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 L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe

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Aaron Kolhe
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MessageSujet: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMar 2 Juin 2020 - 21:20


2ème jour de la 2ème ennéade
Hiver, Verimios de l'An 17:XI



Des pas plus lourds que ceux qui s'étaient éloignés dans le couloir s'approchèrent de la porte ouverte d'Efren. Le jeune homme tourna à moitié la tête, reconnaissant le pas de son père. Cependant, il avait l'air de se traîner, ce qui mit ses sens en alerte. Bien vite, l'odeur du sang lui parvint et il fut debout avant même qu'Aaron ait atteint la porte, éveillant l'attention du jeune serviteur qui était demeuré avec lui.

Le quarantenaire se présenta devant la porte, les bras chargés du corps d'une jeune fille rousse. Agrippée comme elle l'était à sa chemise, elle serrait les dents pour qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Néanmoins, le virage qu'il fut contraint de prendre lui arracha un gémissement. Maximilien se redressa subitement de son assise et fut debout en un clin d’œil.

-Anaëlle !
-Va trouver le Capitaine. Dis-lui qu'elle a besoin de ses compétences.
-Oui, Messire.
-Et j'ai besoin d'une femme pour s'occuper d'elle. Fais venir Sylvie, Dame Louise qui me l'a recommandée.

Aussitôt, le garçon s'enfuit en courant dans le couloir. Pendant ce temps, Aaron n'était pas resté immobile. Il s'était approché du lit de son fils et il y déposa la jeune fille. Malheureusement pour elle, il ne pouvait la laisser sur le dos. Avec douceur, il l'invita à se tourner. La pauvre était au bord des larmes.

-C'est presque fini... Lui souffla-t-il.
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? S'enquit Efren qui était en train de visualiser le chemin menant de son bureau à son lit, calculant la distance et tenant compte des embûches sur son trajet.
-Geoffroy a passé ses nerfs. Anaëlle enfin allongée sur le ventre, Aaron put lui retirer sa veste, geste qu'il réalisa avec une grande précaution. L'odeur du sang se répandit un peu plus dans la pièce, arrêtant presque le jeune aveugle dans sa progression pour rejoindre son père. Et il devait être sacrément en colère... Commenta-t-il pour lui-même alors qu'il découvrait les plaies sous la lumière du jour. Tu as des bougies ?
-Comme si j'en avais besoin...
-Efren...
-Dans le tiroir de la table de chevet. Le briquet est dans la commode.

Aussitôt, Aaron s'éloigna, son fils prenant sa place aux côtés de la jeune fille. Il ne pouvait la voir mais il entendant sa respiration rapide et courte. Il imaginait aisément sa douleur.

-J'ai une autre question. Pourquoi dans ma chambre ? Interrogea-t-il sur un ton plus léger, à l'image de la plaisanterie qu'Aaron avait faite lorsque Louise avait insisté pour rentrer.
-Tu penses que la mienne lui aurait mieux convenu ? Répondit son paternel sur le même ton tandis qu'il cherchait le briquet.

Efren comprenait parfaitement ce qui avait motivé sa décision. Ce n'était sans doute pas la première fois que Geoffroy la maltraitait. S'allonger sur la couche d'un homme de quarante ans, aussi charmant soit-il, ce n'était sans doute pas ce qu'il y avait de plus rassurant pour elle. Alors que celle d'un jeune homme aveugle...

-Tu as raison. La mienne est nettement plus chaleureuse. Plaisanta-t-il.

Malgré leurs petites piques, les deux Kolhe n'oubliaient en rien Anaëlle et sa souffrance. Leur petite scène avait pour but de les détendre autant que de lui changer les idées. Tandis que le mercenaire dénichait enfin le briquet et partait désormais en quête de bougies, Efren s'avança vers le pied de son lit. Là, il saisit les pans d'une couverture et tira dessus jusqu'à atteindre la taille de la jeune fille. Puis il suivit le contour de son corps, l'effleurant à peine du dos de ses doigts, non pas pour la toucher vraiment mais plutôt comme s'il cherchait quelque chose... Il évitait son dos mais aussi des zones plutôt indiscrètes. Et, enfin, il trouva. De ses doigts pâles, il saisit la main d'Anaëlle et la serra doucement.

-Reste avec moi, d'accord Anaëlle ? Moi c'est Efren. Et je déteste qu'on me vouvoie. Dit-il le plus gentiment du monde, un sourire paisible étirant ses lèvres.
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Louise de Fernel
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMar 2 Juin 2020 - 22:23


Il lui semble flotter, voler doucement alors que ses ailes sont arrachées et les plaies affreusement douloureuses dans son dos. Elle est dans les bras d’un homme. Il n’y a que les hommes pour porter les filles comme ça, et il n’y a que les hommes qui portent de telles chemises. Les yeux fermés, elle sait pourtant qu’elle n’a rien à craindre. Celui qui la transporte en ce moment est d’une douceur telle qu’elle n’en a jamais connue. Une douceur qui apaise et qui réconforte, une douceur qu’elle ne veut plus lâcher.

Pourtant, il y a un mouvement un peu plus sec que les autres, qui fait suinter les plaies dans son dos, elle le sent. Une humidité chaude s’immisce entre les plis du bandage de fortune effectué par le vieux monsieur un peu plus tôt. Les plaies ne cessent de couler, de suinter, et elle se sent terriblement faible.

Il lui semble entendre une voix connue. Un garçon du château. Puis on la dépose. Sur un lit. Ce qui lui fait rouvrir les yeux, regardant avec angoisse l’endroit où elle est. Une pièce qu’elle ne connait pas et il lui faut quelques longues secondes pour reconnaître Aaron. C’était lui, son sauveur ? Une boule se forme dans sa gorge, une boule qui l’empêche de s’exprimer. Aaron. Il a toujours été gentil et poli mais…comment va-t-il réagir quand il saura ? Est-ce qu’il dira à Dame Louise de la chasser ? Elle n’a pas envie de retrouver la route, mais c’est pourtant tout ce qu’elle mérite. La jeune fille ferme alors les yeux, tandis que le conseiller enlève sa veste et observe les plaies.

Elles doivent être terribles pour tâcher ainsi le bandage. Même si elle ne peut rien voir, elle le devine. Anaëlle a senti sa peau céder sous les impacts de la ceinture. Il lui faudra probablement des jours entiers de soins pour s’en remettre et une vie pour oublier, si tant est qu’on ne l’abrège pas en lui passant la corde au cou.

Il y a une autre voix, qu’elle ne connait pas, celle-là. Une voix jeune et masculine qui s’inquiète qu’elle soit dans sa chambre. La jeune fille sent d’ailleurs qu’on est en train de déposer une couverture sur ses jambes, avant de sentir une main sur son corps. Automatiquement, elle a un mouvement de recul plaintif. Ceci n’est pas sans lui rappeler les gestes plein de douceur du Maître pour l’amadouer, et ces gestes-là précèdent toujours des choses atroces. Elle se mord la lèvre et attend que cela passe jusqu’à ce qu’elle comprenne. Efren. C’est Efren…Il est aveugle, il agit sans doute ainsi pour mieux voir, avec ses mains. Alors elle se détend et frémit encore alors que le jeune homme serre ses doigts.
Ce simple geste d’une douceur sans pareille la fait pleurer en silence, les yeux clos. Quelqu’un lui a pris la main. Quelqu’un ne la repousse pas. Elle serre alors timidement ses doigts dans ceux d’Efren et dit, d’une toute petite voix :

- D’accord…

Dehors, on entend les pas précipités de deux hommes. Le Capitaine de la garde qui entre sans frapper et palit à la vue du spectacle qui se déroule sous ses yeux.

- Anaëlle ???Mais enfin, ma petite, que s’est-il passé ?

Entendre le Capitaine de la garde, celui qui met les méchants au cachot, ne fait que conforter Anaëlle dans l’idée que tout se sait et qu’il est là pour la jeter au sous-sol, là où il fait si froid. Elle serre si fort les doigts d’Efren que ce dernier ne doit pas spécialement apprécier le geste.

- Me jetez pas au cachot, M’sieur…S’il vous plaît…Je veux pas mourir.

Là où elle avait tenté de se contenir, elle n’y parvient désormais plus, fondant en larmes avant d’à nouveau tomber dans l’inconscience. Le temps presse. Anaëlle est livide. Le Capitaine approche et regarde le bandage de fortune avant de murmurer :

- Celui qui lui a fait ça voulait la tuer. Je vais chercher ce qu’il faut, il me faudra votre concours, tant qu’elle est inconsciente. Il faut lui retirer ce bandage et trouver des linges propres, de l’eau chaude. Maximilien, tu t’en occupes. Je reviens dans quelques instants.

