Voyage, voyage. | Lareless

 

Fin de la troisième ennéade de Vérimios
Sur le trajet entre Quatrième Saison et Alëandir
Début de soirée.

 

Partir…

Ce ne fut pas simple de partir.  D'ailleurs ce fut Nyère qui le mit dehors tellement elle avait envie de pouvoir rester au temple de la Gardienne, et Lissesúrë fut long à s'organiser à partir. En effet, il avait décidé de voyager avec un arbre en pot. Donc il passa plusieurs jour à lui fabriquer une charrette adaptée qui le  protègerai du froid. Le défis avait été de faire en sorte que cette charrette soit assez légère et compacte pour qu'une mule puisse la tirer facilement avec son chargement. Il n'avait pas pu la sculpter comme il le voulait, mais c'était ainsi.

Puis, il avait fallu trouver une caravane pour Alëandir. S'il s'était pressé à contacter le Doyen, il aurai pu partir avec les nombreuses cohortes qui s'en étaient allées approvisionner les efforts de guerre du Roi. Etant donné que l'armée était déjà en marche, elles étaient maintenant moins nombreuses.

Mais voilà, Lissesúrë avait réussi a enfin être sur la route. Depuis bien des jours, marchant à côté de sa mule, de son arbre et de son panier, il s'occupait les mains comme il pouvait en faisant des couverts en bois. Le soir, il sculptait le manche. Ainsi, chacune à son tour, les personnes de la caravane s'étaient vue gratifier d'une cuillère personnalisée. L'un avait un poisson car il avait été jugé comme étant ouvert d'esprit, l'autre avait eut une fougère, rejoignant un lièvre et un écureuil. Ce soir, c'était une plume qu'il faisait.

A côté de lui, un feu de camp crépitait doucement. Il avalait goulument les copeaux que voulait bien lui laisser l'elfe. Et en remerciement, il chantait. Il chantait les joies d'antan des branches qu'il consumait. Il chantait le vent dansant aux sommets des grands pins. Il chantait la beauté des bûches se parant de rubis quand les diamants fondaient comme neige au soleil.

En cet hiver, le temps s'était fait rude. La neige avait étendu son manteau blanc, ralentissant par endroit les pas. Tout était calme, étincelant, étouffant. Les quelques conifères semblaient s'enorgueillir d'avoir une houppelande, plus dense et plus fournie. Les feuillus n'étaient que de sombres silhouettes sinueuses jurant dans la pâleur ambiante, comme une procession de Voilées. Le froid mordait le nez, les joues et les oreilles. Ils prenaient alors d'innocentes teintes rosées.

Mais les elfes n'en avaient cure. C'était l'hiver et c'était normal.

 
De nature nomade, Lareless n'a pas besoin de préparations. Cette façon de faire des elfes de pierre est quand même assez amusante. Pourquoi s'obstiner à vouloir faire des bagages quand l'Oeuvre voit èa pourvoir tout les besoins?

Elle l'a regardé avec amusement d'abord sculpter son chariot, avant que l'ennui ne la gagne et que la druidesse ne regagne les profondeurs de la forêt. Toujours cependant elle passait vérifier comment l'elfe des nuages avancait dans ses préparatifs, prenant soin d'éviter la prêtresse voilée, ses remarques l'ayant mise mal à l'aise.

Et, enfin, ils partirent. Lissesurë avec la caravane, Lareless battant les forêts autour d'eux. Ils sont lent, très lent, pour celle qui est habituée d'avaler les kilomètres sous Estoniel. Aussi a t'elle amplement le temps de s'occuper de quelques soeurs végétales en manque de soin sur la route.

Et de l'elfe des nuages...

Un pied nu avance vers la caravane. Une elfe de bronze au masque d'estoniel aux cornes cassées sur le front, très légèrement vêtue si ce n'est de cette veste d'un bleu clair en soie qui volète au rythme de son pas énergique, souligné par les cliquetis des breloques ornant la corne brisée qu'elle porte à la hanche, elle porte dans ses bras quelques fruits et des racines aujourd'hui. Ses cheveux de bronze coulent, souples et libres, le long de ses épaules et de son dos, aussi lumineuses et souple que le grain de sa peau.

