Une fenêtre n'est qu'une porte mal placée [Deejarah]

Suite de ce RP

C'était une des petites ruelles attenantes au temple de Neera. Une des plus obscures et des plus humides. Deux bâtiments en encorbellement aux étages inferieurs couverts de mousse l'encadrait de part et d'autre, reliées supportées chacune de leur coté par un des piliers massifs de la demeure de la dame dieu. A l'endroit où les deux demeures étaient les plus proches, à peine un mètre les séparaient l'une de l'autre, et, à l'ombre du temple, le soleil ne filtrait jamais jusqu'au sol.

L'une des demeure était abandonnée depuis des année. L'autre, aux entrées murées, était devenue l'arrière boutique d'un commerce florissant. L'endroit était oublié de tous hormis des coupes gorge et de ceux que la société péninsulaire avait abandonné derrière elle.

Shyn'tae était certaine qu'on les observait discrètement depuis là haut, derrière les fenêtres béantes et les murs à la chaux effritée. Cela n'avait guère d'importance.

Sous le regard de ses deux camarades les bras croisés, la demoiselle avait levé un bras. Des foulards d'un rouge sombre dansèrent avec elle lorsqu'elle se mit en mouvement. La silhouette étrangère dont on ne voyait que les yeux commença un étrange ballet. Les étoffes de milles nuances de rouge de sa tenue la suivait.

Ses évolutions soulevèrent des gouttes d'eau d'une flaque.

Au lieu de retomber, elles restèrent suspendues comme une trainée d'étoile.

Le corps de la danseuse ondoyait, ses bras bougeaient avec fluidité, envoutants. Ses pas la portèrent peu à peu jusqu'au pilier du temple, qui semblait s'élever jusque par delà l'étroite bande de ciel qui les surplombait.

Ses pieds se posèrent sur le pilier.

Elle continua sa danse ainsi sur la surface verticale comme si elle avait oublié qu'elle ne se tenait plus sur le sol, puis finit par s'immobiliser.

Alors elle leva la tête vers ses camarades. Deux yeux de rubis sur une peau noire les fixait, rieurs.

- Vous venez?
- C'est une très mauvaise idée… " marmonna la dame en vert.
- Uniquement si tu ne viens pas, lui retorqua la sorcière au tac au tac dans la langue Vaani.

Debout sur le mur, bras croisés, concentrée, elle attendait que les deux autres se décident.

Je m’étais éloignée de la place centrale où le cortège des mariés venait d’arriver, pour emprunter un passage entre deux toits, longeant un instant une corniche pour bondir sur une autre, m’accrochant ici à une colonne de balustrade pour atterrir un étage plus bas sur une terrasse, tout cela ne me coutant pas le moindre effort.

Je m’apprêtais à franchir le dernier étage en utilisant une vieille treille tissée de vigne vierge quand mes sens concentrés sur mon focaliseur afin de m’aider dans mon entreprise, eurent un sursaut, percevant un léger ondoiement comme la danse d’un voile qui fit écho à celle de mon foulard. Et puis il n’y eut plus rien.

J’avais figé mon geste, toujours sur cette terrasse désertée pour le moment, hésitant sur le comportement à suivre.  C’était simple : soit je passai mon chemin en oubliant cette légère inflexion de l’air, soit…. J’essayai de mieux comprendre ce qui se passait derrière l’angle de ce bâtiment. C’était juste à côté ! Vraiment pas très loin.

Je commençai par fermer les yeux, et fis jouer mes mains dans l’air, comme si je manipulais un objet invisible, pas un objet, non, je me concentrai seulement sur l’air qui glissait entre mes doigts. Je roulai des poignets et ouvris les yeux. Trois, elles étaient trois, gracieuses et légères et……..l’une d’entre elle dansait, faisant virevolter le vent autour d’elle. Le vent et un voile…..

Quelque chose m’intrigua plus encore. Alors, avec l’agilité d’un chat, plutôt que de regagner le sol, je m’accrochai à une seconde corniche au-dessus de ma tête que j’escaladai pour me retrouver sur le bord du toit. Je longeai ce rebord à quelques centimètres du vide, sans en être perturbée pour autant, habituée que j’étais à jouer les funambules en haut des vergues du Vol d’Or.

