L'escale Alonnaise [Lysandre]

Calimehtarus , Deuxième ennéade de Bàrkios, An XVIII, Cycle XI
Lodiaker, Baronnie d'Alonna

« Et pourquoi doit-on l’inviter? »


Charles resta silencieux un moment alors qu’il regardait sa nièce à l’autre bout de la pièce. Ceux qui ne la connaissaient pas n’auraient jamais réellement compris le sens de sa question. Elle n’était pas dupe, Adélina savait parfaitement pourquoi il fallait inviter les gens de la noblesse – la question était qu’est-ce qu’une bonne relation avec ces derniers, outre leur éventuel support, pourrait leur amener; « C’est le gouverneur royal d’Olysséa, ils ont des forges, comme nous, mais d’acier. » Il n’eut pas besoin d’en dire plus, la damoiselle de Lodiaker hocha la tête avant de poser la question; « Avons-nous eu quelconques démêlés avec ce dernier? » Question légitime en effet, si ce dernier avait participé à une des innombrables guerres qui avaient déchiré la péninsule, forcément qu’il était tombé sur un des cousins de Lourbier. Charles ne tarda pas à répondre; « Pas à ma connaissance. Peut-être connaissait-il votre père. Mais si c’est le cas, il ne m’en a jamais parlé. » Adélina hocha la tête avant de poser sa dernière question; « Et quand sera-t-il dans le Lodiaker? »


« Dans deux jours. »


Silencieuse, la damoiselle hocha la tête l’air pensive. Semblant penser à un quelconque plan d’attaque pour cette rencontre. Au bout de quelques longues secondes, sa voix cristalline brisa finalement le silence. « Très bien, nous le recevrons comme il se doit. Qui plus est mon oncle, j’aimerais que vous alliez à sa rencontre. Pas que je crains quelconque bandit, mais montrons-lui l’hospitalité Alonnaise comme il se doit. » Charles s’inclina devant sa nièce avant de sortir de la pièce. Et les deux jours passèrent rapidement. Les préparatifs pour recevoir le gouverneur royal avancèrent rapidement sous la supervision de la damoiselle de Lodiaker. Elle avait beau être jeune, cette dernière savait définitivement comment recevoir ses invités. Le matin même de l’arrivée de ce dernier, l’air était envahi par l’arôme des petits plats frais que les cuisines s’acharnaient à perfectionner, tandis que les serviteurs s’assuraient que le château soit en parfait état. Des appartements confortables avaient été préparé pour le gouverneur ainsi que sa suite, bref, tout avait été pensé par Adélina pour rendre le séjour de son invité hors du commun.


Ce fut dans l’après-midi que Charles de Lourbier monta finalement sur son destrier avec quelques hommes pour aller à la rencontre du gouverneur. Cela ne prit qu’une petite demie-heure avant que le groupe d’Allonnais rencontre leurs invités. Charles tira rapidement sur les rennes de sa monture, faisant arrêter la course de sa monture. Alors que l’énorme étalon noir hénissa bruyamment alors que la main droite de l’homme se lève d’un mouvement sec, ordonnant silencieusement les soldats qui l’accompagnaient.  Les soldats qui l’accompagnaient firent de même laissant s’échapper un bourdonnement de la part des innombrables montures. Le quadragénaire replaça furtivement une mèche de ces cheveux à peine grisonnant avant d’incliner légèrement la tête en direction de l’homme qui lui faisait face.


