[Portes bleues] Le temps passe et ne se ressemble pas | Ilm'ryn

Hiver ~ Premier jour de la première ennéade de Karfias an 18:XI

Ses pas étaient légers et les mouvements de ses bras trahissaient l’innocence de ses pensées. L’ombre à demi effacée et projetée par quelques torches luttant pour survivre, dansait le long des façades et des objets. Il lui arrivait, ça et là, de s’arrêter quelques secondes pour repartir. Son maître était visiblement heureux, heureux de ses récentes découvertes, heureux de la somme de connaissances emmagasinées. Le Sombre se glissait entre les maisonnées et les échoppes en ignorant tout de son environnement jusqu’à rejoindre le domicile de sa collègue. Il pénétra grâce à une jeune esclave. Une peu perdue mais terriblement soucieuse de bien faire, elle installa le visiteur dans une des grandes pièces vide. Promptement, elle tâcha d'apporter tout le necessaire pour satisfaire le moindre désirs.

Après s'être délesté de ses vêtements sous les assauts du froid, Ilm'ryn s'immergea avec délectation dans la chaleur de l'eau. Seule sa tête dépassait du liquide et là, les yeux mi-clos, il se mit à imaginer la suite… A penser à moult choses durant de longues minutes dans un silence presque parfait.

Presque.

Car il ne manquait plus que la damoiselle propriétaire des lieux ne retourne en son château, ignorant tout de la présence du prêtre visiblement intrusif. Il s’en fichait allègrement. Après tout il n’avait point volé, ni même assassiné et encore moins déleté des mets du garde-manger. Il n’avait fait que kidnapper de l’eau. De l’eau et un peu de feu pour la rendre agréable sur sa peau.

Quand Na’ri passa le pas de la porte de la dite pièce, Ilm’ryn quitta le baquet une fois parfumé et frotté pour se rhabiller partiellement. Après un claquement de doigts et quelques murmure que l'intrus n'entendit pas, l'esclave se saisit des vêtements restant et les mis dans l'eau encore chaude.

_ Ne la sens-tu pas ?

Le silence ne dura que quelques secondes.

_ Cette étreinte de celle que nous servons ; je sens ses baisers et sa tendresse, ses gifles et son exigence chaque jour qu’Uriz fait.

Les pas se rapprochèrent de la Noiraude, laissant des traces humides sur le sol. Une main se posa sur son épaule, du bras dégoulinèrent quelques gouttelettes qui vinrent finir leur course à l’orée du cou de la prêtresse. Les doigts bougèrent et la voix posée du prêtre reprit sans qu'il ne se soucia du froncement de sourcils de sa vis à vis.

_ Les Kobolds. Voilà la clé de notre remède.

Na'ri enserra le poignet de son collègue avec douceur.

_ On va commencer par... une leçon de politesse. Tu m'expliqueras ton histoire de Kobolds dans le hammam, veux tu ?

La Grande prêtresse ne se délesta pas de la main mouillée, elle glissa ses doigts dans ceux aventuriers qui ne tardèrent pas à les accueillir comme il se doit. Le coin de ses lèvres était remonté dans un sourire mesquin. Tandis que l'esclave s'était mise à frotter les vêtements d'Ilm'ryn,  maîtresse et intrus partirent d'un bon pas. Ils traversèrent la vaste demeure vide. Ils parcoururent la terrasse et sur le pas de la promenade, elle guida son "invité" à travers le jardin. Sous leurs pieds, le gravier crissait de froid. Il y avait bien une galerie couverte que quelques lanternes illuminaient, mais elle avait préféré contempler la limpidité du firmament. Quand les diamants de la nuit la lassèrent, ils entrèrent dans les thermes sans qu'elle n'ai prononcé un mot, chose qui perturba grandement son collègue. Passé la lourde porte de bois, ils trouvèrent un vestiaire.

" Le hammam est la seconde porte sur ta gauche. Vas y puisque tu es déjà lavé. Il serait dommage que tu prennes froid. " D'une main nonchalante, elle avait pointé dans l'obscurité où luisait les braises rougeoyantes d'un brasero. " Ne pars pas en ligne droite. Tu risquerai de tomber dans le bassin d'eau froide."

Il y alla, seul, prenant place et simplement vêtu de sa serviette. Elle se déshabilla avant de s'enfoncer dans l'obscurité du lieu. C'est trempée, nue et sentant le savon qu'elle poussa à son tour la porte du hammam. Une bouffée de vapeur gorgée d'huiles essentielles s'échappa pour l'accueillir. Ses pas faisaient ondoyer ses hanches jusqu'à ce qu'elle s'allonge sur une banquette. Les yeux du mâle ne la quittèrent pas et c'est tout naturellement qu'elle put lire la surprise et l'avidité dans son regard. Pourtant il ne bougea pas, se contentant d'afficher un rictus amusé, peut-être provocateur.

Pourquoi et comment les Kobolds sont une clé ? " Les yeux de grenats se perdirent dans les volutes de vapeur qui s'élevaient de la rigole qui traversée la pièce de part en part.