Elle entend les remarques sur son passage, comme chaque soir. Une druidesse accompagant une caravane citadine, une noss... Que faut il en penser? Surtout qu'elle vient voir toujours le même individu. lui là-bas.
Une chance, elle s'en moque. Aussi s'arrête t'elle à côté de l'elfe blanc et dépose ce qu'elle a ramassé pour qu'il puisse se sustenter aujourd'hui.

Comment s'est passée ta journée?

Demande t'elle simplement en s'asseyant près du feu, savourant la chaleur qui fait ressortir le coté indolent de sa personne.

Concentré sur son ciseau, le grand elfe n'entendit rien. Rien des murmures étouffés des autres elfes. Rien des pas souples de la druidesse. Il n'en avait que pour le mouvement de la lame. Elle mordait le bois et laissait à son passage une strie supplémentaire. La plume prenait forme. Il était en train de commencer la partie couverte de duvet qu'il entendit une voix chaude et familière. La pointe de ses oreilles tressautèrent, pourtant il ne quitta pas ses yeux de son ouvrage.

"La mule n'est pas bavarde mais elle avance avec plaisir. Cyprès n'est pas tombé, comme le jour dernier. J'ai eu peur qu'il prenne froid alors j'ai rajouté des feuilles à son pied. Tuilalmië est toujours dans son sac. Je ne sais pas pourquoi, mais je préfère le porter sur le dos plutôt qu'avec Cyprès. Je suis plus serein."

Son visage sembla s'éclairer à un souvenir.

" Ce matin, un vent léger comme la bise nous a accompagné. Il nous encourageait sur le chemin en nous poussant. Qui a t'il de plus fidèle compagnon de voyage que le vent ? "
Il semblait heureux.
" A notre passage, les arbres s'ébrouaient et secouaient leurs branchages comme pour nous saluer. Alors la neige légère pleuvait comme des pétales de fleurs. Ce me fit l'effet d'une promesse tout aussi douce et blanche. Une promesse printanière qu'un jour, la vie reviendra. Elle rejaillira comme l'eau d'une source, verte et humide. Ce n'est pas pour tout de suite, c'est certain. Le froid devient de plus en plus mordant, non ? "

Pour un elfe sourd à la Symphonie, tu écoutes très bien.
Il fit une pause et en profita pour relever la tête. Il semblait interrogatif quand son regard se porta sur la druidesse.

" Ce n'est pas de l'écoute. Juste de l'observation. La forêt est muette pour moi mais ce n'est pas pour autant qu'elle n'agit pas. J'utilise juste mes yeux. "

Le sourire que la druidesse lui rendit fut tout simplement éblouissant tandis qu'elle s'accroupit à côté de lui pour déballer le souper..

Il y a beaucoup de façon d'entendre.

Les épaules de Lissesúrë se haussèrent. L'outil et la cuillère se séparèrent un temps et il se rendit compte qu'il n'avait parlé  que de lui.

" Et toi ? As tu passé une bonne journée ? " Ses yeux de glace furent à nouveau sur l'ouvrage.

D'un air dubitatif, la druidesse sortit son couteau d'os et se mis à préparer ses trouvailles du jour.

La journée a été belle et tranquille oui...Pas de viande aujourd'hui, les animaux fuient la caravane... Elle s'entend de loin ceci dit. Je t'ai trouvé des racines et des glands. Avec le reste du lapin d'hier, tu devrais avoir quelque chose de consistant à manger.... ou est le chaudron? j'oublie toujours que vous faites cuire vos aliments...

" Des glands ? " Décidément ce soir, il avait du mal à finir sa cuillère. Il regarda à nouveau la Noss. " J'adore leur amertume ! Laisse moi faire ! Je vais te faire une soupe comme tu en as jamais mangé ! "

La dernière fois que Lissesúrë avait cuisiné pour Lareless, il avait dit une chose similaire, et c'était pour des tubercules d'iris. Et elle s'était retrouvée avec d'un côté une purée, assez quelconque, et de l'autre toute une collection de sifflets. La druidesse n'étant pas une cuisinière exceptionnelle non plus, n'ayant pas préparé de repas depuis ses 150 ans. Il lui avait fallu un moment même pour se rappeler que pour les autres, il fallait faire cuire les aliments. Une chance que la mère de l'elfe blanc ne les voyait pas.

