Harmalaica | L'expérience d'une vie [PV Cilastiel]

1ère ennéade de Bàrkios
18e année du Onzième Cycle
Petit matin

La perspective te trottait dans la tête depuis ton échange de la veille. Engager la discussion avec des elfes ayant connu les deux faces de votre peuple, vécu à la fois parmi les Taledhels et les Ornedhels pourrait se révéler être la solution à un nombre incalculable d’incompréhensions. Et c’est quelque part une honte de ne pas y avoir pensé plus tôt, alors qu’il y a bientôt deux décennies, le Voile a offert à de nombreux Souffles parmi ceux des Citadins d’effectuer une transition vers votre mode de vie ancestral. Des elfes qui aujourd’hui seraient capables de commenter sur leurs deux vies, il y en a. Il y en a énormément. Ciryië pourrait facilement n’être que la première d’une longue lignée.

Ton sceptre te tournait nonchalamment entre les mains, alors que tes pensées allaient aux murmures de l’omniprésente Sylve. Tu commençais à la trouver agréable, la fraîcheur des matins de printemps Lëandrins. Oh, les neiges presque éternelles des Hauts-Plateaux du Norn n’arrêteraient jamais de te manquer, mais avec le temps, la Cité du Trône Blanc te devenait de plus en plus un second foyer. Et puis… c’était aujourd’hui celui de ta fille, deviendrait bientôt celui de tes fils, et c’était depuis la Longuenuit celui de l’Arbre-Maître d’Anaëh.
En étendant ses racines sous la forêt, l’Estel accompagnait Liltalaima vers les Muets. En galvanisant les chœurs des chanteurs, l’Estel et l’Ëala avaient rendu de sa puissance perdue à l’Œuvre. Mais le plus grand pouvoir de l’Estel, c’était probablement sa capacité à vous rassembler. Il s’était fait un symbole commun du pouvoir d’Anaëh, une balise au milieu de la tempête pour tous. Il était au cœur d’une Cité, mais il y projetait – accompagné de ses jardins – un miroir de la forêt profonde. Le saule pleureur s’était fait le lieu de rendez-vous d’un nombre incalculable de Souffles en très peu de temps. Alors quand l’on t’avait dit que c’est près de lui que tu avais le plus de chance de croiser la petite, tu n’avais pas été bien étonné.

Ton pas s’accélère, et quelques peu à l’avance, tu te laisses aller à vivre à l’avance ta séance d’entraînement. Instinctivement, les mouvements de ton focaliseur entre tes doigts quittent leur statut de simples fioritures pour s’organiser en véritables passes d’armes. Les arcanes se plient autour de toi, et les flux brillent d’envoûtantes lueurs s’ourlant autour du bâton, pour venir se perdre jusqu’à tes bras. Tu avances d’un pas inégal, imitant ce que seraient tes déplacements au cours d’un duel, et ton arme passe d’une main à l’autre, puis à la première main dans une habile danse, entre l’ésotérique et le martial, jusqu’à ce que les frontières du Sanctuaire ne soient franchies.

Les étoiles d’or brillant dans tes iris illuminent l’Harmalaica, t’offrant sur les jardins un regard qui n’appartient qu’à toi. Les échos des essences vivant en ces lieux te reviennent en un florilège de messages à la fois contradictoires et bien trop logiques. Toi tu t’imprègnes de leurs qualité, de la substance qui les construit, et de cette manière plus qu’au travers de tes cinq autres sens, tu t’amuses à les reconnaître. Un par un, à la recherche de celle dont – selon Aegden – l’apparence aurait changé du tout au tout.

Il n’avait pas menti.

Ne te serais-tu pas souvenu de la pulse de la jeune CiryIë que tu aurais probablement eu du mal à la voir dans la jeune fille se tenant là, non loin. Tu te lances d’un bon pas jusqu’à te retrouver à portée de voix d’elle, et là, ton timbre clair, prenant garde de ne pas monter le ton trop haut – faute de déranger les elfes venus se recueillir – tranche à travers la distance qui vous sépare.

- Ciryië ! arrivé assez près, tu reprends un volume de parole Aegden m’a dit que je pourrais te trouver ici. tu lui souris Et je vois qu’il ne mentait pas quand il disait que tu avais beaucoup changé. tu ris doucement Alors tu as fini par trouver ta place ?

Et tu penses savoir où. Tu es même persuadé de savoir où. Ses yeux. Ses yeux ont changé comme les tiens ont changé. Celle qui fut Macabre ne s’est pas rapprochée de n’importe quel clan. Elle s’est rapprochée de ta famille.

Une voix forte appelle la petite elfe qui tourne la tête vers son point d'origine. A travers les ouvertures de son masque, elle aperçoit la silhouette géante et massive de quelqu'un qu'elle connaît bien. Accroupie, elle se redresse lentement, même si elle n'a pas besoin de cela pour surplomber le souverain des Taledhels. En effet, elle est perchée sur une épaisse branche à presque trois mètres du sol. Depuis son arrivée, elle a passé du temps près de l'Estel mais le lieu est trop fréquenté pour elle la journée. Alors elle a entrepris d'explorer cet immense jardin naturel, ce fragment pur d'Anaëh qui encercle le palais. Elle essaie de comprendre son origine et comment la forêt a pu vouloir se tenir si proche d'une cité et demeurer si pure. C'est une énigme qui s'est opposée à elle depuis son arrivée et qu'elle n'est pas certaine d'être en mesure de démêler.

Artiön s'approche et elle relève son masque d'oiseau afin de lui permettre de voir son visage. La poupée aux traits figés a bien changé. Elle le regarde avec curiosité et un brin de surprise. Même si elle sait qu'il vit juste à côté, elle ne s'attendait pas spécialement à sa visite, tout comme elle n'a pas croisé Anorn lorsqu'elle s'est arrêtée en Quatrième Saison. Ces gens-là ont beaucoup à faire et elle le sait. D'autant qu'elle sait qu'ils ont tous deux de jeunes enfants.
La petite elfe a troqué ses longues robes blanches mal taillées contre une tenue noire bien plus ajustée. La tunique laisse ses bras libres et s'arrête au niveau de ses mollets. Un pan a été relevé et coincé à la ceinture de son pantacourt afin de libérer ses mouvements. Ses pieds sont nus et elle porte au poignet un grigri qui lui vient d'un quelconque clan qui est sans lien avec celui qui lui a fait son masque.

-Disons plutôt que j'ai trouvé ma voie. Réplique-t-elle pour le corriger gentiment.

De place, elle n'en a pas. En revanche, elle a un but à suivre. La nuance est peut-être faible mais elle est importante à ses yeux. Elle ignore toujours ce qu'elle va devenir mais elle a accepté de suivre l'enseignement qui lui est prodigué, sans tuteur ni mentor cette fois.
Avec agilité, elle descend d'un cran sur son arbre, mettant ainsi son visage à la hauteur de celui du géant tout en s'approchant de lui. Elle ne le craint pas et ne se comporte pas comme la créature sauvage qu'elle était. Elle est parmi les siens dans un environnement qui lui est désormais familier. Elle sait qu'elle est en sécurité et qu'Artiön, aussi immense et imposant soit-il, ne lui fera aucun mal. Alors elle se tient bien droite devant lui et soutient son regard dans la moindre difficulté.

-Que me vaut l'honneur de la visite du Roi des Taledhels ? Demande-t-elle en penchant la tête sur le côté.

