La bénédiction de la Damedieu

Ce matin-là, Linaëlle de Laval se réveilla d'excellente humeur.

Allongée docilement dans la couche nuptiale ainsi que le médecin lui avait ordonné - sa grossesse étant désormais trop avancée pour qu'elle se risque à s'occuper de ses ouailles comme à l'ordinaire - la jeune femme reposait tranquillement sur son oreiller.

Dans son ventre, de doux effleurements, des petits coups discrets. Sous ses doigts, elle sentait parfois la peau se déformer quand son nourrisson changeait de position, et un sourire naquit sur ses lèvres, alors qu'elle se prenait à rêvasser, en caressant le petit nid qui abritait son enfant.

Bénie par la Damedieu, elle se sentait heureuse et sereine de porter la vie, l'héritier de son époux, de cet homme charmant qu'elle avait épousé ; et malgré le devoir qui lui incombait désormais de prendre soin de toutes les âmes des environs, l'ancienne duchesse savait qu'elle ne pouvait pas jouer avec la survie de son enfant. N'étais-ce pas chose sacrée, par-dessus tout ?

Elle se souvenait de l'accouchement de sa douce protectrice, Cécilie de Missède, où elle avait rencontré, pour la première fois, son doux époux.
Allait-elle rester en vie ?
Une prêtresse, qui venait d'entrer dans la pièce pour prier avec elle, la fit soupirer de soulagement. Elle passa le reste de la journée abîmée en prière, lorsque les premières douleurs la prirent durant la soirée, alors que la nuit commençait à tomber.

Une servante se précipita pour prévenir Gaël, alors que la douleur, souvent insupportable, semblait traverser son corps, l'emporter sur des rives de souffrance, avant de refluer, la laissant pantelante, en sueur, épuisée.
Il ne pouvait cependant entrer dans la chambre, lui tenir la main ; et si elle crut mourir de nombreuses fois, cette nuit-là, le matin vint enfin, apportant enfin avec le soleil la délivrance.
Les cris de son enfant emplirent ses yeux de larmes de joie.

On la recouvrit d'une couverture propre, et une servante se précipita dans le couloir, s'inclinant devant lui, les joues rouges et le souffle un peu précipité.

- "Seigneur ! C'est un fils ! C'est un fils !"

Tu le savais bien, ton épouse arrivait au terme de sa grossesse. Tout avait été fait pour combler le moindre de ses désirs et soigner le moindre de ses maux. C’est bien simple, Linaëlle est -à tous les égards- la reine en son château, attendant patiemment la libération prochaine. Et que pouvait-on dire de toi ? L’homme craignant le mort-né ou pire, le décès prématuré de ta moitié. Alors quand une petite noble de court vînt t’annoncer que le travail débuta, tu ne savais comment réagir. Hésitations, frayeurs et joies diverses et variées s’emparèrent de ton âme tandis que ton cher Edgard tenta tant bien que mal de t’extirper de ces mauvaises pensées. Il tenta de t’inviter à jouer aux échecs mais devant ton incapacité à te concentrer et à prendre la moindre pièce, il s’en détourna pour les jeux de raquette. Tu mis un certain temps avant de réellement te prendre au jeu mais après de longues minutes, tous tes membres parvinrent à se relâcher et tu pris même du plaisir à échanger quelques balles avec le Sir d’Heucville.

Tout allait bien quand la même donzelle que tout à l’heure te retrouvas pour t’annoncer la nouvelle. Il s’agissait d’un garçon. Tu avais un fils. Un fils ! Des larmes de joie coulèrent le long de tes joues et Edgard t’offrit une accolade tout en expulsant maintes félicitations de son gosier. D’un pas vif et léger, les yeux rougis et les joues rosées, tu te frayes un passage entre les courtisans et autres officiels en quête de ta belle. Tu annonçais la nouvelle à qui souhaitait l’entendre, tu avais un fils ! Un fils bon sang ! Les félicitations des uns et des autres emplissaient l’atmosphère et précédèrent ton chemin jusqu’à ce que la porte de la chambre ne s’ouvre.

Elle était là. Allongée sous une couverture colorée. Ses yeux étaient humides et une lumière brillait sous les larmes. Ses lèvres étaient sèches et un sourire accueillit ton auguste personne. Dans les bras de Linaëlle se trouvait un petit être recouvert d’un drap. Il était silencieux, certainement endormi par le léger mouvement exercé par sa mère. Tu approchas lentement pour t’asseoir à ses côtés et poser tes lèvres sur la tête de la Dame tout en l’enveloppant de tes bras. Puis tu pleuras. Silencieusement. Face à ce spectacle imprévu, les courtisans quittèrent les lieux pour les laisser seuls.