Et après quelques pas encore, je perçus leur souffle. Changeant alors d’attitude, je m’accroupis, jusqu’à repérer dans mon champ de vision, l’image de ce que j’avais deviné un instant plutôt. Elles étaient bien trois et si l’une d’elle dansait, ce qui par ce jour n’avait rien de très étonnant, sa position en revanche, était autrement stupéfiante. Elle…..elle marchait à la verticale sur un des piliers du temple, sur son flanc le plus éloigné de la place centrale !

- Mais qu’est-ce qu’elles foutent ? Je marmonnai tout bas, tellement intriguée que je ne cherchai dès lors plus à rester discrète.

C’était apparemment des magiciennes mais dont la magie me surprit et dont je ne compris pas pour le moment l’objectif. Je restai donc là, à continuer de les épier, ne me souciant guère de me cacher. Mais à moins de lever la tête pour regarder sur l’autre côté de la ruelle, elles ne me verraient pas.  

Moi par contre j’avais une vue imprenable à commencer par celle qu’il ne me fut pas difficile d’identifier comme une drow. Je me demandais bien ce qu’elle pouvait faire là ! Profiter de la fête comme tous les autres ? C’était ce dont semblait témoigner ses vêtements colorés, mais j’avais appris que l’habit ne faisait pas toujours le moine, surtout quand c’était une drow qui se cachait au-dessous.

Alors je continuai de les épier, me demandant déjà ce que je ferai si ces demoiselles avaient de mauvaises intentions.

- Les seuls plans qui devraient dépendre de moi devraient être liés à du spect..."
- Attendez. Quelqu'un chante. Très mal... Mais ca chante." Liss avait interrompu sa voisine de vert vétue, laquelle posa son regard sur elle, interloquée. Shyn'tae haussa un sourcil et hocha la tête. La dame aux étoffes violettes referma ses yeux couleur améthyste avant de poursuivre avec rigueur dans cette langue exotique et mystérieuse que parlaient les Eldéens.

- On est ciblés. Depuis les toits sûrement. Elémentaire. Faible puissante. Je contre.
- Attendez, cette personne a peut-être une raison d'être ici et de heu... nous lancer des sortilèges Elémentaires ?  Il ne nous arrive rien d'horrible..."

Mais Liss avait déjà commencé à chanter. Une voix mélodieuse, s'élevait. Soudain, Deejarah vit la mystérieuse silhouette debout sur les contreforts du temple lever le regard vers les toits. Le regard carmin de la créature croisa le sien.

Et c'est alors que la magie se retourna brusquement contre elle. Un soubresaut arcanique comme elle n'en avait jamais connu de pareil remonta son sort, le dissipant au passage comme s'il avait été un dessin de fumée pris dans un ouragan venu de nul part.

Elle avait certainement déjà perdu sa concentration en pleine incantation. Ce n'était jamais une expérience agréable. Mais cette fois-ci s'annonçait pire que tout. La magie chaotique submergea ses sens, le chant lui retourna l'estomac et son crane résonna soudain d'une douleur qu'un profane n'aurait jamais pu appréhender.

Elle lâcha prise, se sentit glisser, tomber dans le vide. C'était moche de mourir ainsi.

Si cela avait eu le moindre sens, elle aurait dit que le bas venait de changer de direction. Et l'instant d'après, elle toucha terre,  roula et s'arrêta. Lorsqu'elle ouvrit un oeil, son crâne battant encore comme un tambour, elle remarqua sous ses mains les massives pierres taillées du temple, et devant elle, la silhouette pourpre et or, ses seuls yeux visibles, rubis sur fond de peau noire, qui l'observaient avec curiosité. Mais ce qui l'interpela fut sans aucun doute l'épée à la pointe biseauté aussi polie qu'un miroir et tranchante qu'un rasoir, avec laquelle elle la menaçait. Comme juchées sur une paroi verticale qui avait tout des pavés de Papincourt, les deux autres observaient la scène, l'une -la rose- bras croisés, l'autre -la verte- bras levés comme si elle avait voulu réceptionner quelque chose.