C'est que les elfes de pierre aimaient se compliquer la vie semble t'il. Aussi se releva t'elle volontiers pour laisser Elfe des Nuages s'occuper de la pitance, ayant déjà avalé la sienne. Il était tellement gentil de cuisiner pour elle, la noss ne voulu pas lui gâcher ce plaisir. Prenant une couverture, elle alla s'étaler voluptueusement dessus, à la façon des chats, profitant de la chaleur du feu.

-La caravane est lente Est ce toujours comme cela?... Combien de temps avant que nous n'arrivions?

Après avoir rangé son outils et son ébauche, il se leva pour aller vers la petite charrette. L'ornedhelle avait demandé quoi déjà ?

" Ha ? Tu trouves qu'elle est lente ? Je la trouve plutôt rapide... Je n'arrive pas à voir tout ce que je voudrais voir. Pourquoi es tu si pressée d'arriver ? As tu ta Noss à retrouver pour l'hiver ? "

Il chercha ce qu'elle avait bien pu demander tandis que Lareless réfléchissait à la question.

-L'Oeuvre est ma Noss, je suis toujours avec elle... Je ne suis pas habituée de voyager avec quelqu'un, aussi charmant soit-il. Tu as raison, je n'ai aucune raison de me hâter en fait. Si ce n'est Petit Erable qui m'appelle, mais elle se cache. Aussi demain ne m'attends pas pour manger, je rentrerai probablement tard. Dépendamment du problème, je pourrais ne pas rentrer du tout. Tu aura assez chaud?

La druidesse s'était découverte un instinct avec cet elfe. Celui qui la portait à veiller sur lui. Un elfe de pierre sourd mais qui comprenait tellement plus que tout ceux qu'elle avait rencontré au fil des siècles. Souvent, elle se contentait de le regarder travailler en ronronnant. Ca la reposait.

Pourquoi chercher des mots quand tout était si simple?

" Ne t'inquiète pas pour moi. Que se passe t'il avec Petit Erable ? "
De la charrette, il sortit la marmite, un bol en bois et un étui dans lequel il avait pris l'habitude de ranger ses ustensiles. Depuis le début du voyage il avait repensé à améliorer, refaire le chariot plusieurs fois : rajouter ici des patères, là un tiroir et il voulait finir aussi les sculptures. Mais les autres étaient pressés. Comme d'habitude.

Sur sa couverture, on aurait pu aisément imaginer Estoniel alangui en train de battre lentement de la queue tout en se nettoyant une patte de sa langue râpeuse.

- Je ne le sais jamais réellement que lorsque je les trouve, mais je sais que si cela avait été pressant, son appel aurait été différent. Alors je penche soit pour un cerf qui a grignoté un peu trop la pousse, soit Elle est trop exposée pour pouvoir passer l'hiver confortablement.

Lissesúrë ouvrit avec dextérité les glands en les décalottant par l'extrémité, là où se tenait la cupule. Il en extrayait alors la chair pâle qu'il mis dans la marmite. Avec une joie enfantine, il glissa le péricarpe à un de ses doigts. Puis il en pris un autre et poursuivit son ouvrage. Les paroles de la druidesse étaient instructives. Il découvrait avec elle un nouveau monde et il adorait cela.

" Les jeunes arrivent-elles a fournir assez de feuilles pour se protéger l'hiver où ont elles besoin de leur ainées, comme nos jeunes ? " C'était peut être idiot et très approximatif mais il avait parfois besoin de faire des rapprochements avec leur société pour tenter de comprendre la société sylvestre.