Loin d'être monocorde, sa voix est légère et emprunte d'une forme de curiosité. Elle est à présent une jeune fille bien vivante et expressive, quoi que toujours un peu étrange d'aspect et de comportement. Mais aujourd'hui, cela se marie assez bien avec son image de Noss aux allures de druide.

La voir curieuse. La voir surprise. La voir jouant avec le monde dans lequel elle vit sans ne plus rien y craindre à l’excès. Voilà qui t’avait mis plus de baume au cœur que tu ne le pensais. Celle que l’on appela autrefois Macabre n’était définitivement plus, et bien qu’elle ne fut ni la seule enfant brisée que tu aies connu, ni la plus proche de toi parmi ces enfants, il te restait difficile de ne pas t’en émouvoir. Après tout, n’es-tu pas Roi-Père et Père-Roi ?

- J’étais dans mes pensées hier. À réfléchir à l’avenir. tu baisses les yeux un instant, pensif Allons droit au but, je t’épargne mes réflexions mélodramatiques. tu ris Mais en gros, plus ça va, plus je me dis qu’il va éventuellement falloir que nous réussissions à trouver un terrain d’entente . Et quand je dis « nous », j’entends « nous les Anedhels ». tu soupires Sauf qu’actuellement, ne serait-ce qu’obtenir d’Ornedhels et Taledhels qu’ils veuillent bien s’écouter un seul instant est un véritable Chemin de Tourmente

Chemin de Tourmente que tu ne peux blâmer ni aux uns ni aux autres de t’infliger, quand tu as de première main expérimenté ce à quoi peuvent ressembler les échanges avec les Noss. Pour chaque Ornedhel que tu as réussi à comprendre, combien y en a-t-il eu qui t’ont laissé confus, perdu, voire enragé face à des déclarations qui pour toi ne faisaient pas ou trop peu de sens ?

- J’ai eu l’occasion d’en parler avec Aegden, et il m’a dit que vu ce que toi tu avais récemment vécu, peut-être qu’il serait intéressant d’en parler avec toi. tes yeux cherchent les yeux de la jeune elfe, et s’y ancrent profondément Et pour ce que j’en vois, il se pourrait qu’on se comprenne plus facilement que je ne le pensais.

Tes épaules roulent vers l’arrière, et ton dos joue pour se débarrasser de ta chemise. Tu défaits les lacets de ta combinaison d’entraînement pour en libérer ton torse, et dévoiler les marques que tu avais obtenu des elfes que tu sais Ciryië avoir elle aussi rencontré. Les marques des Lirfelû. Et une fois de plus, tu en appelles aux flux, tu en appelles à la pulse des essences qui t’entourent, les aurores courent autour de ton sceptre, mais surtout, tes yeux violacés se ferment… pour se rouvrir parcourus de constellations d’étoiles d’Or.

- Toi aussi le Labyrinthe t’as aidé à faire sens des choses on dirait. tu termines de lui dévoiler les tatouages en soulevant un mèche de cheveux, dévoilant ton front Je me trompe ?..

Combinaison & Tatouages:

Cilastiel écoute, attentive aux paroles de Roi. Il s'intéresse à une question qui la taraude depuis quelques jours. Pas de la même manière qu'elle... Mais les sujets sont proches et se rejoignent. Alors ce qu'il lui dit éveille sa curiosité et elle ne montre aucun signe signifiant qu'elle ne veut pas se mêler de cela ou qu'elle se ferme sur ce sujet. Au contraire, elle est toute ouïe et ouverte à la discussion.

-Je me pose beaucoup de questions... Sur la raison d'être de nos deux peuples. Je vois l'intérêt des Noss... pour en être devenue une moi-même apparemment.

C'est Aegden qui l'a définie ainsi et, à dire vrai, il n'a pas tout à fait tort. Elle vit une vie sauvage, au milieu de la faune et de la flore locales. Elle se laisse bercer par la Symphonie au point d'aller partout où elle la mène. Elle se rapproche de la façon de se déplacer d'un animal et préfère la nature sauvage à celle bien ordonnée des cités et des routes. En somme, cela résume assez bien les ornedhels. Mais sa façon de penser est encore différente de la leur.

-Ils voient les citadins comme une aberration, quelque chose que désapprouverait notre Mère. Mais je ne suis pas certaine qu'ils aient raison.

Elle se souvient de la façon dont Serythil a réagi en découvrant cette cité abandonnée. Cependant, associée aux explications d'Aegden sur l'Harmalaica et l'Estel, elle est confuse quant au fait qu'il ait une vision correcte des choses. L'avantage pour Artiön dans la situation présente, c'est que même si elle a résolument changé de camp, Cilastiel conserve l'esprit ouvert. Elle essaie de comprendre par elle-même le monde qui l'entoure alors qu'elle n'a plus aucune base de connaissance, si ce n'est les maigres apprentissages conservés de son enfance et ce que Macabre n'a écouté que d'une oreille distraite.

La petite elfe fronce les sourcils et penche la tête sur le côté en voyant le souverain se dévêtir. La première fois qu'ils se sont rencontrés, il était à moitié nu et il n'était pas tellement plus pudique à Thaar. Aussi n'est-elle pas choquée mais elle n'en demeure pas moins surprise de le voir retirer sa chemise ici et maintenant. Il lui parle alors d'un Labyrinthe et achève de retirer sa chemise. Découvrant ses tatouages, elle reconnaît des dessins déjà observés durant son séjour dans les montagnes et elle écarquille les yeux de stupeur.

-C'est ainsi qu'on l'appelle ?...

Le Labyrinthe... Elle met enfin un nom sur cette caverne étrange dans laquelle elle a dû s'affronter elle-même. Une expérience éprouvante dont elle ne conserve pas forcément un bon souvenir. Se voir se faire poignarder par soi-même et se vider de son sang n'a rien d'agréable... Et elle replonge soudain dans l'ombre de cet endroit qui pourrait presque l'effrayer aujourd'hui alors qu'elle y a pénétré sans peur à l'époque.

-J'ai passé plusieurs jours dans ce clan sans comprendre ce qu'ils attendaient de moi. Quand enfin j'y suis arrivée, c'était par pur hasard. J'étais épuisée et je me suis endormie pendant le rituel pour me réveiller devant cette grotte. Et lorsque j'en suis sortie, j'avais tout retrouvé. Mon Souffle, ma mémoire, mes émotions... Mais j'étais seule, perdue au milieu de nulle part. Et une fois de plus, sans explications. Reparler de tout cela est douloureux et les larmes lui montent aux yeux mais elle a une occasion unique... On lui a clairement fait comprendre qu'elle ne devait pas parler du secret dont elle a bénéficié mais Artiön sait déjà de quoi elle parle. Il peut entendre. Il peut comprendre. Et peut-être répondre. J'ai passé plusieurs ennéades à errer dans Anaëh jusqu'à me retrouver aux portes de la Quatrième Saison et c'est seulement là que je me suis rendue compte que je comprenais de nouveau mes semblables mais j'étais si... perdue. Je n'avais personne pour m'expliquer ce qu'il m'étais arrivé, ou pour me guider. Il m'a fallu des ennéades de plus pour qu'un Noss me permette de comprendre que mon guide, c'était Anaëh. Et des ennéades encore pour parvenir à l'accepter et à me sentir enfin apaisée.