« Bienvenue messire Caervollen, mon nom est Charles de Lourbier, Seigneur de Mesnu et conseiller de la damoiselle de Lodiaker. Ma nièce, Adélina de Lourbier m’a demandé de vous accueillir comme il se doit et de vous escorter jusqu’à Lodiaker-la ville. Si vous le permettez. »


Le soleil venait éclairer doucement l’armure finement décorée du Seigneur de Mesnu, alors que ce dernier manœuvrait son destrier pour laisser de la place à leur invité d’honneur. Ce fut qu’une fois que ce dernier ne le rejoigne qui remit sa monture au trot, au même rythme que celui de Lysandre avant de reprendre la parole; « J’ose espère que votre voyage s’est passé sans anicroche. Ne vous en faites pas nous somme très près de la ville. »

À Alonna, Lysandre connut la première escale de son long périple. Voyage durant lequel il s'était entouré d'une escorte de cinq hommes à cheval, dont un informateur, celui qu'il avait engagé pour mieux lui décrire le Nord, ses maisonnées, son climat, ses us. Il était plus aisé de rencontrer les homologues nordiens lorsque l'on en savait un peu plus sur eux que leur nom et leur titre. Le nouveau gouverneur olysséen avait décidé de commencer son périple par l'Est, notamment jusqu'à Oësgard pour rencontrer le Baron Geoffroy. Au départ, il n'avait point prévu de rester à Alonna bien longtemps, faute d'être parvenu à s'accorder avec ses dirigeants pour une rencontre. Mais, lui qui détestait les voyages, cela lui donnait également l'opportunité d'en savoir plus sur Alonna.

Pourtant, Lysandre n'était pas au bout de ses surprises. Ici-même, à la capitale de la Baronnie, une escorte vint jusqu'à le trouver… une escorte qui, elle, n'était pas de la ville, mais d'une autre, un peu plus loin. Au départ, le diantrais se demandait comment Lodiaker avait bien pu être au jus de son voyage. Il n'avait prévu de rencontrer personne avant Geoffroy d'Oësgard, et il ne se pavanait pas comme un paon, ici comme ailleurs. De plus, sa nomination à Olysséa était trop récente pour que quelqu'un commence d'ores et déjà à conspirer contre lui. Pour autant, ce qui le dérangeait le plus était de ne rien savoir du tout sur celle qui l'invitait. Curieuse ironie que de craindre l'inconnu alors qu'il avait entamé ce périple dans le seul but de connaître tout ce beau monde qui l'entourait.

« C'est une proposition à laquelle je ne m'attendais pas, mais j'accepte de vous suivre et de rencontrer Mademoiselle Adélina, Seigneur Charles. » Pendant que ce dernier prit les devants, Lysandre se rapprocha de son informateur, Adriaen de son prénom. « Que peux-tu me dire sur Lodiaker ? » chuchota-t-il alors.
« Pas grand chose. La ville est proche de la frontière Oësgardienne, et c'est un vassal assez important d'Alonna. »
« Et sur elle ? »

Adriaen haussa les épaules et les sourcils, la tête légèrement en biais. Le brave gaillard n'en savait rien. Il ne pouvait pas tout savoir. Tout ce que pouvait déduire Lysandre, c'est qu'Adélina était plutôt jeune, puisque Charles l'avait nommée par le prédicat de damoiselle. C'était une information comme une autre, après tout. L'escorte olysséenne suivit de près celle de Lodiaker jusqu'à leur ville, où l'attendrait donc la fameuse Adélina, et ceux qu'elle choisirait éventuellement pour l'assister dans cette entrevue avec le visiteur tout droit venu d'Olysséa.

« Oh… vous savez, ce n'est que le début. Je pourrai dresser le bilan d'un tel voyage une fois rentré à Olysséa. » répondit Lysandre, une fois à côté de Charles pour avancer à la même cadence. « Il me tarde de rencontrer Damoiselle Adélina… même si je n'avais rien prévu de la sorte. »