La main dans celle d’Efen, Anaëlle est partie pour le monde des rêves tandis que tout le monde s’affaire. Maximilien revient aussi vite que possible avec ce que le Capitaine lui a demandé, ce dernier revenant avec une petite trousse contenant le matériel de soin.

- Aaron, aidez-moi à lui ôter les linges. Il faut faire vite. Maximilien, dépose l’eau chaude sur une chaise près de moi. Garde les linges propres sur ton bras.

Avec l’aide d’Aaron, et sous les yeux de Maximilien, le Capitaine défait le pansement de fortune révélant une chair abominablement lacérée et éclatée par endroits. Le jeune serviteur pâlit et laisse tomber les linges au sol pour aller vomir plus loin, horrifié. Le Capitaine ne s’en soucia pas le moins du monde, il entreprit d’éponger le sang à l’aide des linges qu'il vient de ramasser, tout en questionnant Aaron :

- Bon sang mais que se passe-t-il ici ? Qui a fait cela à cette petite ?
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Aaron Kolhe
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMer 3 Juin 2020 - 14:11

Efren avait été le seul à voir... le seul à percevoir le tressaillement de l'infortunée Anaëlle tandis qu'il cherchait sa main. Le seul à sentir son corps tendu sur le lit comme si elle attendait que le pire arrive et qu'elle l'acceptait. Le seul à remarquer la façon dont ses muscles détendirent lorsqu'il serra doucement ses doigts. Il n'avait pas besoin de plus pour imaginer... Il n'avait pas besoin de plus pour comprendre que ce n'était sans doute pas la première fois que Geoffroy lui faisait du mal. Et que la battre n'était peut-être pas la seule chose qu'il lui ait faite. Sans quoi, elle se serait débattue, elle lui aurait demandé ce qu'il faisait, elle lui aurait dit d'arrêter. Mais elle n'avait rien dit, attendant que cela finisse... Soumise...

Mais tout cela, Efren le garderait pour lui. Ce n'était pas une chose qui se disait. Qui se répandait. Alors, quand son père approcha pour installer une bougie sur la table de chevet et éclairer un peu mieux ce recoin dépourvu de fenêtre, il ne dit rien. Même à lui. Et quand Anaëlle accepta sa requête, il se contenta d'étirer un peu plus son sourire. En revanche, lorsque le Capitaine entra et que la jeune fille s'agita subitement, il posa sa seconde main celle qu'il tenait déjà, l'appelant à se calmer en soufflant paisiblement entre ses dents. Ainsi, il fut le premier à réaliser qu'elle avait perdu connaissance.

-Papa ?!

Aaron se tourna vers son fils puis vers Anaëlle. Il écarta ses cheveux de feu et l'appela mais elle ne réagit pas... Le militaire avait raison : c'était le moment d'agir pour qu'elle souffre le moins possible. Le quarantenaire remonta ses manches, les enroulant avec soin afin de s'assurer qu'elles ne le gêneraient pas durant toute la durée des soins.

-Tu peux sortir si tu veux, Efren.

Le jeune homme s'écarta afin de laisser les deux côtés du lit en libre accès mais il conserva la main de la servante dans la sienne.

-Je reste là. Répondit-il gravement. Puis il ajouta, en étirant un sourire en coin : C'est ma chambre, je te rappelle.

Il n'était nullement question de territoire. Il aurait juré que son geste avait apaisé Anaëlle rien qu'une seconde... Que cela lui avait fait du bien. Elle avait peut-être perdu connaissance pour le moment mais elle pouvait toujours se réveiller. Tous s'affaireraient à la soigner et il n'y aurait alors que lui pour lui parler. Tout du moins était-ce ainsi qu'il voyait la situation.

Dès que le Capitaine fut de retour, les choses s'accélérèrent. Suivant les indications de son fils, Aaron trouva une paire de ciseaux. On découpa le bandage en place ainsi que la robe et son retira le tissu avec précaution afin de ne pas arracher de lambeaux de peau. On se contenta de dégager l'accès au dos, rien de plus. La vision était écœurante mais le mercenaire se contenta de serrer les dents. Il comprenait pourquoi elle avait si mal... Il regarda Maximilien s'éloigner précipitamment vers le pot de chambre dans un haussement de sourcils mais il se remit bien vite à la tâche. Il fallait faire autant de choses que possible tant qu'elle dormait.

-Maximilien, va nous chercher de l'alcool fort pour désinfecter les plaies. Dit-il pour éloigner le pauvre gamin tout en faisant en sorte qu'il demeure utile. Elle va en garder de sacrées marques... Commenta-t-il plus bas.
-Bon sang mais que se passe-t-il ici ? Qui a fait cela à cette petite ?
-Vous le saurez bien assez vite, Capitaine. Et je pense que vous serez aussi au moins horrifié que moi en le découvrant...

Ce n'était pas à lui de le lui dire. Lui, le nouveau venu. L'étranger. L'inconnu. Le mercenaire propulsé au rang de Conseiller. Que valait sa parole face à celle de l'homme qui servait la maison des de Fernel depuis des décennies ? Non. Il devait l'apprendre de Louise. Sans quoi on pourrait remettre ses propos en doute. Et il n'y avait pas de doutes possibles... Ils en avaient la preuve sous les yeux : Geoffroy était un monstre.
Et puis, Aaron n'oubliait pas qu'il avait demandé à ce que Sylvie vienne. Elazar n'avait pas expliqué pourquoi il voulait la garder à l’œil mais le mercenaire l'imaginait très bien. Si elle était mêlée à tout ça, il valait mieux éviter qu'elle s'échappe. Ne serait-ce que pour lui éviter de se prendre une flèche dans le dos.
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Louise de Fernel
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMer 3 Juin 2020 - 16:18


Flottant dans un monde étrange rempli de teintes de feu et de rouge, Anaëlle progresse le long de murs de grosses pierres jaunes, sous un soleil de plomb. De grandes maisons, des commerces dans la rue, des denrées colorées, des odeurs d’épices, des voiles de toutes les couleurs soulevés par le vent léger…et il n’y a personne. Il n’y a qu’elle dans ces rues, il n’y a qu’elle devant ces commerces vides de tout client. Et de tout marchand. Et pourtant elle est déjà venue ici, elle le sait, elle le sent. Elle reconnaît ces pierres, ces rues, ces odeurs, elles lui semblent si familières ! Elle regarde à gauche, à droite, elle tend la main vers un étal et attrape un gros fruit rouge qu’elle ne connait pas, et s’enfuit en courant, bifurquant vers une petite ruelle qui n’est pas directement éclairée par le soleil de plomb. Là, à l’abri d’une caisse abandonnée contre un mur, elle couve le fruit du regard avant de mordre dedans à pleines dents.

Elle est heureuse. Même si elle est pieds nus. Même si elle n’a que de tous petits habits pour se couvrir. Elle regarde ses pieds d’ailleurs, ils lui semblent minuscules. Des pieds de petites filles, sales. Elle regarde ses orteils tout en mangeant le fruit, laissant le jus rafraichissant rouler sur son menton, ce qui la fait rire.

Puis, devant ses pieds une ombre. Gigantesque. Un grand monsieur dont elle ne voit pas le visage, mais dont elle voit les yeux, de grands yeux rouges qui se rapprochent jusqu’à ce qu’elle sente des mains serrer si fort ses bras qu’elle en lâche le fruit. Le monsieur rit. Fort. Puis l’empêche de crier en plaquant sa large main sur sa bouche. Effrayée, elle parvient à attraper un bout de chair et à mordre si fort que le monsieur la lâche. Elle tombe dans la poussière du sol et allait se relever mais…une violente douleur lui vrille le dos, l’obligeant à sortir du songe, hurlant une souffrance indicible alors qu’un liquide roulait sur la peau lacérée de son dos. Un hurlement qui se répercute partout dans le château de Fernel.

Jamais, de toute sa vie, elle n’a eu aussi mal. Jamais. Elle sert un drap d’une main et de l’autre…des doigts. Les doigts d’Efren qui n’a pas bougé.

- C’est fini, Anaëlle. C’est fini, je vais m’occuper de toi, maintenant.

C’est tout ce qu’elle entendra avant de sombrer à nouveau.