- Bonjour. Cette contrée est fascinante. Des élémentalistes y tombent des toits. Que puis-je pour toi ? lui glissa avec amusement la dame à l'épée.

Quand cet étrange étourdissement me saisit, il me sembla alors entendre la voix narquoise de Ballast me souffler que la curiosité était un vilain défaut. J’aurai voulu répliquer un truc bien profond mais…. Je n’en n’eus nullement le temps. L’étourdissement me souleva brusquement les tripes, à la limite de rendre tout ce que j’avais avalé au matin, avant de cibler mon crâne. La douleur me vrilla la tête et la suite m’échappa totalement.

Je perdis l’équilibre, chose absolument improbable, mais je ne contrôlai plus rien et je chutais dans le vide, sentant une peur immonde me vriller le corps. J’étais déjà morte sans rien avoir compris de ce qui m’arrivait. Pourtant poussée par une envie de survivre malgré tout, je déchaînais un sursaut de tourbillon, m’épargnant le pire et m’amenant finalement à rouler sur le sol de manière fort peu délicate.

Mais au moins, étais-je sauve !  Sauvée par ma détermination à m’en sortir quoiqu’il arrive, malgré une épée pointée sur ma gorge. La peur, puis le soulagement, cédèrent alors complètement le pas à la colère. Mon regard qui fixait cette femme face à moi avec sa peau trop sombre pour être une elfe, s’assombrit et je fronçai les sourcils, avant de saisir sa lame et de l’écarter d’un geste rageur, pour me redresser aussi sec d’un bond agile.

Je ressentis un reste de nausée, mais déjà mon malaise s’estompait, excepté ma migraine. Mais je n’avais pas le temps pour ce genre de considération, pas plus que de me préoccuper de la blessure que la lame bien aiguisée avait laissé sur ma main. Je ne craignais pas la douleur. Surtout quand en plus on venait d’attenter à ma vie et pour les dieux seuls savaient quelle raison !! Une fois sur pied et m’étant écartée de ces furies, mettant entre nous une distance raisonnable, je les apostrophai aussitôt :

- Non mais ça n’va pas la tête ??? Vous avez failli me tuer !

J’étais en colère et pour une bonne raison, elles avaient non seulement tenté de me tuer, et en plus elles semblaient trouver cela amusant. Et je savais que si moi j’étais une mage élémentaire de l’air, j’ignorai en revanche ce que ces sorcières étaient ! Elles avaient joué avec mes sens, me faisant perdre tout contrôle de ma propre magie, pire encore, elles avaient empoisonné mon esprit.

Quant à la question de celle qui s’était adressée à moi, je répliquai sèchement :

- Vous tenir à distance, ce serait bien pour commencer. Et ensuite, m’expliquer à quoi vous jouer toutes les trois ! Et je vous déconseille de recommencer avec vos tours de passe passe, à moins d'avoir envie de finir sur un bûcher ?

Oui, je pouvais tout aussi bien alerter la milice parce que ces bonnes femmes venaient tout bonnement de tenter de me tuer. Et qu’un tel acte de « sorcellerie » était passible d’une condamnation au bûcher dans cette partie du monde.

J’ignorai toujours le sang qui goutait de ma main que je maintenais serrée contre ma poitrine. J’aurai le temps de m’occuper de ça plus tard. Je savais déjà que la blessure était seulement superficielle. Et que Ballast ne serait pas content que je me sois laissée surprendre de la sorte. Ce qui n’arrangea en rien mon humeur. Pour autant, je ne me laisserai pas avoir deux fois de suite.

La créature face à Deejarah inclina la tête de coté. Ses yeux d'un rouge profond détaillaient la jeune humaine avec une curiosité soit flatteuse soit dérangeante. Les deux autres derrière s'étaient tues, celle aux yeux vert cligna des yeux.

Ce fut l'autre, celle au regard améthyste, qui prit la parole la première dans une langue lointaine aux sonorités sifflantes. Son attitude exprimait la plus profonde indifference.

- Usstan telanth udos elgg ilta nin." La plus proche fronça les sourcils, celle de vert vêtue écarquilla les yeux en montrant Deejarah.
- Liss! Enfin! C'est une gamine !

