[Une union royale] Seconde approche

An 18 du Cycle XI, Barkios, 2ème jour du banquet, en début d'après midi

Le mariage avait débuté la veille, et la première journée s'était fort bien déroulée pour Renaud, surtout la nuit en fait. Déjà la remise des cadeaux et tout ce que les nains avaient préparés pour les convives étaient une merveille, preuve qu'ils savaient recevoir. Une fois que l'on avait passé la surprise de leur manque de considération pour les échelons de noblesse péninsulaire, on se sentait très bien parmi ce peuple de bons vivants. le banquet n'avait pas manqué de voir l'alcool couler à flot, et l'on ne pouvait décemment dire que les nains étaient réservés, bien au contraire, entre les grosses voix bien bruyantes et tout le tintamarre qu'ils avaient fait pour fêter leur nouveau roi, ils étaient plutôt exubérant en matière de festivités. Cela ne dérangeait aucunement Renaud qui avait l'habitude lors de son séjour à Thaar de voir autre chose que le protocole péninsulaire en matière de réception entre nobles. Il devait bien avouer qu'il préférait cela malgré son titre prestigieux, et qu'il s'était bien amusé. Ajoutez à cela la torride nuit qu'il avait passé dans les appartement de Louise de Fernel, et l'on comprendra que c'était un homme de très bonne humeur qui s'était levé ce matin.

Une fois préparé, en milieu de matinée pour profiter de quelques petites heures de sommeil, il avait marché dans les endroits autorisés, réfléchissant comme à son habitude. Il était honoré d'avoir été invité à ce mariage, il était évident que l'on ne reverrait pas cela avant fort longtemps, surtout pour un péninsulaire, et il aurait pleins de souvenirs en tête. Il n'oubliait pas non plus que pour l'instant, il n'avait eut avec Harald qu'un échange épistolaire avant son invitation, et que la veille ils s'étaient parlés un très bref instant. Il avait bien l'intention de discuter plus longuement avec le roi ce jour si l'opportunité s'y prêtait. Le dirigeant nain n'était pas trouvable ce matin, mais après avoir demandé une audience un peu plus officielle, même si ce n'était pas une protocolaire, on lui avait dit qu'il pourrait s'entretenir avec Harald en début d'après midi.

C'est donc habillé et apprêté comme un Duc le devait qu'il trouva le roi la ou on l'amena. Renaud s'inclina comme il se devait devant un souverain et il le salua. Il s'était renseigné un minimum avant cette entrevue et il avait apprit qu'il fallait laisser le Majesté à la porte

"Je vous salue, Grand-Rroi. Je vous remercie de me recevoir pendant vos festivités. Je voulais en premier lieu vous remercier encore une fois de m'avoir convié, c'est un grand honneur que vous m'avez fait."

Voila des salutations en bonne et due forme. Il espérait ne pas trop déranger le souverain qui ne devait pas manquer d'être sollicité que ce soit de part son statut de roi ou sa qualité de marié.

Qui aurait cru qu’une journée de festivités, lendemain de cérémonie, aurait été aussi mouvementée ? Certainement pas Harald. Toutefois, le souverain était heureux. Car le conseil secret, tenu le matin même, avait porté plus de fruits – et de plus beaux fruits – que ce qu’il aurait pu croire avant de le convoquer. Depuis ce jour, Harald n’était plus seulement le soixante-huitième Grand-Roi d’une nation riche, puissante, développée, secrète et admirable. Il était maintenant le Grand-Roi d’une sorte de superpuissance, et l’avenir était définitivement radieux.

Mais à peine était-il sorti du conseil, qu’un officier de la garde royale vint le trouver pour lui dire que le Duc d’Erac, Renaud, avait mandé une audience. Une audience. Cela signifiait donc que la rencontre ne serait point au beau milieu du tumulte des festivités, mais dans une salle bien à part. Soit.

Harald avait tout de même pris le temps de se rassasier, faisant venir plusieurs assiettes et tonnelets, et mangeant comme quatre nains affamés, après toutes ces heures passées à parlementer. La viande était succulente, le jus de cuisson, les sucs, la sauce, tout bonnement d’origine divine. Mangeant comme quatre, et avec le manque de propreté que l’on connait des Dawi quand ils mangent, l’heure du repas passa bien vite, surtout avec la quantité de bière qui avait été nécessaire pour lustrer le glissoir et rassasier les papilles.

