L'Anaëh en Naélis | Prendre le risque de guerroyer

Oglicos de la seconde ennéade de Verimios
17e année du Onzième Cycle
Palais du Trône Blanc

Ton poing s’abat lourdement sur la table de pierre marbre blanc, faisant trembler les encriers, plumes et autres ustensiles y reposant. Tu venais à peine de revenir. Kaëlistravaë et toi veniez à peine de reprendre une routine que la menace Sombre, dont les nuages noirs se dévoilaient déjà à l’horizon depuis longtemps, ainsi que l’état physique de ta femme – particulièrement fragile – avaient rendus particulièrement complexe. Mais vous y étiez arrivés. Vous aviez réussi à vous organiser. Vous aviez réussi, durant ces quelques jours, à accomplir les miracles de planification nécessaire à permettre ta présence au chevet de ton épouse, enceinte de peu. De petits êtres viendraient bientôt agrandir votre famille. Elorëa ne serait bientôt plus seule. Et tu avais envie de t’en réjouir. Et Kaëlistravaë avait envie de s’en réjouir. Mais aucun de vous deux n’en trouvait l’énergie. Vous aviez peur. Tous les deux. Vous aviez pris peur, une fois l’excitation du moment passée, que les temps soient impropres à accueillir deux nouveaux Souffles au sein de votre famille.

- Vendus de Vaanis… tu marmonnes dans ta barbe avant de relever la tête en direction de tes collègues Mes frères, nous avons peu de temps. aussi en rogne que tu sois, tu gardes étrangement bien contenance L’Elda est en passe de sceller un accord avec Thaar pour traverser l’Ithri’Vaan en direction de Naélis. Si l’attaque n’est pas imminente, il est au moins temps de commencer à aider le Royaume de Glinaina à s’y préparer.

- L’hiver semble s’annoncer rude. Vous pensez que les Sombres se risqueront tout de même à attaquer ?

- Que je sache, ils n’ont jusqu’ici jamais été dissuadés par un terrain défavorable. Alors c’est peut-être là notre chance. tu te saisis d’une plume et de papier, et commences à écrire alors même que tu parles encore C’est une opportunité pour nous d’investir peu pour mettre un grand coup aux forces Eldéennes. Pour le bien de l’Œuvre, on ne peut pas se permettre d’y manquer.

Ce discours tu l’as déjà tenu. De nombreuses fois. Trop de fois à ton humble avis. Mais pour autant aura-t-il été accueilli avec une profonde réticence, il aura fini par être compris. Sortir de l’Œuvre pour protéger l’Œuvre n’est pas un concept bien familier à majorité des tiens. Peut-être même ne l’est-il en réalité qu’aux militaires et à leur entourage, forcés par les circonstances à évaluer le poids de décisions bien peu conventionnelles… et parfois peu morales. Mais morale… Hiril Lothren ne l’a jamais été.

- Que quelqu’un prépare de quoi contacter Enolir, Daranovar, Ardamir, Quatrième Saison et Naélis au plus vite !

Cent et cinquante elfes partiraient bientôt pour préparer la première de vos guerres se passant loin de vos terres.

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Un peu plus tard,
Caserne de la milice Lëandrine

- Il n’y a pas un instant à perdre. Vous savez quoi faire.

Tes mots, à l’intention du premier soldat Lëandrins reconnu comme l’un de ceux choisi pour accompagner le bataillon en partance pour le Royaume d’au Sud d’Aduram. Lui était prêt. Les autres devraient l’être aussi. Dès lors que la décision avait été prise, des Sylvains avaient été choisis parmi les elfes d’armes de l’Armée Royale, d’Alëandir, de Daranovar, d’Enolir, de Quatrième Saison et d’Ardamir. Un peu plus d’une vingtaine de chaque au grand maximum, car vous – et toi le premier – vous étiez refusés à affaiblir les forces dédiées à la protection directe de la forêt en prenant votre départ. Les frontières devaient rester surveillées. Car qui sait ? Naélis ne pourrait bien être qu’une diversion. L’Elda pourrait bien essayer d’y attirer l’attention pour déverser ses armées vers vos frondaisons en toute impunité. Vous étiez leurs ennemis premiers après tout.

- Le Mainyth est présent ?

Tu avais besoin d’Aegden pour les mêmes raisons qui te rendaient les quelques déplacés de l’Armée Royale indispensables. Il te fallait des elfes capables de créer une synergie entre des groupuscules de protectorats différents, habitués à des tactiques différentes, pour mettre au mieux en usage les points forts des uns et des autres. Vous seriez peu. Il vous fallait être peu pour que l’opération puisse être un succès. Mais aussi peu que vous soyez, il vous faudrait faire l’œuvre de dix-milles soldats Naélisiens à vous seuls. Alors vous ne pouviez pas vous permettre d’être désorganisés.