Ce tourment a duré plus d'un mois. Un mois sans apercevoir la moindre lumière. Un mois sans ressentir le moindre bénéfice du traitement qu'elle avait reçu au point même de regretter d'avoir eu cette honneur... Ou cette malédiction de son point de vue de l'époque. Elle en parle avec émotion, une larme perlant sur sa joue et son corps tremblant alors que tout remonte subitement à la surface et qu'elle ne peut pas le contrôler. On lui a rendu son cœur mais elle ne sait pas quoi en faire et les sentiments des elfes sont si forts qu'il n'est pas surprenant qu'un siècle leur soit nécessaire pour les manier avec plus de finesse. Aujourd'hui, elle n'a plus besoin de cette aide qu'elle a tant espéré en sortant du Labyrinthe mais son accompagnement n'a pas été suffisant à ses yeux et elle a plus souffert une fois dehors qu'en sentant la lame de Macabre s'enfoncer dans son ventre.

Pour toi non plus…
Pour toi non plus l’expérience du Labyrinthe n’avait pas été de tout repos. Tu te rappelles encore de l’épuisement qui avait été le tien après en être sorti. Tu te rappelles encore des heures passées à errer à travers la montagne, sans plus savoir qui tu étais, sans plus savoir où tu allais, alors que ton corps et ton Souffle hurlaient à la douleur comme ils ne l’avaient jamais fait. Et en réalité, c’est de cela, plus que de l’épreuve en elle-même que tu te rappelles. Tu fais un pas vers la nouvelle Ornedhelle, et tu l’enlaces. Tu la serres contre toi, offrant à son visage une place sur ton épaule. Tu te fais une épaule sur laquelle pleurer, car il n’en est aucune autre en ces murs – tu en es certain – qui ne puisse la comprendre comme toi tu la comprends à l’instant.

- Je sais ce que c’est, crois-moi. tu la serres un peu plus Je ne saurais même pas te dire combien de temps j’ai passé à errer après m’en être sorti. tu souris tendrement, les yeux fermés Mais j’ai eu de la chance. Mon épouse m’a retrouvé perdu dans les montagnes. Elle s’inquiétait de ne pas me voir rentrer, alors ils ont organisé une battue. Et contre toute attente, c’est Kaëlistravaë qui les aura guidé vers moi. contre toute attente… pour qui ne croyait pas en les volontés de la forêt J’avais besoin d’elle… je pense qu’ I Mîngely l’a reconnu.

Délicatement, tu écartes la jeune elfe de toi. Tu te saisis de ses épaules, comme pour l’aider à garder contenance, et tes yeux viennent chercher ses yeux. Tu lui souris toujours, du même tendre sourire que celui qu’elle n’aura auparavant pas pu voir. Pour vous deux la douleur avait été grande. Pour elle – autrefois plus loin perdue que tu ne l’as jamais été – certainement plus que pour toi. Mais au moins vous deux en étiez ressortis grandis. Changés pour le mieux.

- Mais pour le peu que ça nous a coûté… aujourd’hui seulement, à postériori, tu peux te permettre de l’affirmer je pense… j’espère pouvoir dire qu’on y a tout gagné. Même juste après être sorti… certes, j’avais mal. Mais je ne m’étais jamais senti aussi vivant. Et la sensation ne m’a jamais abandonnée. Maintenant je me sens plus à ma place dans l’Œuvre. J’ai la sensation de mieux la comprendre, de véritablement avoir le pouvoir de la servir au mieux. tu marques une pause, pensif C’est – avec le soutien de ma famille – ce qui me rassure le plus dans mon rôle d’Aran. tu baisses les yeux un instant J’imagine que toi c’est ce qui t’aura poussé vers les Ornedhels.

La manière dont elle avait rapporté la déclaration te poussait à espérer qu’elle ne fasse pas partie de ceux qui ne voient plus la raison d’être des Cités de pierre. Dans le cas échéant, au moins, tu la savais ne pas être de ceux qui les voient comme des aberrations. Seulement tu aurais aimé. Tu aurais aimé qu’elle reconnaisse votre rôle. Comment sans les Citadins après tout, aurait-elle pu retrouver son foyer ? Qui d’autre que ceux accordant sa pleine importance à I Melethron pour prendre le risque de faire les grands voyages au service de l’Œuvre et de ses Fils.

Alors que Macabre se serait enfuie dans les ombres pour aller s'isoler, Cilastiel laisse Artiön l'approcher, la toucher et la prendre dans ses bras. Elle se surprend elle-même à accepter l'étreinte... Peut-être parce que personne n'a osé la toucher jusque là, ou alors de manière très fugace et toujours avec une grande prudence. Mais le géant ne s'encombre pas de tout cela. Il la serre avec délicatesse et, dès ses premiers mots, elle se laisse aller à pleurer à chaudes larmes. Il la comprend. Il sait ce qu'elle a enduré. Sa douleur a elle n'était pas physique mais l'errance qui suit l'épreuve du Labyrinthe est bien plus éprouvante que tout le reste. Car ils ont été seuls... Seuls avec ces images. Seuls avec cette souffrance. Perdus au milieu de nulle part dans rien ni personne pour les guider. Ce traitement est cruel...

Lorsqu'Artiön se détache d'elle et plonge ses yeux dans les siens. Le gros de ses larmes est sorti et ses sanglots s'estompent. Les paroles qu'il lui apporte désormais lui évoquent moins de choses. Elle n'a pas encore atteint le même stade que lui. Elle vient seulement de trouver sa voie, ou plutôt d'accepter l'offre qu'Anaëh lui faisait. Elle n'a pas encore assez de recul pour en arriver aux mêmes conclusions que lui.

-Je l'ai regretté. Finit-elle par lui répondre. Pendant longtemps, j'ai regretté d'être entrée dans le Labyrinthe. Tout me semblait tellement plus simple avant...

Pour Macabre, le monde était peut-être étrange mais il ne l'affectait pas. Ou pas autant. Elle se reconnectait très lentement à ce qui l'entourait. Cela lui aurait certes pris des siècles pour se réadapter socialement mais au moins elle l'aurait fait en douceur... Par étape. Cependant, ils n'en avaient pas eu la patience. Ils voulaient qu'elle puisse avoir l'occasion de profiter de sa vie alors ils avaient cherché une solution. Elle les avait suivi, sans se poser de questions. Mais rien de tout ceci n'était sa décision. Elle n'avait pas conscience de ce qu'elle faisait et n'y était certainement pas préparée.

-Je n'ai pas choisi les ornedhels. Anaëh a été la seule chose que j'ai trouvée en sortant. Pendant plusieurs ennéades, il n'y a eu que nous... J'ai suivi sa Voix en pensant trouver une ville... Alors que pendant tout ce temps, elle m'en gardait éloignée. Et quand enfin j'en ai trouvé une, je m'y suis sentie tellement mal... C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que j'avais changé. Que je n'étais plus moi-même. C'est étrange de se retrouver dans un corps que l'on ne reconnaît pas... Et de savoir que c'est son esprit qui l'habite mais qu'il n'a plus rien à voir avec celui que l'on se connaissait.

Elle est une étrangère pour elle-même. Elle avait tout à réapprendre et, aujourd'hui encore, elle n'est pas certaine de se connaître vraiment. Tout est encore tout neuf. Trop neuf. Elle a fusionné avec la Symphonie et la suit aveuglément mais il lui a fallu du temps pour y parvenir. Elle est incapable de dire ce qu'elle aime ou non, ni de prédire ses réactions face à une situation donnée. Et là où elle était imperturbable, un rien peut la déstabiliser désormais. Ses émotions peuvent l'emporter aussi facilement qu'un ras-de-marée.

-Macabre n'a jamais été mon nom. Et je ne suis plus Ciryië non plus. Déclare-t-elle finalement.