Dans ses songes, elle ne s’appelle pas Anaëlle. Elle s’appelle Yelenna. Dans ses songes elle joue dans les rues, elle chaparde qu’elle veut manger, elle sourit aux passants en leur faisant les poches. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas et elle se fait reprendre par un garçon plus âgé. Elle sourit. Tout le temps. Quand est-ce, la dernière fois qu’elle a souri ?

°°°°°
°°°
°

Maximilien est revenu des offices avec une bouteille de liquide clair comme de l’eau. Tout pâle, il donne le flacon au Capitaine qui la débouche d’un coup de dent et applique ensuite consciencieusement l’alcool sur les plaies, sans paraître perturbé par le hurlement atroce poussé par la jeune fille.

- C’est fini, Anaëlle. C’est fini, je vais m’occuper de toi maintenant.

Il savait qu’elle s’évanouirait de nouveau, parce qu’il s’agit certainement de la pire douleur qui soit. Constatant que la jeune fille est à nouveau tombée dans une salutaire absence, le Capitaine applique ensuite un baume issu de sa sacoche, avec une douceur et une patience étonnante de la part d’un homme de guerre.

- Si je tiens le salaud qui lui a fait ça, je lui arrache les tripes de mes mains. Pauvre gamine, il n’y a pas plus gentille et douce que cette petite…Je poserai la question à Dame Louise. Aidez-moi Aaron, s’il vous plaît.

Le sang a cessé de couler. Il n’y a plus qu’à prier que la nature fasse son office et que l’infection soit enrayée. Prenant les larges bandes de tissu apportées par Maximilien, il les appose sur son dos avec d’infinies précautions, confiant certaines d’entre elles à Aaron pour répartir le travail. Quand cela sera fait, il laissera Anaëlle allongée sur le ventre, avant de prendre Aaron à part.

- Elle ne doit pas bouger pendant quelques jours. Elle est très faible et ce sera un miracle si elle survit. Et si elle survit, elle gardera les cicatrices de cet acte jusqu’à la fin de sa vie…Il y a l’ancienne chambre de Dame Louise au bout du couloir si jamais vous souhaitez qu’elle quitte la chambre de votre fils. Il y aura toujours moyen de la transporter à plusieurs.

Il rappelle ensuite Maximilien et lui donne une tape sur l’épaule. Un Maximilien tout pâle qui bredouille quelque chose à Aaron.

- J’ai pas trouvé Sylvie, M’sieur. J’sais pas où elle est. La Maiethé, elle dit qu’elle l’a vue courir vers la porte qui mène aux sous-sols en pleurant mais j’sais rien d’autre, j’suis vite rev’nu ici pour aider…Elle va s’en sortir, Anaëlle, dites ?
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeJeu 4 Juin 2020 - 19:23

Efren avait été surpris par la force déployée par Anaëlle lors de son rapide réveil. Il avait été contraint d'étirer un peu ses doigts afin de se soulager, refusant malgré tout de retirer totalement sa main. Geste que son père n'avait pas manqué de remarquer.

-La prochaine fois, serre aussi. Ça vous soulagera tous les deux. Lui avait-il rapidement conseillé avant de se remettre à l'ouvrage.

Finalement, la tâche fut plus laborieuse que pénible. La jeune fille étant inconsciente, il n'y avait pas à composé avec sa douleur et ses plaintes. Il n'y avait pas à essayer de lui changer les idées. Seulement à aller vite pour achever proprement avant qu'elle ne se réveille. Chose qui ne survint pas.
A la demande du Capitaine, Aaron le suivit un peu plus loin, mais pas assez pour ne pas être à portée d'oreille d'un aveugle... C'était à se demander pourquoi ils s'étaient éloignés.

-Si ses chances de survies sont faibles, alors autant mettre toutes les chances de son côté. Laissez-la où elle est. Si quelqu'un doit se déplacer, ce sera Efren. Mais ce ne serait pas la première fois qu'il veille quelqu'un, il saura s'en occuper.

Le conseiller ne développerait pas sur le contexte qui avait amené le jeune homme à prendre soin d'une personne alitée mais il était sûr de lui. De plus, il n'y avait personne sur terre en qui il ait plus confiance qu'en son fils et cette petite avait déjà suffisamment souffert. La compagnie d'un aveugle la rassurerait certainement bien plus que la sienne et il ne savait pas à qui confier cette tâche qui n'en demeurait pas moins cruciale si cette petite était un témoin des agissements de Geoffroy.

Maximilien n'avait hélas pas de bonnes nouvelles à lui apporter concernant la fameuse Sylvie. Au moins, si elle allait au sous-sol, elle ne chercherait peut-être pas à s'enfuir. Sauf s'il y avait un autre passage secret et qu'elle le connaissait... Bref, autant ne pas penser au pire tout de suite. Aaron posa un main rassurante sur l'épaule de l'adolescent.

-Si tu tiens à ce qu'elle s'en sorte, alors reste avec Efren et fais tout ce qu'il te demandera. S'il a un doute, il vous enverra certainement quérir, Capitaine. Acheva-t-il en direction de l'officier. Le culte de Néera n'est-il pas présent dans la région ? Leur aide serait la bienvenue.
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeVen 5 Juin 2020 - 9:19

Dans cette noire et salutaire inconscience, Anaëlle avance dans un paysage de neige. Elle est petite. Elle est légèrement vêtue, d’une robe de lin marron déchirée par endroits. Pour protéger ses pieds, de petits chaussons troués imbibés d’eau. Dans ses bras, une poupée de chiffon sale avec de gros boutons dorés pour mimer les yeux. Sur son visage couvert de saletés, une incompréhension totale, une stupeur immense. Il n’y a plus personne. Le paysage est vide, tout est blanc et il n’y a pas un bruit.

- Maman ? Papa ?

Sa petite voix est étouffée, absorbée par la neige. Une bourrasque de vent la fait frissonner si fort qu’elle sert la poupée contre elle, tout en y plongeant le nez, en quête d’une odeur familière d’épice. Elle a remarqué que si elle pleure, ça lui fait mal sur ses joues alors elle ne pleure pas. Elle lève les yeux pour chercher un abri et voit plus loin, en contrebas de la route, une grange accolée à une maison modeste. S’enfonçant dans l’épaisse couche de neige, la petite fille avance vers la petite ferme et vient timidement frapper à la porte. Lorsque la porte s’ouvre, elle lève les yeux sur l’homme qui la regarde et voit alors ce grand homme tout noir aux yeux rouges qui la regarde en souriant d’un air mauvais jusqu’à ce que se trouble cette vision et que l’homme en noir soit remplacé par le visage d’un homme âgé au froid sourire satisfait, puis par un autre au regard gris et aux lunettes rondes avant que n’apparaisse le visage d’un jeune homme qui ne la voit pas. La petite fille lève la main vers le jeune homme et prend la sienne pour serrer ses doigts avant de demander :

- Aide-moi…

Au contact chaud, au son de sa propre voix issue de ses souvenirs mêlés à ses songes, Anaelle entrouvre les yeux pour apercevoir Efren. Elle ne dit rien. Elle se contente de le regarder, inspirant difficilement, avant de chercher à recouvrer ses esprits. A un petit mouvement de ses épaules, elle se crispe et ne bouge plus, se contentant de serrer les doigts d’Efren avant de réaliser que cela fait un moment qu’il est ainsi près d’elle. Il n’a pas bougé. Elle le sent à la moiteur qui s’est développée entre leurs doigts. Elle relâche la pression pour le libérer, en disant, d’une voix faible.

- Je vous ai fait mal…pardon…J’voulais pas vous faire du mal…Vous devriez pas rester là…J’vais mourir…

°°°
°

De son côté, Maximilien ne peut qu’opiner de la tête vers Aaron afin de marquer son accord.

- D’accord m’sieur. J’ferai tout ce qu’il faut… Pardon pour le vomi…J’ai jamais vu un truc pareil…Faut être un monstre pour faire ça à une fille…

Le jeune serviteur s’éloigne des deux hommes et revient près d’Efren, tout en observant Anaëlle qui vient de s’éveiller. Il dit à l’oreille d’Efren :

- Vot’père m’a dit de rester près de vous. Si vous avez besoin, chu pas loin. Vous avez b’soin de quelque chose, m’sieur Efren ?

°°°
°

L’officier suivit du regard tous les petits manèges qui se déroulaient sous ses yeux et se frotta le menton, pensif.

