Ces pierres, elles ne sont plus que les vestiges d’un passé révolu, perdu et oublié, laissé en proie au néant du temps rythmé par la course effrénée d’Alm, porteur de lumière, et d’Iben, clarté dans l’obscurité. Aucun des immortels, pas même ceux que l’on nomme « légendes », les plus anciens et vénérables enfants de Kyrïa, peuplant les contrées d’Anaëh ne se souviennent de leur histoire.
Contes et hagiographies prirent le pas sur les légendes, si bien que les souvenirs de la Retraite d’Anna’Aran devinrent mythes.
L’une des plus persistantes d’entre ces hâbleries tient pour vrai l’histoire d’un amour interdit né de la rencontre d’une arïn et d’un anedhel. De leurs noms ne restent rien, et l’on se souvient d’eux comme de l’
eldameldor et l’
hildimeldor. De leur destin, on en connait la fin, car ces simples et modestes vestiges, rongés par les affres du temps, on les croit avoir été bâtis par l’anedhel, à la force de son chagrin lorsque son arïn dépérissante fut contrainte par sa mortalité, laissant son Souffle rejoindre le Royaumes de Tari. Une funeste et si douloureuse plaie que le cœur de l’immortel ne put qu’y succomber à son tour.
Désormais, la Retraite d’Anna’Aran est devenu un lieu de repos, calme et paisible, seulement fréquenté des quelques voyageurs traînant leurs souliers sur d’obscurs sentiers forestiers de l’Epine Dorée. Un endroit où se rencontrent et s’apprennent les mœurs et coutumes de provenances aussi diverses que leurs héritiers.
Assise sur la pierre, l’une de ses jambes pliée et remontée contre sa poitrine, l’autre se balançant dans le vide au-dessus d’une marre d’eau claire léchant les fondations sans âge de ces vestiges, l’
aegedhel semblait avoir le regard perdu. Ses yeux d’un gris anthracite saisissant lui donnaient cet air absent, tranchant étrangement avec cette discrète lueur de vie qui s’y était, il y a déjà bien longtemps, logée. Par sa taille, on la devinait aisément ne pas être capable de se targuer de venir de l’une des immenses citées d’Anaëh, par ses atours féminins bien moins androgynes que ses cousins des forêts l’on hésitait tout autant à la qualifier de noss. Et cela sans compter son attirail, de cuirs et de tissus travaillés, les boucles à ses oreilles et l'anneau d’akar perçant son nez, sa parure d’argent et son serre-tête fait de bois et de bronze, tous deux sertis d’une pierre de lune luisant d’un curieux éclat azuré. Quant à son arc, lui aussi arborait, à chacune de ses branches, une pièce de métal en akar. Une arme jouissant, de part son aspect atypique ainsi que de la lueur évanescente du filigrane dans le bois, d’une aura presque mystique et captivante qui laissait une impression indicible sur celui ou celle ayant l’audace de poser son regard dessus.
Au pied des marches effritées des vestiges, deux elfes, sans aucun doute parents du petit qui les accompagnaient, comptaient à la jeune pousse la fable tragique que ces ruines renfermaient, soulevant, à leur sens très justement, le danger que représentaient les relations avec les arïns. Peuple chaotique des fils et filles d’Elenwë, génitrice inconsciente d’une nature devenue, au gré des siècles passé et des cycles à venir, un mal rongeant irrémédiablement ce monde.