Tes pouces caressent doucement les épaules de la petite elfe. Un peu de réconfort. Si peu face à ce qu’elle avait vécu, si peu face à ce qu’elle vivait encore. Peu restait malgré tout mieux que rien. Parfois il suffisait de peu. De quelques mots. D’un regard. D’un peu d’une confiance silencieuse. Elle saurait trouver sa voie, tu n’en doutes pas une seule seconde. Elle a trop vécu pour se laisser ébranler maintenant. Si l’Anaëh l’avait guidée jusque-là, l’Anaëh la guiderait un peu plus loin, et encore un peu plus loin, jusqu’à ce qu’elle finisse par savoir exactement qui elle est devenue. Savoir exactement…

- À qui ai-je l’honneur alors ?

…Qui elle était. Et peut-être dans son grand périple pourra-t-elle t’aider. Les Cités dans leur entier ne vivent-elles pas un périple bien similaire ? L’Œuvre dans son entier n’est-elle pas confuse de la même manière ? Comme celle qui fut autrefois Macabre, depuis le Voile, l’Anaëh est en pleine transformation, et votre peuple, à cause de sa sensibilité, en est le premier touché. Comprends un Souffle et tu les comprendras tous. Aide un Souffle à échapper à la Tourmente, et tu sauras les en délivrer tous. L’expérience de celle qui est étrangère à elle-même est aussi la vôtre. Peut-être quand l’émotion sera retombée le réalisera-t-elle d’ailleurs. Peut-être en cela trouvera-t-elle encore un peu plus de réconfort. Peut-être saura-t-elle, elle plus que tout autre, entrer en empathie avec les autres Souffles aujourd’hui perdus. Peut-être est-ce ainsi qu’elle trouvera finalement sa place parmi les siens.

Cilastiel ne pleure plus. Alors qu'Artion l'interroge, elle semble subitement reprendre contenance. Son dos se redresse sensiblement et elle relève le menton. C'est une question à laquelle elle sait enfin répondre et cela la gonfle d'orgueil. Elle ne sait peut-être pas exactement ce qu'elle est mais elle sait qui elle est. Cet état d'esprit est totalement à l'opposé de celui de Macabre mais cela lui fait beaucoup de bien.

-Je suis Cilastiel.

Celle qui renaît de ses cendres. Un nom des plus appropriés lorsqu'on connaît son parcours. Car elle revit, clairement. Elle n'était qu'une poupée de cire au visage figé et au cœur vide. Elle est revenue, les traits expressifs et le ventre bourré à craquer d'émotions qu'elle doit apprendre à digérer, se laissant parfois déborder comme elle vient de le faire.

-Un phœnix m'est apparu en rêve, brûlant de mille flammes rouge et or. Il s'est consumé devant moi au point qu'il n'en est plus resté qu'un petit tas de cendres. Puis de ces cendres a jailli un nouveau phœnix, noir d'ombre. Elle marque une courte pause avant de conclure. Je suis ce phœnix.

Elle n'est pas druide, mais elle a un totem. Elle n'est pas druide mais un animal ésotérique est venu mourir devant elle et leurs formes ont fusionné. Il était de flammes. Elle est d'ombre. Il a fait de sa force la sienne. Tout cela n'est peut-être qu'un rêve pour les autres mais elle a senti sa chaleur jusqu'à avoir l'impression qu'il allait la brûler. Tout a été bien réel pour elle. Son Souffle a intégré le message qui lui a été délivré. Ciryië et Macabre se sont consumées dans les flammes et une nouvelle elfe est née cette nuit-là. Depuis, elle se sent plus apaisée et plus vivante que jamais.

Une histoire comme on en entend peu, mais une histoire loin d’être la seule du genre. Tu es heureux pour Cilastiel. Mais ton regard se baisse. Tu fais un pas en arrière, pensif. Elle ne peut t’offrir ce que tu espérais d’elle. Il te faudra trouver… espérer quelqu’un d’autre. La réalité de ta quête ne faisait que devenir plus lourde encore.

- Enchanté Cilastiel tu soupires, le coin gauche de tes lèvres rieur Si jamais tu te rapproches d’Ornedhels, et que tu arrives à obtenir d’eux qu’ils veuillent bien engager la discussion avec nous, pense à moi. ton regard se tourne vers l’Estel Avec un peu de chance, et un peu d’aide de La Mère Peut-être qu’on arrivera enfin à retrouver un semblant de la cohésion des débuts des Temps

Tu joues de ton sceptre entre tes mains, le faisant nonchalamment virevolter de l’une à l’autre, signe que l’heure de l’entraînement arrivait, et que ton corps te le rappellerait sans hésiter. Mais avant de partir, il y a quand même quelques mots, un rien, que tu aimerais partager avec la jeune elfe. Autant une prière qu’un encouragement, et autant un encouragement qu’un avertissement.

- Quand tu ressortiras d’entre les murs, fais attention à toi, d’accord ? tu poses à nouveau une main sur son épaule Ce n’est peut-être pas Thaar, l’Elda, ou même l’Aduram, mais l’Anaëh n’est pas docile. tu penches légèrement la tête sur le côté Et Hirîl Lothrên n’a pas toujours à cœur de nous en protéger.

Tu t’inquiètes peu pour la petite. Elle a plusieurs fois prouvé qu’elle était assez pleine de ressources pour s’en sortir même dans une aussi étrange situation. Mais pour avoir comme elle récemment vécu l’errance et compris tes premières mélodies, tu sais comme les sirènes de la Sylve peuvent être enchanteresses… et traîtresses par la même occasion. Trop vite aura-t-on fait de s’abandonner à elles, se sentant protégé, presque tout puissant. Et trop vite la forêt nous rappellerait que l’on est que bête parmi les bêtes. Après tout, si vous avez érigé des murs, et si les Ornedhels se sont soumis aux murmures de Hwestalindë ce n’est pas sans raison.

Cilastiel fronce légèrement les sourcils. Quelque chose la dérange dans ce qu'Artiön vient de dire mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Est-ce que c'est sa façon de mettre en doute la protection qu'Anaëh lui offre ? Parce qu'elle s'est plongée entièrement dans la Symphonie et elle n'a jamais rencontré aucun danger jusque là. C'est comme si la forêt avait un plan pour elle et la préservait jusqu'à ce qu'elle comprenne de quoi il en retournait. Mais ce n'est pas ce qui la perturbe... Elle ressentait déjà ça avant. C'est plutôt quelque chose qu'il a dit... Juste avant.

Soudain, ses sourcils se froncent un peu plus et elle se redresse.

-Si je m'approche d'Ornedhels ? Répète-t-elle.

Oui, c'est ça... Ce sont ces mots-là qui l'ont contrariée. Il semble l'exclure du peuple des Noss, seulement quelques jours après qu'Aegden l'y ait fait entrer. Le point de vue de son ami lui convient très bien car il a raison : elle vit comme les elfes des bois. Elle n'aime pas le chant des pierres, elle est nomade, elle marche pieds nus, elle arbore une apparence animale... Elle est comme eux.
Cilastiel pivote légèrement la tête sur le côté, regardant le géant en coin comme pour le sonder. Elle n'a pas peut de s'opposer à son avis malgré l'écart d'âge, de taille et de masse.

-Je ne suis manifestement pas une Taledhelle. Si je ne suis pas une Ornedhelle non plus, je suis quoi ?

Sa voix est plus sèche que tout à l'heure et son expression plus dure. Ses mots l'ont blessée, s'attaquant aux peu de choses qu'elle a compris de ce voyage initiative entamé deux mois plus tôt. Elle découvre un sentiment jusqu'alors inconnue, peut-être parce que tout le monde a toujours veillé à la ménager. Elle ne saurait pas mettre des mots sur ce qu'elle ressent mais ce n'est pas pour autant que ses sentiments ne sont pas réels : elle est vexée.