- Oui bien sûr qu’il est présent mais le premier temple est à des lieues d’ici, sur la route de Serramire. Je peux envoyer une dépêche à cheval afin de requérir une aide, évidemment, mais le temps que le courrier arrive et que le prêtre arrive…

Il regarde alors Aaron, une lueur pessimiste au fond des yeux. Il ne fait aucun doute que pour lui la petite Anaëlle ne passera pas la nuit. Il hoche la tête de manière négative et regarde ensuite la jeune fille avant de dire, à voix basse pour tenter de ne pas être entendu :

- Elle est gravement blessée, elle a perdu beaucoup de sang. Si elle survit à cette nuit, ce sera un miracle. Prier la DameDieu est la seule chose qu’il nous reste à faire pour elle. Prier et soulager sa douleur. Faire en sorte de soulager sa petite conscience, si cela est possible…

Il regarde ensuite la porte et grogne :

- Je dois reprendre mon poste. Aaron…Sylvie est la dame qui s’occupe de Dame Louise. Elle saura mieux gérer les…enfin…ces choses typiquement féminines. Moi je ne sais pas faire ça. Elle n’a rien à faire au sous-sol, il n’y a que la crypte, les cachots et des caves. Il n’y a rien pour elle là bas, c’est une certitude. C’est un endroit froid et sombre.

Le Capitaine dépose sa main sur l’épaule d’Aaron.

- Je serai sur les remparts, si vous avez besoin de moi.

Il fit un petit salut de la tête et sortit, laissant Aaron, Efren Maximilien et Anaëlle seuls. Il ne comprend pas ce qu’il se passe mais la Dame lui a donné une tâche et il compte bien s’y tenir.



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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeSam 6 Juin 2020 - 21:07


Alors qu'Anaëlle desserrait son étreinte sur ses doigts, Efren renforça la sienne avec une douceur rassurante. Il n'était pas question qu'il la lâche. Ce contact, c'était sans doute le seul qu'il pouvait lui offrir sans risquer de lui faire du mal, tant physiquement que psychologiquement. Il avait l'impression qu'elle avait besoin de se raccrocher à quelque chose et il était prêt à ce que ce soit lui. Même si elle devait lui broyer la main.

-Tu ne vas pas mourir. Tu m'as promis de rester avec moi, tu te souviens ? Même si c'est vrai que tu as une sacrée poigne, ma virilité en prend un coup ! Plaisanta-t-il gentiment. Et je t'ai déjà dit de ne pas me voyer. Poursuivit-il en faisant semblant de la gronder, un doux sourire aux lèvres. A ta voix, je n'ai pas l'impression que nous ayons tellement d'écart.

Question détournée pour connaître son âge. A vrai dire, il ne pouvait pas vraiment se faire une idée de l'apparence de quelqu'un juste à sa voix. Avant de porter ce bandeau, il avait pu croiser des gens dont la sonorité l'avait surpris. On s'attendait à trouver une voix grave chez un homme corpulent plutôt que chez quelqu'un de petit et malingre. Une femme laide pouvait avoir une voix des plus magnifique. Rien n'était clairement défini...
Efren perçut un mouvement près de lui et tourna la tête avant même que Maximilien se ne penche pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille. Le jeune homme étira un sourire amusé. A vrai dire, il ne lui apprenait rien. Il entendait tout ce qu'il se disait dans la pièce, même si sa conversation présente ne lui permettait pas de distinguer ce que son père échangeait avec le Capitaine.

-Merci Max. Répondit-il d'une voix normale. A vrai dire, je serais pas contre une chaise. Et il faudrait aérer quelques minutes... Ça ferait du bien à tout le monde.

L'odeur acre du sang flottait toujours dans la chambre, donnant des allures de mort à cette pièce pourtant si propice à la concentration d'habitude. Bénéficier de l'air pur regonflerait le moral des trois jeunes gens qui allaient demeurer ici un moment. Cependant, le serviteur ne comprenait pas tout à fait l'objectif de cette démarche...

-Mais... C'est qu'il va faire froid !
-Alors rajoute du bois dans le feu pour compenser. On ouvre juste le temps de renouveler l'air, pas plus.
-Ah. D'accord, Messire.

Efren fit la moue tandis que Maximilien s'éloignait pour lui trouver une chaise. Il se tourna alors vers Anaëlle pour lui parler à mi-voix.

-Je devrais lui parler en olyian. Il comprendrait peut-être quand je lui dis d'arrêter avec ces "Messires". Fit-il avec humour.

Le jeune serviteur posa une chaise derrière l'infirme et appliqua une main sur son épaule pour lui faire savoir qu'il pouvait s'asseoir. D'une main, ce dernier attira l'assise jusque derrière ses genoux avant de les plier et de poser son séant. Pendant ce temps, son compagnon ouvrait les fenêtres, remettait du bois dans le feu puis sortait la bassine pleine d'eau ensanglantée tandis que les adultes s'en allaient vers d'autres occupations. Il ne resta alors plus qu'Efren et la jeune Anaëlle. L'air se purifiait déjà, apportant avec lui un peu de fraîcheur et il craint qu'elle n'ait froid. Alors, il lâcha à regret la main de sa protégée du jour et se leva. Il trouva l'extrémité de la couverture. Avec précaution, il la souleva et tira dessus de manière à ce qu'elle ne touche jamais le dos de la servante, le frottement des tissus pouvant s'avérer désagréable pour elle. Puis il laissa la couverture simplement se poser sur elle, la couvrant ainsi des épaules jusqu'à la pointe des pieds.

-Tu as soif ?


***********


La Capitaine n'était guère optimiste quant à l'état de la jeune fille mais Aaron savait que le moral pouvait aussi jouer pour beaucoup dans la rémission de quelqu'un. Observant son fils, il réfléchissait. Il connaissait son caractère qui était très proche du sien. Optimiste, plein d'humour et même d'un peu de charme depuis quelques temps, il pourrait donner à Anaëlle l'envie de s'accrocher. Dans tous les cas, le conseiller ne voulait pas déjà renoncer.

-Faites-le chercher. Je préfère autant qu'il fasse le déplacement pour rien plutôt qu'on réalise trop tard que nous aurions dû l'appeler. Assurez-vous simplement que celui qui fera le déplacement pratique les soins par l'intermédiaire de la DameDieu.

Le mercenaire prit bien soin de ne pas utiliser le mot "magie". Il connaissait la superstition des gens des environs et, au sein des cultes, les prêtres eux-mêmes étaient persuadés de ne pas pratiquer la magie, servant uniquement d'intermédiaire à Néera pour faire bénéficier de ses dons aux mortels. Alors qu'il s'agissait en réalité d'une autre façon de pratiquer les Arts... Mais il serait malvenu d'en parler à qui que ce soit en ces lieux. Il laissa donc l'officier retourner à son poste avec cette nouvelle instruction. Puis il porta un dernier regard à Anaëlle laissée aux bons soins de son fils et n'en alla. Il prit la direction des sous-sols, à la recherche de la servante partie s'isoler. Il y avait peu de chances qu'elle se soit rendus dans les cachot -où était sans doute sa place si elle avait trahi sa Dame-. La crypte, c'était encore moins crédible puisqu'y gisait celle qui avait perdu la vie dans ce complot. Il ne restait que les caves.
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeDim 7 Juin 2020 - 5:26


En cet instant précis, Anaëlle donnerait tout pour pouvoir serrer le petit chiffon qui l’a suivie jusqu’à ce château maudit. C’est la seule chose qui pourra pleinement la rassurer, lui rappeler qu’elle a été autre chose qu’une…qu’une…mais Efren ne l’entend pas de cette oreille. Il vient rechercher ses doigts pour les garder dans les siens, ce qui ébranle fortement la jeune fille. La chaleur de cette main est bien plus efficace que ne le sera jamais un morceau de tissu usé et raccommodé de toutes parts. Timidement, elle presse un peu cette main dans la sienne, les yeux ouverts sur lui qui ne la voit pas.

- Pardon…Je ne le ferai plus.

Elle va avoir énormément de mal à ne pas vouvoyer le jeune homme. Il y aura des ratés, c’est certain. Car elle n’est rien ici, juste une servante ramassée chez un fermier du coin, une pauvresse qui aide aux cuisines, une…traîtresse. Une complice. Une…une putain. Et lui, il est le fils du conseiller. Quelqu’un d’important. Elle ferme les yeux en songeant à la Dame Louise. Monsieur Aaron a été gentil. Il l’a transportée comme une princesse dans ses bras pour la mettre à l’abri ici, loin des deux hommes qui lui font peur. Comment va-t-elle réagir ? Sera-t-elle gentille comme Aaron ? Est-ce qu’elle lui pardonnera ?