Et puis soudainement, la voici. Connue de tous, appréciée souvent, redoutée parfois. Réglée le sont les saisons, elle arrive toujours là où on l’attend, mais son arrivée reste toujours surprenante. Elle est là, furtive, grandissant peu à peu dès lors que l’esprit se calme et que le ventre se rempli : la sieste. Oh oui, Harald aurait apprécié une bonne et agréable sieste après une matinée si productive et une pitance si copieuse. Mais voilà, l’heure de l’audience de Renaud arrivait bien vite.

Harald se fit alors débarrasser, et son bureau reprit son organisation habituelle. Large, et long, ce bureau avait été taillé dans le corps d’un chêne plusieurs fois centenaire. Vernis, gravé de motifs, doté de tiroirs et autres endroits pour stocker documents et tablettes, Harald trônait fièrement derrière, sur un fauteuil rembourré de cuir et de fourrures. Bien vite, il entendit les pas de Renaud qui fut mené par un garde jusqu’aux bureaux du Roi. Et le voici, à la porte.

La salle du bureau n’était pas aussi exceptionnelle que les autres. Grande, haute de plafond, équipée de plusieurs étagères de bois dont les étages étaient tantôts remplis de tablettes, tantôt faits de croisillons de bois servant de supports à des vélins roulés sur eux-mêmes, elle contenait également tout le confort d’un appartement. Fauteuils longs, courts, mais tous confortables, sofas rembourrés – excellents pour faire la sieste d’ailleurs – tapisseries, et murs gravés de sagas, rendaient à cette pièce une aura sérieuse et… Royale.

Face à l’entrée – ou Renaud se trouve – et à droite de la salle, se trouve le bureau. Au milieu du mur – toujours face à l’entrée – se trouve un portoir taillé selon la forme d’un nain, avec, dessus… La fameuse et désormais célèbre armure de plate de Harald. Réalisée par un des forgerons les plus talentueux du Zagazorn – et donc du monde – voilà plusieurs décennies, l’armure était entièrement faite en plaques d’acier dont les jointures parfaites permettaient à son porteur de se mouvoir comme s’il ne portait rien. Entièrement peinte en noir de jais, le heaume portait une crinière rougeâtre aux couleurs d’origine Lantaise. Les épaules, les gantelets, et la jupe de plate, étaient de couleur d’or, et le plastron était couvert de runes – non magiques – pigmentée d’une couleur carmine. Aux côtés de l’armure trônait, sur un râtelier, deux haches à une main, et une hache d’arme, toutes les trois forgées dans l’acier le plus pur et le plus résistant qui soi.

Harald autorisa Renaud à entrer, et d’un geste de la main, lui indiqua un fauteuil. Il baissa légèrement la tête lorsque le Duc fit une révérence grotesque, mais protocolaire de par chez les Humains.

- Tout l’honneur est pour moi, Renaud. Dit-il, d’une voix grave et profonde, aidée par l’écho des pierres de l’endroit. Vous m’avez demandé audience ? J’aurais aimé vous recevoir dans la salle du trône, mais celle-ci n’est point disponible comme vous le savez. Que puis-je pour vous ?

La salle ou Renaud était entré était grande de plafond, comme presque toutes les salles qu'il avait visité, et que les nains avaient construite. Etait-ce un moyen de compenser leur petite taille ? il n'en savait rien, mais le travail était d'orfèvre. Il en allait de même pour l'armure qui était disposée sur un portoir. Elle était magnifique, digne de savoir-faire des nains, un travail remarquable qui ferait baver n'importe lequel des artisans humains, même les plus talentueux, qui n'arrivaient pas à la cheville des façonneurs du Zagazorn. L'honneur de recevoir un objet conçu par ce peuple était inestimable, tout comme la valeur de l'objet, arme, armure ou quoique ce soit. Ils n'avaient pas usurpé leur réputation, et chaque fois que le regard s'attardait sur quelque chose, cela confirmait ce talent supérieur. Renaud était d'ailleurs bien content que le roi accepte de rouvrir une ligne commerciale avec Erac, même si ce n'était que les balbutiements. Il fallait assoir cela, et lorsque la confiance serait de mise, intensifier les échanges de toutes sortes entre le Zagazorn et le Duché .