La première, celle qui faisait face à la rousse demoiselle, leva la main. La situation était gênante, lorsque l'indigène avait saisit son épée, elle aurait du riposter pour être prise sérieusement. Mais, concentrée sur son sortilège, elle n'avait pas répondu à cette provocation. Maintenant, cette dernière se retrouvait avec une main ensanglantée et une attitude étrangement agressive.

Qui de censé essayerait de repousser une lame de la main ? La gamine, comme le disait Elaheh, n'avait apparemment aucune carte en main. Bluffait-elle? Cachait-elle quelque chose qu'elles ignoraient ? Était-elle simplement suicidaire ? Tant de questions.

Elle baissa sa lame, au soulagement visible de sa partenaire aux yeux émeraude.

Le chat était amusé.

- Nous nous apprêtons à aller observer cet étrange rituel que vous appelez mariage, révéla-t-elle finalement dans un péninsulaire teinté d'un accent étranger si exotique et présent qu'il devait venir de loin.

- Tu es élémentaliste ? Ce n'est pas commun dans ces contrées. Où as-tu appris ?

Mieux valait ignorer les menaces plutôt que risquer devoir démontrer à quel point elles lui paraissaient vaines. Non pas que ce serait un problème, mais elle avait trouvé un jouet.

Ballast avait tenu à ce que j’apprenne le péninsulaire de base et quelques rudiments d’elfique parce que nous étions très souvent amenés à voyager. Le fait est que quand je m’exprimais dans cette langue, le péninsulaire, ma voix trahissait un léger accent d’Ithri’Vaan, n’était-ce que par le r qui roulait un peu plus sous la langue. Aussi la majeur partie du temps, entre nous et avec l’équipage, nous parlions l’Oliyan, langue commune à tous les peuples.

Et si jusque là j’avais fait l’effort de parler dans une autre langue, je laissai tomber devant les manigances de ces bonnes femmes dont l’accent trahissait les origines. Il n’était plus nécessaire de m’escrimer à parler une langue qui n’était pas la leur, quoique de ça j’aurai pu m’en douter à voir la fille qui me faisait face. Ses yeux rouges me fixaient, comme s’ils essayaient de sonder mon esprit tandis qu’elles tenaient entre elles, une conversation dans une langue qui m’échappa. Sauf la réponse que lui fit l’une d’elle.

J’étais si énervée contre ces donzelles qui agissaient comme si c’était normal d’agresser une « gamine » à tous les coins de rue, et qui par leur tour de magie avaient mis ma vie en péril que j’avais chassé de ma main, la lame qui menaçait mon cou, me moquant bien d’être blessée. Elles n’avaient pas à me menacer de la sorte !

J’en oubliais donc mon péninsulaire, mais pas seulement. Je n’avais même pas fait attention au décor qui était absolument le même que celui que j’avais observé depuis les toits, à un détail près ! Le plan n’était plus le même, j’étais comme privée d’apesanteur, comme si la verticale était devenue l’horizontale, et le sol, cette façade du temple.

Alors à peine avais-je exigé des réponses que je cillai sur mes jambes, mon sens de l’équilibre perturbé. J’essayai dans un réflexe complètement inutile de m’accrocher au vide, avant de retrouver ma stabilité, le temps que mon esprit capte que je ne risquais pas la chute. Tout ça ne dura qu’un seul instant, avant d’entendre cette drow me dire qu’elles étaient là par curiosité, afin d’assister au mariage.

J’écarquillais les yeux. Alors…..j’avais manqué laisser la vie dans cette chute et tout ça pour quoi ?? parce que j’avais surpris ces créatures à vouloir assister au mariage du couple du jour ? C’était une blague ?? J’affichai après avoir encaissé la nouvelle, une expression parfaitement dubitative.

- Pour assister au mariage, je vois… et vous vous en prenez souvent à des « gamines », tout ça juste pour jouer les curieuses à une fête à laquelle, je suppose étant donné « notre position » vous n’avez pas été conviées ?

Et elles croyaient vraiment que j’allais gober ces histoires ? Mouais….je compris à les observer plus attentivement qu’il valait mieux que je joue les gourdes de service, plutôt que de subir un autre de leurs sorts. En tout cas, je ne manquerai pas de râler auprès de Ballast qui m’avait déconseillé d’embarquer mon sabre. Apparemment ça n'était pas l'usage pour les dames de la ville. Sauf pour les drows de toute évidence.