Plusieurs facteurs influencent la survis d'une jeune pousse l'hiver mon ami. Les feuilles en sont unes. Il y a aussi la localisation de cette dernière. Mes sœurs communiquent et s'entraident par un réseau racinaire étoffé, aidées en cela par un mycélium. C'est un équilibre complexe et fragile, aisément débalancé. Beaucoup pensent que les végétaux ne font qu'être plantés là et attendent... Rien n'est plus faux. Donc, elle peut simplement s'être plantée dans un coin non adapté.

Attentif, le grand elfe écoutait et regardait sa lame. A mi-voix, comme pour lui, et pour chercher à comprendre, il reformula.

" Sous terre, il existe donc tout un réseau. Comme une toile où chaque intersection est un arbre. Une toile gigantesque sur laquelle vivent des arbres-araignées... Nous les croyons immobiles car nous sommes bien incapable de les voir bouger. Alors que tout est là. Sous notre nez. Sous nos pieds. Et à son centre règne l'arbre-mère : l'Estel. "

Il fit une pause. En réfléchissant, une nouvelle image prenait forme : celle de l'Hiril Lothren, la Dame Sauvage. Mais il laissa le portrait dans une bulle et en revient à ce qu'avait dit Lareless.

" Tu disais que Petit-Erable s'était peut-être plantée dans un coin non adapté. Quand nous naissons, nous ne choisissons pas notre lieu de naissance : mais il y a une certitude, c'est toujours auprès de nos parents. Mis à part des cas très particuliers, comme mes arbres dans mes pots, les graines ne se retrouvent elles pas non loin de ses mères ? Et s'il y a des mères, comment l'endroit peut il ne pas être adapté ? "

Un arbre ne marche pas Elfe des Nuages. Il dépend des animaux et du vent entre autre. Pourquoi penses tu que les fruits les plus délicieux ont des graines? C'est leur façon de remercier les animaux qui vont faire voyager leur enfants. Ne sous estime jamais la distance que peut parcourir un animal... Et que le vent, dépendamment de l'essence, peut porter le futur très loin. C'est pour cela entre autre que les végétaux sont toujours en mouvement. La forêt bouge et change souvent à la fois. Elle prend de l'âge et murit.

Le menton sur son avant bras, la peau lumineuse et douce brillant des reflets des flammes, la druidesse sourit, l'oeil de mousse fixant son ami qui semblait déjà parti ailleurs dans ses pensées.

A présent, Lissesúrë avait une coque de gland au bout de chaque doigts. Il poursuivait consciencieusement son épluchage. Sans trop savoir pourquoi, la dernière phrase de la druide résonnait dans sa tête. " Elle prend de l'âge et mûrit." Il y voyait tour à tour, un fruit, un elfe, une graine, un animal, un embryon, sa mère. Tous prenaient de l'âge et mûrissaient. Mais une forêt ? Il avait des difficultés à le concevoir. Comme il avait des difficultés à y voir la magie. Par contre il était curieux de savoir. Est ce qu'une société, comme la leur pouvait mûrir ? Quel en serait le fruit ? Où en était elle ? Prenait vraiment de l'âge ? Arrivait elle vraiment à apprendre ? Retenait elle ses leçons ? Ou était elle déjà moribonde ?

Dans ses mains, la chaire blanche et nacrée des glands tombaient inexorablement dans le bol. Doucement, leurs effluves âcres remontaient comme une promesse.

" Est ce qu'il te reste de l'eau dans ton outre ? " C'est en entendant le son de sa voix qu'il se souvient que la druide pouvait également évoluer sous une autre forme. Il leva enfin les yeux de son ouvrage et la regarda avec attention. "Enfin... si tu en as une. "

Le sourire amusé de Lareless s'élargit un peu tandis que dans un froissement de tissus soyeux et bleu, elle se releva souplement, le contraste entre la veste de soie offerte par Lissesùrë et sa peau de bronze étant agréable à regarder. Un mélange surprenant. Elle se sentait bien dans ce vêtement dont la caresse douce lui rappelait le pelage d'Estoniel.

- Moi non, mais il doit sûrement en rester dans celle qui est dans le chariot... Continue, je vais la chercher. Amusant tes protège-doigts en passant. Les écureuils adoreraient j'en suis certaine.