Après avoir ouvert de grands yeux pour ne rien louper de tout ce qu'il voyait, il s'était attardé sur les vélins rangés méthodiquement sur les étagères, une preuve que non seulement, les nains excellaient en artisanat, mais qu'ils n'oubliaient pas de s'instruire, ce qui était tout à leur honneur. Ajoutez à cela leur réputation en matière de combat, et l'on avait la un peuple qu'il ne fallait pas sous-estimer, voir même craindre. Il était d'ailleurs navrant qu'ils aient frôlé l'extinction, un nouveau rappel que rien n'était éternel, et qu'il fallait toujours être sur ses gardes.

Renaud s'assit sur l'invitation d'Harlad, souriant à l’énonciation de la salle du Trône qui était occupée

"Je le sais en effet, vous me voyez navré de vous avoir soustrait à vos invités."

Il était évident que le temps du roi était compté, et qu'il n'était pas question ici de faire durer l'entrevue trop longtemps. Le Duc aurait bien aimé entamer directement le point qui l'avait amené à requérir cette audience, mais depuis son arrivée à Kirgan, il avait remarqué quelque chose qui l'avait surpris, et sa curiosité prenait le pas

"Avant d'en venir à ma requête, j'aimerais vous entretenir d'une chose qui m'a interloqué. En effet, vous êtes un roi, et j'ai vu la présence du roi des elfes, ce qui n'est pas anormal, je le conçois. Ce qui me turlupine, c'est que pour la péninsule, il n'y a qu'une châtelaine, une Baronne et moi même pour vous souhaiter nos félicitations. L'entente entre les nains et les hommes est elle donc si appauvrit que cela depuis toutes ces années ? J'ai souvenir des gestes qui étaient contées, il n'y a pas si longtemps que cela sur l'alliance qui avait uni les trois peuples pour lutter contre les sombres."

Cette alliance était magnifique, et pourtant, elle n'avait pas été très fructueuse, ce qui était navrant. Le nord de la péninsule avait été attaqué voilà peux par les elfes noirs, et plus aucune nouvelle ne parvenait d'Anaëh, ni du Zagazorn avant l'accession d'Harald sur le Trône.

"Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés à ce constat, mais la péninsule s’unit de nouveau, et il serait peut être agréable de renouer des liens plus forts entre nos peuples"

Renaud n'était pas la en tant qu'ambassadeur pour le Royaume, il espérait que le roi en était conscient, et il le pensait bien étant donné le peu d'humains présents. Toutefois, il ne pensait pas qu'il serait vain de parler de retisser des contacts plus profonds, ce qui amènerait à sa propre requête. Il savait aussi qu'à son retour, il devrait s'entretenir avec le Roy et le Régent sur ce qu'il pensait vis à vis de tous les bénéfices que cette entente pourrait apporter. Il n'oubliait pas que le Zagazorn s'était replié sur lui même après le Voile, et qu'il faudrait sans doute du temps avant que tout cela ne prenne forme.

« Ne soyez pas navré, Renaud. Mes invités n’ont pas besoin de moi à leurs chevets durant ces instants de festivité. Il y a suffisamment de choses à voir à Kirgan, et de discussions à avoir, ma présence constante n’est pas nécessaire. »

Harald eut un petit rire hoqueté. Bien-sûr, il devinait la politesse dans les propos de Renaud, une politesse renforcée – et peut-être d’autant moins sincère – par les protocoles que les Humains s’imposent, dès l’instant où ils se trouvent face à un individu qu’ils jugent plus noble ou plus imposant qu’eux. Et l’idée qu’il ait été soustrait à ses invité le fit d’autant plus rire, qu’il ne s’imaginait de toute façon point présent à tous les instants au cœur de la salle du trône. Cela aurait été d’un ennui total, après tout.

La suite des propos de Renaud, en revanche, refroidit nettement l’atmosphère autour de Harald. Là n’était point sa requête, mais il se sentit tout de même obligé de faire part d’une question qui, si, pour lui, revêtait davantage de l’ordre de la curiosité, possédait pour Harald une aura très désagréable.