- Je ne sais pas quel âge j’ai…Peut-être 15 ans, pas plus de 16. C’est ce que le fermier au dit au maître quand il m’a vendue.

Peut-être que tout ceci sera sans importance, finalement. Peut-être qu’elle n’en saura jamais rien. Peut-être que…Elle réfléchit alors qu’autour d’elle on s’affaire. Maximilien vient d’ouvrir la fenêtre. Un courant d’air froid vient raviver les douleurs sur son dos, arrachant un nouveau gémissement plaintif. Elle voit alors Efren se lever pour tirer la couverture sur elle, de manière à ce qu’elle ne prenne pas froid. La jeune femme est totalement désarçonnée par son attitude prévenante et ne peut que souffler, en direction de son bienfaiteur :

- Oui…je…je voudrais un peu d’eau…s’il v…S’il te plaît.

Elle ferme les yeux, sentant son cœur battre à toute vitesse, son dos tout entier pulsant au même rythme. L’air frais lui fait du bien mais ravive aussi ses souvenirs. Elle attendra qu’il revienne près d’elle pour dire alors, d’une voix faible :

- Je suis pas quelqu’un de bien…J’ai fait du mal à la Dame. Et j’veux pas m’en aller sans dire ce que je sais à quelqu’un de gentil. S’il te plaît…J’ai peur. Ils me font peur. Le maître. Et le vieux monsieur avec sa canne. J’voulais pas être seule en plein hiver, j’voulais pas mourir de faim sur la route, j’voulais plus avoir mal…Alors j’ai fait ce qu’il m’a dit de faire. J’vous demande pardon à tous…

Elle tend les doigts vers lui, cherchant sa main, un petit contact, pour se rassurer :

- Pardon, Efren…

°°°°°
°°°
°

Dans les sous-sols, dans cet endroit obscur vaguement éclairé par un soupirail, des pleurs s’élèvent. Un chagrin véritable, inarrêtable, incontrôlable. Adossée contre un mur froid et humide, Sylvie cache son visage entre ses mains, de grosses larmes fuyant à travers ses doigts.

Etienne est mort.

Son unique amour est mort, tué par ce parfumeur de malheur.

Elle lui avait dit pourtant de ne pas se rendre là. Elle lui a confié ses craintes et il en a ri. Dès l’instant où elle a vu Elazar, elle a eu peur. Ce regard gris, cette attitude si militaire, si froide…Il n’a rien d’humain, cet homme-là. Elle a confié ses craintes à Geoffroy, elle les a confiées à Etienne. Les deux hommes ont haussé les épaules, refusant d’écouter son instinct de femme. Et voilà le résultat…

Etienne est mort.

Elle est seule.

Pourtant l’avenir s’annonçait radieux. Après la mort de la Dame de Fernel, après le mariage de Louise, ils auraient eu une bonne place fixe ici, ils seraient devenus des gens importants, ils se seraient mariés et auraient vécu au château. Bien sûr, elle aurait du composer avec son don, effrayant, terrifiant, mais elle aurait tout accepté pour lui.

Un bruit de pas lui fait alors redresser la tête, sa main fouille sous son tablier et trouve un couteau bien rangé dans son petit fourreau de cuir suspendu à une petite ceinture maintenue à sa taille. La dame sort l’arme de son fourreau, la main toujours cachée par le tissu blanc de son tablier, le visage humide.

- Qui va là ?

Elle sait que la garde surveille les remparts, elle sait que personne ne peut entrer ni sortir. Elle sait que son temps est compté. Et elle sait aussi qu’il existe un passage par ici, un passage qui mène dans les montagnes. Si elle reste, elle est condamnée. Elle se défendra, coûte que coûte, et comptera bien utiliser son arme pour rester libre.
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeLun 8 Juin 2020 - 20:46


Vendue ? Efren laissa sa tête tomber en avant dans un soupir. Le seul point positif du Nord de la Péninsule était que l'esclavage ne se pratiquait pas. Ou en tout cas, il n'était pas censé exister car amoral aux yeux des locaux. Cependant, cela n'empêchait apparemment pas certains de se faire quelques pièces tout en se débarrassant d'une bouche à nourrir. Le jeune homme remarquait néanmoins qu'elle ne faisait nulle mention de ses parents. Qu'ils soient morts ou qu'ils l'aient abandonnée, cela ne changeait rien. Le sort de leur fille ne les concernait plus.
L'aveugle relava finalement la tête en entendant à nouveau le titre de "maître".

-Ne l'appelle plus comme ça. Commanda-t-il un peu sèchement. Personne ici ne sera plus ton maître, ou en tout cas pas dans ce sens-là. D'accord ?

Il avait écouté son début de confession mais c'était sa façon d'appeler Geoffroy qui l'horripilait. Il ne lui en voulait pas à elle, d'ailleurs sa voix s'était faite un peu plus douce par la suite. Il savait qu'elle n'avait fait que ce qu'il lui demandait en lui donnant ce titre. Il comprenait les raisons pour lesquelles elle lui avait obéit. Il souffla, pour évacuer cette bouffée de colère que lui inspirait ce salopard mais qu'il tempérait pour ne pas effrayer la jeune fille. Il enveloppa de nouveau la main de la rousse des siennes, caressant sa peau de son pouce et s'arrêtant immédiatement si d'aventure il la sentait se raidir à ce contact. Maximilien revint à ce moment-là -comme par hasard...- et l'infirme se redressa dans sa direction. Le serviteur commença à fermer les fenêtres.

-Max, j'ai besoin d'un brin de paille. Un brin propre, d'une vingtaine de centimètres, non obstrué.
-Nonnob...
-Non obstrué. Si tu regardes dedans, tu verras de l'autre côté.
-Ah d'accord ! Oui, tout de suite.

Le serviteur s'en alla aussitôt après avoir fermé la dernière fenêtre. Ce ne fut qu'une fois dans le couloir qu'il s'arrêta, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir faire de ça ? Il avait parfois des requêtes étranges, son père l'avait prévenu... Finalement, il haussa les épaules : il n'avait pas besoin de comprendre pour le faire. Aussi repartit-il en direction des écuries d'un pas rapide.
De son côté, Efren se pencha de nouveau, ses coudes appuyés sur ses genoux et la main de la jeune fille toujours dans la sienne. Il reprit, plus doux.

-Je ne connais pas toute ton histoire mais j'ai déjà l'impression de la deviner. Tu n'avais pas le choix, Anaëlle. Ou il t'a fait croire que tu ne l'avais pas. Car en vérité, il y avait des gens vers qui tu aurais pu te tourner mais il t'a fait croire le contraire ou tu ne savais pas ou tu n'osais pas ou tu croyais que tout était normal. Peut-être même un peu tout ça à la fois mais rien de tout ça n'est vrai. Notre arrivée à mon père et à moi a précipité un certain nombre de choses... Alors c'est peut-être à moi de te demander pardon.

Efren étira un sourire amical et sans joie. Il savait que de toute façon, sans eux, elle aurait continué à subir les mauvais traitements de Geoffroy. Ce genre d'attitude ne se produisait jamais de manière isolée. Cela commençait doucement au départ... Une claque... Une main qui serrait un peu trop... Une poussée un peu trop forte... Puis les violenteurs prenaient goût dans la souffrance des autres mais ils avaient besoin d'aller de plus en plus loin pour se sentir pleinement satisfaits. Il avait bien failli la tuer cette fois... Sans doute sous l'effet combiné du sadisme ajouté au stress ou à la colère ou autre chose mais le résultat était le même finalement.
Le jeune aveugle entreprit de changer de sujet, prenant un ton un peu plus joyeux et innocent.

-J'ai une idée pour ton âge. Bon, ça ne nous dira pas quand tu es née... mais tu peux le choisir. Désormais, le pire est derrière toi parce que tu peux être sûre qu'il y aura toujours quelqu'un pour veiller sur toi. Ton sort a ébranlé tous ceux qui sont venus ici et je suis sûr qu'ils ne sont pas les seuls dans ce château à penser la même chose. Tout le monde prendra soin de toi et tout ira mieux maintenant. Et je suis confiant quant au fait qu'il se produira quelque chose, un jour, qui te fera du bien, qui te fera te sentir vivante. Ce sera comme une renaissance, une nouvelle vie. C'est ce jour-là que tu voudras fêter chaque année, jusqu'à la fin de ta vie. Qu'est-ce que tu en dis ?