- Enfin si ce n’est que cela ! Nous n’allons pas nous énerver pour si peu n’est-ce pas ? Je fis mine d’épousseter mes vêtements. Après tout, c’est jour de fête ! Et ne vous inquiétez pas, je ne dirai à personne que vous avez tenté d’entrer en douce dans le temple.

Mouais, c’était à mon tour de leur raconter des menteries.

Puis à la question de la fille aux yeux rouges, je la jaugeai un instant, avant de poursuivre sur le même ton du badinage. Même si je compris à sa question qu’elles avaient senti malgré l’usage infime que j’avais fait de l’Art, le sortilège de perception que j’avais lancé un peu plus tôt.

- En effet, et oui d’après ce qu’on m’a dit, il parait que la magie n’est pas très bien perçue dans le coin, c’est d’autant plus pourquoi j’ai été surprise de vous observer dans une si ….étrange position. Je ne connaissais pas ce type de magie !

J’affichai un sourire un peu crispé avant d’ajouter :

- J’apprends tous les jours, ici et ailleurs, auprès de mon mentor, même si je viens d’Ithri’Vaan. Je ne suis ici que de passage, c’est pourquoi j’ai préféré me promener sur les hauteurs afin d’éviter le bain de foule.

J’émis un rire grinçant.

- Je me pensais plus en sécurité sur les toits qu’à la portée de tous les tire-laines du coin. C’est drôle n’est-ce pas ?

C’était d’un désopilant, ha ha ha !

- HA Ha! C'est vrai! C'est très drôle!" Les deux drows jetèrent un œil à leur camarade, la seule des trois à la peau claire. C'était cette dernière qui avait répondu avec enthousiasme à la jeune femme, ses magnifiques yeux émeraude visibles entre les étoffes assorties de sa tenue. Manifestement, les sombres ne devaient pas avoir d'humour, car Deejarah n'était pas parvenue à les faire rire.

A moins qu'ils ne soient doté d'un humour très spécial, ce qui, lorsqu'on connaissait les drows, était tout à fait possible.

- J'essayais de détendre l'atmosphère, elle a raison, c'est jour de fête," s'excusa alors l'alliée impromptue de l'apprentie magicienne. Si la grande drow ne quittait pas des yeux sa gentille camarade, les sourcils froncés dans une expression interrogative, l'autre, celle qui se tenait avec Deejarah sur le mur, soupira et, après avoir essuyé le sang sur sa lame aussi polie qu'un miroir, la ramena au fourreau.

Alors, elle produisit une pièce d'étoffe propre qu'elle tendit à son invité. Elle avait un air absent, presque rêveur.

- Tiens. Pour ta blessure. Tu essayais de faire quel genre de sortilège ? Cela n'a pas l'air de faire longtemps que tu apprends.

- Nindol heru'alth zhahus ves myar" commenta sa collègue sur le plancher des vaches.
- On commence tous quelque part, Liss. Je m'appelle Talrae. Et toi? La drow devant elle tendait la main à la demoiselle. "Tu nous accompagnes?"

J’avais fait de l’ironie et je ne sais si elles le perçurent mais l’une d’entre elles, me trouva malgré tout très drôle. Moui…pour elles, ça devait l’être. Beaucoup moins pour moi.

Quoiqu’il en soit je décidai de mettre mon courroux de côté, parce que je n’avais pas du tout envie qu’elles recommencent avec leurs tours de magie. Il s’agissait désormais de montrer patte blanche, en espérant que ça suffirait à m’éviter d’autres cabrioles.

Celle qui avait ri, finit par me donner raison, même si je sentais les deux autres encore sceptique. Je ne sais pas pour qui elles m’avaient pris, mais je venais de démontrer que je n’avais nulle mauvaise intention. C’était la vérité, j’avais préféré les hauteurs parce que me faire bousculer par une foule en liesse à cause d’un couple de nobles mariés, ça ne m’intéressait pas. En fait si j’étais venue, c’était surtout pour voir mon mentor défiler comme un prince parmi les autres.