Vous ne deviez pas devenir le maillon faible.

Mais tu es confiant. Tu as peur. Mais tu es confiant. Vous saurez faire au mieux. Vous aviez les outils pour, et l’immédiateté des réponses que tu auras eu ce matin, fussent-elles venues de soldats ou de tes Conseillers, t’était ô combien encourageante.

La victoire que vous arracheriez à Naélis, tu la dédies à tes enfants.

-Je crois qu’il s’apprêtait à partir en mission, mais avec un peu de chance vous le rattraperez avant.

Et le soldat de faire signe à son roi de le suivre sans perdre une seconde de plus. Longeant un couloir, puis un autre, passant une porte, voguant à travers ce bâtiment qu’il connaissait très certainement par cœur, tombant finalement sur un extérieur, le tout d’un pas rapide.

Lorsqu’ils finirent par apercevoir un groupe d’elfe à quelques mètres, le soldat n’eut qu’a les héler pour qu’ils se retournent et qu’ils s’aperçoivent de la présence des deux autres, interrompant ce qui devait probablement être les derniers préparatifs avant un départ au vue de leurs tenues et de leurs armes.

-Nimben, Artion. Un bref salut accompagné d’un sourcil haussé de la part du lancier surpris de voir ses camarades ici.

L’air bien sérieux de l’Aran fit bien vite froncer à nouveau les sourcils du commandant alors qu’il s’approchait un peu. Il comprenait que la présence du roi n’était pas anodine et ça ne lui disait rien qui vaille. Quelque chose se tramait, quelque chose qui ne semblait visiblement pas pouvoir attendre.

-Un problème ?

- Des nouvelles de Thaar. ton front se plisse encore un peu plus De mauvaises nouvelles.

Fallait-il plus développer pour qu’il comprenne ? Tu ne le penses pas. Mais tu le feras quand même. Lorsqu’il s’agit d’informations, trop est toujours plus enviable que pas assez.

- L’Elda a demandé aux Princes d’Ithri’Vaan le droit de traverser leurs territoires en direction de Naélis. ton menton se lève légèrement Et s’ils ont pris la peine de la demander maintenant, je doute que les Sombres attendent bien longtemps avant d’user de cette autorisation.

Les événements pour lesquels vous aviez commencé à vous préparer en désespoir de cause semblaient déjà se dérouler devant vous. Pas le temps pour les elfes de se faire à l’idée de voir une part – même infime – de leurs armées s’éloigner des frondaisons. Les habitudes devaient être brisées ici et maintenant. Sans plus attendre.

- Enolir, Daranovar, Ardamir et Quatrième Saison sont prévenues. Les troupes se rejoindront à Linaëh. tu hoches la tête comme pour valider tes propres dires, privant le Mainyth du droit de contestation Nous quittons Alëandir ce soir dernier délai.

Ton sceptre fait un tour entre tes doigts, puis son pied claque sur le sol, et ton menton se soulève à nouveau. Tes traits se délient un brin, restant concernés, mais moins tendus. Connaissant ton vis-à-vis, tu savais ne pas pouvoir te permettre d’être quoi que ce soit d’autre que supportif en donnant ce dernier ordre.

- Mais avant de partir il nous faudra passer par la Place Tyräl. tu souris finalement Alors essaie de réfléchir à quelques mots à adresser aux Lëandrins.

Nul doute qu’après que la nouvelle de votre départ précipité ait été transmise par les hérauts, les Citadins se rassembleraient en nombre pour l’entendre de vos bouches.

Artiön n’aurait pas précisé ses premiers mots qu’Aegden aurait tout de même saisi où l’Aran voulait en venir.

C’était donc maintenant.

Quelque chose au fond de lui gronda et son visage s’assombrit. L’ithri’Vaan ne serait donc pas un obstacle pour les sombres. Ce n’avait rien d’étonnant. Les Vaanis étaient trop lâches pour réagir de toute façon. Aegden pria tout de même silencieusement pour qu’aucun dégât ne soit fait aux cités vaanie. S’il venait à apprendre que les drows avait mis l’ithri’vaan à feux et à sang il craignait lui-même de ses propres réactions. Non pas qu'il ait le moindre attachement pour cette région du monde, mais tant que sa compagne se trouvait là bas, ne donnant aucune nouvelles depuis si longtemps, il ne pourrait s’empêcher de s'angoisser à son sujet.