-Tu es venu me voir pour parler d'un rapprochement entre les deux peuples enfants de Kÿria. Pourquoi as-tu changé d'avis pour me reléguer au rang de simple messagère ?

L’attitude de la petite change soudainement. Ses sourcils se froncent, et en retour, les tiens se tordent, le droit imitant les siens, tandis que le gauche semblait chercher à s’éloigner le plus possible de ton œil. Voir celle qui se faisait autrefois appeler Macabre adopter cette attitude – ou n’importe quelle attitude déviant de son anciennement quasi imperturbable froideur – était déjà étrange, mais les raisons qu’elle amenait pour la justifier te paraissaient plus étranges encore. Pour autant tu as choisi de ne pas l’arrêter, de la laisser parler, de lui permettre d’exprimer ce que son ancien état ne l’autorisait pas à pleinement vivre. Quelque part, il devait être particulièrement difficile pour être de faire sens de ses frustrations, d’en comprendre les origines exactes, et de prendre du recul dessus… mais à la fin, tu dois bien avouer que tout cela donnait quelque chose d’assez… attendrissant ?
Tu quittes ta moue perplexe pour en adopter une légèrement amusée, te retenant de complètement succomber au rire. Tu laisses passer quelques instants de flottement, laissant la petite Anedhelle avec ses propres mots avant de lui offrir une réponse.

- «  Je n’ai pas choisi les Ornedhels » tu reprends en imitant – à défaut de sa voix – ses inflexions Ce sont tes propres mots. ton sourcil gauche se soulève à nouveau Tant que tu n’auras pas fait… ou du moins clairement exprimé ton Choix, ce n’est pas à moi de te l’imposer. tu refermes ta combinaison et renfiles ta veste en reprenant Quant à « te reléguer au rang de simple messagère » tu penches légèrement la tête sur le côté tu ne penses pas que c’est déjà une assez grande responsabilité ? Tout ce que je souhaite, c’est que les deux faces de mon peuple arrivent un minimum à s’entendre. Pour ce qu’il s’agit des Taledhels, je suis leur Roi. J’ai – jusqu’à un certain point au moins – leur confiance. Je sais que je peux les atteindre. Avec les Ornedhels par contre, c’est une toute autre affaire. tu hausses les épaules Que tu choisisses ou pas de t’identifier à eux, aujourd’hui tu es probablement plus proche d’eux que moi, mais je sais – du moins je crois penser – que tu ne tiens pas autant les Cités en horreur que certains d’entre eux. tu ris doucement, une moue taquine au visage, espérant que Cilastiel depuis sa renaissance ait déjà été familiarisée avec le sarcasme Excuse-moi d’avoir pensé qu’utiliser cette proximité pour nouer un dialogue qui aille plus loin que juste nous deux serait une bonne idée. ton expression se referme un brin Si tu te sens capable de faire plus, je t’en serai reconnaissant, mais je n'ai jamais « changé d'avis ». Dans un conflit de cet ordre, j’espère que tu te rends compte que personne ne porte de plus grandes responsabilités que les messagers.

Représenter un message, une cause, et le représenter dignement… c’était là une tâche bien plus ardue qu’il n’y paraissait. Et en tant que Seigneur-Protecteur d’Alëandir, et représentant de tout un peuple, tu étais bien placé pour le savoir. Parce qu’il suffit parfois d’un mot, d’une inflexion, d’un simple regard, pour que ce qui aurait dû être un message de paix se transforme en une guerre millénaire, et que ce qui aurait dû emmener la prospérité d’un peuple le précipite vers sa chute. Peut-être Cilastiel s’essaiera-t-elle au jeu. Et peut-être, après avoir subi réussite et échec s’en rendra-t-elle compte.

-Je n'ai pas choisi d'être petite. Pourtant, je le suis et je m'y suis faite.

Elle n'aurait pas dû ne mesurer qu'un mètre soixante. Ses parents étaient grands. Sa propre mère mesure pratiquement deux mètres. Alors non, son apparence n'a rien de naturelle et elle a dû s'habituer à l'idée qu'elle ferait toujours deux têtes de moins que ses semblables. Elle ressent la même chose pour le fait d'être ornedhelle. Ce n'est pas une décision de sa part mais c'est ce qu'elle est et elle ne peut plus revenir en arrière. Qu'il parle de cela en ces termes, l'excluant presque de son nouveau peuple, la blesse autant qu'il le serait si elle lui affirmait qu'il n'est pas daranovan.

-Contrairement à mes frères des bois, mes idées ne sont pas arrêtées et je me pose beaucoup de questions. Un Noss m'a affirmé que les cités ne sont pas naturelles et qu'elles n'ont pas leur place dans la Prime Oeuvre et j'y ai cru en traversant celle-ci. En entendant la cacophonie créée par les pierres. Mais quand je suis arrivée ici... Elle montre la forêt autour d'elle. ... et que je me suis retrouvée au pied de l'Estel, j'ai été prise d'un doute. L'Harmalaica et le palais sont apparus à la même époque d'après Aegden. Si notre Mère n'était pas d'accord avec le mode de vie des citadins, alors pourquoi avoir fait ça ? Et pourquoi vous aurait-on fait cadeau de l'Estel ?!

Ce sont ces questions qui taraudent Cilastiel depuis de nombreuses heures maintenant. Elle ressasse ses pensées pour elle-même et aurait été frustrée de ne pas pouvoir le faire alors qu'Artiön était venu pour lui parler de ce sujet... Et qu'il s'apprêtait à la priver de cette discussion qui lui aurait apporté plus d'une réponse.

-Je crois que les convictions de nos deux peuples sont justes et fausses à la fois. Je crois que nous avons tous de bonnes raisons d'exister. Les Ornedhels veillent sur la nature sauvage, l'équilibre et les secrets d'Anaëh. C'est une vie que je comprends et à laquelle j'adhère. Mais je dois reconnaître que les Taledhels sont les mieux placés pour la protéger des menaces extérieures. Aussi redoutables que soient les Noss sur leurs propres terrains, je doute qu'ils parviendraient à vaincre seuls une armée organisée qui se présenterait à nos frontières. D'ailleurs ce ne sont pas eux qui participent le plus à l'effort de guerre, je me trompe ?

Elle marque une pause après avoir déballé ce qu'elle avait à dire à un rythme assez soutenu et avec toute l'emphase que lui confèrent les sentiments d'irritation qu'elle ressent.

-Et toi, que crois-tu ?

S'il veut unir leurs peuples, il doit bien avoir un avis sur le sujet. Des idées qui alimenteraient son propre esprit toujours en quête de réponse. Car ce qu'elle pense ne sont que des hypothèses pour le moment. Des hypothèses encore jeunes et immatures qu'elle aimerait voir s'étoffer et se stabiliser. Et le point de vue d'un Taledhel -qui plus est de leur Roi- l'aiderait grandement.