Certes, le Roi des Péninsulaires n’était pas là. Et certes, les représentants de la Péninsule étaient moins nombreux en comparaison des représentants des autres races et factions. Et cela était, en toute ou partie, une volonté de Harald. Le Grand-Roi des Nains voyait les Péninsulaires comme des êtres imparfaits, éphémères, inconscients et dotés de bien peu d’honneur et de jugeote. Le souverain ne désirait ni politique ni diplomatie venant d’eux. Il ne voulait que du commerce, une chose pour laquelle les Humains étaient définitivement doués car avides, peu patients, et emprunts à convoiter marchandises, or, biens et autres objets célèbres et de grande valeur. Pour les Péninsulaire – ou du moins l’immense majorité d’entre eux – comme pour les autres races de ce monde, tout ce qui provenait du royaume des nains du Nord, du Zagazorn, était d’office auréolé d’excellence. Même les plus petits bijoux nains se vendaient à prix d’or. Et Harald ne voulait des Péninsulaires que cet attrait pour l’or. Rien d’autre.

« Ne réfléchissez pas plus que de raison quant à l’absence de votre souverain, ou à la faible présence Péninsulaire, Renaud. Ne sont invités à Kirgan que ceux qui auront daigné avoir des contacts avec les Nains, ou ceux qui auront reçus quelques honneurs particuliers. Voilà tout. Je crois que l’audience que vous avez demandé revêtait une aura plus personnelle, et non aussi générale qu’une ambassade au nom de votre souverain, n’est-il pas ? »

Harald avait formulé une réponse. Une réponse évasive, mais une réponse tout de même. Maintenant, il voulait savoir de quoi il en retournait avec ce Renaud de Erac.

Ah ! Les Gobelins ! Cette engeance à la peau verte et écaillée. Cette malédiction faite d’individus petits, perfides, timides et fourbes, à la langue semblable à des borborygmes ineptes et de bruits indésirables. Ces créatures à la vie inutile, à la survie comprise. Ennemi héréditaire des Nains, avec les fameux Kobolds. Vivant au cœur des montagnes et des grottes sombres des tréfonds de ce monde, en hordes, s’entretuant dès que la place manque, sortant une fois le soleil couché et pillant et tuant tout autour de leurs montagnes, pour obtenir un peu de nourriture. Voleurs, pilleurs, assassins aux lames émoussées, sans savoirs ni même une seule once de jugeotte. Harald avait combattu les Gobelins toute sa vie, tout comme il avait combattu les Kobolds et les Wandrais. Ces peaux-vertes descendaient des Montagnes de l’Almion, de la Nérania, et pillaient le Brissalion, s’enfonçant dans des trous dans les terres ou les champs quand le soleil pointait le bout de son nez trop rapidement pour eux, trop rapidement pour qu’ils ne puissent retourner chez eux. Harald avait massacré des hordes entières de Gobelins. Et ce n’était encore pas assez.

Mais depuis la grande migration de l’an XIV, l’immense, la très grande immense majorité des hordes de Gobelins, avait quitté le Zagazorn. Déboulant dans le Brissalion et le Lörn avec la rapidité de l’éclair, les Nains avaient rassemblé une armée derrière le mur – pourtant construit pour faire face aux adversaires en direction des Wandres et non en direction de leurs propres terres à eux – et la bataille dura des jours entiers. Le bûcher des corps des Gobelins, des Kobolds, et même des Engeances de Brisséa, dura dix jours entiers. Mais aujourd’hui, les montagnes étaient presque vidées de la présence Gobeline.