_ Ces vermines ont bien cela d'utile que leur métabolisme résiste à peu près à toute forme de maladie

Assis en face de la mage de vie, le brasier brûlant entre eux, le prêtre détailla les courbes qui s'offraient à lui tout et répondant à la question. Quand il posa de nouveau son regard sur sa collègue, il leva nonchalamment une main vers le plafond vouté. Elle l'imita mais au lieu de regarder au delà, elle joua à entortiller les volutes de vapeur entre ses doigts.

_ Nous trouverons certainement tous les remèdes nécessaires en les étudiant et je suis persuadé que la sélection que nous pourrions pratiquer sur eux pourra être... intéressante. Peut-être même pourrions nous tenter le croisement d'un Kobold modifié avec une humaine ?

Le mâle ferma lentement les yeux et afficha un sourire satisfait en pensant à cette éventualité excitante qui s'offrait à lui. Une expérience de haut vol qui pourrait enfin donner un peu de valeur à cette misérable sous espèce de nuisibles. Na'ri arrêta son jeu et baissa lentement sa main qui rejoignit sa sœur sur le ventre, au niveau du tatouage de Natha.

_ Imaginez les myriades de possibilités qui s'offriraient à nous. N'est-ce pas... excitant ?

L'ample serviette enroulée autour de son bassin offrait tout le loisir aux crépitements d'éclairés une peau immaculée et parfaitement imparfaite aux yeux du commun des Eldéens, sans la moindre égratignure, le moindre tatouage, la moindre marque, seul le grain lisse et régulier.

Je ne peux nier que j'aime bien l'idée. " Les yeux de la prêtresse se posèrent sur celui qui avait passé bien plus de temps au creux du temple plutôt que sur le soleil. " Cependant, j'y vois dès à présent deux à trois petits soucis. Le premier est : as tu sous la main des Kobolds ? Comment sais tu qu'ils sont aussi résistant à la Toile ? As tu un échantillon suffisamment représentatif ? "
Avant d'énumérer ses deux points suivant, Na'ri fit une pause pour qu'Ilm'ryn puisse lui répondre.

_ J'en conviens, la capture de ces nuisibles et leur étude prendra du temps et nous n'avons pas ce temps. Mais ! Mais... Si cela fonctionne ? Si le remède que nous sortons est deux fois, non, dix fois plus efficace que le premier ? Nous pourrions créer une nouvelle Toile plus mortelle qui se jouera du remède que les Elfes ne tarderont pas à créer une fois touchés. Gardons une longueur d'avance ma chère amie. Après tout... nous jouons à une partie d'échec et si vous voulez bien me faire le plaisir de jouer ma reine, alors je tâcherai de manier mes pions avec... dextérité.

Ses doigts marchèrent comme deux jambes sur sa propre cuisse en direction de son genoux jusqu'au mot de la fin. Puis il se leva avec souplesse pour se lancer à nouveau dans des jeux de manches inexistantes.
Plusieurs versions d'un remède pour plusieurs versions d'un pathogène... pourquoi pas. Par contre, reine... et puis quoi encore ? La dernière s'est retrouvée la gorge tranchée par un grand prêtre.
" Je préfère le titre de Grande Prêtresse, merci. " Il racla sa gorge dans une tentative d'excuse un brin foireuse avant de poursuivre.

_ Et puis... voyons plus loin. Une armée. Une armée de reptiles grands et forts à la peau aussi dure que le fer, armés de haches et lâchés sur un champs de bataille. Ne serait-ce pas un spectacle merveilleux ?

Il s'approcha de la femelle pour finalement la dominer de sa taille. Mais cela ne dura pas, il se mit à genoux une fois la phrase envolée pour poser une main sur son ventre.

_ Imaginez. Imaginez toutes les possibilités.

Il insista, elle pu l'entendre, n'importe qui aurait pu l'entendre. L'idée fut lâchée sans avoir osé la verbaliser et son regard doré vînt titiller les grenats de la religieuse avant qu'elle ne ferme les yeux.
Imaginer... Non, elle n'y arriva pas, pas vraiment. Et puis ça ressemblait à quoi un Kobold ? Ce n'était pas des créatures qui peuplaient une armée.

Cela va sur mon second point. Comment coupler un Kobold avec une humaine ? Déjà des humains entre eux, ce n'est pas la panacée alors avec un être complètement différent, permet moi de douter de l'accouplement. Et est ce que les rejetons serait viables ? J'ai le sentiment d'essayer de faire une chimère entre un serpent et un félin à pointe... "
Elle resta pour le moment assez indifférente à la main contre sa peau. Le mâle s'en détacha pour se relever et brasser de l'air avec son index en affichant un sourire en coin.

_ Avez-vous déjà entendue parler du Basilic. Un effroyable croisement entre un poulet et un crapaud, rendez-vous compte... Et pourtant ils semblent exister bien que je n'en ai hélas jamais vu. Un Gobelin et une Humaine donneraient certainement quelque chose de viable mais d'un peu bancal, en revanche cela m'étonnerait que le résultat d'une belle nuit entre un Kobold et une Humaine donne quelque chose. Et c'est là que nous intervenons, nous mages de la Vie. Il me faudra du temps pour disséquer et étudier un lézard mais une fois fait, je suis certain de trouver des passerelles entre les deux espèces pour modifier un fœtus de Kobold jusqu'à l'âge adulte. Cela prendra certainement du temps, beaucoup de temps... des années certainement.