Charles ne put s’empêcher de sourire à la remarque de Lysandre. Qui aurait pu le blâmer? Après tout, Adélina était un renouveau pour les Lourbier. Totalement étrangère aux guerres que sa famille avait combattues, totalement tenu à l’écart des innombrables complots et élevée comme une Baronne. Un titre qui, selon sa famille, lui revenait après tout. Elle était resté cachée pendant un long moment, assurant sa survie jusqu’à ce qu’elle soit prête, et c’était maintenant le moment de sortir du noir et de laisser son étoile brillée. « Au nom de la damoiselle de Lodiaker, je vous remercie chaleureusement d’avoir accepté son invitation. Mais si cela ne suffit à vous rassurer, je peux vous garantir que vous ne regretterez pas cette rencontre. Ma nièce est définitivement une jeune femme à part. » Il retourna son regard vers ce dernier, l’air amusé; « Une connaissance de plus, et l’hospitalité de la rose de Lodiaker vaut définitivement son pesant d’or. » Ce n’était pas un mensonge en soi, si le gouverneur et la damoiselle ne s’entendaient pas, au moins, il aurait eu une nuit de sommeil confortable et de quoi se remplir le ventre pour son long voyage. D’une façon ou d’une autre, Lysandre n’était pas perdant dans cette histoire. « Avez-vous d’autres destinations qui vous attende Messire? Je dois supposer que cela n’est que le début de votre tour. » Le Seigneur de Mesnu continua à agrémenter la conversation pendant le trajet, tentant tant bien que mal de tenir la conversation la plus bénigne possible alors qu’il conduisait le gouverneur aux portes de Lodiaker-la-ville.  


Le groupe traversa rapidement les solides mûrs de la ville pour entrer dans l’enceinte du château. Là, où, la damoiselle des lieux attendait d’un pied faible ses invités. Elle replaça discrètement la cape qui couvrait ses épaules du vent frais du printemps, mettant sans le vouloir les fines broderies qui ornait la pièce de tissus noire, alors que ses longues brunes virevoltaient lâchement dans son dos. Droite, fière, les mains croisées sur son bas-ventre, le regard azure de la jeune femme fixait le gouverneur qui descendait de sa monture. Un léger sourire ornait son visage alors que Charles rejoignit sa nièce. « Ma dame, permettez-moi de vous présenter, Lysandre Caervollen, gouverneur royal d’Olysséa. » Adélina s’approcha d’un pas du chevalier avant de tendre légèrement sa main vers le chevalier, lui laissant l’opportunité de faire un baisemain si l’envie lui prenait. « Bienvenue à Lodiaker Messire. Je suis la damoiselle des lieux, Adélina de Lourbier. C’est un honneur de vous recevoir sur nos terres. » La jeune femme se voulait chaleureuse, invitante, après tout le but était d’avoir une possible alliance entre les deux êtres, et pour cela il fallait qu’elle se montre digne d’une partenaire potentielle. « Mais pardonnez mon engouement, peut-être souhaiteriez-vous vous reposer vous et vos hommes? J’imagine que les innombrables jours de voyages méritent un repos bien mérité. » Elle glissa son regard sur le côté, faisant un sourire aux hommes qui accompagnait le gouverneur. « Si vous voulez bien me suivre. » Adélina fit un pas de côté, invitant Lysandre à entrer dans le château à ses côtés alors que les palefreniers s’avançaient pour prendre soin des montures de leurs visiteurs.

« Vous mettez l'eau à la bouche, Seigneur Charles ! » s'exclama Lysandre dans un sourire. Il ne tarissait pas d'éloges envers sa nièce, et si cela pouvait paraître naturel, il valait mieux ne pas trop faire saliver un invité. Le rendu pourrait alors le décevoir. Mais cela, il ne le saurait qu'une fois arrivé à destination. Ce n'est pas son récit, ni celui d'un autre qui l'influencera. « Effectivement. Avant votre invitation, j'avais l'intention de rallier Oësgard pour rencontrer le Baron Geoffroy. Dans cette veine, il était prévue que je voyage à travers Serramire, Sainte-Berthilde et même Arétria avant de revenir à Olysséa. »

De longs périples, le gouverneur en avait bien connu. Serpenter le Royaume deviendrait, peu à peu, une cruelle habitude. Et dire que certains parcouraient de telles distances flanqués dans un carosse… Lysandre ne pouvait comprendre comment ils y parvenaient. On y perdait un temps fou sans pour autant y gagner en confort. Sur son cheval, il pouvait rallier Lodakier sans s'impatienter dans un carosse. Le regard fuyant parfois sur les alentours pour s'assurer que le route était sûre, ou encore sur son informateur qui les tâlonnait, Lysandre conserva le même rythme que Charles et conclut la route sous l'égide d'une conversation “saine”.