En fin de compte, la drow me tendit un bout d’étoffe que j’acceptai de bonne grâce pour en bander ma main sommairement, avant de la fixer avec un mélange de méfiance et de curiosité.

- Merci.

Je ris brièvement à sa question. Je n’avais pas seulement essayé, j’avais réussi, comme chacun des sorts de perception. Et ce qui m’amusait c’est que si elles avaient pu sentir ma magie, elles ignoraient de quoi il s’agissait. Mieux encore, elles s’imaginaient que ça ne faisait pas longtemps que j’apprenais. Je notai donc dans un coin de mon esprit que cette drow et ses compagnes pensaient leur magie assez forte pour sous-estimer celles des autres.

- C’était un sortilège de perception pour voir ce que de ma position première, je ne pouvais apercevoir, et j’ai senti qu’il se passait de drôles de choses dans le coin, avant de m’approcher pour découvrir trois singulières demoiselles. Ce n’était pas grand-chose, juste un petit courant d’air que je ne pensais pas que d’autres auraient pu percevoir.

Puis je fixai la drow en répondant d’un ton tranquille.

- J’ai toujours appris, d’aussi loin que je m’en souvienne….

Elles échangèrent à nouveau dans leur langue avant que la drow me demande mon nom et…. Si je voulais les accompagner. J’affichai un sourire en coin.

- Enchantée Talrae, moi c’est Deejarah. Je jetai un coup d’œil à ses amies, avant de répondre à son invitation.  Ma foi, pourquoi pas ? Si vous me promettez de ne plus me balancer des toits, dis-je avec une pointe d’humour grinçant.

Je n’avais pas vraiment envie d’assister à ce mariage, et encore moins d’entrer là-dedans. Cependant, il fallait que je sache ce que ces trois demoiselles comptaient faire une fois à l’intérieur. Je regardai ensuite autour de moi, et me résolut à conserver cette position antigravitationnelle.

Quelles étaient les chances que cette jeune femme dise la vérité? Si elle en croyait ce que sous entendait Liss, Talrae ne risquait pas grand chose, à moins que Deejarah possède d'autres talents susceptibles de les mettre en danger. Et si c'était le cas, l'adage ne disait-il pas, de garder ses ennemis prés de soi?

- Je ne peux rien promettre, sourit la drow avec malice en faisant un pas félin vers la mysterieuse demoiselle, les étoffes de sa longue robe voletant autour d'elle.  "Mis à part de faire de mon mieux."

Elle se tourna alors vers ses camarades, laissant Deejarah hors de sa vue quelques instants.

-On suit le plan. La demoiselle aux yeux verts soupira, elle pensant manifestement que le contretemps que représentait la nouvelle arrivante dissuaderait les deux drows de poursuivre ce qu'elles avaient prévu. Manifestement c'était peine perdue.

Alors celle qu'on appelait Liss Saisit sa camarade claire par la taille et la hissa sur ses épaules. Les maigres protestations de cette dernière étouffée, elle se résigna à son sort. Alors, d'un bond, la drow sauta sur le mur avec sa charge.

- J'ai jamais fait ca, aussi bien ca ne marchera pas.
- Mais si, il y a un début à tout, tu vas voir. Lui répondit Talrae, un sourire en quoi rivé à son visage. La drow retira son voile, dévoilant ainsi à Deejarah un visage gracieux orné d'une cicatrice sur la joue gauche. Une chevelure débordante coulait jusqu'au dessous de ses épaules.

- Suis-moi, reste prêt, sinon tu vas vraiment tomber des toits. Soudainement concentrée, elle tendit un bras à l'horizontal, prit une profonde inspiration et se remit à danser, ses pas léger la portant plus haut sur le mur. Liss la suivit, la troisieme demoiselle sur son épaule avait sorti un casse tête de sa poche et le manipulait, concentrée.

Il dégageait de l'ensemble une impression étrange, de professionnalisme et d'improvisation mélées, de dangerosité et de comique aussi. Elles dépassèrent le premier étage, puis toujours marchant sur le mur du temple comme s'il avait été un passage horizontal, défiant la gravité, les demoiselles débouchèrent au soleil.