La première réplique de Cilastiel t’arrache un soupir. Les choses n’étaient pas si simples. Ce qui faisait l’identité d’un elfe n’était pas si simple. Et c’était d’ailleurs cette tendance à la simplification qui engendrait nombre de conflits que ce soit entre les Taledhels issus de différentes Cités, entre Ornedhels issus de différents clans, ou entre Taledhels et Ornedhels. La Mère a voulu que vous ayez Le Souffle. Et ainsi, elle vous a donné le plus grand des pouvoirs en Le Choix. Non, vous ne choisissiez pas peut-être ce à quoi vous ressembliez, mais au moins aviez-vous le choix de qui vous étiez, de qui vous suiviez et de qui vous considéreriez votre famille et vos modèles. Et vous, Taledhels, aviez poussé ce choix jusqu’à donner la possibilité à chaque elfe de choisir son nom, et ainsi, son lignage.
Alors non, tu ne le montrerais pas, car tu sais qu’il n’y a dans ses mots que candeur. Tu garderais ton sourire et ton calme, car tu sais qu’elle n’y entend aucun mal. Mais ces premiers mots t’agacent profondément, car la liberté du Choix est l’un des piliers de votre monde, et tu n’aimes pas voir un elfe lui donner aussi peu de valeur.

Tu continues d’écouter malgré tout, te rendant maintenant compte que la petite elfe avait plus besoin de parler que tu n’avais su le voir. Elle se pose – naturellement – des questions, là où tu pensais qu’elle avait déjà ses réponses. Et quelque part, tu comprends mieux à la fois sa candeur et sa fragilité. Son choix, elle l’a fait. Mais son choix semble plus fragile qu’elle ne saurait se l’avouer. Elle se veut comme les Ornedhels, mais elle n’est pas comme ceux qu’elle a rencontré jusqu’ici. Et si elle n’est pas comme eux, puisqu’elle n’est plus comme les Citadins, alors qui pourrait-elle bien être ? Son choix, elle l’a fait, mais elle n’en est pas encore assez assurée, elle n’y est pas encore assez ancrée, alors elle cherche à ce que les autres l’y rassurent là où ses propres mots et pensées ne le font pas.

- Les Ornedhels ne sont pas un monolithe. tu entames, t’asseyant en tailleur au sol Les Taledhels non plus d’ailleurs. Si ça peut te rassurer, ils sont nombreux à se poser exactement les mêmes questions que toi. ton sceptre entre les doigts, tu joues à le faire tourner sur lui-même Mais sinon, dans les grandes lignes, je pense que toi et moi sommes plutôt d’accord. tu relèves les yeux en sa direction Les Clans sont notre ancrage à notre nature sauvage. Ils veillent sur les secrets d’Anaëh et s’assurent que nos pratiques ancestrales ne disparaissent pas… et avec elles notre lien à la Sylve. Les Cités, elles… tu parcours l’Harmalaica du regard elles sont l’expression de notre liberté. Les Cités et ce qu’elles renferment sont le plus grand témoignage de ce qui nous sépare du reste de la Création de Kÿria… et nous rend par la même occasion responsables de l’Œuvre.

Tu fronces les sourcils, pensifs, et ton focaliseur s’immobilise entre tes mains. La protection de l’Anaëh. La guerre. L’effort de guerre. C’était souvent votre premier argument face aux Ornedhels pour défendre l’existence des Cités, mais la réalité des choses allait tellement plus loin.

- Oui, les armées des Cités sont plus puissantes que les clans, et ce sont du coup elles qui ont été le premier rempart de la forêt. Mais en réalité, ce n’est qu’un symptôme de quelque chose de plus grand que ça. Pas un but en soi. tu fermes les yeux La différence fondamentale entre Taledhels et Ornedhels est – je pense – dans la valeur que nous accordons à notre Souffle.
Les Ornedhels voient de la valeur dans le pouvoir d’y renoncer pour se rapprocher du reste de l’Œuvre.
Nous, au contraire, considérons qu’il faut le chérir, et y faire honneur comme le plus grand cadeau qui nous a été fait.
La Ornedhels recherchent une forme « d’authenticité ». Ils vivent leur attachement à La Mère par « l’acceptation » de ce qui est pour ce qu’il est. C’est à la fois ce qui leur conserve leur sensibilité et leur proximité au langage primal de la forêt… mais les rend fragiles et volatiles en tant que peuple.
Nous Taledhels recherchons la « transformation ». Plus qu’enfants de La Mère, nous sommes enfants du Prime Désir. À nos yeux, comprendre, transformer, créer, c’est faire honneur à la curiosité et à l’imagination que les Dieux ont fait part intégrante de notre Être. Et comprendre, créer, construire nous rend puissants, assez puissants pour protéger l’Œuvre… mais au même moment nous éloigne de son essence primordiale.

Tu soupires, un sourire triste au visage, te rendant une fois de plus compte après tout cela d’à quel point les choses étaient complexes. D’à quel point trouver un juste milieu pouvait être difficile. Et pourtant, l’Anaëh était là, à péniblement essayer de vous y aider.

- Il est là, je pense, le rôle des Jardins Sacrés et de l’Estel. ton regard se lève en direction de l’immense Saule Pleureur Et je pense que c’est ce qu’à voulu nous rappeler La Très-Sage pendant le Voile. Nous sommes le fruit du Prime Désir. Nos créations sont belles à Ses yeux, et nos découvertes font honneur à la richesse de Son Œuvre. Mais nous sommes aussi et surtout ses Enfants. Nous partageons un lien indéfectible et précieux avec Elle. Et il nous faut rester assez humbles pour ne pas oublier que nous en avons besoin.

Tandis qu'Artiön parle et explique, les traits de Cilastiel se détendent. Cette fois, il a entendu son avis et il accepte de lui parler, de partager son point de vue. Le fait qu'il lui accorde un peu de considération était tout ce qu'elle attendait de lui. Finalement, elle l'imite et s'assoit sur la branche où elle se trouve, restant ainsi à bonne hauteur face à son gigantesque interlocuteur. Elle l'écoute et cherche à intégrer ce qu'il lui dit, se demandant si elle est d'accord ou non. A première vue, ils sont du même avis mais elle doit reconnaître que ses réflexions sont moins poussées que les siennes. Elle n'a fait qu'effleurer les deux mondes dont ils parlent et, surtout, elle n'a commencé à réfléchir à tout cela que depuis quelques heures.
Lorsque le souverain a fini de s'exprimer, la petite elfe garde le silence un petit moment. La résignation d'un côté, l'évolution de l'autre. Certains veulent rester tels que la Mère les ont créés et les autres veulent aller au-delà. Cela lui parle... Elle se remémore les clans par lesquels elle est passé et elle observe leur mode de vie dans sa mémoire. Ils subissent leur environnement, s'y plient, s'y adaptent et ne cherchent pas à le changer pour améliorer leur confort car ce serait l'altérer à leurs yeux. Elle le comprend, d'une certaine manière. Elle repense aussi à sa vie parmi les Taledhels. Une vie très différentes, beaucoup plus complexe, faite d'un certain nombre de codes et où les voies à emprunter sont tellement plus nombreuses... Mais cette diversité fait leur force. Elle qui connaît le monde à l'extérieur d'Anaëh, elle sait qu'ils sont proches du reste de Miradelphia mais en même temps très loin. Et si les anedhels ne s'intéressent pas à ce qu'il se passe en dehors de leurs frontières, l'inverse n'est pas vrai. Ils ont besoin du peuple des Cités pour les préserver...

-Vous devez rester liés à la forêt... Dit-elle avec gravité. La possibilité qu'ils s'en retrouvent émotionnellement détachés lui faisait peur, là où, quelques mois plus tôt, cela l'aurait laissé totalement indifférente alors qu'elle ne comprenait pas l'attachement des elfes pour Anaëh.