Le groupe arriva plus tard à destination. Lodiaker était plus petite qu'Alonna, mais elle était similaire à certains égards. Ralliant le château sans se faire prier, le gouverneur olysséen se laissa guider par Charles jusqu'à sa nièce, Adélina, qui l'attendait dehors. Devant son escorte, il fut le premier à mettre pied à terre, imité par ses hommes qu'il intima de rester à distance pour l'instant. Il s'approcha d'Adélina d'un pas assuré, la posture droite et le menton légèrement relevé. Devant la damoiselle et son message de bienvenue, Lysandre, tout chevalier qu'il était, s'inclina et lui baisa la main avec élégance.

« C'est un plaisir et un honneur de faire votre connaissance, Mademoiselle Adélina. » lui répondit-il d'un ton tout aussi chaleureux que celle de la jeune femme. Faute de relations rivales ou tendues, les deux personnages n'avaient pas à se craindre… du moins pour l'instant. Le diantrais trouvait pourtant curieux que, parmi toutes les qualités de sa nièce, il n'ait pas vanté celui de sa beauté. Certes Lysandre était marié et père de famille, mais cela n'était jamais un frein à la mention de ce détail. Il écarta néanmoins les mains avec le sourire. « Une telle proposition ne se refuse point. Je serais ravi de pouvoir me désaltérer un peu après ce voyage. » Cela serait également un moindre réconfort avant d'aborder des sujets éminemment plus sérieux. Lysandre suivit alors son hôte à l'intérieur du château.

La jeune femme observa doucement le gouverneur royal alors que celui-ci la suivait à l’intérieur. Elle le conduisit silencieusement dans le grand hall, s’arrêtant devant les escaliers de pierre, là où un serviteur sa camériste les attendait. « Clervie, pourriez-vous montrer à nos invités leurs appartements? Je raccompagnerais moi-même Messire Caervollen. » La dénommée Clervie fit une révérence en acquiescant, avant de faire un sourire chaleureux aux autres hommes qui la suivirent dans l’escalier. « Messire Caervollen, si vous voulez bien me suivre. » Adélina fit un sourire au chevalier avant de reprendre sa marche. Ils arrivèrent rapidement devant une porte de bois que la damoiselle ouvrit rapidement, la retenant pour laisser entrer le chevalier. D’un mouvement de main, elle lui fit signe de s’asseoir. La pièce, petite mais chaleureuse, était ornée de quelques tapisseries dont l’une ornant fièrement la cheminée. On pouvait l’y voir les armoiries de la famille de Lourbier. Adélina fit doucement un signe au serviteur qui s’empressa de demander à Lysandre s’il voulait boire quelques choses. Elle les contourna de son pas discret afin de s’asseoir sur l’un des divans, invitant par la même occasion son invité à faire de même. Silencieuse, la jeune femme attendit patiemment que le serviteur serve le breuvage demandé par le gouverneur, prenant soin de laisser quelques mises en bouche sur la table basse. Une fois que cela fut fait, la damoiselle remercia ses serviteurs qui sortirent rapidement de la pièce, laissant les deux êtres entre eux. Adélina eut un léger sourire alors qu’elle attrapait sa coupe pour la lever vers le chevalier, faisant un sourire à son invité. « À la vôtre messire. C’est un honneur que vous ayez accepté mon humble invitation. »