_ J’ai eu si peur… Si peur de te perdre. Je t’aime… je t’aime, je t’aime, je t’aime…

Elle pouvait entendre ton cœur se heurter à ta cage thoracique et les tressaillements dans ta voix. Plusieurs fois, tu embrassas le haut de son crâne en resserant l’étreinte jusqu’à ce que le calme revînt. Tu pouvais alors reporter ton attention sur le nouveau-né et avec toute la douceur dont tu pouvais faire preuve, tu passas la main sur son front en une caresse paternelle.

_ Je vous aime…

Sujet: Re: La bénédiction de la Damedieu Dim 24 Jan 2021 - 9:58

Épuisée de son accouchement, pâle et défaite, la jeune femme avait été recoiffée vaguement à la hâte avant que son époux n'arrive dans la chambrée, tremblant de joie.

Tenant son poupon dans ses bras tremblant, absorbée dans la contemplation de ce beau petit visage si paisible qu'elle reconnaitrait désormais entre mille, malgré sa fatigue, Linaëlle n'entendit pas tout de suite que son mari venait d'entrer. Comment aurait-elle pu ? La joie et la gratitude envers la Damedieu l'emplissait d'une sensation ineffable, qui l'a submergeait d'une intensité inattendue. Son enfant. Son fils. Son tout-petit, envers qui elle éprouvait déjà l'amour d'une lionne, féroce et entier. Une larme de bonheur roula sur sa joue, tandis que la prêtresse levait enfin les yeux sur Gaël, qu'elle lui offrit un sourire candide, produit de pure joie.

Son baiser sur ses cheveux accentua son sourire, et Linaëlle se laissa aller dans ses bras, en faisant attention que le nourrisson ne fut point gêné dans son sommeil paisible.

Elle ne remarqua même pas que les courtisans avaient quitté la pièce, car seul, à cet instant, comptait sa famille. Sa famille... Quel merveilleux don à la Damedieu que cet amour, que ces instants simples et sans fards !

Son époux semblait très émotionné ; et l'ancienne marquise, le cœur battant à son tour, vint plus encore se serrer contre lui.

- "Je suis si heureuse, mon amour. Notre fils est beau, et si petit... Je n'arrive toujours à croire qu'il est parmi nous... Mon époux, nous formons une famille désormais. A vous l'honneur de nommer notre enfant, afin qu'il fasse parti de la communauté de la Damedieu. Il faudra.. organiser une cérémonie pour lui démontrer... notre reconnaissance..."

Linaëlle soupira paisiblement. La fatigue engourdissait chacun de ses muscles, que le sommeil paisible de son enfançon contre elle contribuait à renforcer.
Lentement, avec d'infinis précautions, elle caressa la tête de son fils, embrassa son mari sur la joue. N'était-il pas égoïste de jouir seuls de ces instants merveilleux, parfaits ? De tout ce bonheur, de toute cette aisance ? Avec un serrement de cœur, la Dame de Laval songea à ces bébés et ces enfants orphelins privés de tout, y compris et surtout d'amour maternel ; et leva ses yeux gris sur son époux. Pensive.

Etais-ce la naissance, sa meilleure connaissance de la vie de ces petits abandonnés, ou la magique conjugaison des deux qui enfla son âme d'une tristesse insigne, qui la força à exprimer une idée qui lui trottait dans la tête depuis quelques semaines ?

- "Mon époux.. oserais-je vous demander une faveur ? Nous avons été béni par la Damedieu.. et quand je songe à tous ces orphelins qui ne connaitrons jamais notre bonheur, mon cœur se serre. Peut-être pourrions nous assurer, à tout le moins, de leur donner quelques subsistances, au nom de notre si bel enfant ? A défaut d'amour, nous pourrions leur octroyer quelques vaches ou quelques moutons, que les soeurs pourraient faire fructifier au bénéfice des orphelins ?"

Elle fixa des yeux alanguis, mais remplis d'espoir, dans ceux de son conjoint. N'étais-ce pas la meilleure manière de contenter la Damedieu et de savoir que tous seraient à l'abri du besoin, à défaut de partager l'insigne bonheur qui lui avait été donné ?

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