues. Sa voix est éthérée comme le chant d’une sirène, son débit est atrocement lent. « Bonjour Telchar. » Un homme et une femme à moitié nus entrent dans la pièce et se tiennent à disposition de leur reine, ou plutôt de son hôte. Les paupières de Zebell s’alourdissent et elle ajoute. « Nous pouvons causer ou simplement nous regarder, ils peuvent te masser, je peux t’offrir à fumer, à manger ou à boire, dans l’ordre que tu veux. »

Tu n’aimes pas la chaleur. Tu irais même peut-être plus loin. Tu détestes la chaleur. Triste situation pour un dawi s’était expatrié dans les habituellement chaudes contrées de Thaar. Triste situation car c’est ton statut même d’expatrié qui est l’origine de cette aversion. Tes fourrures. Ces manteaux que tous ces imbéciles inculturés de Vaanis voient comme l’apparat signature du Belluaire que tu es. Elles font partie des rares liens qu’il te reste encore avec le Zagazorn qui t’a évincé. Elles sont l’une des raisons pour lesquelles tu t’échines encore à acheter la patience des Milles-Caves, pour qui tu représentes un danger. Elles sont l’une des rares denrées que les Milles-Caves acceptent encore de te fournir sans tout simplement t’extorquer. Parce que dans ces fourrures, faites de poils et de cuirs d’animaux Khuzduls tannés, tressés et assemblés dans la plus pure tradition Khuzdule, il y a pour toi un dernier lien avec ton foyer, et pour eux un dernier crochet pour te tenir en laisse.

C’est donc sans grand étonnement pour qui connaitrait tes états d’âme – ce qui limite la chose au Gobelin rouge – qu’après avoir abandonné ta monture et suivi le grand dadais Qiryote à l’intérieur des fumeries, un sonore grognement accompagne l’instant où tu quittes ton pardessus. Tu n’es pas heureux d’être ici. Cela se voit comme le nez au milieu de la figure, et c’est qu’il est d’ailleurs retroussé depuis que tu es entré, ton nez. Tes sourcils froncés, ta mine renfrognée et ta gestuelle, frisant à l’occasion l’expression du dégoût le plus pur et simple, en disent long sur ce que tu penses de cet endroit. Perte de temps. Perte de temps pour tous ceux qui s’y sont laissés happés, alors qu’ils doivent tous avoir ô combien d’activités plus productives qui les attendent. Perte de temps pour eux, mains incroyable gain d’argent et de pouvoir pour celui ou celle qui aura su les enfermer dans cette addiction à un plaisir que tu ne connais pas, et contraindre leurs esprits à l’indolence qui retire le pouvoir.

Triste réalisation – si seulement c’en était une – ton hôte est l’une des Braises-Vies piégées par ces lieux, et rendues plus molles qu’elles ne le devraient être par les aromates de bas étage flottant dans l’air. Comment la Voix de Qiryah avait-elle pu se soulever à une place aussi importante avec un tempérament si peu consciencieux, avec si peu de rigueur et si peu d’efforts ? Thaar. Thaar était la réponse à toutes ces questions. À Thaar, il suffisait d’un peu de chance pour que la médiocrité soit récompensée devant l’effort et il suffisait d’un peu d’effort pour être récompensé par le droit à la médiocrité.

Diolando était très chanceux.

- Une chope de votre meilleur alcool que tu ne sois pas trop déçu, votre plat le plus coûteux, et un calumet avec une charge de vos meilleures herbes. tu lèves les yeux vers le gardien de la femme S’il est pas juste là pour faire joli, je veux bien le Zurthan aussi. J’ai besoin de combattants pour mon écurie.

Tes sourcils se lèvent haut, et puis tu soupires, avant d’ajouter :

- Puis vous embêtez pas à « m’offrir » quoi que ce soit. C’est Diolando qui paie.