La damoiselle porta le verre à ses lèvres, scellant ainsi son toast, une fois fait, elle déposa doucement son verre sur la table, engageant finalement la conversation avec l’homme devant elle; « Mon oncle me disait que vous faisiez un tour du nord de la péninsule. J’ai supposé que vous offrir un gite avant de rejoindre Oesgard était la moindre des choses. » Elle s’arrêta un moment, regardant silencieusement son hôte avant de continuer; « Si vous me le permettez, Messire Caervollen, j’aimerais être le plus honnête possible. Je ne vous cacherais point que depuis la mort de mon père, j’essaie de redorer l’image des Lourbier qui a été malheureusement entaché par d’innombrables conflits qui ne sont point de mon fait. » Il était inutile de cacher que les Lourbier étaient la mire de la famille baronniale depuis le tout début de leurs règnes et Adélina ne faisait pas exception, elle se doutait bien que cela était une question de temps avant qu’on tente de la mater d’une façon ou d’une autre, et jouer tranquillement dans son coin en amassant le plus de relation semblait être la meilleure des façons de s’y prendre pour le moment. « Je souhaite inévitablement une amitié entre Olysséa et Lodiaker, et j’ose espérer que cette dernière sera favorable pour nous et nos gens. » Car au final c’était ce qui comptait le plus pour la damoiselle; le bien-être de ces gens. Elle avait bien vu comment ils avaient souffert pendant les guerres qui s’étaient succédé et la maladie. Ces gens méritaient de prospérer, et surtout de vivre paisiblement.

Lysandre suivit donc Adélina à l'intérieur, jusqu'à une petite salle plutôt chaleureuse, bien meublée et chauffée. Il entra en premier, en tant qu'invité, adressant une révérence de la tête à son hôtesse. S'installant sur l'un des divans, le gouverneur accepta la proposition de lui servir une boisson. Il suivit du regard la damoiselle jusqu'à ce qu'elle s'installe en face de lui. Les deux nobles demeurèrent silencieux, le temps que les serviteurs servent le vin et quelques amuses-bouches avant de sortir de la pièce, et les laisser seuls. Il leva son verre, le sourire aux lèvres.

« Santé. » souhaita-t-il avant de boire une gorgée, et reposer le verre sur la table.

Adélina ne tarda pas à aborder les sujets moins légers, sans d'ailleurs chercher à noyer le poisson ou à tourner autour du peau. D'une certaine manière, Lysandre appréciait cette franchise, et la préférait nettement à toute tentative pitoyable de le flagorner. Il ne put s'empêcher de témoigner son acquiescement en hochant la tête et en haussant les sourcils lorsqu'elle évoqua ce long voyage qu'il a entrepris. Il la laissa poursuivre néanmoins, ne doutant pas un instant que la suite serait certainement plus intéressante.

« Je dois bien admettre que… je ne suis pas au jus de tous les conflits qui pourraient ou ont pu vous opposer aux Broissieux. »

Et Néera sait à quel point Lysandre aurait aimé venir jusqu'ici avec plus d'informations que quelques noms, et un peu de géographie. Il n'était gouverneur que depuis peu, mais cela suffisait amplement pour connaître les rouages les plus rudimentaires de la politique. Lorsque des rivalités naissaient et se cristalisaient, les coups-bas pululaient alors de part et d'autre, c'était inévitable. Cela paraissait d'autant plus vrai quand on côtoyait de plus près certains d'entre eux, et c'était le cas des Broissieux. Il ne pourrait en dire plus Cependant, une amitié pouvait tout dire, et ne rien dire.