Il est évident que l'armée vengeresse de comptera pas des "Hommes-Lézards" dans ses rangs avant longtemps, si tant un qu'un jour il y en est mais le plus important dans cette histoire, ce n'est pas l'aboutissement trivial mais l'immensité du panel de découvertes possibles sur les Kobolds qui pourrait être décliné dans n'importe quelle espèce. Peut-être même qu'un jour un hybride multi-espèces humanoïdes pourrait naître de ses expériences... Ilm'ryn en eut un frisson de plaisir.
Les yeux perdus sur la mosaïque du plafond, la prêtresse réfléchissait... et c'était dur.

_ J'ai passé des siècles dans des laboratoires à étudier les genres humain, elfe et drow, je saurai créer un hybride viable croyez moi.

Ilm'ryn ? Je ne te suis plus... Tu veux travailler sur les gobelins ou sur les kobolds ? Et en quoi ils ont un rapport avec les lézards ? Par ce que là ce n'est plus des passerelles entre deux espèces mais entre quatre...
Le prêtre ferma la yeux pour prendre une inspiration. Il leva l'index en rouvrant ses paupières.

_ Un. Un Kobold pour analyser ses possibles résistances à la Toile. Voilà le cœur du projet.Le majeur ne tarda pas à suivre et à s'élever à son tour.

_ Deux. Si résistance il y a, trouver un moyen de l'inoculer à d'autres espèces. Les humains en premier lieu.Enfin un troisième doigt vînt rejoindre ses compères tandis que les prunelles dorées ne lâchèrent pas ses homologues. La prêtresse ne comprenait pas pourquoi il fallait rendre les humains résistant. Car ils mourraient déjà bien assez tôt et c'était plus intéressant si c'était les drows qui pouvaient être résistant à la maladie.

_ Trois. A long terme -et dans un objectif purement scientifique- essayer de trouver des ressemblances entre les Kobolds et les Humains pour manipuler un fœtus.

Une goutte d'eau ruissela de la parois. Dans sa course, elle se gorgea tant et plus qu'elle finit par s'arracher du verre. Elle tomba si bien, qu'elle finit écrasée sur le font de la sombre.

Ce que j'entends, et bien avant de faire des croisements pour recréer des Cretoks, il te faut une demande d'autorisation pour étudier des Kobolds. Je peux te la donner. Cependant, il serait intéressant que tu te rapproches du culte de Leetha ou de Zack'bar... D'ailleurs c'est redoutable comment un Kobold ?

Kobold, gobelin ou lezards, la seule chose que savait la soignante était que ça mourrait. C'était donc vivant. Mais ce ne faisait pas parti des trucs qu'elle soignait. Elle connaissait l'eldéen, l'humain, l'elfe. Le nain aussi un peu... mais seulement lors d'une de ses années d'étude. Un spécimen avait été amené au temple : une espèce de mâle alpha pour un élevage. Elle ne savait plus s'il s'en était sorti ou non mais cela ressemblait à un enfant à la peau dure. Et avec une barbe.

_ Je vous en remercie, je suivrai vos conseils avisés.

_ Redoutable ? C'est certainement l'espèce la plus faible qui soit dotée d'intelligence... Enfin... intelligence est un grand mot. Ces créatures sont inutiles. Ni plus, ni moins. Mais ! Mais... Malgré leur inutilité flagrante, leur système immunitaire est extrêmement développé, leur métabolisme est remarquable et leur peau est une véritable carapace. En somme, l'animal en lui même ne vaut rien, mais toutes les caractéristiques que je viens de vous citer sont prodigieuses.

_ Je ne comprends pas du tout l'intérêt de la chose... C'est peut être la fatigue, pardonne moi. Mais pourquoi veux tu recréer les Cretoks ou les Homme-Lezards, si tu tiens à cette affreuse dénomination ? Par ce que c'est à nous, peuple d'Elda de mener la vengeance de Notre Père. Pas à d'autres, même s'ils sont créés par nos soins.

_ Ceci n'est qu'une lointaine vision. Quelque chose que je ne réussirai probablement jamais. Un défi en quelque sorte. En revanche si nous réussissons à adapter la résistance des Kobolds aux humains, nous pourrons ensuite l'adapter à notre race. Disons que l'être humain n'est que le cobaye entre ce petit quelque chose qui rend le Kobold intuable et nous. Il serait fort dommage de réaliser des expériences pouvant se conclure dramatiquement, sur un des nôtres n'est-ce pas ?

Il n'en pensait pas un mot. La mort des autres ne le touche ni de près, ni de loin. Mais dans quelle situation se mettrait-il s'il s'amusait à réaliser des expériences à tout va sans une once de bon sens ? Ses supérieurs lui tomberaient dessus en quelques ennéades, Na'ri la première. Et tous savent qu'une Na'ri énervée est capable de grands maux.

_Peut-être. Peut être pas.