« Les Gobelins sont une malédiction pour tous les peuples. Mes ancêtres les combattent depuis l’aube des temps. Ils se reproduisent vite, ils sont fourbes, et ils sont lâches. » Harald parlait par expérience, et cela se sentait dans sa façon d’appuyer sur chacun des adjectifs de ces créatures infâmes. « Renaud, je me dois d’être honnête : distiller les savoirs des Nains, quels qu’ils soient, attirerait le courroux des miens, et aussi, mon propre courroux. » Harald n’avait aucune confiance en les Humains. Et puis, savoir les Gobelins saccager les autres contrées, cela était satisfaisant en soi. Un voisin affaibli est toujours moins menaçant, d’une certaine manière. « Toutefois, je peux vous donner quelques stratégies. La première est l’embuscade. Les Gobelins sont des pilleurs et saccageurs invétérés. A proximité d’une de leurs grottes, éparpillés des carcasses de chevaux, des poubelles, des denrées, de l’alcool à profusion, et attendez. Et lorsqu’ils sortent pour se repaître, incendiez la zone. L’autre stratégie est nettement plus dangereuse… » Harald planta son regard dans celui de Renaud, et poursuivit. « Allez les chasser dans leurs propres grottes. Mais je vous le déconseille. La guerre souterraine n’est point votre domaine, et les Gobelins sont nettement plus petits que vous. Je doute que vos guerriers puissent combattre courbés en deux. »

Et la guerre souterraine, c’était du ressort des Nains. Et cet avantage devait être sauvegardé.

L'année durant laquelle les gobelins s'étaient déversés littéralement sur les terres péninsulaires avait été compliquée, et angoissante. Les humains n'avaient pas l'habitude d'affronter d'autres races comme expliqué, mais encore moins en plein cœur de la péninsule, en ce qui concernait Erac, c'était une première. Habituellement, les combats étaient circonscrits dans les territoires du nord, Serramire faisant admirablement son office de bouclier du Royaume. Cette invasion venue des montagnes avait surprit beaucoup de monde, et il avait été compliqué de réagir dans un premier temps. D'autant que ce n'était pas une guerre conventionnelle, ni une invasion à proprement parler. Il s'agissait d'une succession de raids sur des villes et villages avant que l'ennemi, les gobelins donc, ne disparaissent purement et simplement après avoir rejoint les grottes dans lesquelles ils avaient élu domicile.

Renaud écoutait Harald parler, mémorisant ses conseils pour les transmettre à ses officiers. Venant d'un peuple qui luttait contre cette engeance depuis la nuit des temps, il serait fou de ne pas les prendre en compte. Ce serait un mensonge de dire qu'il n'avait pas été déçu d'entendre le refus du Grand-Roi de partager leurs connaissances. Le Duc était sur le point de demander un contingent, ce qui permettrait aux nains de ne pas dévoiler leurs secrets tout en aidant Erac, mais il se dit que ce n'était pas encore le bon moment, leur relation étant encore trop récente. Essuyer un refus sur une demande de renseignements voulait dire beaucoup.

Un peu perturbé, il décida de se focaliser sur le lien entre les nains et Erac. Pour l'instant, ils en étaient uniquement à du commerce, et il semblait qu'il faille gagner la confiance de ce peuple avant de leur demander autre chose. Paranoïaque comme lui même l'était, Renaud pouvait comprendre cette vision, mais il ne savait pas à quel niveau se trouvait le point ou les nains vous considérez comme fiable et de confiance ? Ce n'était pas facile d'après les rumeurs, mais au moins fallait-il essayer

"Fort bien, Grand-Roi, je n'insisterais pas. Je vous remercie pour vos précieux conseils, je saurais les mettre en œuvre dès mon retour à Erac."

Il n'était pas passé au côté d'une information précieuse qu'Harald avait prononcé, une chose qui risquait de rendre la lutte interminable

"Je crains pourtant qu'en n'allant pas les chercher dans leurs grottes, le fléau ne s'arrête jamais, et qu'ils finissent par nous submerger par leur nombre. Enfin soit"

Il savait quand il ne fallait pas insister, il était donc temps de retourner sur les sujets qu'ils avaient en commun

"J'ai une autre raison pour vous avoir demandé une audience. Bien que récent, le commerce qui s'est installé entre nous est une bénédiction. J'entends les éloges de tout ce qui vient de chez vous parmi mes concitoyens."