« Si j'ai entrepris un tel voyage, ce n'est évidemment pas pour juger qui que ce soit pour le passé de leur famille. » concéda le gouverneur avec un sourire. Il valait mieux se faire une opinion soi-même de son entourage, plutôt que de confier cela à n'importe qui. Il était plus qu'un banal agent royal, désormais. « Mais c'est bien pour conclure des amitiés bénéfiques que je l'ai fait, bien évidemment. Cela n'aurait aucun sens de juger qui que ce soit sur le passé de sa famille, quel qu'il puisse être. Je ne suis pas homme à me morfondre du passé, mais plutôt celui qui s'offre les moyens de rendre l'avenir meilleur pour tout le monde. »

Adélina ne détourna pas son regard du gouverneur, portant une attention particulière à la moindre réaction que l’homme aurait. Elle ne manqua pas son air surprit, ses hochements de tête alors qu’il semblait approuver sa franchise. Il fallait croire qu’elle avait utilisé la meilleure des stratégies, l’honnêteté. De toute façon, la jeune femme ne voulait pas commencer son règne d’une mauvaise façon, surtout avec quelqu’un qui était aussi près du roi. Elle se devait de remettre son nom en avant, de la façon la plus positive qui soit et non pas en utilisant d’innombrables stratagèmes qui pourraient mener à sa perte. De toute façon, tout ce qui montait avec des mensonges avaient rarement assez de stabilité pour rester en haut de l’échelle, après tout, une paix durable lui semblait plus facile à bâtir avec l’amour de ses sujets en tête que leur malheur.  La jeune damoiselle eut un léger sourire alors que le gouverneur lui admettait n’avoir pas entrepris ce voyage pour juger le passé de leur famille. Cela était rassurant. Après tout Adélina n’était pas stupide, ni téméraire, si elle ne tombait pas pour un mensonge, elle se doutait bien que cela serait la même chose chez son interlocuteur.


Elle attendit patiemment que ce dernier termine sa phrase avant de prendre, une nouvelle fois la parole; « Vos paroles sont musiques à mes oreilles, gouverneur. » Elle baissa le regard un moment, comme gênée avant de relever doucement son regard azuré vers le chevalier et reprendre; « Le bien-être de mes gens est ma priorité. Je ne veux pas les revoir souffrir. Après l’épidémie de peste, après les guerres… Les habitants du Lodiaker méritent de vivre en paix, tout comme le reste de la péninsule en soi. » La jeune femme trempa doucement ses lèvres dans le breuvage ambré avant de reprendre la parole; « En espérant que le Lodiaker fasse partie de ses amitiés, après tout, qui sommes-nous si nous n’avons pas des gens à nos côtés. » Son regard fixa de nouveau le sol, pendant une courte seconde avant de reprendre la parole, tentant, cette fois d’amener la conversation dans un sujet un peu plus joyeux; « Pardonnez-moi ma curiosité, mais pourrais-je vous demander de me parler un peu plus de votre parcours? Vous devez avoir certainement vécu des événements hors du commun en tant que chevalier et gouverneur. »

Lysandre trempa une nouvelle fois ses lèvres dans la boisson servie par les gens de Lodiaker, écoutant scrupuleusement les mots prononcés par leur Dame qui lui faisait face. Il est vrai que le Diantrais était préoccupé ailleurs, lorsque les eldéens sont arrivés jusqu'à Alonna. La Couronne était ébranlé par les divers jeu de successions, là où chacun avait cherché à profiter de la mort du Roy et de son père le Régent pour s'emparer du trône. Un défi de taille s'imposait à tous depuis la fin de tous ces tumultes.

« Hors du commun, c'est bien possible… Est-ce qu'elles sont trépidantes ? C'est un tout autre débat. » répondit le gouverneur d'un ton tout aussi amer que sa mine. « D'aucun s'étonnerait surement de me savoir en vie, alors que j'ai affronté avec Diantra de bien nombreux défis sans trépasser. La peste, la révolte des Barons, l'Œil Bleu, la Guerre du Médian… Des évènements tragiques et sanglants, et pas nécessairement les plus exaltants. »

La chance selon certains, la providence selon d'autres. Cela importait moins que les conséquences de ses évènements si terribles. Lysandre n'en tirait ni fierté, ni soulagement, à tel point que ce n'était pas quelque chose qu'il appréciait évoquer. Au-delà même de cette amertume qu'il ressentait rien qu'à repenser à ce malade de Nimmio, ou à tous ceux qui ont essayé de s'arroger le trône par d'autres moyens, Lysandre se demandait bien ce qui pourrait intéresser Adélina dans un tel récit. Il est vrai qu'elle devait être bien trop jeune, à l'époque, pour prendre du recul sur de telles évènements.