Artiön précisa qu’ils partiraient le soir même et Aegden releva les yeux vers son ami. Dans son regard brillait la détermination de ceux qui savaient pertinemment dans quoi ils s’engageaient sans pour autant vouloir reculer une seconde.

 Il serait prêt, le grand elfe pouvait en être certain.

La dernière phrase en revanche lui arracha un bref rictus à la fois amusé et gêné. Artiön savait parfaitement que l’art de la parole n’était pas son domaine de prédilection…Mais cette fois il ferait un effort si tel était sa volonté. Aegden se tourna aussitôt vers ses camarades. 

-Remplacez-moi par Mealfin pour aujourd’hui. Elle est de garde demain, il va falloir réorganiser ça. La liste des volontaires qui nous accompagnent est dans mon bureau, premier tiroir sur la droite. Ça avait du bon de ne pas pouvoir s’empêcher de ranger la moindre de ses affaires toutes les cinq minutes, au moins il savait où se trouvaient les choses importantes… Tout le monde sait ce qu’il à faire. La milice était déjà préparée et dès le lendemain, Aegden était déja assuré d'être remplacé par un soldat qu’il savait plus que compétent. Le commandant reporta à nouveau son attention sur le roi. Laisse-moi dix minutes. Le temps de me changer et de prévenir et réunir les autres, j’arrive.

- Garde l’armure. ta main se tend en direction du Commandant Tu te changeras avant le départ. Question de communication.

Tes doigts engoncés dans leurs gantelets jouent contre les bords du heaume que tu tiens sous ton bras. Dès cette heure vous étiez en mission. Dès cette heure vous deviez être perçus comme étant en mission, et vous seriez mieux reconnus comme partant en mission dans vos « tenues de travail ». Probablement en quelques occasions – et celle qui arrivait était l’une de celles-ci – cela jouerait en votre défaveur, mais c’était là un risque à prendre pour que soit correctement communiquée l’urgence de la situation.

- Contente-toi de rassembler tes hommes. Si tu me cherches, je serai à l’Académie. ton sceptre retrouve son fourreau dans ton dos, et ton heaume trouve le chemin de ton crâne Il faut que je m’organise avec le Doyen avant de partir. le coin gauche de tes lèvres se soulève loin des pupilles curieuses Tu sais pourquoi.

Tu fais un pas en arrière, hoche une fois la tête, puis te retourne sèchement, la jupe de tissu de ton armure marquant le mouvement d’un retentissant claquement. De larges foulées te tirent hors des bâtiments de la caserne, et un bond leste te propulse en selle d’un cheval à la robe aussi lumineuse que tes atours.

- Allez !

Obéissante, la bête s’élance au trot en direction de l’Académie sans demander son reste. Ces quelques aller-retour au sein de l’immense Cité Blanche vous coûteraient sans doute énormément de temps. Du temps potentiellement perdu pour votre entreprise Naélisienne, mais autant de temps qu’il était important de dédier à la lourde tâche qu’était la conservation de l’assurance des vôtres. L’Aran s’absentait une fois de plus. Et si c’est pour servir les tiens que tu le faisais, il te fallait tout de même les savoir – à défaut d’être heureux – prêts à te voir prendre un chemin dont tu pourrais ne pas revenir.

Aegden lança un regard de travers à son ami. Ça voulait dire quoi question de communication ? Il était soldat, par la Mère, pas mannequin ni diplomate. L’armure n’était pas faite pour lancer de grands discours solennels. Pas plus que son propriétaire...

Il ne fit pas de remarque cependant, ils n’avaient ni l'un ni l'autre le temps ou l’envie de discuter de choses si futiles. Il laissa donc l’Aran s’en aller, ses camarades ayant déjà continué leur chemin sans lui.

Il ne se permit qu’un bref dernier coup d’œil vers le bâtiment de pierre, resplendissantes sous les froids rayons de soleil. Le contraste avec la végétation alentour et celle qui grignotait quelques angles le rendait saisissant comme toujours.

Ce n’était qu’une caserne, mais pourtant Aegden aimait profondément ce bâtiment. C'était chez lui. Y reviendrait-il ? S’apprêtait-il à donner définitivement les rênes de la milice ? Rien n’était moins sûr que l’avenir.

Quoi qu’il en soit il partit au pas de course rassembler les hommes et les femmes qui avaient comme lui accepté cette singulière guerre. Il n'avait pas une seconde à perdre. Il tenait aussi à prévenir personnellement celui qui prendrait sa place pour un temps.