Avec le temps, le Thaledhel ne s'était toujours pas habitué à voir le corps aussi peu couvert de la druidesse. Même avec la veste. Elle l'avait sur les épaules et pourtant, elle la laissait ouverte, inconsciente du malaise causé. Alors il avait appris à ne plus voir. Ni les formes douces, ni le grain satiné du tissus et de la peau. Durant les nuits froides, contre le pelage doux et chaud du Léomenis, il avait cherché pourquoi ça le dérangeait vraiment. Et ce qui découvrit le soulagea. Grandement. Il y avait des concepts qui étaient toujours autant abstraits pour lui. Mais il se sentait en paix avec lui même.

" J'en doute ! Les écureuils n'en voudraient pas. Ce n'est que des coquilles vides… et s'ils s'en accapareraient, ce serait même très dangereux pour eux. En effet, ils n'auraient pas du tout de provisions pour l'hiver et s'en retrouveraient bien affamés au printemps. "

Le rire cristallin de Lareless qui s'éloignait lui répondit. Il regarda ses mains. Les coques lisses reflétaient la lumière des flammes. Il était temps de s'en occuper. En attendant l'eau, avec la pointe de son couteau, il offrit à chacun un visage. Il en était à son ouvrage quand sa compagne revint avec l'outre demandée. Souriante, elle s'assied alors et posa la corne brisée d'Estoniel devant elle, une lanière de cuir, une pierre tranchante et rugueuse et un os de côte d'un petit animal qu'elle se mit à sculpter patiemment de son côté, frottant encore et encore pour régulariser la surface et  souligner l'arc élégant. Trois plumes attendaient leur tour pour s'accrocher à la côte délicate. Une heure passa, la soupe resta désespérément froide... et crue.

- Elfe des nuages, est ce que je pourrais avoir un de tes glands s'il te plait ?

" Attends un peu... " avec la pointe minuscule d'un couteau, il travaillait sur l'arrête d'un nez. Il tendit le bras afin d'évaluer sa réalisation, puis il posa ses yeux de glace sur la noss.

"Ce n'est pas parfait mais mieux que les autres... tient, il est à toi. " Il tendit le gland en souriant.

Merci!

Une main délicate prend la création sublime de l'elfe blanc avant que, un léger sourire aux lèvres, Lareless ne termina son ouvrage, faisant une robe pour le visage avec les trois plumes, créant un personnage très ludique qu'elle accrocha avec les autres breloques sur la corne brisée d'Estoniel avant de brandir sa création vers son compagnon de voyage.

"Regarde ! "

Le sourire de l'elfe de pierre s'agrandit encore. "Avec des plumes de Mithdil, cela fera vraiment une poupée à ton effigie ! "

Sa compagne eut un rire doux et agréable. Il avait raison, aussi se mit elle à faire danser sa marionnette, faisant cliqueter joyeusement ses autres breloques.

"Il faudrait Estoniel aussi. Ca lui plairait j'en suis certaine. "

Elle se rembrunit subitement, mettant à caresser la corne amputée d'un air triste.

" Estoniel ? Qui est donc… " voyant le visage triste de sa compagne, Lissesúrë se ravisa. La phrase resta en suspend. La voyant caresser sa corne, il lui sembla que celle ci était un réconfort pour la druidesse.

La nuit avait recouvert les elfes de son voile noir, pas celui pailleté d'étoiles. Il était juste sombre et épais comme pouvait être le manteau blanc de la neige. Maintenant que Lareless avait la tête baissée sur la corne, l'elfe de Pierre avait des difficultés a distingué ses traits. Le silence qui s'installa entre eux, sembla lourd et pesant.

" Dis moi, comment est ce que je dois le sculpter ? Est ce que tu veux que je le fasse dans la corne ?" demanda t'il alors d'une voix douce. Il avait vu sa mère tant de fois tenter de réconforter les autres qu'inconsciemment il lui avait emprunté ses mimiques.

Infiniement triste, elle sembla ne pas l'entendre.