« Mais, je ne suis gouverneur que depuis peu… du moins, je gouverne Olysséa depuis peu. Avant cela, j'ai dirigé Apreplaine dès lors qu'elle est redevenue une terre royale, car j'ai refusé de rejoindre les Baudriers d'Argent, devenue la nouvelle garde royale après la Garde du Lys d'Or dont je faisais partie. » ajouta le diantrais, en opinant du chef. Il écarta les bras d'un air chaleureux. « Il me reste quelques années avant de devoir me contenter de contempler le passé. Le seul mal que je nous souhaite est de ne plus vivre d'évènements aussi rudes. La Péninsule n'a pas besoin d'en connaître plus. »

Adélina ne manqua pas l’expression du diantrais. L’air amer, alors que ce dernier prenait la parole, définitivement elle avait touché, sans le vouloir, une corde sensible. Peut-être était-ce sa jeunesse qui avait poussé sa curiosité, elle s’était attendu à attendre des récits de voyages, de découvertes, et non pas de malheur et de deuil. La jeune femme baissa soudainement les yeux, l’air honteuse, écoutant attentivement les paroles du gouverneur. Parfois elle oubliait que d’une façon, elle avait eu une certaine chance. Les dernières années avaient été relativement calme, la paix régnait, et les guerres semblaient s’être résorbés. Du moins, les guerres ouvertes, les complots et les mise à morts étaient toujours communs – pour cela la jeune femme était bien au courant – ayant elle-même passé à un cheveu de se faire enlever par un groupe de brigand il y avait de cela quelques ennéades. Un complot très bien organisé en soi, mais la jeune alonnaise ne comptait pas se laisser prendre dans ce jeu. Mais cela n’avait rien à voir avec la guerre du Médian ou l’invasion des sombrelfes. Néanmoins, l’alonnaise écouta le diantrais sans l’interrompre, alors qu’il exprimait son venin, mais aussi son parcours. Une description assez brève en soi, mais qui confirmait bien le caractère du personnage qui lui faisait face. Lysandre lui paraissait comme un homme noble, fière de son roi, fière de ce qu’il avait accompli et il fallait dire que tout cela était fort honorable. Mais il y avait aussi la partie de lui-même qui avait vu les horreurs de la guerre, et qu’il semblait bien difficile à porter sur ses épaules. Adélina leva finalement le regard pour observer le gouverneur alors qu’il continuait son récit, et ce ne fut qu’une fois que ce dernier ne soit totalement calme, qu’elle osa reprendre finalement la parole; « C’est en effet un parcours des plus honorables. »


Elle eut un sourire triste, avant de baiser légèrement le regard pendant quelques secondes. « Veuillez me pardonner, Messire. Je ne souhaitais guère vous rappeler les tragiques événements qui ont frappé la péninsule. Je n’ai guère eu l’opportunité de sortir d’Alonna, et je me languis d’explorer notre charmant royaume. » Sans le vouloir, elle venait d’apprendre une leçon, certaines personnes ne partageaient définitivement son enthousiasme, ou peut-être était-ce le choc des générations? Après tout le chevalier pourrait être son père! « Lorsque j’étais plus jeune, je voyais mon père partir dans tous les recoins de la péninsule, allant négocier, ou participer aux tragiques événements qui se sont abattus sur nous, et je ne me suis jamais lassé de ces histoires. » Elle eut un sourire, semblant fixé un point dans la pièce, l’esprit vagabondant sur son père. Son deuil n’était pas totalement fait, et c’était malheureusement très visible… Mais peu importe, c’était le moment de passé à autre chose, lui faisant un léger sourire, la jeune femme reprit finalement la parole; « Souhaitez-vous vous reposer avant dîner? Je suppose qu’après un si long voyage, cela pourrait être nécessaire, et je ne souhaite guère vous fatiguer avec ma curiosité. »