Passer du baume était une tactique comme une autre avant d'entamer un sujet plus pointilleux. Erac, sur sa cote ouest, était composé de hautes falaises, et il avait été des plus compliqué de trouver un site permettant la construction d'un port. Et même s'ils avaient trouvé, la taille était limitée. Renaud avait donc une idée en tête après tout ce qu'il avait vu ici même

"Grand-Roi, je ne sais pas si on vous l'a rapporté, mais le port d'Erac est très limité en capacité. Il sera donc difficile d'augmenter le trafic. C'est en raison de la géographie de mon duché. Celui-ci est très escarpé, composé de falaises abruptes. Quand je vois tout ce que vous avez créé dans vos montagnes, je me demandais si vous pensiez qu'il vous serez possible de nous apporter votre savoir faire en matière de construction, en échange de compensations naturellement. Si nous parvenions à récupérer de la place au sein de la roche, nul doute que notre partenariat en sera grandit, permettant à plus de marchandises, et de bateaux, de transiter."

Renaud risquait peut être d'énerver Harald car il s'agissait encore de savoir-faire nain auquel il faisait appel, mais il se disait que peut être ils ne voyaient pas de la même façon l'art de la guerre, et celui de la construction pour avoir plus de bénéfices.

Harald, le fier membre du peuple des montagnes, le fier Dawi, ressentait une sorte de colère à l’encontre de ce petit seigneur Humain qui avait eu l’outrecuidance de profiter de la générosité d’une telle invitation, afin d’arracher quelques contingents armés dans le but de mener cette guerre contre les vermines à leurs places. Ce Harald-ci, guerrier accompli, thane d’un clan de combattants et ancien capitaine, ancien Ongaraz, l’équivalent chez les Humains d’un Sénéchal, et ancien Gardien des Plaines, aurait souhaiter pourfendre l’Humain devant lui, en punition pour avoir tenté d’utiliser les Nains.

Mais un autre Harald était né depuis toutes ces années en politique, et plus encore depuis qu’il avait été élu Grand-Roi de ce royaume. Cet Harald-là, comprenait d’une certaine manière, la démarche intentée par Renaud. Il était désireux de soustraire son peuple à cette menace verte, et cherchait tous les moyens possibles et imaginables afin de pouvoir y parvenir. Et cela était plutôt respectable, même pour un Humain.

« Ces créatures sont belliqueuses, et n’ont pas une once d’intelligence. Ils s’entretuent, dès que la nourriture vient à manquer, ou que leurs grottes deviennent étroites. Cela régule plus ou moins bien leurs populations, sans compter leurs bêtises communes. Une fois, par exemple, alors que nous étions dans une galerie Naine conquise par les Gobelins, je suis tombé sur le cadavre d’une de ces peau-vertes. Il avait des vues sur une épée Naine qui était pendue à un crochet de forgeron, bien en hauteur. Il a envoyé des cailloux, et d’autres objets dans le but de faire plier le crochet, ou bouger la lame. Et lorsqu’il y parvint, il se trouvait dessous. Il s’est empalé lui-même. C’est dire toute l’étendue de leur stupidité. Piégez-les, et vous jugulerez vos problèmes les concernant. »

Offrit Harald, en guise d’anecdote et de dernière expérience partagée, mais aussi, de réassurance. Il savait qu’il avait bien agit, en sauvegardant les savoirs des nains, et leurs vies, en coupant tout net cette idée de contingent nain, ou d’enseignements martiaux.

Puis, Renaud reporta la discussion sur un autre sujet lui aussi à l’origine de cette demande d’audience : le commerce.

Et heureusement que le soixante-huitième Grand-Roi du Zagazorn était bien confortablement assis derrière son bureau, car la proposition l’aurait fait tomber à la renverse !

Renaud avait clairement les yeux plus gros que le ventre, et l’ambition de mille seigneurs de cette race éphémère ! Un port, au cœur des montagnes, creusé selon l’ingénierie des nains ?! Avec l’apport du savoir-faire Nain ? Cela signifie dépêcher des ingénieurs civils, des bâtisseurs et terrassiers, des artisans, et cela en quantité suffisante pour pouvoir tenir un chantier qui durera des décennies ! Et les matières premières ? Nul doute que la roche extraite de ces lieux suffira à produire des choses intéressantes, mais quid de la pierre de taille ? Quid des outils ? Quid des machineries ?

Harald prit au moins cinq bonnes secondes pour temporiser, avant de répondre. Il lui fallait peser les pours et les contres, les tenants et aboutissants, et mesurer d’éventuels impondérables… Et surtout, si les Nains pouvaient et voudraient s’investir en ces lieux ! Et cela n’est point dit, loin de là.