**************


Aaron progressait dans l'ombre de la cave. On pourrait le croire imprudent... Marcher dans la pénombre, seul, sans torche, avançant vers une femme probablement aux abois. Parce que si elle était venue ici alors qu'elle était complice des agissements de Geoffroy, c'était qu'il y avait une raison... Et elle ne pouvait pas être bonne pour lui. Il n'avait même pas la main sur le pommeau de son épée, il semblait détendu mais concentré. Qu'elle l'accueille armée et il saurait s'en démêler sans difficultés.
D'ailleurs, il allait droit dans sa direction. Coup de chance, sans doute. Le bruit caractéristique d'une lame qu'on tirait de son fourreau se fit entendre à quelques pas devant lui, derrière une étagère, et il s'arrêta.

-Sylvie ? On m'a dit que vous vous étiez isolée ici depuis un moment, est-ce que tout va bien ?

En vérité, il n'avait aucune confirmation qu'elle faisait bien partie du complot, et encore moins de manière consciente. Tout ce qu'il avait, c'était une consigne d'Elazar qui lui demandait de la garder à l’œil près de lui. En soi, il ne doutait pas vraiment que cela soit effectivement le cas mais il aurait du mal à la convaincre de baisser son arme alors qu'il se trouvait seul face à elle. Elle était tel un animal blessé. Y aller de front n'était pas la meilleure des idées... Alors autant faire celui qui n'était au courant de rien. Autant lui laisser croire que son implication, voire le complot, n'était pas connue et qu'elle avait une infime chance de s'en tirer. Pour elle, c'était ça ou se frotter aux flèches des archers sur les remparts. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle serait assez crédule ou désespérée pour y croire...


Dernière édition par Aaron Kolhe le Mar 9 Juin 2020 - 19:36, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMar 9 Juin 2020 - 8:23


Le ton sec employé par Efren fera qu’Anaëlle se crispe instantanément sous sa main, il pourra parfaitement le sentir. Elle a dit une sottise ? Pourtant c’est ainsi qu’il voulait qu’elle l’appelle. Elle répond tout de suite, bouleversée d’avoir été une fois de plus une idiote et de lui avoir déplu.

- P…Pardon…J’le ferai plus…

Puis elle se tait. Anaëlle vit un moment étrange. Un moment curieux où tout ce qui était vrai il y a deux heures ne l’est plus du tout. La jeune servante semble flotter entre deux mondes, la terrible réalité et les merveilleux rêves d’épice et de soleil dans lesquels elle s’appelle Yelenna. Elle laisse sa main dans celle d’Efren, ne disant plus rien pendant de longues secondes, les yeux entrouverts sur ce jeune homme qui tente de la rassurer de son mieux. C’est donc vrai ? Tous les hommes ne sont donc pas comme le fermier ou comme le m…comme Geoffroy ? Comme le vieux monsieur avec sa canne ? Celui qui a dit que sa vie lui appartient, désormais ? Elle a une boule à la gorge à cette idée, une boule qui ne passe pas et elle profite du bref échange entre Efren et Maximilien pour essayer de se détendre. Elle aussi, elle ne sait pas ce que c’est une paille nonob trué. Une variété qui provient de chez lui, peut-être ? Quoiqu’il en soit, lorsque Maximilien sera parti, Efren lui explique que ce n’est pas sa faute, que Geoffroy a tout manigancé pour qu’elle reste sous son contrôle. Qu’elle a des amis. Des gens qui l’auraient écoutée.

- J’ai fait du mal à la Dame. J’voulais pas lui faire du mal. J’devais la surveiller. Surveiller le vieux monsieur. Sa maman, elle était si gentille avec moi. Elle me tenait la main, comme toi tu le fais, avant de mourir. Parce qu’elle avait mal partout. Je lui apportais sa tisane, je lui donnais ma main, elle me parlait de sa petite fille. J’aurais bien voulu avoir une maman comme ça, qui parle de moi comme elle parlait de Dame Louise…Alors quand elle est morte, j’ai pleuré. C’est comme si j’avais perdu ma maman, encore une fois. J’ai voulu parler à la Dame, j’ai essayé, mais…Elle était trop triste, y avait trop de beaux seigneurs au château, j’ai pas osé et puis le m…Geoffroy…Il m’en a empêchée.

Elle tait la façon dont il l’en a empêchée mais un frisson d’angoisse agita son corps, réveillant des douleurs dans son dos. La main d’Efren ne la quitte pas, elle s’y accroche, heureuse qu’il ne puisse pas la voir pleurer.

- C’qui n’est pas normal, c’est que tu m’tiennes la main comme ça, avec une caresse. J’savais pas que les garçons pouvaient aussi être gentils. Il y en a beaucoup des comme toi ? Parce que j’en ai jamais vu en vrai. Seulement quand je dors et que j’veux pas me réveiller. Alors…dis pas ça. T’excuse pas…Si t’avais pas été là…Si ton père n’avait pas été là…J’serais morte.

A un mouvement qu’elle effectue de la tête, un pansement bouge, ravivant de plus belle une douleur atroce qui lui arrache un gémissement plaintif, à nouveau. Ecoutant les paroles d’Efren à demi, elle serre sa main avant d’éclater en sanglots cette fois. Les rares moments où elle n’a pas du se cacher, voler de la nourriture au fermier ou même ici au château, rentrer la tête dans les épaules en redoutant la gifle qui pouvait survenir n’importe quand, baisser la tête et lever les mains pour demander pardon, tous ces moments-là, sans souffrance physique ou morale, ceux-là seuls ressemblent à peu près à ce que devrait vivre une personne normale. Ceux-là seuls ressemblent à quelque chose de bien qu’elle a envie de fêter. Elle a mal, atrocement mal, elle est faible et rien ne dit qu’elle passera la nuit. Le visage barbouillé de larmes, elle bredouille alors :

- Si j’suis vivante demain matin, ce s’ra mon anniversaire. Efren…

Elle sert la main du jeune homme avec toute la force qu’il lui reste, et qui ne va pas bien loin, avant d’ajouter :

- …tu restes avec moi dis ? Tu me laisseras pas toute seule ?

°°°°°
°°°
°

J’ai grimpé les marches vers les étages d’un pas lent, tout entière plongée dans de profondes, intenses et déplaisantes réflexions. Pas au sujet de mon père, non. Il m’est désormais bien trop précieux pour seulement oser remettre en question ses méthodes qui sont…efficaces, ou ses paroles qui sont terribles à entendre. Non, je pense à tout le reste, y compris à moi-même, à ma propre vie, au bienfondé de ma présence en ces lieux, à Aaron, à ma mère, à mon père, à Geoffroy aussi. Et plus je grimpe, plus mon coeur s’assombrit. J’ai un objet à remettre à cette petite. Cette petite qui est la preuve flagrante de mon échec à gérer et à savoir tout ce qui se passe sous mon toit. Est-ce seulement mon toit d’ailleurs ?

Au bruit de conversations sur la droite, je me dirige vers les appartements d’Aaron, puis remarque que le bruit provient de la chambre d’Efren.

- … gentille avec moi. Elle me tenait la main, comme toi tu le fais, avant de mourir. Parce qu’elle avait mal partout. Je lui apportais sa tisane, je lui donnais ma main, elle me parlait de sa petite fille…

La voix de la servante me parvient et je reste là, sur le palier, à écouter toute la conversation. J’ai échoué à protéger cette enfant. J’ai lamentablement échoué…Son petit discours plaintif et triste me fend le cœur en deux. Les hommes sont donc de bien affreuses créatures…Comment peut-on s’en prendre à un petit être qui ne vous a rien fait, sans défense, à votre merci, qui compte sur vous ? Les paroles de cette petite me font baisser la tête. J’ouvre alors le sac confié par mon père et en extirpe un chiffon informe avec deux petits boutons dorés pour mimer des yeux. Passant mes doigts sur le tissu loqueteux, je sens mes lèvres se pincer. Le chiffon est sale, probablement parce qu’il a été serré un nombre incalculable de fois. Peut-être que ceci est la seule figure tendre que cette petite a côtoyé ces dernières années…Sûrement même. J’inspire profondément, refluant mes larmes avant de fermer le sac et de frapper doucement à la porte pour signaler courtoisement ma présence.