-Est-ce qu'un juste milieu peut être trouvé ? Ou un échange de bons procédés autre que matériel ? A quoi as-tu pensé ? Ses sourcils sont froncés mais c'est à cause de son état de réflexion avancé. Les Ornedhels ne vous aiment pas beaucoup car ils pensent que vous dénaturez la Prime Oeuvre. J'entends ce point de vue. Mais je ne comprends pas pourquoi certains Taledhels n'apprécient pas les Noss... J'ai manqué me faire agresser par un Taledhel une fois... Juste pour être entrée -sans le vouloir- dans une cité.

Son discours est un peu décousu mais elle fait sortir ses pensées de son esprit à mesure qu'elles lui viennent. Si elle est rassurée de voir qu'elle n'a peut-être pas fait fausse route, elle se pose de plus en plus de questions sur comment résoudre cette situation complexe. Ce problème lui tient visiblement à cœur, comme si deux part d'elle-même luttaient l'une contre l'autre. Elle est née et a été sauvée par les Taledhels, elle ne peut pas leur tourner le dos. Mais son lien nouveau avec la Symphonie l'attire vers l'Anaëh sauvage. Elle ne peut nier ni l'un, ni l'autre...

Tu observes la petite elfe avec le même intérêt que celui dont elle a fait preuve en t’écoutant. À ton tour, tu tends l’oreille vers elle. À son tour, elle se plonge dans des réflexions à travers lesquelles nombre d’elfes avant elle se sont plongés, et dans lesquelles nombre d’elfes après elle se plongeront certainement. Alëandir ne s’est pas bâtie en un jour. Mais force de se poser les mêmes questions, les Anedhels finiraient peut-être éventuellement par s’accorder sur une réponse.

- Nous éloigner d’Anaëh n’a jamais été et ne sera jamais notre but. Et c’est là que le bât blesse. tu baisses les yeux un instant La distance se creuse d’elle-même, lors que nous n’y faisons pas assez attention. tu penches légèrement la tête C’est pour ça que malgré tous les heurts qui les accompagnent, je continue de penser les rappels à l’ordre des Ornedhels importants. tu soupires J’aurais simplement préféré qu’ils ne se fassent pas dans la violence.

Il était là le nœud du problème. Fut un temps où vous aviez tous été Ornedhels, sans plus de raisons de vous disputer que celles régissant l’ordre naturel. Fut un temps où vous aviez tous étés Taledhels, trop occupés à ériger des murs pour vous protéger de la menace de Nimrak. Puis ensuite vint la fin de la guerre, et les premières dissensions. Mais à l’origine comme aujourd’hui, c’étaient les traditionnalistes qui avaient frappé le premier coup.

- Je pense oui, qu’un juste milieu pourrait être trouvé. la tristesse se glisse sur ton visage Mais pour ça, il faudrait déjà que les deux partis soient prêts à s’écouter l’un - l’autre, et qu’il y ait reconnaissance des deux côtés de l’importance de ce que chacun représente. tu te forces légèrement à sourire Pour peu que l’on reconnaisse l’importance de ce qu’apporte l’autre, accepter que l’on puisse en bénéficier devient plus facile. Et à ce moment, les clans pourraient devenir notre ancrage dans la tradition, et nous leur fenêtre vers l’évolution. tu fronces les sourcils Le problème actuellement, c’est que les Ornedhels ont – sans mauvais jeu de mot – jeté la première pierre, et plus contribué à l’aliénation spirituelle des Citadins qu’ils ne les ont rapproché de l’Œuvre.

Tu pestes intérieurement face à ton impuissance dans cette situation. Tu sais, en tant que Seigneur-Protecteur d’Alëandir, pouvoir éventuellement obtenir des Citadins qu’ils fassent un effort. Mais pour ce qu’il s’agissait des Noss… tu as obtenu le respect des Lirfelû mais devant combien d’autre clan cela aura-t-il la moindre valeur ?
Les traditionnalistes ont commis le premier fratricide. De la même manière, les Ornedhels aujourd’hui ont la lame beaucoup plus facile que vous. Ce sont les Ornedhels, dans leur refus d’accepter le moindre changement, qui vous ont pris en horreur. Ce sont les Ornedhels, dans leur refus d’accepter le moindre changement, qui ont lancé la spirale de la violence. Et vous vous êtes trouvés forcés d’y répondre. Vous vous êtes murés dans l’amertume. Vous vous êtes pour beaucoup éloignés de l’Œuvre par peur de ressembler aux fratricides qui s’en disaient proches. Par preuve de ressembler aux sauvages. Vous avez été blessés par le médecin, et vous avez laissé s’infester la plaie de peur qu’il ne vous tue plutôt que de vous aider à la soigner.
Elle est là la vérité. Aucun Taledhel ne cherche à s’éloigner de La Mère, mais le ressentiment vous y a poussé. Et parce que vous êtes fiers, trop fiers pour admettre être tels des plantes déracinées, et trop effarouchés pour vous rendre vulnérable face à l’agresseur d’un jour, vous avez bâti des murs spirituels plus épais encore que ceux de vos forteresses physiques. Vous vous êtes construit une histoire selon laquelle vous n’aviez pas besoin des Noss. Parce que vous refusez de leur reconnaître l’emprise qu’ils ont sur vous. Vous refusez de reconnaître la colère silencieuse qui est la vôtre. Parce que vous avez abandonné l’espoir de voir un jour l’offenseur vous demander pardon.

- Pour la majeure partie des Citadins, ce n’est pas qu’ils « n’apprécient pas » les Noss. C’est qu’ils en ont profondément peur. tu baisses les yeux, affligé d’avoir à faire ce constat Et pas seulement à cause des meurtres autour des mines et des carrières. Non. tu déglutis, et ajoute sombrement C’est le mauvais présage qu’ils représentent aux yeux de beaucoup. tu prends une lourde inspiration, plus secoué par tes émotions que tu ne l’aurais voulu Si les Citadins mentionnent si peu souvent les Chants, c’est parce que la perte de l’Ouïe nous terrifie. L’idée qu’on puisse être dans l’erreur et s’éloigner de l’Œuvre nous terrifie. Mais jusque-là, à ça, les seules alternatives que les Ornedhels ont jamais offert, c’est l’abandon de nos valeurs, de nos personnes, et la destruction complète de notre univers et de tout ce qu’il représente. tu serres un poing Les Ornedhels ont été les premiers à appeler les Cités et ceux qui y vivent des abominations, et ça, c’est une rancœur avec laquelle vivent tous les Taledhels. Une rancœur d’autant plus grande qu’entre l’Harmalaica, les différents Sanctuaires et l’issue des guerres livrées en Anaëh, l’Œuvre elle-même semble nous dire que tout ça tu désignes les pierres vous entourant de la paume de tes mains a bel et bien une raison d’être.

Tu t’immobilises, tes sourcils se soulèvent, et tu te rends compte à quel point au fur et à mesure de tes radotages ton ton est monté. Alors tu fermes les yeux, tu soupires, tu laisses retomber la pression, et tu souris à nouveau. Un sourire triste, désabusé, mais un sourire tout de même.

- Enfin… tout ça pour dire que les Taledhels ne détestent pas les Noss. Au contraire, on sait intimement avoir besoin d’eux. Et par plusieurs fois on leur a tendu la main. Sauf qu’à l’heure d’aujourd’hui, ils sont trop nombreux à nous avoir accueilli lame dehors, et trop peu à nous avoir rendu la pareille. tu croises les bras J’essaie tant bien que mal d’empêcher les Citadins de totalement se refermer, mais là, la balle est dans le camp des Ornedhels.