« Je dois dire que vous ne manquez pas de souffle, Renaud. » Répondit enfin Harald, qui soupira profondément. « Si je devine les volontés qui sont les vôtres, derrière cette demande des plus… Inattendue, sachez qu’elles imposent de grandes, très grandes décisions de ma part, aux conséquences que ni vous ni moi ne pourront soupçonner. » Il mesurait d’ailleurs ce qu’un refus pourrait indiquer, et ce qu’un accord pourrait provoquer. Tout était à faire, de ce côté de la Péninsule, et nul doute qu’un marché énorme était à porté de la pogne de Harald. Mais trop de choses changeraient irrémédiablement. « Je ne peux vous donner une réponse ferme aujourd’hui Renaud, pas avec ce que vous me demandez. Mon royaume a besoin de tous ses bras, de toutes ses têtes pensantes, et de toutes ses capacités, car j’ai moi aussi de grands enjeux à poursuivre. Je vais prendre le temps de réunir les Nains. Et vous aurez une réponse dès que cela me sera possible. Sachez toutefois, qu’une telle demande, si elle devait être acceptée, ne sera pas sans contrepartie. Et je connais suffisamment bien les miens, pour vous dire qu’ils souhaiteront de grands actes. Si nous construisons ce port, il sera sans aucun doute le nôtre, une enclave Naine. Attendez-vous au moins à ce genre de de termes imposés, si vous souhaitez poursuivre. » Précisa Harald, conscient que les Nains devront tirer leurs épingles du jeu, et que le Duc d’Erac n’y était point prêt, d’aucune façon. « Si vous m’avez fait part de toutes vos demandes, je vous enjoint à retourner avec les convives. Nous avons assez parlé, place aux réjouissances. »

Harald voulait maintenant mettre de la distance entre Erac et le Zagazorn, entre Renaud et lui. Trop de choses s’étaient dites aujourd’hui, et il valait mieux temporiser avant de prendre des décisions stupides.

Renaud écoutait Harald expliquer son anecdote, il rit de bon cœur, la bêtise des gobelins semblait effectivement à la hauteur de leur réputation. Intérieurement, il espérait que ce soit le cas, et ceux-ci se détruisent tout seul. En plus des tactiques qu'il venait de recueillir, il essaierait aussi de les enfumer, mais cela dépendait de la profondeur de la grotte.

Le Duc se rendit bien compte qu'il venait de mettre le Grand-Roi dans tous ses états, lorsque celui-ci soupira, après avoir prit un long moment de réflexion. A en croire Harald, Renaud était soit fou, soit il avait des couilles, selon l'expression, peut être un peu des deux. En tout cas il acquiesça à chaque mot que lui disait son interlocuteur, conscient de ce qu'il demandait. Il savait bien que c'était un travail de titan, qui demanderait énormément (et c'était peu dire) d'investissements, en temps, en ressource, en argent, et encore en bien d'autres choses

"Grand-Roi, je ne suis pas assez érudit en matière de construction pour comprendre tout ce que cela engendre, mais je sais, dans les grandes lignes, ce que cela demandera comme efforts." Il se doutait bien que les nains demanderaient le contrôle du port "Prenez votre temps pour répondre, je préfère que vous réfléchissiez plutôt que de me donner un refus immédiat qui aurait pu être évité. Je savais bien entendu que vous demanderiez le contrôle, j'y étais préparé, et sachez que j'y consent. Si vous acceptez et que vous voulez que ce soit une enclave naine, c'en sera une. Il faut des grands actes, tant qu'ils sont cohérents, et raisonnables, je suis prêt à les faire afin de vous prouver ma bonne foi, et la confiance que je désire créer entre vous et moi"