Naître en Ithri’Vaan est une chance pour une créature conformée telle que Diolando Vega. Ici, l’hybridation n’est pas une tare. Les belles proportions de son corps, la grâce de ses traits, une chance encore. Un grand merci à sa génitrice. Il ne s’agit que de métrique, la juste longueur et largeur des os qui forment sa mâchoire, ses pommettes, ses arcades, la bonne dimension des fibres musculaires qui harmonisent sa silhouette. Tout cela ne tient qu’à un fil de chance. La maison Vega, la chance encore. Sa survie dans l’arène, la chance toujours face à ce drow qui s’est trouvé à un pouce de lui arracher la carotide. Selon le sage, pas un seul d’entre-nous ne mérite ce qu’il a et ce qu’il est. Mais le blond magnifique, l’Étoile Pourpre, le Prince de l’Arène, croit l’exact opposé. Tout à fait innocemment, naïvement ? il est convaincu de son mérite, de son destin spécial. Incarnation de l’hybris, la lumière qui descend sur lui et rejaillit de sa personne, il la voit, il la perçoit, et il est certain que ceux qui entrent dans son giron peuvent bénéficier de cette énergie solaire. Ceux-là deviennent plus beaux à son contact, plus grands et plus forts, plus proches de la réussite, la vraie.

Lorsque Telchar ouvre la bouche, l’épais zurthan a les yeux ronds et les paupières de Zebell tressautent. Un silence s’installe pesamment avant qu’elle daigne honorer les souhaits de son hôte. Son geste est léger et les deux esclaves disparaissent pour satisfaire Telchar, qui préfèrerait sans doute la mort plutôt que de s’exposer à un massage. Et la maîtresse pâle de dévisager son vis-à-vis. Ici point de fils de Mogar, jamais, car peu importe leur âge, ils sont toujours vieux et laids. L’établissement s’est acoquiné une part substantielle de la jeunesse dorée thaarie et même leurs puissants et bouffis parents n’y ont pas accès. A l’entrée de la fumerie trois exigences : jeune et bien fait, jamais nain. Zebell a presque un sourire et relève la dernière demande du compagnon de Dio. « Et combien vaut-il ? » Elle l’interroge sur le prix qu’il mettrait sur son noir avec une parfaite candeur. L’œil du zurthan plonge et se fixe au sol, tentant de faire barrage au sentiment d’humiliation qu’il sent monter en lui.

Alors la boisson et la pipe. Une bière importée du Zagazorn et une verte de caractère. Telchar s’en est tenu au goût dans sa commande, il n’a pas abordé les effets. Et ce qu’il s’apprête à déverser dans ses poumons et son âme a des propriétés tout à fait euphorisantes pour qui n’a pas l’habitude de cette herbe à fumer.

- Ça dépend. ton front se plisse Combien il veut ?

C’est qu’à force de négocier des contrats avec tes combattants tu te serais presque habitué à ne pas être seul et unique décideur. Le Wandrais qui s’est couvert de honte – et a failli te couvrir de honte toi au passage – t’aura au moins laissé ça. Saleté de bout de lard. C’est que maintenant plus possible de faire entrer un esclave dans tes rangs. Il risquerait de jalouser les autres l’animal. Et un gladiateur trop jaloux pour se concentrer sur ses performances… c’est jamais bon. Déjà que c’est pas particulièrement bon avec les animaux, alors avec des bêtes pensantes… Mais il faut dire qu’en réalité, le format n’était pas mauvais. L’illusion de contrôle d’un contrat négociable est une sacrée carotte pour la bande d’ânes de ton écurie. Au moins tu sais que s’ils veulent plus, alors ils feront au moins l’effort de donner un meilleur spectacle, et là tout le monde y est gagnant.

Surtout toi.

Parce que quoi qu’on en dise, dans ce monde d’esclaves et de maîtres, ils sont pas bien nombreux les combattants et les servants ayant la moindre idée de ce qu’ils valent. Le Zurthan en face de toi ne semblant pas faire exception. Son silence en disait long.

- C’est bien ce que j’me disais.

Tu souffles des nasaux, attrapes nonchalamment ta bière et en offre une gorgée au gobelin rouge. Du coin de l’œil, tu observes la bestiole s’exciter du gout du breuvage, avant de t’en rincer le gosier d’une lourde rasade. Si tu n’avais pas l’air particulièrement jovial à ton arrivée, c’est maintenant encore moins le cas. Tu reconnaîtrais les saveurs venues de chez toi entre mille. Et les saveurs de chez toi avaient le don de te rappeler que tu n’y étais plus le bienvenu. Mais au moins les gens d’ici avaient l’humilité de reconnaître vos boisson être les meilleures qu’ils aient à offrir. Ces vautours sans cultures de Vaanis.