« Bah ! » s'exclama Lysandre, balayant son amertume d'un revers de main, recouvrant son habituelle tranquilité. « Ce ne sont que de mauvais souvenirs, désormais. Vous aurez, tôt ou tard, cette “opportunité” d'explorer le Royaume, comme vous dites. Cette période de paix sera certainement plus simple, pour vous, d'entreprendre vos projets, quels qu'ils soient. »

Depuis huit ans, la Péninsule n'avait connu aucune guerre, ou du moins aucun conflit majeur. Les Drows n'étaient point revenus jusqu'ici, et le pouvoir royal avait été stabilisé. Cela pouvait paraître risible. Pourtant, cela résonnait presque comme un exploit, dans la voix du chevalier royal. Certains relativiseraient plus ce fait que d'autres, mais Lysandre en avait trop vu pour ne pas estimer ces huit années de paix à leur juste valeur, car toutes ces guerres avaient affaibli tout le Royaume, la Couronne en premier. Petit à petit, les choses rentraient dans l'ordre, et chacun guérissait des maux dont il a été la victime. Aux yeux de Lysandre, c'était une chance qu'Adélina puisse vivre, grandir et éventuellement prospérer dans un cadre politique plus serein, et peut-être même plus sain.

« Ce n'est rien vous dis-je. À vôtre âge, j'étais certainement tout aussi curieux que vous avec mes ainés. » répondit le gouverneur royal avec un sourire. Elle n'avait pas vécu tous ces évènements qui le rendaient amer, elle ne pouvait donc pas les évoquer avec peine et rancœur comme il le faisait. Lysandre l'avait bien compris. Ce dernier tourna la tête vers la fenêtre, espérant estimer l'heure qu'il était à la lumière du soleil. « Cela dit, un peu de repos ne peut pas me faire de mal, et je ne rechignerai pas à me décrasser dans un bon bain. Je ne pourrai pas me permettre de me présenter à un diner sans être un minimum propre et reposé. »

Adélina ne put s’empêcher d’hausser un sourcil alors que ce dernier mentionnait des projets… Était-il au courant de ses plans? Serait-ce possible que le gouverneur en savait un peu plus qui le laissait paraître? Après tout, il était connu de presque tous que les Lourbiers avaient été au pouvoir pendant un certain temps de la baronnie. Et cela ne serait que logique cela soit aussi le projet de la jeune femme… Reprenant son calme, la jeune femme reprit un léger sourire; « Mon seul projet est de faire prospérer mes gens, Messire. Alonna à participé à trop de guerres, trop de problèmes, et maintenant que la paix est finalement revenue je n’ai aucune envie de les soumettre à nouveau à de telles épreuves. » C’était la vérité. Adélina s’était promise de ne pas lever ses bans pour prendre le pouvoir, à moins d’une absolue nécessité. Mais pour le moment, cela n’était même pas à porter de vue.


« Cela dit, un peu de repos ne peut pas me faire de mal, et je ne rechignerai pas à me décrasser dans un bon bain. Je ne pourrai pas me permettre de me présenter à un diner sans être un minimum propre et reposé. »


Adélina se releva, sourire aux lèvres. « Mais oui, bien sûr. » Son regard se retourna vers l’un des serviteurs qui était resté en retrait, « Pouvez-vous accompagné le gouverneur dans ses appartements. Assurez-vous que ce dernier est un bon bain chaud. » Le serviteur s’inclina avant d’ouvrir la porte, en invitant Lysandre à le suivre. « Merci beaucoup pour cette discussion Gouverneur. J’espère que vous vous plairez pendant votre court séjour à Lodiaker. »