Beaucoup diraient que donner un port, et donc se priver des taxes qu'il génère, était une pure folie, encore plus sur son propre territoire. Toutefois, ces gens la n'auront pas prit en compte que voila moins d'une décennie, c'était un village de pécheur, qu'Erac était pleines de falaises sur toute la longueur de sa côte ouest, et que le port qui avait vu le jour voila très peu de temps était bien petit, et qu'il ne pourrait pas grandir avec le savoir-faire humain. Tout cela, Renaud le savait, mais ce qu'il savait aussi, c'est que s'il donnait le port aux nains, alors ceux-ci, comme tous les gens qui verraient une attache sans taxe, allaient déverser toutes leurs marchandises à destination de la cote ouest péninsulaire dans ce port. Du coup, bien que privé des taxes qui n'auraient jamais été très élevées (tout au plus une escale), celui-ci, sous la direction des nains, prendrait une ampleur énorme. Les curieux qui voudraient venir voir les nains, ou leurs ouvrages seraient nombreux. De même, les artisans, s'ils voulaient les marchandises de premier choix, viendraient aussi s'approvisionner dans ce port, et donc peut être s'installer non loin, comme la capitale. Toute l'économie qui allait se développer autour du port aurait des retombées sur ce qui l'entoure, et ce qui l'entourera, c'est le Duché d'Erac. En plus, cela prouvera aux nains la bonne foi du Duc, ce qui engendrera de la confiance. En parlant de celle-la, il fallait continuer alors qu'Harald l'évinçait

"Si vous permettez une dernière chose" Il marqua un arrêt pouvant faire croire au Roi qu'il avait encore une demande "J'ai bien entendu remarqué vos préparatifs de guerre, je pense que personne ne les aura loupé. Comme preuve de mon engagement dans le lien que nous tissons ensemble, sachez que si vous le souhaitez, je serais heureux de vous envoyer un contingent de soldats éraçons. Et comme je sais que nous ne rivaliserons pas avec vous en matière d'infanterie, je vous confierais des cavaliers. Je ne sais pas si vous le savez, mais la cavalerie de mon Duché est réputée comme l'une des meilleures de la péninsule. Elle sera entièrement sous vos ordres, et en répondra uniquement à vous ou celui que vous aurez désigné."

S'ils allaient se battre dans des grottes, ce serait bien ridicule, mais le Zagazorn avait également de grandes plaines ou la cavalerie lourdes des destriers éraçons auraient un impact certain sur une bataille. Il se doutait bien aussi que la guerre qu'Harald préparait ne devait pas être contre les humains, sinon il n'en aurait pas reçu à son mariage, ni des elfes, pour la même raison. Il s'agissait donc probablement de sauvages des Wandres, ou alors d'engeances qui occupaient leurs territoires (car oui Renaud, comme beaucoup de monde savait que les nains avaient perdu beaucoup de leurs terres. Il ne prenait donc pas de risque d'affronter des alliés.

Était-ce du courage ? De l’intrépidité ? De la bêtise ou de l’outrecuidance ? Renaud avait-il bu plus que de raison avant de se présenter face à Harald, le souverain de ces lieux ?

En tout cas, l’avant-dernière réponse de Renaud, à propos de ce fameux port, eu le mérite de montrer à Harald que le seigneur Humain était prêt à de grands sacrifices. Céder toute une terre humaine, et en faire une enclave Naine, où les lois des Nains, les taxes des Nains, et les règles des Nains, s’appliqueraient sans trêves ni négociations. Mais ces grands sacrifices auxquels Renauds était disposé, ressemblaient à de petits cailloux sur la grande montagne que les Nains devraient déployer pour réaliser le fameux projet.

A cela, Harald ne répondit rien, sinon un grognement sourd, provenant de sa gorge. Un grognement qui n’était ni approbateur, ni réprobateur seulement… Temporisateur. Garder son calme était utile en tout temps, tout lieu. L’ancien soldat sanguin et impulsif le savait pertinemment.

« Je vous remercie, Renaud. Cette proposition n’est pas à prendre à la légère, j’en suis conscient. Toutefois, je me dois de vous dire qu’aucune armée Humaine ne saurait combattre sur les terres des Nains, surtout pas contre l’adversaire que nous nous apprêtons à combattre. Mais votre sollicitude est la bienvenue, et je vous en remercie. Je vous laisse rejoindre la salle du trône ainsi que les festivités. Il me serait désagréable de savoir un de mes invité assoiffé, affamé, ou ennuyé alors que nous fêtons mon serment. »

Cette entretien était terminé.