Cilastiel écoute le Souverain lui expliquer l'origine du conflit entre Noss et citadins. Elle l'associe avec d'autres choses qu'elle a déjà entendu et elle fait des liens. Elle comprend que ce problème date d'il y a bien longtemps. De l'origine même des deux factions elfes. Mais alors qu'il lui raconte tout cela, le géant s'emporte et donne de la voix. La petite mage fronce légèrement les sourcils devant sa réaction mais ne bouge pas. Elle ne se sent pas menacée par son attitude, elle sait au fond d'elle qu'il ne lui fera pas de mal. En revanche, elle ne comprend pas ce qu'il lui prend. A part qu'il est émotionnellement impliqué dans tout ceci... Alors, quand il s'apaise et conclue ses propos, elle garde le silence quelques instants avant de reprendre d'une voix posée.

-Tu es d'accord pour dire que nous avons tous besoin les uns des autres. Mais si on vient à parler des dissensions entre nous peuples, tu hausses le ton et tu pointes les Ornedhels du doigt. Et je suis certaine que les Ornedhels sont d'avis que c'est la faute des Taledhels. Que ce sont eux qui ce sont détournés de l'Oeuvre les premiers. Ou quelque chose comme ça.

Elle étire un sourire amical en coin. Elle ne lui en fait pas le reproche, elle ne fait que constater les faits. Elle lui a posé une simple question et il a fini par s'emporter alors que personne ne portait la moindre accusation. La petite elfe sans Souffle qu'elle était se serait enfuie devant une telle réaction. La nouvelle jeune femme qu'elle est à présent a su voir au-delà de son attitude et a compris que sa colère n'avait rien à voir avec elle. Mais son ressentiment pourrait être un problème dans la gestion de cette situation... Si on en venait à parler du "à qui la faute ?", il pourrait peut-être se maîtriser. Ou peut-être pas. Dans tous les cas, le fait qu'il ait un avis tranché rendrait les choses un peu plus compliquées, surtout pour discuter avec un peuple comme les Noss.
Cilastiel se lève, comme si elle s'apprêtait à faire une annonce. Elle continue, toujours avec la même douceur dans la voix, le regard et l'attitude.

-Tu es la bonne personne pour guider les Taledhels vers ce nouveau changement qui leur permettrait de rester eux-mêmes tout en renforçant leur lien avec Anaëh. Mais je crois que tu n'es pas la bonne personne pour parler aux Ornedhels.

Cilastiel a plusieurs avantages. N'ayant pas été élevée par les elfes pendant son enfance, elle ne s'est imprégnée d'aucune culture. Elle n'adhère à aucun point de vue : ni celui des Noss, ni celui des citadins. Elle reconnaît leurs avis à chacun mais ne prend pas partie. Elle est curieuse et ouverte à la discussion. Le fait d'être la fille d'une famille respectée et l'ancienne protégée de plusieurs Seigneurs Protecteurs la rend crédible aux yeux des Taledhels dont beaucoup ont été ému par la tragique histoire. Et en même temps, les récents changements qu'elle a opéré avec l'aide des Lirefëlu l'on rendue semblable aux Ornedhels qui la respectent et voient en elle au mieux une des leurs, au pire quelqu'un qui se cherche. En résumé : elle est neutre et tout le monde peut lui prêter une oreille attentive.

-Je m'en chargerai.

A-t-elle véritablement compris ce que tu lui disais. Tu ne sais pas. Tu ne penses pas. Mais qu’importe. Au moins elle a écouté. Rendra-t-elle justice aux sentiments qui vous animent, vous Taledhels ? Tu ne sais pas. Tu ne penses pas. Mais qu’importe. Au moins saura-t-elle attirer l’attention vers leur existence. Et peut-être qu’un jour y en aura-t-il un, ne serait-ce qu’un parmi les elfes des bois pour vous offrir un peu d’empathie. Peut-être y en aura-t-il un pour se rendre de ce que c’est que de vivre rendu coupable de ce que l’on est. Peut-être, qui sait, sa candeur sera-t-elle suffisante à gagner votre absolution.

À sa réponse, tes mâchoires se serrent, mais trop peu pour que la tension qui les tient ne soit perceptible. Elle ne veut pas mal, elle ne comprend simplement pas. Trop jeune dans son existence dans l’Œuvre pour toucher les implications derrière tes dires, et le poids derrière tes paroles. Trop jeune dans son expérience de l’autre pour comprendre le poids derrière ce qui était de véritables aveux. De douloureux aveux. Tu ne peux que sourire et espérer, car rien ne sert de se battre avec la candeur. Tu ne peux qu’espérer qu’à défaut de le comprendre, elle ait assez bien entendu ton message pour en transmettre ne serait-ce qu’une fraction.

- Merci.

Tu lui offres un hochement de tête entendu, et tu te relèves. Tu saisis ton focaliseur, et moyennant une petite fioriture, en pose le pied au sol pour t’appuyer dessus. Tu souffles une dernière fois, laissant de côté toutes les tensions accumulées au cours de la discussion pour demander, d’une voix plus enjouée cette fois.

- Quelque chose d’autre dont tu aurais voulu parler avant que je ne doivent m’en aller ?

Cilastiel est satisfaite. Elle repartira d'ici avec les réponses à bon nombre de ses questions. Des questions qu'elle ne se posait même pas en arrivant. Est-ce que c'était cela qu'Anaëh voulait qu'elle découvre en venant ici ? Au-delà de l'existence de l'Harmalaïca et de l'Estel, voulait-elle qu'elle mène cette réflexion sur la raison d'être des deux peuples qui l'habitaient ? Voulait-elle qu'elle rencontre Artiön ? Voulait-elle qu'elle se fasse le médiateur entre leurs cultures ?
En tout cas, c'est ce qu'il vient de se passer.

Elle regarde le Souverain se mettre debout à son tour et s'élever au-dessus d'elle. Elle l'observe alors qu'il lui demande si elle a autre chose à partager. Elle le détaille et un brin d'espièglerie se dessine sur son visage.

-Aurais-tu encore grandis ?

Cet homme est immense et il lui semble bien qu'entre leur première rencontre et Thaar, sa taille a augmentée. Et, par conséquence, sa masse aussi. Il était très imposant à ses yeux et s'il ne l'avait pas ramenée d'Ithri'Vaan en faisant preuve de toute la bienveillance du monde, elle serait probablement intimidée aujourd'hui. Mais elle n'a pas peur de lui, en aucune façon. Elle a intégré le fait que ses frères et sœurs ne lui veulent pas de mal, à quelques exceptions près parmi les Taledhels et c'est pourquoi elle reste sur ses gardes en ville. Elle ne compte pas demeurer ici beaucoup plus longtemps de toute façon. Elle attend simplement de savoir quelle route elle doit emprunter pour repartir.

-Mes amitiés à Kaelistravae. Conclut-elle avant de s'éloigner.

Elle était incapable de prononcer ce nom avant aujourd'hui. Et c'est de revoir Artiön qui le lui a rappelé. Elle sait que c'est son épouse et elle sait qu'elle l'a déjà rencontrée. La Dame a fait preuve de bienveillance envers elle, grondant un garde qui avait voulu l'empêcher de la voir, lui donnant le droit d'accéder à un registre bien gardé et en veillant à ce qu'elle obtienne les réponses dont elle avait besoin. Elle lui devait d'avoir retrouvé son identité et sa mère. Elle ne pouvait donc pas partir sans que quelqu'un la salue pour elle. Même si l'Aran ignore peut-être qu'elles se connaissent et même si Kaelistravae l'a peut-être oubliée.