"Il a perdu ses deux cornes, l'une après l'autre, pour protéger l'Œuvre. La première a été perdue à Eraison... Celle-ci, au moins, j'ai réussis à la garder. J'ai essayé de la ressouder grâce à la magie. Mais je ne le puis. Je ne peux pas lancer de sort sur mon focalisateur! Oh Lissesùrë !!! " Dit elle en reposant la corne avant de décider de s'octroyer le réconfort des bras de son ami sans lui demander son avis, enfouissant son visage dans la veste du façonneur qui ne peut voir que le bleu de sa veste à elle ainsi qu'une cascade de boucles de bronzes sous le masque d'os qui le regarde de ses orbites vides. Il est rare qu'elle l'appelle par son nom complet, lui préférant le doux sobriquet d'elfe des nuages. "Il a tant donné et je ne peux même pas le soigner! "

Assez surprit du contact soudain, Lissesúrë eut quelque secondes d'arrêt. Puis, d'une main, il tapota doucement l'épaule de la nis tout en se balançant. Rapidement et sans y prêter attention il le faisait en rythme. Il était désolé pour son amie. Quelle que soit l'issu d'une guerre, les combats étaient toujours perdant. Surtout pour les familles qui n'avaient plus que leurs yeux pour pleurer la mort de leur proche. Il le savait que trop.

Pour Lareless, c'était une première en beaucoup de siècles. La première fois qu'elle recherchait du réconfort dans les bras d'un bipède plutôt que chez ses soeurs végétales. Elles bruissèrent doucement aux oreilles de la druidesse, mais le bruit du coeur du façonneur était plus présent. Aussi doux que son porteur. Les larmes qu'elle retenait depuis la fin de la quête d'Aleandir lui remontent subitement et se mettent à couler. Des siècles de larmes refoulées quittent maintenant ses yeux tandis qu'elle se pelotonne encore plus contre son ami. Il peut à peine l'entendre, le visage caché comme il est.

" Il m'a sauvé la vie. Il a tout donné pour l'Œuvre. J'ai essayé de sauver des Souffles, des Sœurs, des elfes, .. "

" Raconte moi, et fait que l'histoire honore sa mémoire. " Le ner continua de la bercer.

Essuyant ses larmes, qui ne semblaient plus jamais vouloir s'arrêter, elle lui raconta. Eraison et l'elfe qui avant monté Estoniel, la corne brisée dans le combat. La défense et la fuite des elfes... Elle lui raconta les siècles de tensions entre elfes de pierre et elfes des arbres. Que malgré tout ses efforts, elle ne pouvait maintenir l'équilibre. Elle lui parla longuement de tout ses efforts, des combats menés par le félin pour essayer d'en sauver le plus par le sacrifice du plus petit nombre. Elle lui raconta sa dernière Epreuve. Quand elle dut aller contre sa nature. Comment Estoniel l'avait supportée et réconfortée. Elle raconta le combat contre Gingal, la perte de sa seconde corne. La douleur et le sentiment de perte de son ami.... Elle lui raconta longuement encore et encore, comment ses efforts pour maintenir l'Equilibre, la Symphonie... Comment les Anedhels et les Ornedhels sont tellement semblables mais qu'ils n'écoutent pas. Ils ne s'écoutent pas.

Plus profond, il put ressentir comment la charge de tout cela pesait lourd sur les épaules de la druidesse, comment elle percevait nettement les sacrifices fait et leur coût.

" Merci. " Il ne pouvait prononcer que ce seul mot tellement il était bouleversé. Murmuré, ce mot simple de reconnaissance était juste soufflé. Seulement ce souffle venait du plus profond de son coeur.
Un seul mot et pourtant à bien y réfléchir, il contenait tant de choses. Merci d'avoir prit des décisions bien plus grande que sa simple personne ; merci des efforts effectués ; merci d'avoir continué, encore et encore ; merci d'avoir parlé ; merci d'avoir fait confiance ; et merci d'être là.

Finalement, quelque part, les larmes finirent par se tarir, mais la tristesse demeura. Et elle demeura immobile et silencieuse à la fin, les yeux fixés sur les flammes, le chaudron avec encore le début de soupe sans eau laissé à l'abandon.