- Fafnir !

Tu te saisis de la pipe, et la tend face à la petite créature. Un couinement mécontent s’étrangle dans la gorge du gobelin, comprenant à ton regard à quel point malvenues étaient ses protestations. Enfin la créature finit par claquer des doigts, allumant ainsi la petite flamme qui t’autoriserait à goûter ce que tes hôtes appelaient leur meilleur calumet.

- Je vois… tu tires une taffe sans grande hésitation L’est pas mauvais votre truc.

Des mots qui en temps normal ne t’auraient jamais traversé les lèvres. Mais là tu te sentais assez bien pour les prononcer. De plus en plus agacé par le temps que prenait celui qui t’avait pourtant invité à te rejoindre, mais tranquille. Pour l’instant au moins.

Si les appartements de Zebell sont sanctuarisés, ce n’est pas le cas des ailes de l’établissement. La fumerie est en émoi depuis que les équipes de Diolando s’y sont installées. Le niveau sonore est terriblement plus élevé que d’habitude. Les préparatifs de la Chorégraphie des Sablons se font ici et plusieurs pièces ont été transformées en ateliers de couture, danse et musique. Malgré tout, dans la loge où est installé Telchar, le calme règne et rien de tout cela ne vient le perturber.

La question du belluaire n’obtient pas de réponse. Le gros Zurthan n’ose bien sûr pas s’y risquer et sa maîtresse ne souhaite pas allait plus avant dans cet éventuel commerce. Le monumental noir est rassuré quand il comprend que cette discussion est mise sous cloche et Zebell hoquette un semblant de rire lorsque le gobelin allume la pipe. Elle observe son hôte en silence, intéressée par la façon dont un nain se meut lorsqu’il s’offre quelques plaisirs. De longues minutes opiacées et alcoolisées s’égrainent.

Et le voici de retour ! Son regard d’esthète s’est posé sur les échantillons de tissu et de pièces de costume présentés par ses assistants et il a tranché, sûr de son bon goût. Il n’a pas fallu si longtemps. Emplissant la loge de Zebell de toute sa présence, Diolando s’installe dans un fauteuil voisin à celui de l’homminet son invité. Il redresse son menton prétentieux et le regarde. C’est qu’il est tout à fait à l’aise semble-t-il, le front toujours orageux bien sûr mais les yeux d’une luisance qu’il ne lui connaît pas. Choppe dans une main et le calumet dans l’autre, il a ouvert ses entrailles aux flux que propose la maison aux cent charmes. Et ils commencent tout juste à jouer avec ses sens.

Le sourire de l’hybride s’élargit. Et puis une douleur dans le muscle trapèze. Ses lèvres indigo s’enroulent et il étire sa nuque. Il cherche du regard les deux esclaves préposés au massage de Telchar et ne les trouve pas. Il a une moue de regret mais en fait son affaire, son acolyte est toujours là et Dio s’en réjouit. Prédateur de velours, le Prince des Arènes ne rompt pas le silence avant d’être assuré que calumet a pris possession d’une part de Telchar. Une réplique de sa part vient lui confirmer, le barbu est mûr. Et il y va, ouvrant sa grande bouche sensuelle. « Pardonne-moi mais cette Chorégraphie me prend tout entier. » Il expire bruyamment. « Donner aux Thaaris la juste version des Semailles n’est pas une sinécure. Tu peux m’croire, ce sera grandiose. » Il compose alors l’expression du doute sur son visage, ce visage dont il sait parfaitement faire usage, un doute qui prétend le torturer atrocement. « Enfin, grandiose à la condition que ses acteurs le soient. » Il s’assombrit encore. Et puis soudain ses traits s’éclairent et ses mots jaillissent. « Mais dis-moi ! C’est que j’en ai un devant moi, et qiryote de surcroît ! » Il pose sa voix, les yeux braqués dans ceux de son vis-à-vis. « Il me faut le gladiacteur qui aura l’étoffe pour incarner Salfaryl dans l’ovale. Tu es celui-là, ça crève les yeux. Prendrais-tu ce risque ? Sous ma protection, à ton prix. » Ses paupières se plissent. « Tes conditions seront les miennes. »

Zebell ouvre ses lèvres charnues et gobe la vacuité de l’air.

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