- Efren, c’est Louise. J’ai quelque chose pour Anaëlle.

J’entre dans la pièce, sans brusquerie et approche du petit couple laissé seul. Un coup d’œil circulaire m’informe qu’Aaron n’est pas présent.

- Bonjour Anaëlle…J’ai…J’ai ceci pour toi. Avec les compliments d’Elazar.

En douceur, pour n’effrayer personne, j’arrive près de la jeune fille qui lève un visage livide, et tout barbouillé de larmes qu’elle ne parvient pas à essuyer. Je dépose le petit chiffon à ses côtés et m’agenouille pour essuyer les larmes qui coulent doublement à présent qu’elle a récupéré son bien. Ou parce que je suis entrée, je ne sais pas vraiment. Je sais qu’elle se sent mal pour tout un tas d’excellentes raisons. Je passe mes doigts sur son visage, effaçant les larmes moi-même, en silence, avant de lui sourire, pour la rassurer. Il y a un malaise. Je le sens. J’ignore d’où il provient mais il y en a un. Ma présence n’est pas souhaitée, je le vois, elle regarde ailleurs, elle regarde Efren et serre sa main à s’en blanchir les jointures. Je me lève alors et pose ensuite une main sur l’épaule du jeune homme.

- Elle ne pouvait tomber en de meilleures mains que les tiennes. Demande ce qu’il faut pour vous deux, tu l’auras. Et si ton père revient…Dis lui que j’ai réintégré mes appartements et que je vais bien, d’accord ?

J’esquisse un sourire qu’il ne verra pas avant de m’en aller, le cœur lourd.

Arrivée dans mes appartements, je prends le petit passage dissimulé qui donne accès à la chambre de mon père et…pose une main sur mon nez.

Au sol, un cadavre. Dans l’atmosphère, une odeur suave et âcre à la fois, une odeur de mort.

Contournant soigneusement le corps gisant au sol, je file vers la fenêtre et l’ouvre en grand pour laisser entrer l’air froid et pur. Peu après, je dépose le sac de mon père sur son lit et m’en éloigne pour revenir près du défunt. Je fronce les sourcils. Etienne. Au bord de la nausée, j’ouvre la porte principale donnant accès au palier et appelle la garde en criant. Quatre hommes arrivent en courant, quelques secondes plus tard, se précipitant dans l’escalier principal pour répondre à mon appel.

- Emportez Etienne au sous-sol. Couvrez le d’un drap…Et envoyez quelqu’un pour…nettoyer.

Quelques fluides se sont répandus sous lui. Je n’ai aucune pitié pour cet homme, je traite son corps avec un relatif respect, mais il ne faudra pas m’en demander plus. J’attendrai donc que les gardes emportent la dépouille et ferment la porte avant de réintégrer ma chambre.

Je me jette alors sur mon lit, en habits, avant de jeter ma tiare d’argent dans un coin, près de la porte d’entrée.

°°°°°
°°°
°

Dans la pénombre, Sylvie voit la silhouette approcher. Encore. Plus près. Encore plus près. A la voix qui s’élève, elle a compris. Aaron. Il n’a aucune raison valable de la chercher. Le conseiller de la dame de Fernel a d’autres choses à penser qu’aux états d’âme des serviteurs. Donc s’il la cherche, c’est pour d’autres raisons. Des raisons dont elle n’ignore pas la gravité. Qu’elle tombe entre ses mains et c’en sera fini. De tout. De ses rêves. De ses espoirs. De sa vie même.

Elle fait un mouvement sur la droite, son arme à la main, le cœur battant à toute vitesse.

Geoffroy voulait sa mort. Il voulait la mort de son fils aussi. Parce qu’ils sont gênants. Peut-être que si elle atteint son flanc…Elle touchera un organe vital, et qu’il finira par crever dans son sang. Geoffroy trouvera une solution, il en trouve toujours, après tout. Ils sont seuls, les Ténèbres sont ses alliées, comme le disait Etienne.

Elle n’aura droit qu’à une seule chance, cela aussi elle le sait. Il faut qu’elle l’atteigne. Coûte que coûte. Pour pouvoir fuir dans les montagnes. En attendant que ça se calme.

Elle fait un autre pas sur le côté, de manière à pouvoir le voir et serre sa main sur son couteau.

Puis sans répondre aux paroles du conseiller qui est désormais tout proche, elle se précipite comme une furie, le couteau à la main, visant son flanc gauche.

A situation désespérée, mesure désespérée…
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMar 9 Juin 2020 - 20:56

-Bien sûr que tu ne voulais pas lui faire de mal. Et, en soi, tu ne lui en as pas fait.

D'après son récit, elle n'avait rien fait qui puisse lui être reprochée. Elle avait gardé un œil sur elle, d'accord. Cela avait peut-être parfois desservit la châtelaine mais, techniquement, elle n'y était pour rien. Elle avait obéit à des ordres et c'était apparemment la seule chose qu'elle ait faite dans toute cette histoire. Elle n'avait pas empoisonné Dame Elisabeth. Elle avait servit à espionner, ce qui était plutôt passif en définitive.

Efren reproduisit la caresse sur la main d'Anaëlle puisque cela semblait lui plaire. Elle était si éloignée de la réalité. Les personnes mauvaises pouvaient faire tellement de mal qu'on en arrivait parfois à ne plus voir les gens normaux. Et Fernel en était plein finalement. Des gens qui, malgré leurs caractères, demeuraient attentifs, veillaient sur les autres, les aidaient. S'il n'y avait pas toute cette histoire de complot, il se sentirait parfaitement bien ici...
Tout en effleurant le dos de la main de la servante, l'aveugle lui répondit d'une voix douce.

-Non, Anaëlle. C'est ça qui est normal. Et des garçons gentils, tu en es entourée ici.

Le jeune Kolhe n'était certes pas là depuis longtemps mais il avait déjà croisé beaucoup de gens bien. Maximilien et Edwin, les deux serviteurs chargés de l'aider, en faisaient partis. Le premier était gentil mais... gentil. Edwin avait un caractère un peu moins facile, plus ronchon, mais ce n'était pas quelqu'un de mauvais. Le Capitaine semblait être quelqu'un d'ouvert et à l'écoute. Les artisans avaient un peu du mal à l'idée de travailler pour un adolescent mais ses quelques ébauches de travaux les avaient interpellés dans le bon sens du terme. Au final, si on y regardait bien, il y avait pléthore de gens bien ici.
Anaëlle décida que le lendemain serait son anniversaire et une mine surprise et amusée se dessina sur le visage d'Efren.

-Demain ?! Whaow, t'es dure là. Ça va faire court pour te trouver un cadeau ! Plaisanta-t-il.

A cet instant, quelques coups furent frappés à la porte du jeune homme et des traits plus sérieux apparurent sur sa figure. Il se détendit en apprenant l'identité de son visiteur et laissa la demoiselle s'approcher sans un mot. Il suivit l'échange silencieux sans savoir de quoi il en retournait exactement. Tout ce qu'il savait, c'était qu'Anaëlle lui serrait la main avec plus de force et il serra à son tour -plus doucement- pour éviter d'avoir encore mal et aussi pour la rassurer. Elle n'avait rien à craindre de la Dame de Fernel. Lorsque des doigts se posèrent sur son épaule, il tourna légèrement la tête dans la direction de Louise puis la hocha lorsqu'elle eut fini. Il passerait le message.
Son père ne lui avait pas parlé d'eux mais, comme beaucoup de choses, il n'avait pas besoin d'y voir pour deviner... Il connaissait suffisamment son père aussi pour être capable de lire en lui. Même sans ses yeux.

Maximilien croisa la châtelaine en revenant et attendit qu'elle soit passée pour se retourner sur son passage. Elle était venue voir la servante blessée ? C'était attentionné de sa part. Surtout qu'elle devait avoir un sacré emploi du temps, c'était à peine si on avait pu l'apercevoir au cours des jours précédents. Finalement, il entra dans la chambre d'Efren.

-J'ai le brin de paille.

L'aveugle reprit possession d'une de ses mains pour la tendre en direction de serviteur. Lorsque ce dernier déposa l'objet entre ses doigts, il s'en saisit délicatement puis souffla au travers sans la toucher pour s'assurer que l'air passait bien.

-Parfait. Sers un verre d'eau et mets-la dedans. Puis il se tourna vers Anaëlle. Ça va donner un goût plutôt printanier mais au moins tu pourras boire sans bouger.