Le grand elfe laissa la druide contre sa poitrine le temps qui fallait. Ses mains prises dans le réconfort, il laissa son esprit faire ce qu'il faisait le mieux : vagabonder. Du foyer, les flammes dansaient. Lascives et voluptueuses, elles ondulaient au son de la bise hivernale. Elles réchauffaient de leur vie si flamboyante ceux qui les entouraient, les éclaboussant d'or et de lumière. Le rubis étincelant des braises pulsait comme un coeur aimant, trop étriqué, empêtré dans ce foyer de pierre. C'est qu'il battait ce coeur. Presque autant qu'un coeur aimant. Et il en poussait des soupirs dans les doux crépitements. Mais là haut, le ciel restait de marbre. Là haut, les branches pleuraient. Elles versaient des larmes pour le bois qui se consumait. Elles pleuraient tellement qu'elles furent incapables de se rendre compte que chaque larmes qui perlées devenaient de minuscules diamants. Qu'elles étaient belles ! Qu'elles étaient riches de ses larmes !

" Lareless, regarde. Vois comme tes sœurs, pleurant avec toi, se sont parées. Ni voit pas de regrets mais de l'espoir. Aussi beau que fragile. L'espoir qu'un beau jour, le printemps reviendra. Il en sera de même pour toi." finit il par murmurer à sa compagne.

Autour d'eux les branches des arbres étaient parées de dentelles de givre, scintillantes comme des pierres précieuses grâce à leur petit feu. Il y eut un mouvement soyeux de boucles de bronze tandis que la druidesse regarda longuement les arbres pleurer, les paroles de Lissesùrë eurent comme don de l'apaiser. Ca ne l'empêcha pas de se pelotonner sur les genoux de ce dernier, occupant une superficie ridiculement petite par rapport à sa taille.

-J'aimerais tant rendre ce qu'Estoniel a perdu, murmura t'elle d'un ton rêveur et extrêmement fatigué... Je suis bien... Le reste de la phrase se perdit dans un murmure.  Elfe des nuages? Merci... Pour l'Œuvre, les sœurs, Estoniel... Et pour moi. Tu es réellement exceptionnel.

Elle lui donna un tendre baiser sur la joue, avant de quitter à regret les genoux confortables... Elle s'y serait bien fait un nid douillet et monopolisé cet endroit réconfortant des heures durant, bercée par les flammes et les caresses de cette longue main sur sa chevelure, mais il ne fallait tout de même pas exagérer. Pour essayer de se redonner contenance, elle essuya les reliefs de ses pleurs avant de contempler encore les larmes de diamants de l'Anaëh.

Encore hagard du baiser, le Taledhel se sentit libéré de l'étreinte. Il ne saurait dire s'il la regrettait ou non, mais présentement, il y avait une remarque de la Tercáno qui le turlupinait.

" Je ne comprends pas... Comment veux tu rendre ce qu'a perdu Estoniel ? Tu sais... " Il fit une pause pour chercher les mots les plus juste et qui ne pourraient pas blesser. Il ne les trouva pas. " Les morts ne reviennent pas à la vie. C'est ainsi. Tyra garde ce qui lui est confié. " Il inclina sa tête sur le côté. Une mèche de cheveux lui caressa alors le visage. " Désolé. "

J'aimerais lui rendre ses cornes. Dit elle simplement. Les cornes d'un Estoniel sont massives et lourdes, extrêmement dures. Mine de rien, elles contribuent à l'épuilibre de son corps et servent autant aux combats nuptiaux qu'à la défense. Estoniel, sans ses cornes, se sent handicapé. Une ca allait. La deuxième lui a fichu un sacré coup, surtout que nous nous battions contre la Dame Sauvage. Je sais qu'un mage de la Vie pourrait ressouder les os ensembles. Parce que c'est une matière vivante en soi. J'aurais pu le faire en fait, je sais que c'est possible, ce n'est ni plus ni moins qu'une fracture. Mais je ne peux travailler sur mon propre focaliseur.