Sûrement qu'ici on les verrait de loin à marcher ainsi sur les pierres taillées.

Mais, transportée sur les épaules de la fameuse Liss qui ne semblait pas en être le moins du monde génée, la demoiselle aux yeux émeraudes continuait à travailler un casse tête qu'elle connaissait pourtant par cœur.

Un observateur lointain et particulièrement attentif n'aurait vu sur le mur que quelques étranges distorsions au passage des magiciennes.

J’affichai un sourire un peu crispé. Je n’étais pas à l’aise avec ces étranges bonnes femmes, et toute mon attitude devait le montrer. Et je ne parlais même pas de cette position très peu conventionnelle. Pourtant j’étais habituée à être perchée dans les hauteurs, toujours à grimper dans les vergues du Vol d’or quand je ne me posai pas tout simplement dans la hune ou encore allongée sur le mât de beaupré. Mais là ? marchant debout à l’horizontale, c’était inédit.

Et puis j’ignorai tout des intentions de ces filles. Ok elles voulaient voir le mariage, mais je ne pouvais bien sûr pas les croire sur parole. Je me devais donc de les suivre, en veillant à bien suivre les recommandations de cette drow qui avait l’air de se moquer de mes peurs comme elle se fichait bien d’être surprise à jouer les sorcières sur le mur de ce temple.

Je songeai à un plan de retrait au cas où on se ferait attraper quand je réalisai brusquement que nous étions apparues sur l’autre versant du temple.

- Vous êtes sûres que personne ne peut nous voir ?? Si quelqu’un nous voit, ça va créer le bazar. Ouais manquerait plus qu’ils croient qu’on en veut à la vie des mariés.

Au fond, je me demandai s’il n’y avait pas un moyen quand même plus simple de pénétrer là-dedans. Quand j’aperçus le clocher du temple, je me dis qu’on avait peut-être atteint l’objectif de ces demoiselles. Il devait bien y avoir une entrée pour permettre d’accéder à l’intérieur là.

Mais face à ces phénomènes, je préférai garder mes commentaires pour moi, continuant de les suivre, en veillant bien à rester dans l’ombre de Talrae.

- Et une fois à l’intérieur, vous allez faire quoi ? Juste observer ? Vous savez c’est qu’un mariage avec des gens qui ont sorti leurs plus beaux atours pour parader devant les autres. Je crains que vous ne soyez déçues du spectacle. Enfin j’veux dire, vous vous donnez beaucoup de mal pour pas grand-chose au final.

Elles avaient à peine pris le temps de me répondre. Tant pis, je me contentais donc de les suivre en cherchant une solution alternative tandis que l’une d’elles avisait à son tour le clocher un peu plus loin. Nous commencions à en prendre la direction quand je vis un des gardes tout en bas, lever les yeux vers nous.

- Merde !!

Je retenais un pan du vêtement de la fille juste devant moi.

- Je crois qu’on nous a repérées ! Il faut qu’on s’éloigne de là tout de suite.

L’homme en bas, le soldat ne fut bientôt plus seul et pointa sa main dans notre direction. Je n’étais vraiment pas sûre qu’ils nous aient vues, mais…. Je n’avais pas envie de rester pour le vérifier !
Et au moment où je tentais de faire demi-tour, je sentis cette étrange apesanteur m’abandonner. L’attraction terrestre fit de nouveau son office, et je parvins juste à temps à me retenir à un ornement du toit, pour éviter de basculer dans le vide.

En quelques instants, les trois étrangères s’éclipsèrent sans plus se préoccuper de moi. Et je ne sus si je devais m’en réjouir ou non. De toute façon, je n’avais pas le temps de m’inquiéter de ça. Il fallait que je me tire de là au plus vite !

Après quelques exercices de torsion et de balancement de mon corps, je réussis à reprendre appui sur un toit à la verticale cette fois, dans un équilibre que j’étais heureuse de retrouver. Puis je commençais à bondir de toits en toits pour fuir cet endroit le plus rapidement possible, avant de finir la peau trouée d’une flèche.

En tout cas j’avais retenu la leçon : ne jamais se fier à une drow ! Le mariage lui allait pouvoir se dérouler en toute tranquillité tandis que je m’en retournai à d’autres occupations.