Ne pouvant être d'une grande aide pour l'instant, Efren se contenta d'attendre que Maximilien ait fini de désaltérer l'adolescente, conseillant au passage qu'elle boive autant qu'elle le voulait. Elle avait perdu beaucoup de sang et devait le refaire. Pour cela, il lui fallait beaucoup d'eau. Lorsque les deux serviteurs eurent finis, le jeune infirme prit de nouveau la main d'Anaëlle dans les siennes.

-Repose-toi. Je te promets que je serais là ton réveil et on reparlera de cet anniversaire.


**************


Pas de réponse. Voilà qui n'était pas bon signe.

Aaron avait pourtant entendu ses sanglots en arrivant. Il avait entendu son interjection. Il avait entendu l'arme tirée. A priori, elle n'avait pas été dupe ou bien elle se sentait trop acculée pour l'écouter. Toujours était-il que, si elle ne répondait pas, c'était qu'elle n'avait pas l'intention de lui parler mais plutôt d'agir... Alors, il avança de nouveau dans sa direction, lentement. Certes cela faisait encore plus suspect encore mais de doute façon, c'était foutu.
Ses sens aux aguets, il sut qu'il approchait. Il sut qu'elle brandissait son couteau. Et il la sentit s'élancer vers lui. D'un geste rapide, le tranchant s'écarta de lui. Une main recouvra celle de la servante et l'entraîna vers le mur où la lame céda net juste à la naissance du manche. La voici donc désarmée car son arme, ainsi raccourcie, ne saurait traverser sa veste de cuir. Tout juste pourrait-elle égratigner sa peau nue.

D'une main sur l'épaule, il avait profité de son élan pour la plaquer face contre la pierre et l'empêcher de se débattre davantage. Manifestement, Sylvie était bien moins innocente dans cette histoire qu'Anaëlle. Jamais la petite n'aurait tenté de le tuer. Il fallait qu'elle comprenne que tout était déjà fini. Que tout était perdu. En espérant que cela la ferait lâcher prise.

-Je suis sûr que, mieux encore que moi, vous avez entendu les cris qui provenaient des cachots tout à l'heure. Il s'approcha légèrement pour lui parler un peu plus bas. Ce n'était pas Elazar... Déclara-t-il gravement.

Du peu qu'il avait pu comprendre, Aaron savait que Geoffroy était déjà entre les mains du parfumeur lorsqu'il était monté à l'étage supérieur. Il était âgé et expérimenté. Il n'aurait pas commis une erreur qui aurait pu laisser au vieux conseiller la moindre chance de s'en sortir. Ce qu'il se passait ne lui plaisait pas mais, si Louise l'avait demandé, il ne pourrait rien faire pour arrêter Elazar. Car ce dernier tenait sa vengeance, lui aussi.

-J'étais censé faire en sorte de vous garder auprès d'Anaëlle pour veiller à ses soins mais je crois que vous aurez davantage votre place dans une geôle. Cela vous évitera la tentation de vous enfuir et de découvrir les talents des archers au sommet de leurs remparts.

Il lui sauvait la vie. Peut-être pas pour longtemps, certes, mais il préférait la corde de la justice au carquois de la milice. De plus, tant que cette affaire n'était pas entièrement démêlée, il valait mieux garder autant de témoins que possible en vie. La main qu'il maintenait déjà se retrouva dans le dos de la servante tandis qu'il tenait toujours fermement son épaule, la dissuadant de se débattre alors qu'il la décollait du mur pour l'orienter vers la sortie. Il préférait éviter de lui faire mal dans une clé de bras plus forte mais il ferait ce qu'il faudrait pour l'amener à bon port.
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Louise de Fernel
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MessageSujet: Re: L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe   L'oeuvre du monstre | Anaëlle et les Kolhe I_icon_minitimeMer 10 Juin 2020 - 9:34


Anaëlle a beaucoup de mal à le croire, à propos de la gentillesse des gens d’ici. Elle a toujours pris soin d’éviter les contacts au maximum sans que cela ne gêne qui que ce soit ici. Elle connaît peu les serviteurs, les gardes ou le Capitaine. Elle a toujours fui les contacts parce que selon son passif, il ne peut y avoir de rapprochement sincère sans que celui qui lui fait face n’exige quoi que ce soit en retour. D’aussi loin qu’elle se souvienne, les hommes…les hommes sont tous des salauds. Pourtant, Efren n’en est pas un. Elle le sait et elle le ressent. Après, si elle n’avait pas été ainsi mutilée, il est plus que probable qu’elle n’aurait jamais osé l’aborder, lui parler, ou même l’approcher. Alors, cette main qui serre tendrement la sienne, c’est autant un choc qu’une découverte plaisante. Elle n’a pas envie qu’il s’en aille.

- Si j’suis en vie demain…ce s’ra mon cadeau…

Elle ferme un instant les yeux, ses paupières s’alourdissant peu à peu mais quelqu’un vient d’entrer et à la vue de Louise, Anaëlle s’agite. Beaucoup. Elle est tellement belle, la Dame, avec son beau collier qui brille et sa couronne. Elle ne sait pas quoi dire, alors elle ne dit rien, se contentant de serrer la main d’Efren avec force. Anaëlle se sent prise au piège, elle ne peut pas fuir, elle ne peut rien faire, elle n’ose pas parler alors elle pleure. Un peu comme quand Geoffroy l’obligeait à faire des choses qu’elle n’avait pas envie de faire. Pourtant, elle est gentille Louise. Elle vient elle-même passer ses doigts sur ses joues pour enlever les larmes. Mais il y a autre chose…Il y a la poupée de chiffon. Aux paroles de la châtelaine, Anaëlle frémit de la tête aux pieds.

Elle ne remercie pas, elle se contente de laisser Louise blottir le chiffon contre elle. La servante se rappelle précisément la sensation de cet ongle dans sa plaie ouverte, et les paroles qu’il a prononcées. Il dit que sa vie lui appartient. Est-ce qu’il voulait lui rappeler cela en lui rendant sa vieille poupée de rien du tout ? C’est ce qu’aurait fait le maître. Elle enfouit son visage dans le drap du lit et ne dit plus rien jusqu’au retour de Maximilien. Perturbée par le souvenir de ce vieux monsieur surgi de nulle part, elle reprit contact avec la réalité, buvant un peu d’eau avant de reposer sa tête sur le lit, troublée.
Se reposer…Oui…Il le faut. Elle ferme les yeux mais dit, dans un souffle :

- Efren…Ne le laisse pas m’approcher…Il me fait peur.

Elle ne précise pas de qui elle parle, elle s’enfonce dans les songes, retrouvant les rues familières pleines de soleil et d’odeurs merveilleuses.

°°°°°
°°°
°

L’acte désespéré de Sylvie n’a pas atteint son objectif. Elle est plus douée pour les coups en douce que pour l’attaque frontale, mais elle n’avait pas le choix. Cela étant, Aaron est grand et fort, il n’a aucun mal à la désarmer et à l’immobiliser face contre le mur de pierre.

- Etienne aurait du assaisonner vos plats plus tôt.

La servante ferme les yeux et grince des dents, avant d’être conduite hors des caves, sous la direction du conseiller. Des cris terrifiants et sans équivoque lui parviennent alors, en provenance des cachots, ce qui la fait s’arrêter net. Geoffroy. Il est en train de souffrir un véritable martyre, elle le sait. Cela s’entend et ça se devine. Jamais Geoffroy n’aurait hurlé ainsi sans ressentir une très vive douleur.

- C’est comme ça qu’on fonctionne maintenant, à Fernel ? Elle a un peu de pouvoir et ça y est ? On massacre à l’aise et à l’abri des regards indiscrets ?

Sylvie a un rire mauvais.

- Ça ne lui portera pas bonheur.

Menée au couloir des cachots, Sylvie ressent un très vif soulagement quand Aaron constate que la porte est verrouillée. Elle n’a aucune envie de croupir là et d’entendre le vieux crier de la sorte. Aaron l’entraîne alors, l’emmenant à la salle de garde afin qu’elle soit sous surveillance rapprochée, jusqu’à ce que les clés se retrouvent. Jacques, le geôlier, interpelle Aaron, en disant, tout en se grattant la nuque.

- C’est Dame Louise qui a les clés, Messire. Je les lui ai données tout à l’heure.

Sylvie, elle, s’enferme dans le mutisme le plus strict, ne regardant personne, n’écoutant personne. Sa vie est foutue. Elle a tout perdu. Et elle le sait.
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